philosophie et nihilisme
le développement du nihilisme en Occident
La « crise interne » de l'histoire de l'Occident niant progressivement la réalité de l'existence de Dieu, devient conscience historique avec la proclamation nietzschéenne de la « mort de Dieu ». Le nihilisme de Nietzsche - témoignage du lieu vide de l'absence de Dieu - invite à prendre conscience d'une responsabilité concrète. La « mort de Dieu » n'est pas une nouvelle thèse philosophique - fondement théorique d'un système athée - mais une constatation historique, l'interprétation d'un événement définitivement accompli. La proclamation de Nietzsche est comme le terme où s'achève la métaphysique européenne. Elle révèle les dimensions réelles d'une nouvelle ère. Il écrivait lui-même en 1886: « L'immense événement nouveau, que Dieu est mort et que la foi dans le Dieu chrétien n'est plus croyable, a commencé à jeter sur l'Europe ses premières ombres.» Un siècle avant Nietzsche, Jean Paul, dans son roman Siebenkäs (1796-1797), avait déjà annoncé en Europe la mort de Dieu. Hegel, nous l'avons vu, avait repris le propos, en l'appliquant au Dieu de la pensée abstraite. Henri Heine avait aussi parlé de la « mort de Dieu », tandis que Fr. H. Jacobi évoquait le « nihilisme », terme que plus tard utilisa également Tourgueniev. Mais c'est à Dostoïevsky que nous devons la recherche la plus systématique de la relation entre l'homme et l'absence de Dieu, de même que l'anatomie prophétique du nihilisme russe, qui était un fruit de l'européanisation des classes cultivées de la Russie.
Mais il y a dans la proclamation de Nietzsche un élément nouveau, une originalité historique : c'est le défi voulu à la conscience de l'Europe. Ce défi se manifeste dans les dimensions d'une ère différente de l'histoire. La conscience de l'homme européen est métaphysique, elle présuppose Dieu comme première cause rationnelle de la cosmologie et comme principe autoritaire de la morale catégorique. La proclamation de la « mort de Dieu» était donc le refus des fondements de la conscience de soi des Européens, le défi de l'irrationnel, qui abolit jusqu'à la raison habituelle de la vie sociale. Nietzsche avait conscience que la « mort de Dieu » signifie le « renversement de toutes les valeurs ». (On connaît le passage du cinquième livre du Gai Savoir (1882) où un « forcené» apporte le message de la mort de Dieu (§ 125 « L'insensé») « Où est Dieu ? Je vais vous le dire. Nous l'avons tué. vous et moi. Nous sommes tous ses meurtriers. Ne sentez vous pas sur vous l'haleine du vide ? Tout n'est-il pas devenu plus froid ? Est-ce que n'arrive pas la nuit, et toujours plus de nuit ? Ne sentez-vous rien encore de la décomposition divine ? Les Dieux aussi pourrissent. Dieu est mort. Dieu restera mort. »
Le propos du « forcené » n'est pas simplement l'annonce d'un rejet personnel de Dieu, qui aurait le caractère de l'absurde parce qu'il serait arbitraire. L'absurde ici est tout entier dans le refus du sol sur lequel est bâtie tant la conscience culturelle que la conscience religieuse de l'Europe. Nietzsche proclame ce refus comme un événement historique, comme la contradiction interne de l'histoire européenne. Son propos nous force à connaître l'heure du monde où nous sommes. Et cette connaissance est un scandale pour la conscience de l'homme européen. La proclamation de la « mort de Dieu » est pour beaucoup un blasphème incompréhensible ou même une folie : « Je viens trop tôt, écrivait Nietzsche, ce n'est pas encore le temps. Cet événement prodigieux est en route et il avance, mais il n'a pas atteint jusqu'à maintenant les oreilles des hommes. L'éclair et le tonnerre ont besoin de temps, la lumière des astres a besoin de temps, les actes ont besoin de temps, même s'ils sont déjà accomplis, pour qu'on puisse les voir et les entendre. Cet acte est pour les hommes encore plus lointain que les plus éloignées des étoiles, et pourtant ce sont eux-mêmes qui l'ont accompli.»
L'Occident est responsable de la mort du Dieu de sa tradition chrétienne. Le propos de Nietzsche invite à prendre conscience d'un acte qui est accompli désormais. Et cette conscience, progressivement, spécifie le temps historique : «Ce que j'annonce est l'histoire des deux siècles qui viennent.» Les Eglises chrétiennes n'ont vu dans la proclamation de Nietzsche que la folie blasphématoire d'un athée. Pourtant Nietzsche a d'abord voulu confirmer ce que les Eglises elles-mêmes avaient accompli : « Que sont donc les Eglises, sinon les tombeaux et les sépultures de Dieu ? »
Heidegger, commentant la parole de Nietzsche « Dieu est mort », écrit : « Le propos sur la « mort de Dieu » se réfère au Dieu chrétien. Mais il est non moins sûr, et il faut s'en rendre compte d'avance, que, dans la pensée de Nietzsche, les noms Dieu et Dieu chrétien servent à désigner le monde Suprasensible. Dieu est le nom du domaine des idées et des idéaux. » Ce transfert du monde suprasensible de la métaphysique sur le nom du Dieu chrétien, n'est pas une originalité de Nietzsche, c'est l'orientation historique majeure de la théologie occidentale. La confirmation rationnelle de l'événement de la révélation a été la tentation de l'Occident : elle exigeait le pouvoir temporel de l'Eglise. Le monde suprasensible de la métaphysique, rationnellement nécessaire, est confondu avec le Dieu de la révélation chrétienne, qui est « folie » et « scandale » pour la pensée humaine: « La métaphysique occidentale, affirme Heidegger, est fondée sur ce primat de la raison. » ... « Parallèlement à la psychologie et à la cosmologie, et au-dessus d'elles, la théologie apparaît, non comme l'explication ecclésiale de la révélation biblique, mais comme l'explication "rationnelle" ("naturelle") de l'enseignement biblique sur Dieu : la cause première des êtres, de la nature et de l'homme, de son histoire et de ses oeuvres. »
C'est pour cette raison que, dans la pensée de Nietzsche, la métaphysique chrétienne s'identifie au platonisme.
La tradition métaphysique occidentale, marquée par Thomas d'Aquin, et jusqu'à Leibniz, est typiquement platonicienne. En cela, « la métaphysique occidentale est théologique, même dans les cas où elle s'oppose à la théologie ecclésiale », puisque la vision platonicienne du monde est nécessairement théocentrique. Dieu est la cause première des êtres. L'ontologie comme la théologie de la métaphysique européenne présupposent Dieu comme une nécessité logique. « "Logique" ici ne signifie pas ce qui est conforme aux règles de la logique scolaire, mais ce qui est fondé sur la confiance dans l'intelligence». Depuis Platon jusqu'à Leibniz, Dieu se définit comme l'Etre en soi, avec élévation dans l'absolu (regressus in infinitum) de l'être donné de l'existence humaine. La cause de l'existence est déterminée fondamentalement par l'existence elle-même. Cela signifie que l'onto-logie comme la théo-logie, qui étymologiquement rendent compte de l'Etre et de Dieu, sont en fait la raison de l'Etre et de Dieu, c'est-à-dire la logique de la raison. C'est pourquoi on devrait les appeler plus exactement onto-logique et théo-logique.
Mais le second courant historique de la vie spirituelle occidentale, l'irrationalisme, a la même origine dans la confiance en l'intelligence : « Les plus grands rationalistes aboutissent très vite à l'irrationnel, et au contraire, là où l'irrationalisme détermine la vision du monde, triomphe le rationalisme. » La tradition de l'apophatisme occidental, depuis le néoplatonicien Erigène jusqu'à Anselme, Abélard et Thomas d'Aquin, qui, tous, tentèrent de concilier l'affirmation et la négation, et de soutenir simultanément la connaissance et l'ignorance, confirme cette constatation. La théologie naturelle apparaît comme une logique des affirmations, la théologie apophatique comme une logique des négations.
C'est Kant qui le premier nia avec conséquence le primat de la logique, fit la distinction entre la pensée et l'existence, rejeta l'identification de l'Idée et de l'Etre, assignant ainsi sa fin à l'ontologie classique. En mettant en liaison, dans l'ordre de l'expérience, l'intelligence et l'existence, Kant inaugura l'ontologie anthropologique des temps modernes. Hegel alla encore plus loin et définit par le terme de phénoménologie la séparation fondamentale de l'intelligence et des choses (nous ne connaissons les êtres que selon l'apparence, et non selon l'essence). La seule possibilité de dépasser cette aliénation, pour Hegel, est l'histoire. Mais il est clair que le saut de Kant et de Hegel ne dépasse pas les frontières du sujet. La métaphysique de Hegel peut se définir comme « la métaphysique du subjectivisme absolu».
Le primat de la logique est aboli pour être remplacé par le primat de l'expérience ou par celui de l'existence historique. L'ontologie demeure anthropocentrique. Et il en va de même pour la théologie : «Les temps modernes sont caractérisés par le fait que l'homme devient la mesure et le centre de l'étant.»
La métaphysique du subjectivisme absolu, c'est-à-dire l'anthropologie comme métaphysique, transforme en définitive la métaphysique en axiocratie. La réalité des êtres n'est pas une nécessité logique, mais une nécessité empirique ou historique. Cependant la validité empirique ou historique des êtres est liée à leur utilité, et non à leur vérité : « La valeur, et tout ce qui tient d'elle, devient le succédané positiviste de la métaphysique». Cette ontologie des « valeurs » de l'objet de la science humaine s'accomplit dans une théologie qui se réfère également à l'opportunité pratique. Dieu est le « commencement » de l'échelle des valeurs, le principe moral définitif et la fin de toute axiologie éthique. Il est le « Bien suprême », analogique au bien qui constitue une catégorie empirique de la conscience morale. Ce « commencement » de l'échelle axiologique est finalement une nécessité abstraite de la morale sociale, comme les autres « valeurs » de justice, de solidarité ou d'honnêteté. Le Dieu qui est conçu à partir des valeurs que l'homme trouve dans le monde de sa connaissance est mort au même titre que le Dieu de la métaphysique classique, caractérisé par le pouvoir rationnel des causes : « Le dernier coup porté à Dieu et au monde intelligible, écrit Heidegger, a été l'élévation de Dieu (le Dieu qui est) au sommet des valeurs. Le coup le plus dur porté à Dieu n'a pas été qu'on reconnaisse qu'il n'était pas possible de Le connaître, ni qu'on démontre que l'existence de Dieu était indémontrable, mais qu'on élève au sommet des valeurs le Dieu nécessairement réel. Et ce coup ne vient pas de ceux du dehors, de ceux qui ne croient pas en Dieu, mais des fidèles et de leurs théologiens».. Heidegger affirme que, dans la pensée de Nietzsche, la théologie chrétienne s'identifie au platonisme, et en même temps que « le christianisme est pour Nietzsche la manifestation historique, séculière et politique de l'Eglise, et son exigence de puissance dans le cadre de la formation de l'humanité occidentale». Le Dieu chrétien s'est identifié autant au monde intelligible de la métaphysique classique, qu'à la forme culturelle d'une utilité sociale. La proclamation de Nietzsche signifie « l'hérésie » fondamentale du christianisme en Occident, la recherche d'une ingérence rationnelle et sociale, le refus du paradoxe, c'est-à-dire du caractère « nouveau » de l'Eglise. Les singularités dogmatiques, historiques et canoniques qui séparent le christianisme occidental du christianisme originel tendent toutes à ce changement fondamental de la conception ecclésiologique, que fut l'exigence d'une autorité temporelle de l'Eglise, l'Eglise cédant à la troisième des tentations du Christ, comme l'a noté Dostoïevsky. La proclamation de la « mort de Dieu» est l'aboutissement historique qui juge en tout l'évolution théologique de l'Occident. En apportant un soutien rationnel aux vérités de la révélation, l'Eglise d'Occident prépare leur réfutation rationnelle. Le rationalisme, fruit direct et conséquence naturelle du thomisme, est le seuil historique de l'empirisme. Et l'empirisme est la porte ouverte à l'avènement du nihilisme. En même temps, l'antirationalisme, fruit direct et conséquence naturelle de l'apophatisme protestant est le seuil historique de l'axiocratie. Et l'axiocratie est la porte ouverte à l'avènement de l'amoralisme, le « renversement de toutes les valeurs ».
Il est évident que la proclamation de la « mort de Dieu » résume le processus historique tant de la théologie naturelle que de l'apophatisme en Occident .
Heidegger décrit très clairement l'aboutissement de ce processus :
« L'autorité perdue de Dieu et de l'enseignement ecclésiastique fait place maintenant à l'autorité de la conscience personnelle : c'est-à-dire qu'augmente peu à peu l'autorité de la raison. Contre elle s'élève bientôt l'instinct social. La fuite du monde présent dans le monde intelligible est remplacée par le progrès historique. La fin transcendante de la béatitude éternelle se transforme en bonheur terrestre des masses. A la recherche du culte et de la religion, succède l'enthousiasme pour les créations de la culture, et pour l'expansion toujours plus vaste de la civilisation technique. La créativité, qui était la marque du Dieu biblique, devient la propriété exclusive de l'énergie humaine. La création de Dieu est remplacée par ce que fabriquent les hommes ». « Le nihilisme, le plus inquiétant de tous les hôtes, est à la porte ».
Christos Yannaras
"En Occident, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec celles qui causaient l'extrême faiblesse de l'Église russe, l'Église catholique commençait le XIXème siècle sous de mauvais auspices. Le siècle des Lumières, qu'il faut faire remonter pour le moins à Spinoza et Bayle, constitue un cycle de critique religieuse à peu près complet, puisqu'il ruine au nom de la raison successivement le dogme, la hiérarchie, l'Écriture, et quelquefois la notion même de divinité. La fin du siècle fait éclater une crise politique. La Révolution faillit extirper le catholicisme de la France, cependant que les monarchies autrichiennes et espagnoles s'apprêtaient à liquider l'institution papale. L'Église survécut mais elle en demeura marquée, et longtemps, comme sous le coup d'un traumatisme presque mortel dont les suites ne cessent pas d'être douloureuses.
Une première conséquence de cette fixation sur l'esprit des Lumières comme sur l'ennemi principal fut que la pensée catholique crut devoir passer alliance avec les courants romantiques, qui, en ce début du siècle, supplantaient un peu partout le rationalisme classique. Les conséquences en furent immenses. En effet, tout occupée à lutter contre un ennemi qu'elle connaissait bien, et qui d'ailleurs ne la laissa pas en paix tout au long du XIXème siècle, l'Église ne fut pas attentive aux ennemis nouveaux qui se levaient à ses côtés, de l'intérieur même de son allié principal, le romantisme.
L'alliance fut passée partout, en Angleterre, où elle contribua à la renaissance du catholicisme, en Allemagne, où, dans les mêmes universités submergées par l'idéalisme, il fallait bien lutter à armes égales contre la pensée théologique protestante, et en France. C'est dans ce pays que les inconvénients apparurent le plus tôt et pourtant qu'ils furent le moins aperçus par les intéressés.
Comme en Russie, les auteurs qui ont marqué la pensée catholique sont des laïcs : Chateaubriand, Bonald, Maistre. Le seul clerc, Lamennais, a quitté l'état religieux. C'est que le clergé n'est plus à même d'exercer une autorité intellectuelle. La dissolution de la Compagnie de Jésus avait entraîné une baisse générale de niveau et une perméabilité plus grande, soit aux idées jansénisantes, soit à l'illuminisme maçon. Les couvents de la fin du XVIIIè siècle, riches et oisifs, abritent une version monacale des salons. Le système gnostique de Dom Deschamps n'en est pas un produit aberrant. Après la crise de la Terreur, l'État napoléonien comme la majorité de l'épiscopat n'envisagent la religion que comme un culte. Qu'elle puisse être une doctrine, une culture, ils n'en ont pas l'idée. Rien d'aussi lamentable que l'enseignement donné dans les séminaires qui poussent en hâte les nouveaux vicaires, formés en série, aux tâches urgentes de la pastorale campagnarde. La description du Rouge et le Noir n'est pas infidèle.
Il y aurait un parallèle à faire entre l'apologétique de Schleiermacher, axée sur le Gefühl, l'expérience religieuse subjective absolument irréductible à la raison raisonnante, et l'apologétique de Chateaubriand. « J'ai pleuré et j'ai cru. » Une pente entraîne Le Génie du christianisme vers l'intuition libérale de Benjamin Constant et de Guizot : « La religion chrétienne est la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres. » Mais une autre pente l'entraîne vers la religiosité vague et l'état d'âme, confondus, à la manière piétiste, avec la foi.
Chez Bonald et Maistre, nous touchons à quelque chose de plus sérieux : une première invasion gnosticisante, encore que difficile à apercevoir car dans leur exaltation de la papauté, de l'Inquisition, de l'autorité spirituelle sous toutes ses formes, on n'imagine pas qu'ils fassent passer une marchandise suspecte - et elle passe d'autant mieux que ses porteurs se mettent à l'avance en toute sincérité sous la protection des autorités qu'ils restaurent; celles-ci ne s'en aviseront qu'avec une génération de retard (vers 1840).
Aux origines, l'humanité a reçu avec la langue non point seulement un système de communication, mais un système de pensée, une doctrine. Elle forme la révélation primitive, la Tradition. Celle-ci est transmise par la société, gardienne voulue par Dieu de la vérité fondamentale, qui la communique à ses enfants et leur en dévoile le secret par la langue qu'elle leur enseigne. C'était cousiner avec les illuministes qu'on vomissait d'autre part pour avoir préparé la Révolution mais dont on reprend le traditionalisme initiatique, cette fois au profit de la réaction.
C'est pourquoi, d'emblée, Lamennais refuse le monde issu de la Restauration. La France de Charles X est à ses yeux une « vaste démocratie », où l'athéisme est maître, où l'indifférence règne, où le christianisme est exclu de la société publique. L'autorité, l'autorité sacrée s'avère incapable de maintenir la Tradition, de l'imposer. La loi sur le sacrilège, qui ne prévoit pour la défense du catholicisme que des châtiments insuffisants, se déshonore en prétendant assurer la même protection au protestantisme et au judaïsme! Ce refus du réel, au nom du passé, perd toute plausibilité à mesure que le temps passe. Aussi prépare-t-il une conversion soudaine qui maintient le refus, mais cette fois au nom de l'Avenir, c'est-à-dire de l'utopie. Puisque les rois sont décidément incapables d'exprimer la conscience de la Tradition et de l'infuser dans le peuple, c'est au peuple lui-même, atteignant l'âge adulte, « d'exprimer directement ce sens commun de l'humanité de toujours dont les chefs traditionnels paraissaient avoir renoncé à être les oracles ». L'autorité, c'est maintenant à travers la « liberté » qu'elle doit passer. Mais certes pas une liberté éclairée par la raison, ce qui serait retomber dans le libéralisme le plus constamment détesté : une liberté instinctive, jaillie de la conscience des masses. A elles appartient maintenant l'infaillibilité et non plus à la hiérarchie, encore moins à Rome désormais déchue.
Lamennais a parcouru tout seul, en quelques années, le chemin que les Russes avaient mis une génération à parcourir, entre le slavophilisme et le populisme. Lamennais avait quitté l'Église. Mais le mennaisisme demeurait comme un paradigme de la vie intellectuelle catholique en France avec ce va-et-vient du passé à l'avenir et la constante incapacité de composer avec le présent. Plusieurs idées-forces concourent à ce grand refus.
L'apologétique contemporaine de la révolution française avait procédé par une conversion de la sensibilité préromantique. Cette théologie du sentiment précède et prépare une théologie du progrès. Le mouvement qui en Allemagne avait donné Schleiermacher, Jacobi, puis s'était, avec Schelling et Hegel, consolidé en des théosophies plus rationalisées, se reproduit en France, sans atteindre le même éclat, sans régner au même point sur l'ensemble de la culture laïque, mais pour s'implanter plus profondément encore dans le milieu restreint de la pensée catholique. « Dieu, écrit Lamennais, a rendu à l'homme la faculté de progresser avec lui. » Voici que l'univers est entraîné par l'évolution vers une déification progressive. « L'univers est un Dieu naissant, mais à jamais séparé de son Père par une limite qui, reculant sans cesse, demeurera toujours, parce qu'elle fuit dans l'Éternité et dans l'immensité. » Une providence gouverne l'histoire, laquelle donne un sceau sacré au mouvement qui l'emporte : « Toutes ces révolutions inévitables dans l'ordre des choses humaines, ne sont-elles pas voulues par Dieu, opérées par Dieu, afin d'arriver à certaines fins que nous devons croire dignes de lui et qui, considérées dans la suite des siècles, ne sont au fond que le développement providentiel de l'humanité. » Il s'ensuit que le spirituel réside dans l'automouvement de l'histoire, dans les acteurs qui la font, c'est-à-dire, au XIXè siècle, dans le Pauvre, porteur de vérité et de régénération, dans le Peuple entendu au sens de Michelet. Lamennais est en train de réviser le dogme chrétien, mais sans en avoir conscience. Au contraire, à mesure qu'il se rapproche des théosophies romantiques, de Quinet, de Leroux, d'Enfantin, - voire de Ballanche et de l'illuminisme - sa prédication se fait plus âprement prophétique, plus enthousiaste : à ses yeux, il atteint le vrai christianisme : « La Religion dégagée des vaines opinions qui divisent, ramenée à sa pure essence. » Il jette donc par-dessus bord, comme on faisait autour de lui, comme avait fait tout le XVIIIe siècle abhorré, le dogme du péché originel : « II repose sur l'hypothèse d'un état primitif de perfection impossible en soi, et manifestement opposé à la première loi de l'univers, la loi de progression. » Du coup la Rédemption devient inutile : « L'amélioration de l'humanité (...) est donc étroitement liée à sa croissance, n'est que sa croissance même, son mouvement naturel d'ascension vers Dieu. » Quant à l'Incarnation, elle doit s'entendre comme l'influx de la conscience dans l'humanité, « véritable incarnation du Verbe dans l'humanité ». Jésus est le «symbole de l'humanité ». Il ne faut donc pas dire que son royaume n'est pas de ce monde : il sera de ce monde, à mesure que l'histoire avance par grands élans, par «campagnes» successives : « A chaque campagne du Christ, il accroît sa puissance et recule ses frontières : son règne advient progressivement.» Lamennais est converti, à son insu, à la foi humanitaire. Ce trait est remarquable. La plupart des dérives théologiques modernes se font à l'insu de leurs auteurs et au moment même où, croient-ils, ils progressent dans l'intelligence de la foi.
Lamennais n'avait pas reçu de formation théologique sérieuse et ne s'était point donné la peine de la compléter : la ferveur, l'élan, l'enthousiasme religieux lui paraissaient des garanties suffisantes de la qualité de sa foi. Mais ni la ferveur ni la piété ne peuvent se constituer juges de la foi. Dans un climat de dédain pour l'intelligence, le déclin immédiatement concomitant de celle-ci masque la pointe de l'apostasie, anesthésie le sens théologique. C'est inconsciemment que Lamennais sortait du christianisme. Mais la réaffirmation du Christ, de ce Christ romantique dont Hegel, Wagner (Parsifal), Dostoïevski (l'Idiot), et Nietzsche ont peint avec enthousiasme ou dégoût les icônes diverses et profondément parentes, le persuade du contraire. Ce « christisme » permet à son influence de se propager sous des formes atténuées, dans les milieux restés fidèles à l'Église, comme une maladie bénigne mais récurrente que chaque crise politique, comme celle de 1848, peut réveiller sous sa forme aiguë et galopante.
Encore une conséquence : le christianisme ouvertement, secrètement ou, pire, inconsciemment mennaisien n'est plus du christianisme bien qu'il se présente comme une forme plus haute, plus exigeante, plus pure, plus large, de celui-ci. Ceux qui ne se laissent pas faire, n'admettent pas cette prétention et éprouvant une répulsion légitime pour le mennaisisme latent, n'auront pas de raison de rester fidèles à une religion au sujet de laquelle ils n'ont pas été avertis qu'elle était corrompue. Cela prépare les grands retraits du XIXè et du XXè siècle, qui ne sont pas assimilables à des apostasies, puisque l'apostasie était le fait de ceux qui avaient falsifié subrepticement la religion"....
Alain Besançon "la crise idéologique de l'Eglise" (1978)
aller voir chez les Grecs...
L'auteur propose dans cet ouvrage une approche directe en vue de "réaliser"
l'enseignement platonicien et d'être un vrai philosophe, c'est à dire "celui qui est capable de voir la totalité". Il explique que pour apprécier cette philosophie nous devons comprendre qu'elle n'est pas simplement une recherche intellectuelle mais davantage un guide pour découvrir notre vraie nature et notre relation à la vaste création dans laquelle nous vivons. Il revient - au-delà des très nombreuses interprétations qu'à connu Platon - au coeur de cette pensée et en développe l'aspect effectif et libérateur. Il développe notamment que cette philosophie vise à la transformation de l'homme et de la société.
En outre Raphael montre comment dans l'oeuvre de Platon émerge le concept de l'infini métaphysique véritable et il fait dans un chapitre important un parallélisme entre Platon et Shankara (le grand maître indien du Védanta...( la branche orientale de la métaphysique indo-européenne...)
Il propose enfin deux aspects - la Dialectique et l'Eros - comme moyen de catharsis et de libération (réintégration). Ces deux moyens ou voies conduisent à l'unification de l'esprit humain avec l'Etre divin ou l'Un-Bien. L'expérience métaphysique du rattachement de l'humain au divin constitue sans aucun doute le fondement de la philosophie de Platon qui propose à l'homme de faire "l'expérience de l'Etre", car celui-ci EST et ne devient pas.
Cet ouvrage est également accessible aux non-experts car il présente une exposition claire qui facilite la lecture et la compréhension de cette pensée fondatrice de la philosophie occidentale.
INITIATION A LA PHILOSOPHIE DE PLATON
(Raphael) (édit. Accarias - L'Originel)
sommaire :
- la sphère de l'Etre et les Idées. - l'Un-Bien en tant que réalité métaphysique. - dualisme platonicien ? - la dialectique comme technique d'éveil. - l'Ame possède déjà la Vérité. - l'ascèse platonicienne. - la Connaissance cathartique. - l'Ascension de l'Eros philosophique. - Shankara, Platonisme et Védanta.
***
On associera utilement à cette lecture, le livre de Fernand SCHWARZ,
LA SAGESSE DE SOCRATE, philosophie du bonheur, éditions des 3 Monts, 2004).
extrait du sommaire :
- LA MÉTHODE SOCRATIQUE : LA DIALECTIQUE - L'art du dialogue - La dialectique, un cheminement de l'âme
- Le chemin ascendant : l'analogie - Le chemin descendant : la diérèse ou vérification dans la multiplicité - Le double mouvement de l'âme - les trois phases de la méthode dialectique- .
- LE CHEMIN DU BONHEUR - La finalité de Socrate : le bonheur - Un Socrate proche des Orientaux.
- LA PÉDAGOGIE SOCRATIQUE : L'IRONIE
- L'AMOUR SELON SOCRATE : - L'amour, un manque plein de ressources - L'Eros de Socrate.
- Conclusion : RENAÎTRE PAR LE BONHEUR.
Proclamation historique de la "mort de Dieu"
La « crise interne » de l'histoire de l'Occident niant progressivement la réalité de l'existence de Dieu, devient conscience historique avec la proclamation nietzschéenne de la « mort de Dieu ». Le nihilisme de Nietzsche - témoignage du lieu vide de l'absence de Dieu - invite à prendre conscience d'une responsabilité concrète. La « mort de Dieu » n'est pas une nouvelle thèse philosophique - fondement théorique d'un système athée - mais une constatation historique, l'interprétation d'un événement définitivement accompli. La proclamation de Nietzsche est comme le terme où s'achève la métaphysique européenne. Elle révèle les dimensions réelles d'une nouvelle ère. Il écrivait lui-même en 1886: « L'immense événement nouveau, que Dieu est mort et que la foi dans le Dieu chrétien n'est plus croyable, a commencé à jeter sur l'Europe ses premières ombres.» Un siècle avant Nietzsche, Jean Paul, dans son roman Siebenkäs (1796-1797), avait déjà annoncé en Europe la mort de Dieu. Hegel, nous l'avons vu, avait repris le propos, en l'appliquant au Dieu de la pensée abstraite. Henri Heine avait aussi parlé de la « mort de Dieu », tandis que Fr. H. Jacobi évoquait le « nihilisme », terme que plus tard utilisa également Tourgueniev. Mais c'est à Dostoïevsky que nous devons la recherche la plus systématique de la relation entre l'homme et l'absence de Dieu, de même que l'anatomie prophétique du nihilisme russe, qui était un fruit de l'européanisation des classes cultivées de la Russie.
Mais il y a dans la proclamation de Nietzsche un élément nouveau, une originalité historique : c'est le défi voulu à la conscience de l'Europe. Ce défi se manifeste dans les dimensions d'une ère différente de l'histoire. La conscience de l'homme européen est métaphysique, elle présuppose Dieu comme première cause rationnelle de la cosmologie et comme principe autoritaire de la morale catégorique. La proclamation de la « mort de Dieu» était donc le refus des fondements de la conscience de soi des Européens, le défi de l'irrationnel, qui abolit jusqu'à la raison habituelle de la vie sociale. Nietzsche avait conscience que la « mort de Dieu » signifie le « renversement de toutes les valeurs ». (On connaît le passage du cinquième livre du Gai Savoir (1882) où un « forcené» apporte le message de la mort de Dieu (§ 125 « L'insensé») « Où est Dieu ? Je vais vous le dire. Nous l'avons tué. vous et moi. Nous sommes tous ses meurtriers. Ne sentez vous pas sur vous l'haleine du vide ? Tout n'est-il pas devenu plus froid ? Est-ce que n'arrive pas la nuit, et toujours plus de nuit ? Ne sentez-vous rien encore de la décomposition divine ? Les Dieux aussi pourrissent. Dieu est mort. Dieu restera mort. »
Le propos du « forcené » n'est pas simplement l'annonce d'un rejet personnel de Dieu, qui aurait le caractère de l'absurde parce qu'il serait arbitraire. L'absurde ici est tout entier dans le refus du sol sur lequel est bâtie tant la conscience culturelle que la conscience religieuse de l'Europe. Nietzsche proclame ce refus comme un événement historique, comme la contradiction interne de l'histoire européenne. Son propos nous force à connaître l'heure du monde où nous sommes. Et cette connaissance est un scandale pour la conscience de l'homme européen. La proclamation de la « mort de Dieu » est pour beaucoup un blasphème incompréhensible ou même une folie : « Je viens trop tôt, écrivait Nietzsche, ce n'est pas encore le temps. Cet événement prodigieux est en route et il avance, mais il n'a pas atteint jusqu'à maintenant les oreilles des hommes. L'éclair et le tonnerre ont besoin de temps, la lumière des astres a besoin de temps, les actes ont besoin de temps, même s'ils sont déjà accomplis, pour qu'on puisse les voir et les entendre. Cet acte est pour les hommes encore plus lointain que les plus éloignées des étoiles, et pourtant ce sont eux-mêmes qui l'ont accompli.»
L'Occident est responsable de la mort du Dieu de sa tradition chrétienne. Le propos de Nietzsche invite à prendre conscience d'un acte qui est accompli désormais. Et cette conscience, progressivement, spécifie le temps historique : «Ce que j'annonce est l'histoire des deux siècles qui viennent.» Les Eglises chrétiennes n'ont vu dans la proclamation de Nietzsche que la folie blasphématoire d'un athée. Pourtant Nietzsche a d'abord voulu confirmer ce que les Eglises elles-mêmes avaient accompli : « Que sont donc les Eglises, sinon les tombeaux et les sépultures de Dieu ? »
Heidegger, commentant la parole de Nietzsche « Dieu est mort », écrit : « Le propos sur la « mort de Dieu » se réfère au Dieu chrétien. Mais il est non moins sûr, et il faut s'en rendre compte d'avance, que, dans la pensée de Nietzsche, les noms Dieu et Dieu chrétien servent à désigner le monde Suprasensible. Dieu est le nom du domaine des idées et des idéaux. » Ce transfert du monde suprasensible de la métaphysique sur le nom du Dieu chrétien, n'est pas une originalité de Nietzsche, c'est l'orientation historique majeure de la théologie occidentale. La confirmation rationnelle de l'événement de la révélation a été la tentation de l'Occident : elle exigeait le pouvoir temporel de l'Eglise. Le monde suprasensible de la métaphysique, rationnellement nécessaire, est confondu avec le Dieu de la révélation chrétienne, qui est « folie » et « scandale » pour la pensée humaine: « La métaphysique occidentale, affirme Heidegger, est fondée sur ce primat de la raison. » ... « Parallèlement à la psychologie et à la cosmologie, et au-dessus d'elles, la théologie apparaît, non comme l'explication ecclésiale de la révélation biblique, mais comme l'explication "rationnelle" ("naturelle") de l'enseignement biblique sur Dieu : la cause première des êtres, de la nature et de l'homme, de son histoire et de ses oeuvres. »
C'est pour cette raison que, dans la pensée de Nietzsche, la métaphysique chrétienne s'identifie au platonisme.
La tradition métaphysique occidentale, marquée par Thomas d'Aquin, et jusqu'à Leibniz, est typiquement platonicienne. En cela, « la métaphysique occidentale est théologique, même dans les cas où elle s'oppose à la théologie ecclésiale », puisque la vision platonicienne du monde est nécessairement théocentrique. Dieu est la cause première des êtres. L'ontologie comme la théologie de la métaphysique européenne présupposent Dieu comme une nécessité logique. « "Logique" ici ne signifie pas ce qui est conforme aux règles de la logique scolaire, mais ce qui est fondé sur la confiance dans l'intelligence». Depuis Platon jusqu'à Leibniz, Dieu se définit comme l'Etre en soi, avec élévation dans l'absolu (regressus in infinitum) de l'être donné de l'existence humaine. La cause de l'existence est déterminée fondamentalement par l'existence elle-même. Cela signifie que l'onto-logie comme la théo-logie, qui étymologiquement rendent compte de l'Etre et de Dieu, sont en fait la raison de l'Etre et de Dieu, c'est-à-dire la logique de la raison. C'est pourquoi on devrait les appeler plus exactement onto-logique et théo-logique.
Mais le second courant historique de la vie spirituelle occidentale, l'irrationalisme, a la même origine dans la confiance en l'intelligence : « Les plus grands rationalistes aboutissent très vite à l'irrationnel, et au contraire, là où l'irrationalisme détermine la vision du monde, triomphe le rationalisme. » La tradition de l'apophatisme occidental, depuis le néoplatonicien Erigène jusqu'à Anselme, Abélard et Thomas d'Aquin, qui, tous, tentèrent de concilier l'affirmation et la négation, et de soutenir simultanément la connaissance et l'ignorance, confirme cette constatation. La théologie naturelle apparaît comme une logique des affirmations, la théologie apophatique comme une logique des négations.
C'est Kant qui le premier nia avec conséquence le primat de la logique, fit la distinction entre la pensée et l'existence, rejeta l'identification de l'Idée et de l'Etre, assignant ainsi sa fin à l'ontologie classique. En mettant en liaison, dans l'ordre de l'expérience, l'intelligence et l'existence, Kant inaugura l'ontologie anthropologique des temps modernes. Hegel alla encore plus loin et définit par le terme de phénoménologie la séparation fondamentale de l'intelligence et des choses (nous ne connaissons les êtres que selon l'apparence, et non selon l'essence). La seule possibilité de dépasser cette aliénation, pour Hegel, est l'histoire. Mais il est clair que le saut de Kant et de Hegel ne dépasse pas les frontières du sujet. La métaphysique de Hegel peut se définir comme « la métaphysique du subjectivisme absolu».
Le primat de la logique est aboli pour être remplacé par le primat de l'expérience ou par celui de l'existence historique. L'ontologie demeure anthropocentrique. Et il en va de même pour la théologie : «Les temps modernes sont caractérisés par le fait que l'homme devient la mesure et le centre de l'étant.»
La métaphysique du subjectivisme absolu, c'est-à-dire l'anthropologie comme métaphysique, transforme en définitive la métaphysique en axiocratie. La réalité des êtres n'est pas une nécessité logique, mais une nécessité empirique ou historique. Cependant la validité empirique ou historique des êtres est liée à leur utilité, et non à leur vérité : « La valeur, et tout ce qui tient d'elle, devient le succédané positiviste de la métaphysique». Cette ontologie des « valeurs » de l'objet de la science humaine s'accomplit dans une théologie qui se réfère également à l'opportunité pratique. Dieu est le « commencement » de l'échelle des valeurs, le principe moral définitif et la fin de toute axiologie éthique. Il est le « Bien suprême », analogique au bien qui constitue une catégorie empirique de la conscience morale. Ce « commencement » de l'échelle axiologique est finalement une nécessité abstraite de la morale sociale, comme les autres « valeurs » de justice, de solidarité ou d'honnêteté. Le Dieu qui est conçu à partir des valeurs que l'homme trouve dans le monde de sa connaissance est mort au même titre que le Dieu de la métaphysique classique, caractérisé par le pouvoir rationnel des causes : « Le dernier coup porté à Dieu et au monde intelligible, écrit Heidegger, a été l'élévation de Dieu (le Dieu qui est) au sommet des valeurs. Le coup le plus dur porté à Dieu n'a pas été qu'on reconnaisse qu'il n'était pas possible de Le connaître, ni qu'on démontre que l'existence de Dieu était indémontrable, mais qu'on élève au sommet des valeurs le Dieu nécessairement réel. Et ce coup ne vient pas de ceux du dehors, de ceux qui ne croient pas en Dieu, mais des fidèles et de leurs théologiens».. Heidegger affirme que, dans la pensée de Nietzsche, la théologie chrétienne s'identifie au platonisme, et en même temps que « le christianisme est pour Nietzsche la manifestation historique, séculière et politique de l'Eglise, et son exigence de puissance dans le cadre de la formation de l'humanité occidentale». Le Dieu chrétien s'est identifié autant au monde intelligible de la métaphysique classique, qu'à la forme culturelle d'une utilité sociale. La proclamation de Nietzsche signifie « l'hérésie » fondamentale du christianisme en Occident, la recherche d'une ingérence rationnelle et sociale, le refus du paradoxe, c'est-à-dire du caractère « nouveau » de l'Eglise. Les singularités dogmatiques, historiques et canoniques qui séparent le christianisme occidental du christianisme originel tendent toutes à ce changement fondamental de la conception ecclésiologique, que fut l'exigence d'une autorité temporelle de l'Eglise, l'Eglise cédant à la troisième des tentations du Christ, comme l'a noté Dostoïevsky. La proclamation de la « mort de Dieu» est l'aboutissement historique qui juge en tout l'évolution théologique de l'Occident. En apportant un soutien rationnel aux vérités de la révélation, l'Eglise d'Occident prépare leur réfutation rationnelle. Le rationalisme, fruit direct et conséquence naturelle du thomisme, est le seuil historique de l'empirisme. Et l'empirisme est la porte ouverte à l'avènement du nihilisme. En même temps, l'antirationalisme, fruit direct et conséquence naturelle de l'apophatisme protestant est le seuil historique de l'axiocratie. Et l'axiocratie est la porte ouverte à l'avènement de l'amoralisme, le « renversement de toutes les valeurs ».
Il est évident que la proclamation de la « mort de Dieu » résume le processus historique tant de la théologie naturelle que de l'apophatisme en Occident .
Heidegger décrit très clairement l'aboutissement de ce processus :
« L'autorité perdue de Dieu et de l'enseignement ecclésiastique fait place maintenant à l'autorité de la conscience personnelle : c'est-à-dire qu'augmente peu à peu l'autorité de la raison. Contre elle s'élève bientôt l'instinct social. La fuite du monde présent dans le monde intelligible est remplacée par le progrès historique. La fin transcendante de la béatitude éternelle se transforme en bonheur terrestre des masses. A la recherche du culte et de la religion, succède l'enthousiasme pour les créations de la culture, et pour l'expansion toujours plus vaste de la civilisation technique. La créativité, qui était la marque du Dieu biblique, devient la propriété exclusive de l'énergie humaine. La création de Dieu est remplacée par ce que fabriquent les hommes ». « Le nihilisme, le plus inquiétant de tous les hôtes, est à la porte ».
Christos Yannaras
Le Nihilisme, fondement de l'absence et de l'inconnaissance de Dieu
"Heidegger affirme que, dans la conscience de Nietzsche, c'est-à-dire dans la conscience de l'homme européen engagé dans la transition de l'histoire contemporaine, le christianisme s'est identifié autant au monde intelligible de la métaphysique qu'à la forme culturelle d'une utilité sociale : « En ce sens le christianisme et le caractère chrétien de la foi néotestamentaire ne sont pas la même chose ».
Cette vue de Heidegger précise la crise historique des Eglises chrétiennes, leur déviation et leur séparation du christianisme néotestamentaire. Le nihilisme, sous la forme historique de la proclamation de la mort de Dieu - constatation concrète du lieu vide de l'absence de Dieu - ne peut donc pas se référer à la « bonne nouvelle » de la foi néo-testamentaire, car il l'ignore en tant que présence actuelle dans l'histoire. L'absence de Dieu est un fait aux dimensions historiques concrètes. Il apparaît dans le cadre de la civilisation occidentale comme la conséquence de la finalité interne de cette civilisation durant les siècles de sa tradition chrétienne. Heidegger précise encore plus nettement que la prédication De la « mort de Dieu» n'a rien à voir avec ceux qui ne croient pas en Dieu :
« Ceux-ci ne sont pas incroyants parce que Dieu en tant que Dieu ne leur est plus croyable, mais parce qu'eux-mêmes ont abandonné la possibilité de la foi, en tant qu'ils ne peuvent plus chercher Dieu».
La « mort de Dieu » est un fait pour ceux qui n'ont pas abandonné la recherche de Dieu, par conséquent pour les hommes qui Le cherchent, mais qui, dans le cadre de la théologie métaphysique occidentale et de la présence sociale du christianisme, ne constatent plus que son absence. La « mort de Dieu » est un fait pour les hommes qui refusent de croire à la Cause première rationnelle de l'ontologie métaphysique et au Principe autoritaire de la morale axiocratique. Et ceci, parce qu'« Ils ont une conception de Dieu plus divine » que celle présupposée par les formes de l'ontologie métaphysique et de la morale». Devant ce Dieu - de l'ontologie métaphysique et de la morale axiocratique -, l'homme ne peut ni prier ni sacrifier. Devant la Cause en soi, l'homme ne peut pas tomber à genoux pour vénérer. Il ne peut pas louer ce Dieu ni l'adorer. C'est pourquoi la pensée athée qui refuse le Dieu de la philosophie, le Dieu de la Cause en soi, est peut-être plus proche du Dieu divin ».
Nietzsche imputait à l'Occident la responsabilité historique de la « mort de Dieu ». Heidegger vient reconnaître dans la proclamation de Nietzsche une conception plus divine de Dieu, et dans l'événement du nihilisme contemporain la sauvegarde probable de la divinité de Dieu. Il est caractéristique que Heidegger ne voit dans le nihilisme de Nietzsche aucune intention de remplacer Dieu par l'homme, bien que Nietzsche lui-même donne prise à une telle hypothèse : « Ceux qui l'entendent ainsi pensent en vérité bien peu divinement de l'être de Dieu. L'homme ne peut pas se mettre à la place de Dieu, car il n'est pas possible à l'être de l'homme de jamais approcher le domaine de l'Etre de Dieu. »
Donc « le lieu de Dieu restera vide. »
Le lieu de l'absence de Dieu - le contenu du nihilisme - n'est pas une définition objective du néant au-delà des limites des êtres, mais seulement la conscience des limites de la pensée. Le nihilisme de Dieu en tant qu'Etre définit non la limite d'une fin, la certitude rassurante du Rien, c'est-à-dire du néant absolu, en d'autres mots il définit non l'inexistence de Dieu, mais l'impossibilité pour la pensée de dépasser les définitions ontologiques et les jugements de valeur. Pour rendre cette vue plus claire, il faut rappeler ici (au risque d'être trop bref) que, pour Heidegger, la question primordiale de la philosophie n'est pas le problème de l'existence des êtres, puis, en remontant à la cause, le problème de l'existence en soi, mais la question sur l'Etre, c'est-à-dire le dilemme entre ce qui est et rien. «Pourquoi y a-t-il donc de l'étant, et non pas plutôt le Rien? ». L'Etre n'est pas la cause ou la raison des êtres, Dieu ou quelque autre Principe, il n'est pas le mode par lequel l'intelligence reçoit la confirmation de l'existence des êtres, mais le mode par lequel les êtres sont, c'est-à-dire la vérité des êtres, leur propre remontée de l'oubli, du rien, ou leur occultation, leur demeure dans le néant. Oubli et vérité (lèthè et a-lètheia), néant et « venir à la lumière » sont les modes fondamentaux de l'Etre, les modes fondamentaux dans lesquels les êtres apparaissent et disparaissent en tant que ce qui est. Cependant, durant leur apparition, les êtres ne révèlent rien d'autre que ce qu'ils sont eux-mêmes. L'Etre demeure en dehors. Il est caché. La vérité de l'Etre se perd. Cette différence entre les êtres et l'Etre fonde l'ontologie et, en même temps, est la raison consciente ou inconsciente et le point de départ de toute métaphysique. Et ceci, parce qu'elle révèle le caractère transcendant de l'Etre : « L'Etre est plus éloigné que tout étant, et cependant il est plus proche de l'homme que chaque étant, que ce soit un rocher, un animal, une oeuvre d'art, une machine, que ce soit un ange ou Dieu. L'Etre est ce qui est le plus proche. Cependant cette proximité demeure le plus lointain pour l'homme».
La pensée humaine porte avec elle le doute sur la manière dont les êtres sont, comme sur la manière dont ils se réalisent et disparaissent. Le doute sur le mode par lequel les étants sont, rend possible en même temps la vérité (a-lètheia) des étants et le nihilisme : quand nous posons la question sur ce qu'est l'être en soi, nous nous référons à ce qui n'est pas le néant. Mais le néant est toujours là quand on pose la question de l'être, ne serait-ce que comme simple possibilité. Ainsi, le néant n'est pas un terme désignant une fin ou un accomplissement, il n'est pas le rien absolu et l'inexistence, mais la limite de la pensée critique.
La définition du néant comme limite de la pensée critique devient le fondement de la vérité (a-lètheia) des êtres, le fondement de l'ontologie, et détermine une attitude d'autant moins théiste qu'elle est athée. Et cela non par indifférence, mais par respect des limites qui ont été posées à la pensée en tant que pensée. Le nihilisme, en refusant d'identifier l'être et Dieu, c'est-à-dire en référant Dieu au néant, au sens indiqué plus haut, est davantage théologique que la métaphysique et la morale théologiques. Réfutant l'affirmation rationnelle et la nécessité pratique de Dieu, le nihilisme suscite le refus des idoles rationnelles de Dieu. En définissant les limites de la pensée critique, il offre davantage de possibilités de sauvegarder la divinité de Dieu. Heidegger est allé jusqu'à affirmer que le nihilisme peut avoir comme conséquence aussi bien l'incroyance - au sens de la perte de la foi chrétienne - que le christianisme lui-même. En d'autres termes, les deux conséquences possibles du nihilisme sont l'acceptation de l'absence de Dieu ou l'acceptation de l'inconnaissance de Dieu. Heidegger reconnaît ainsi le caractère apophatique, tout au moins de la théologie néotestamentaire.
II est clair, d'après ce qui précède, que le nihilisme, qui peut avoir comme conséquence aussi bien l'incroyance que le christianisme lui-même, diffère essentiellement de la théologie négative de la tradition occidentale. Ici, ce n'est pas l'être qui se définit à partir de la possibilité du néant : c'est le néant qui se définit à partir de l'être, comme le contraire de l'être, la négation de l'être, le non-être. La négation est un renversement de l'affirmation, c'est-à-dire également une fonction de la raison. Négation et affirmation sont, dans la tradition métaphysique occidentale, les formes du discours critique; elles sont la « raison discursive ». Le néant, résultat de la négation, a donc une origine rationnelle, il est une création de l'intelligence, la plus abstraite des abstractions.
Certes, le néant est le non-être, le non-objet. Mais la question est de savoir si ce non-être est le non-être dans le sens qui définit l'essentiel de l'être. Autrement dit, ce qui n'est pas objet et ne deviendra jamais objet n'est-il rien ? La métaphysique des catégories rationnelles a donné une réponse facile à la question, en posant un double syllogisme : ou le néant est un rien absolu, ou il faut qu'il soit un être. Mais puisqu'il est évident que le néant ne peut jamais être un être, il est donc le rien. Ainsi le néant s'identifie purement et simplement au rien, et comme il n'existe pas, il n'appelle aucune attention, aucune étude particulière. Si le néant n'est rien, si le néant n'existe pas, alors, en aucun cas, l'être ne peut tomber dans le néant, et par conséquent la possibilité du nihilisme disparaît.
Mais cette identification du néant et du rien révèle immédiatement le caractère axiocratique de la métaphysique. Nietzsche définit son nihilisme comme le renversement de toutes les valeurs, justement parce que, dans la tradition métaphysique occidentale, l'être, le contraire du non-être, du rien, acquiert automatiquement un caractère axiologique. D'une part la théologie affirmative reçoit positivement le caractère axiologique de l'être et le rapporte au principe axiologique de l'être en soi. D'autre part la théologie négative, en tentant de supprimer le caractère ontique de la divinité, accepte comme négation le caractère axiologique de l'être. Sa différence avec la théologie affirmative ne vient donc pas de ce qu'elle nie les présuppositions de l'organe de la raison, ou même ses perspectives. C'est seulement une différence de méthode : « Dieu se connaît dans la négation » (Thomas d'Aquin). C'est pourquoi la métaphysique antirationnelle finit aussi par donner le pouvoir à la raison, de même que tout athéisme se préoccupe davantage de Dieu que le théisme lui-même.
Christos Yannaras
Héraclite et le Bouddha
HÉRACLITE ET LE BOUDDHA. Deux pensée du devenir
universel.
Isabelle Dupéron. Ouverture Philosophique , L'Harmattan, 2003.On redécouvre que les pensées de l'Inde partagent avec les philosophies
grecques de l'Antiquité une même recherche d'un état de sagesse libre et sereine. Héraclite et le Bouddha, qui vécurent tous deux au sixième siècle avant J.C., sont deux figures qui illustrent
parfaitement cette convergence, jusque dans l'affirmation fondamentale sur laquelle ils édifient leur sagesse : le monde n'est que perpétuel changement, il n'existe nulle identité stable capable
d'échapper au devenir universel.
Cet essai, en s'appuyant sur une étude précise et détaillée des textes originaux qui
sont à la source de notre connaissance tant de la pensée d'Héraclite que de celle du Bouddha s'efforce de confronter, dans leurs ressemblances comme dans leurs différences, ces deux analyses
décapantes du devenir universel et de son sens pour l'homme. Il invite à dépasser le stéréotype, d'inspiration plus ou moins nietzschéenne, selon lequel Héraclite serait celui qui, en disant «
oui » sans réserve à la vie, au changement et à la douleur même, se positionnerait à l'opposé d'un Bouddha pour qui le caractère changeant et douloureux de toute expérience constituerait au
contraire une objection contre la vie.
Table des matières : Après une introduction sur les
sources et la méthode, le premier chapitre est consacré à la théorie des éléments (Le Bouddha et Héraclite). Puis deux chapitres exposant les doctrines du devenir universel chez Héraclite et
celle de l'impermanece universelle dans l'enseignement du Bouddha. Le chapitre quatre examine les conséquences éthiques de la doctrine du devenir universel et le chapitre cinq les conséquences
gnoséologiques de cette doctrine.
Quelques mots empruntés à la conclusion : [...] "Le rappel de l'universalité du devenir vient chez l'un et l'autre servir de fondement à une telle éthique du
détachement ; loin de déboucher sur le désespoir ou l'accablement devant la condition humaine, il ouvre la possibilité même d'un salut, difficile d'accès sans doute, mais qui signifie que
l'apaisement heureux est à la portée de quiconque saurait voir en face et accepter le monde tel qu'il est : renoncer à l'attachement, c'est au fond renoncer à ce que nos aspirations spontanées
ont d'incompatible avec la réalité d'un univers qui nous échappe sans cesse pour poursuivre son évolution plus avant. Reste à savoir si la compréhension intellectuelle de ce que l'attachement ne
peut se solder que par un douloureux échec constitue le moyen suffisant pour parvenir au renoncement, comme cela est affirmé dans la sagesse bouddhique, ou bien si la pensée a besoin, pour se
détacher des choses singulières, de se fixer sur un contenu à contempler qui imprègne de valeur le devenir, comme celui de l'harmonie universelle chez Héraclite. On pourra méditer, à ce sujet,
sur la distance qui sépare du Bouddha, un Grec encore "archaïque" comme Héraclite : alors que le Bouddha pose un regard neutre sur le monde en devenir, n'y voyant qu'une multiplicité de facteurs
constituants, engagés dans la création et la destruction incessantes d'agrégats, et tissant un réseau par le jeu de leurs interactions mutuelles. Héraclite s'attarde à contempler la perfection
d'un cosmos, d'une totalité parfaitement unifiée, divine et harmonieuse, qui au travers de sa perpétuelle transformation, exprime la vie inépuisable du dynamisme du feu. Héraclite a divinisé le
devenir, considérant que la loi intelligible qui lui est immanente constitue la source supra-humaine de toute valeur, et révèle que l'univers est le déploiement d'une intelligence ; tandis que
pour le Bouddha, s'il faut désigner une réalité parfaite, ce sera celle du nirvâna stable et sans mouvement, qui, incompréhensible conceptuellement, transcende entièrement le devenir, et dont la
perfection réside précisément dans son absolue
transcendance."
Isabelle
Dupéron
de la divine folie (Joseph Pieper)
Josef Pieper, de la Divine Folie....
"Les plus grands de tous les biens nous adviennent par l'entremise d'une mania, que nous octroie à coup sûr un
don divin." (Socrate)
....L'historicisme, à force de nous égarer dans des horizons sans fin, nous interdit de retrouver le chemin de chez nous. C'est ce que montre, avec une audace toute philosophique, Josef Pieper,
en présentant son interprétation de la « divine folie », theia mania, du Phèdre. Le propos est aussi modeste que la taille du livre, l'auteur ne nous offrant que ses «
réflexions sur le Phèdre de Platon »; pourtant, il s'agit là d'une attaque en règle contre une autre manie, celle des érudits de notre époque, qui consiste à ne trouver dans les
textes du passé que ce qui ne nous parle plus puisque notre perspective sur le monde a changé. On ne s'intéresse plus au sens de l'oeuvre, un sens qui ne peut être que présent dès lors qu'il
révèle un sens éternel à un homme éternel. Que pourrions-nous sentir en effet d'un parfum évanoui dont il ne reste que l'alcool? Toute la grandeur du platonisme, et au-delà de lui, de la
philosophie, est là. Dévoiler une présence au coeur de cette absence creusée par le temps, par la grâce de l'anamnèse de ce qui dépasse en nous l'humain et que les Grecs qualifiaient
justement de « divin ».....
.....Platon, pour sa part, n'a pas hésité à introduire la mania dans le dialogue philosophique, et par là
même dans la dialectique, en refusant d'y voir une maladie pour reconnaître en elle un don divin. Ni « ivresse», ni « folie», la mania est cet enthousiasme qui révèle, non pas le vide de
l'absence à soi, mais la plénitude de la présence du divin. Il nous faut donc prendre au sérieux, et non les écarter comme relevant d'on ne sait quel irrationalisme archaïque, les développements
de Socrate sur les quatre formes de mania: l'extase prophétique, l'initiation cathartique, l'inspiration poétique et le délire amoureux. En rupture avec « le lessivage analytico-critique
» qui affecte aujourd'hui aussi bien la poésie que la philosophie, et qui fait interdiction de poser la question de la vérité de l'oeuvre soumise au diktat historiciste, Pieper montre
que la recherche platonicienne possède une valeur méta-historique. C'est parce qu'elle possède une signification en soi et pour soi qu'elle garde, malgré l'accablement des siècles, une
signification pour nous.
extrait de la préface de
Jean-François Mattéi
de la Divine Folie, Josef Pieper, éditions Ad Solem 2006.