les deux scandales du Christianisme (Gustave Thibon)
"Les petits contempteurs du christianisme l'attaquent comme une religion inhumaine. Mais ses grands contempteurs (un Spinoza, un Nietzsche) méprisent en lui l'excès d'humanité. Le christianisme attache à l'homme une importance centrale et définitive (dogmes de l'Incarnation, de l'immortalité de l'âme, etc.) ; il ne permet pas la « mise en question » de l'homme. Là est l'écueil pour les grandes âmes et le seul mobile capable de les détourner du Christ : leur profond mépris de l'homme les fait se cabrer contre ce Dieu qui fait un tel cas de l'homme, qui va jusqu'à enliser son essence dans le marécage humain. Ce qui scandalise les petits - ceux que la joie dans la platitude et le péché rassasie - c'est un Dieu si dur pour l'homme ; ce qui scandalise les grands, c'est un Dieu si attentif pour l'homme !
Et, de part et d'autre, la méconnaissance de l'amour est égale - de l'amour qui châtie et de l'amour qui descend. Il n'est pas d'homme assez pur pour que l'amour divin n'ait pas besoin de le broyer ; il n'est pas non plus d'homme trop misérable pour que l'amour divin n'assiège et ne mendie son âme. Et dans cet amour qui nous pourchasse jusqu'en enfer et qui nous soulève jusqu'au ciel s'efface le double scandale de la valeur infinie de l'homme et de la souffrance humaine. Aux yeux de Dieu, nul homme n'est assez haut et nul homme n'est trop bas tout le secret de l'humanisme chrétien est là..."
Gustave THIBON, Destin de l'Homme, Desclée de Brouwer, 1941.