Héraclite et le Bouddha
HÉRACLITE ET LE BOUDDHA. Deux pensée du devenir
universel.
Isabelle Dupéron. Ouverture Philosophique , L'Harmattan, 2003.On redécouvre que les pensées de l'Inde partagent avec les philosophies
grecques de l'Antiquité une même recherche d'un état de sagesse libre et sereine. Héraclite et le Bouddha, qui vécurent tous deux au sixième siècle avant J.C., sont deux figures qui illustrent
parfaitement cette convergence, jusque dans l'affirmation fondamentale sur laquelle ils édifient leur sagesse : le monde n'est que perpétuel changement, il n'existe nulle identité stable capable
d'échapper au devenir universel.
Cet essai, en s'appuyant sur une étude précise et détaillée des textes originaux qui
sont à la source de notre connaissance tant de la pensée d'Héraclite que de celle du Bouddha s'efforce de confronter, dans leurs ressemblances comme dans leurs différences, ces deux analyses
décapantes du devenir universel et de son sens pour l'homme. Il invite à dépasser le stéréotype, d'inspiration plus ou moins nietzschéenne, selon lequel Héraclite serait celui qui, en disant «
oui » sans réserve à la vie, au changement et à la douleur même, se positionnerait à l'opposé d'un Bouddha pour qui le caractère changeant et douloureux de toute expérience constituerait au
contraire une objection contre la vie.
Table des matières : Après une introduction sur les
sources et la méthode, le premier chapitre est consacré à la théorie des éléments (Le Bouddha et Héraclite). Puis deux chapitres exposant les doctrines du devenir universel chez Héraclite et
celle de l'impermanece universelle dans l'enseignement du Bouddha. Le chapitre quatre examine les conséquences éthiques de la doctrine du devenir universel et le chapitre cinq les conséquences
gnoséologiques de cette doctrine.
Quelques mots empruntés à la conclusion : [...] "Le rappel de l'universalité du devenir vient chez l'un et l'autre servir de fondement à une telle éthique du
détachement ; loin de déboucher sur le désespoir ou l'accablement devant la condition humaine, il ouvre la possibilité même d'un salut, difficile d'accès sans doute, mais qui signifie que
l'apaisement heureux est à la portée de quiconque saurait voir en face et accepter le monde tel qu'il est : renoncer à l'attachement, c'est au fond renoncer à ce que nos aspirations spontanées
ont d'incompatible avec la réalité d'un univers qui nous échappe sans cesse pour poursuivre son évolution plus avant. Reste à savoir si la compréhension intellectuelle de ce que l'attachement ne
peut se solder que par un douloureux échec constitue le moyen suffisant pour parvenir au renoncement, comme cela est affirmé dans la sagesse bouddhique, ou bien si la pensée a besoin, pour se
détacher des choses singulières, de se fixer sur un contenu à contempler qui imprègne de valeur le devenir, comme celui de l'harmonie universelle chez Héraclite. On pourra méditer, à ce sujet,
sur la distance qui sépare du Bouddha, un Grec encore "archaïque" comme Héraclite : alors que le Bouddha pose un regard neutre sur le monde en devenir, n'y voyant qu'une multiplicité de facteurs
constituants, engagés dans la création et la destruction incessantes d'agrégats, et tissant un réseau par le jeu de leurs interactions mutuelles. Héraclite s'attarde à contempler la perfection
d'un cosmos, d'une totalité parfaitement unifiée, divine et harmonieuse, qui au travers de sa perpétuelle transformation, exprime la vie inépuisable du dynamisme du feu. Héraclite a divinisé le
devenir, considérant que la loi intelligible qui lui est immanente constitue la source supra-humaine de toute valeur, et révèle que l'univers est le déploiement d'une intelligence ; tandis que
pour le Bouddha, s'il faut désigner une réalité parfaite, ce sera celle du nirvâna stable et sans mouvement, qui, incompréhensible conceptuellement, transcende entièrement le devenir, et dont la
perfection réside précisément dans son absolue
transcendance."
Isabelle
Dupéron