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la Révélation en Jésus de Nazareth

Publié le par Christocentrix

Jésus était un homme du peuple. Il n'a pas exercé de fonction. Il n'a pas porté un titre qui lui aurait valu des honneurs. Il ne s'est pas servi d'un pouvoir économique ou politique pour donner du poids à son message. Il était entièrement indépendant.

Sa parenté a essayé de le maintenir sous son influence. C'était alors habituel en Orient et la coutume s'y est maintenue jusqu'à aujourd'hui. Cependant même la pression très forte exercée par ses parents et les habitants de son village a été sans effet. Ainsi dans son village natal il n'a pas été reconnu comme prophète. On a cru qu'il était hors de sens et on a même voulu le tuer. Cependant Jésus ne se laissa pas détourner de son chemin. Malgré ce refus il continua sa route sans hésitation.

Le peuple juif était soumis à la loi du Sinaï. Il attribuait à celle-ci une autorité définitive venant de Dieu. Tous les domaines de la vie publique et privée étaient régis par elle. Celui qui ne voulait pas être exclu du peuple et de sa foi devait se soumettre à cette Loi. Il n'était laissé à l'individu aucune liberté. La pression collective de tout un peuple exigeait de chacun cette reconnaissance. Cependant Jésus restait libre en face de la Loi. Il ne l'a pas, il est vrai, purement et simplement rejetée. Il était si libre qu'il n'a pas eu à s'enfermer dans une attitude d'opposition. Il pouvait respecter la Loi et en même temps la dépasser de l'intérieur. Ainsi il était interdit de guérir le jour du Sabbat. Jésus disposait donc de six jours chaque semaine pour ses guérisons. Malgré cela il guérissait volontairement le jour du Sabbat. Il voulait montrer ainsi que le Sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le Sabbat (Marc 2, 27).

Dans sa prédication et ses controverses avec ses adversaires Jésus ne craignait pas de faire appel aux Ecritures saintes de son peuple. Il s'appuyait sur l'autorité divine qui leur était reconnue. Mais à des moments décisifs il pouvait tout aussi bien se situer au-dessus de cette autorité. C'est ainsi qu'il osait dire (ce qui est inimaginable pour un juif) : « Il a été dit aux anciens... Moi je vous dis... »(Mat. 5, 2148). Il était libre par rapport à cette autorité divine qu'on reconnaissait aux saintes Ecritures.

Ces juifs qui connaissaient exactement la Loi et s'efforçaient particulièrement de faire la volonté de Dieu comptaient parmi les gens pieux. Jésus était l'un d'eux et pourtant il ne faisait pas partie de leur cercle. Il fréquentait les plus stricts docteurs de la loi et en même temps il prenait ses repas avec ceux qui étaient méprisés par les gens pieux. Il montrait par sa parole et sa conduite qu'il annonçait un royaume où les pécheurs étaient aussi appelés. Il avait des relations avec des publicains et des prostituées. Il osait même proclamer que ceux-ci étaient spécialement appelés à entrer dans le royaume. Sa manière d'agir faisait éclater les rôles tout faits et connus.

Jésus n'est pas venu avec un manuel. Il n'a pas lié les hommes à une nouvelle lettre. Il n'a pas proclamé de dogmes. Il voyait plutôt le monde dans une nouvelle lumière. Tout lui était transparent et ainsi même le quotidien lui devenait parabole. De cette vision est né un nouveau langage. Il a pu parler aux hommes avec une spontanéité nouvelle. Le moineau sur le toit et le roi à son banquet, le marchand à la recherche de perles et les lis des champs, les femmes pétrissant la farine et les jeunes filles attendant leur fiancé, l'administrateur et le maître d'oeuvre annonçaient d'eux-mêmes ce que lui-même voulait dire. Il n'utilisait pas simplement des comparaisons populaires pour exprimer des pensées compliquées, mais il faisait parler la réalité elle-même de manière inattendue. Il ne s'appuyait pas sur des réflexions toutes tracées. Il ne tirait pas sa sagesse de livres ou de traditions orales. Mais pour lui les choses et les gens parlaient par leur seule existence. Il était libre de tout poids du passé et c'est pour cela qu'il était si spontanément présent aux hommes.

La liberté surprenante de Jésus agissait de la manière la plus provocante sur les gens les moins libres qu'il rencontrait, les possédés. Partout où il apparaissait, ils étaient pris d'une agitation violente. Il lui suffisait souvent de se montrer de loin pour déclencher déjà chez eux des convulsions. Il considérait aussi comme sa mission particulière de guérir ceux qui étaient possédés par une puissance étrangère et de leur faire expérimenter la souveraineté libératrice de Dieu. Il n'était pas seulement libre lui-même, il menait aussi dans les autres le combat contre la servitude.

Quoique insouciant comme personne avant lui, Jésus n'a pas été un fou innocent et inoffensif. Sans aucune autorité officielle il parlait cependant comme quelqu'un qui avait du pouvoir. Les masses du peuple le sentaient. Elles étaient fascinées par lui et le suivaient en grandes foules. Son secret résidait-il là ? Avait-il senti ce qu'il y avait au plus intime de l'âme du peuple et pouvait-il en s'appuyant sur cette masse prendre une attitude supérieure ? En aucun cas. Sans doute avait-il pitié du peuple et il comprenait ses besoins. Mais il ne s'est jamais laissé enfermer dans les attentes confuses et instinctives de la masse. Lorsqu'on a voulu le faire roi il s'est retiré. Il a blâmé les gens qui attendaient de lui seulement du pain pour le corps. Du point de vue politique il a ainsi perdu volontairement l'occasion la meilleure de s'assurer un appui considérable.

Dans la Palestine d'alors il y avait parmi les juifs trois groupes puissants : les pharisiens, les sadducéens et les zélotes. Les premiers enseignaient la loi et exerçaient leur pouvoir dans les synagogues locales. Les sadducéens avaient en main le temple, le sanctuaire national où arrivait aussi beaucoup d'argent. Ils formaient la classe supérieure dans le domaine religieux et économique. Les zélotes étaient des fanatiques. Ils trouvaient inconcevable en tant que juifs d'être soumis à une puissance étrangère, et en tant que peuple élu de vivre sous la domination des païens. Ils fomentaient pour cette raison l'insurrection violente contre les Romains. Jésus ne s'est lié à aucun de ces groupes. C'est pourquoi ceux-ci se sont alliés contre lui alors que par ailleurs ils étaient toujours en conflit entre eux. Qu'est-ce qui les a poussés à cette étrange alliance ? Comment Jésus pouvait-il représenter un danger pour eux alors qu'il n'avait lui-même l'appui d'aucun groupe important et qu'il décevait sans cesse la masse du peuple et ses attentes spontanées ?

Ce n'est pas d'eux-mêmes que les hommes tiennent leur puissance. Laissé à ses propres forces même le dictateur le plus craint n'est rien de plus qu'un petit homme du peuple. Seul celui qui peut compter sur la peur des hommes a le pouvoir de dominer. A partir d'un sentiment confusément éprouvé le plus grand nombre projette toujours ses attentes sur quelques-uns et en fait ainsi des maîtres. Pour échapper à leur propre insécurité ils s'inclinent docilement devant ceux qui leur promettent salut et appui. Ceux-ci acceptent de leur côté volontiers ou même avidement de se donner à cette tâche pour masquer ainsi leur propre faiblesse. Ils deviennent alors des maîtres et le restent aussi longtemps qu'ils peuvent compter sur la peur et le besoin instinctif de la masse.

Mais en Jésus les maîtres non affranchis, dominant des hommes craintifs, ont rencontré quelqu'un qui ne tremblait pas devant eux. Comme il ne tremblait pas ils ont commencé à trembler devant lui. Il était plus dangereux que n'importe quel potentat. Car ils auraient pu découvrir les plans et les réactions d'un tel homme et donc le combattre. Tandis que Jésus n'entrait dans aucun de leurs calculs. Il échappait toujours à leurs filets pourtant finement tissés. Il détruisait en outre le fondement de leur pouvoir car sa présence faisait disparaître la peur chez beaucoup. Il était donc conseillé pour les pharisiens, les sadducéens et les zélotes de s'unir pour un temps contre lui. Ils se comprenaient bien entre eux car c'étaient des tendances fondamentales identiques qui les faisaient agir. Ils connaissaient leurs coups réciproques et pouvaient s'engager dans un complot. Si ce Jésus insaisissable ne pouvait plus leur nuire, cela leur rendrait service à tous.

Les ennemis ainsi alliés ont bientôt eu aussi à leur côté la force d'occupation romaine tolérante, et ont pu faire subir à Jésus l'épreuve définitive. Ils pouvaient maintenant mobiliser contre lui le plus grand ennemi de la liberté, la peur de la mort. Face à cette menace Jésus n'est pas resté insensible. Malgré son intrépidité il n'a jamais été un surhomme. Il a connu tous les sentiments humains. Il pouvait se réjouir et exulter intérieurement. Mais il était aussi sujet à la tristesse et à la fatigue. Il a même connu la tentation. Il a éprouvé ce qu'avait de tentant l'abandon de soi-même à la masse pour se laisser porter par elle au pouvoir. En lui existaient aussi ces instincts destructeurs qui sont symbolisés dans les récits de tentation par les animaux sauvages. Il était las parfois du peuple et même de ses disciples parce qu'ils ne voulaient pas le comprendre. Mais ses nerfs ont été particulièrement sensibles à la pensée de la mort. La mort d'un ami le mettait dans une grande émotion et la perspective de sa propre mort faisait jaillir la sueur de ses pores. La mort avait une emprise tellement forte sur lui qu'il aurait préféré faire demitour sur le chemin qui y menait. Pourtant c'est justement à ce moment qu'il a révélé sa liberté particulière. Il pouvait laisser libre cours aux émotions de son corps et de son âme. Il n'avait pas à se durcir. Il ne lui était pas nécessaire de jouer à l'insensible. Il pouvait être avec son corps tremblant et dire en même temps :« Que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se réalise» (Luc 22, 42).

Lorsqu'il fut aux mains de ses adversaires, son silence domina les reproches haineux et mesquins. Cependant cette attitude ne lui était pas dictée par le mépris intérieur pour ses adversaires, comme cela arrive facilement dans de tels cas. Il ne s'endurcissait pas pour prouver aux autres qu'ils ne pouvaient pas venir à bout de lui. Il ne se précipitait pas comme les commandos suicides avec fanatisme vers la mort. Sa propre souffrance ne le rendait pas aveugle aux autres. Même dans cette situation il pouvait se mettre dans la peau de ses adversaires : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font »(Luc 23, 34).

Qu'est-ce qui donnait à Jésus la force d'agir ainsi ? L'attente d'une mort extrêmement douloureuse aura éveillé sa volonté de vivre la plus profonde et ses sentiments instinctifs les plus intimes. S'est-il alors raccroché à une idée ultime rendant possible une calme supériorité ? Ou bien est-ce une réalité fondamentalement nouvelle qui l'a porté ?

Le contenu le plus profond de l'Ancien Testament était la foi en l'alliance entre Dieu et son peuple. Les prophètes décrivaient en se servant de l'image du mariage cette relation comme une alliance d'amour. Jésus a vécu dans cette tradition. C'est en fonction de ce Dieu d'amour qu'il comprenait sa propre vie, son action et son enseignement. Il se savait même en relation très particulière avec lui. Il s'adressait à son Père de la même manière que les petits enfants juifs de l'époque qui appelaient leur père « Abba »(papa). Il pouvait exulter et louer son Père. C'est à lui qu'il attribuait tout son message. Jésus allait donc son chemin sans se laisser détourner par aucune menace car il se savait conduit par ce Père. Il le sentait si proche que sa présence lui donnait des forces comme une nourriture nourrit le corps. «Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé »(Jean 4, 34).

C'est donc le Père qui donnait à Jésus la force d'agir de cette manière supérieure. Mais qui était le Père ? Peut-être la représentation qui était au coeur de la religion de l'Ancien Testament et qui aurait trouvé en Jésus sa forme la plus affinée ? Se raccrochait-il au mythe originel de la religion juive : le Dieu de la sortie d'Egypte et le Dieu des prophètes qui voulait toujours conduire le peuple de l'esclavage à la liberté ? Le Père n'était-il qu'un « Dieu imaginé », une image traduisant l'espérance la plus intime et inébranlable du peuple de l'Ancien Testament, une expression spirituelle du désir humain primitif de liberté et d'amour?Quoique Jésus se croyait totalement conduit par son Père, l'expérience de sa présence l'a abandonné au moment le plus difficile. Sa proximité sensible et réconfortante disparut. Jésus ne pouvait plus que balbutier : « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » (Mat. 27, 46).

Si le Père dont Jésus a totalement vécu avait été un « dieu imaginé », cette expérience aurait dû briser sa vie. Le «dieu imaginé » aurait dû sombrer avec la destruction de la représentation la plus sublime et la disparition de l'expérience la plus purifiée. Et pourtant cela n'a pas été le cas. Malgré l'abandon où il se trouvait, une dernière certitude continuait à vivre en Jésus. Le Père qui le conduisait en tout s'est avéré plus fort que toutes les images les plus sublimes. Il l'a même rendu capable d'un acte fondamentalement nouveau.

La mort est normalement la chose la plus terrible qui puisse arriver à un homme. Elle est le non le plus radical à tout désir de vie et d'épanouissement. Elle marque la véritable limite de l'humanité. Jésus n'a pas simplement supporté passivement ce destin inéluctable. C'est précisément à partir de ce point névralgique qu'il a donné à la vie humaine une nouvelle direction. Même le Père qui l'avait abandonné lui a encore donné la force de transformer la mort, destin à subir, en un acte de don de soi : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 24, 46). Toute la vie humaine en a pris un nouveau sens.

Jésus avait compris sa vie et sa mort comme une révélation. Le Dieu qu'il désignait comme son Père n'était pas un Dieu de la race ou du clan. Le clan de Jésus et sa parenté l'avaient déclaré fou et rejeté. Le Père n'était pas non plus un Dieu de l'Etat ou du culte. Les autorités politiques et religieuses avaient condamné Jésus. Le Père n'était pas plus un Dieu de l'intériorité et des désirs de l'âme les plus raffinés. Au moment décisif Jésus a abandonné cette représentation intérieure réconfortante. Le Père n'était pas le Dieu d'une tradition religieuse. Car celle-ci a été jusqu'à condamner Jésus pour blasphème. Le Dieu de Jésus n'était pas non plus l'expression d'une vision résignée de la destinée immuable de l'homme. Le Père lui a justement donné le pouvoir de transformer à partir de la mort qui en est la racine le destin inéluctable en un don de soi. Jésus a révélé ce Dieu qui ne transfigure et n'enlève rien à la vie de sa dureté, mais qui est capable de transformer la souffrance incompréhensible et presque animale du destin en un acte d'amour.

Comme le montre la pluralité des religions et des visions du monde, non seulement le comportement extérieur des hommes, mais même leur champ de conscience intérieur et leurs tendances préconscientes sont soumis à des modèles conditionnés par la culture et la tradition. L'originalité de l'individu est la plupart du temps si faible qu'il peut à peine se soustraire à la fascination des représentations en cours dans sa société. Il y a eu, il est vrai, au cours de l'histoire et également dans celle des religions, suffisamment d'hommes qui ne se sont pas satisfaits des autorités sacrées traditionnelles, et s'y sont opposés. Mais de tels novateurs s'appuyaient toujours sur une partie de la doctrine traditionnelle. Ils la mettaient dans un éclairage nouveau, s'y identifiaient, et combattaient à partir d'elle la partie restante de la tradition sacrée. De cette manière apparaissaient de nouveaux commence ments qui ne se distinguaient jamais fondamentalement de l'ancien, et ne pouvaient donc qu'élargir un peu le cercle varié des religions.

Jésus a apporté lui aussi un nouveau commencement. Les forces de la tradition ont tenté, il est vrai, par tous les moyens de le maintenir sous leur influence. Sa parenté, le peuple, les groupes puissants et les autorités, la loi et même son propre sentiment et ses propres représentations intimes se sont conjurés contre lui. Mais par là il est justement manifeste que finalement ce ne sont pas ces forces qui le faisaient vivre et agir. L'autorité de son Père qui dirigeait sa vie avec puissance ne transfigurait pas une quelconque autorité préexistante, mais au contraire les faisait toutes éclater. Elle est apparue comme une réalité fondamentalement nouvelle et a libéré Jésus de toutes les traditions imaginables, et cela non par jeu, mais au cours d'événements conduisant à la mort. Comme le Père lui a donné le pouvoir de transformer la fatalité aveugle de la mort en don de soi, il s'est révélé comme n'étant pas une nouvelle idée sublime, mais au contraire une réalité puissante.

Ce que Jésus a révélé ne peut donc prendre sa place dans le cercle des autres religions. Il n'a pas élevé une revendication quelconque. L'événement de la révélation, au coeur duquel il s'est trouvé agissant et souffrant, était lui-même un processus de séparation radicale et à vrai dire mortelle d'avec toutes les autorités possibles.

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