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Les populations primitives de l'Atlas (E.F Berlioux)

La première page de l'histoire de l'Atlas se trouve dans Salluste. C'est le tableau historique des peuples de ce pays que l'écrivain latin a mis en tête de son livre sur Jugurtha (C.XVIII).  Ce document semble d'une importance médiocre si l'on n'en regarde que l'étendue et si l'on n'examine pas de près les indications qu'il contient. Cependant on reconnaît bientôt qu'il a une très grande valeur, quand on remarque qu'il a été emprunté à des savants indigènes et rédigé par un historien vivant en Afrique et y occupant une position officielle qui mettait à sa disposition les renseignements les plus riches et les plus sûrs. Salluste a trouvé les éléments de ce tableau dans des livres qui avaient appartenu, disait-on, au roi Hiempsal et qui étaient écrits en punique. Il n'a pas donné d'autres indications sur ces livres; il s'est borné à dire que les traditions qu'il rapportait étaient en désaccord avec celles que les savants avaient admises jusque-là. Mais on voit, par le caractère même de ce résumé, que les livres en question devaient présenter une histoire des Numides et que les auteurs devaient appartenir à cette nation, car ils mettaient particulièrement en relief les victoires de la Numidie, en rappelant la gloire qu'elle avait acquise dans ses guerres avec les Libyens. On pourrait même à cette occasion, se demander si les Numides n'employaient pas le punique comme langue savante pour la rédaction de leurs livres et de leurs pièces officielles. Quoi qu'il en soit à cet égard, il est certain que les traditions rapportées par Salluste ont été recueillies par des savants indigènes connaissant les langues du pays et avant vécu au milieu des populations dont ils parlaient. En conséquence, on est sûr qu'ils ne se sont pas trompés sur ces populations elles-mêmes. Quand même ils auraient commis des erreurs sur les événements historiques du passé, on ne peut récuser leur témoignage quand ils parlent des habitants de l'Atlas au milieu desquels ils vivaient. Or cette question ethnologique est capitale pour l'histoire de ce pays. On la comprendra mieux si l'on a sous les yeux le texte de Salluste ; on en trouvera ici la traduction complète. Le traducteur a suivi fidèlement le texte, mais il a rapproché les uns des autres, en les groupant, tous les passages qui se rapportent aux mêmes faits.

Dans le commencement, dit Salluste, « l'Afrique fut habitée par les Gétules et les Libyens. - Les Libyens vivaient sur les bords de la mer africaine ; les Gétules étaient plus loin sous un soleil plus chaud, non loin de la zone torride. - C'étaient des barbares incultes qui se nourrissaient de la chair des bêtes sauvages et qui mangeaient les produits du sol comme les animaux. Ils ne connaissaient pas le frein des moeurs et n'avaient ni lois ni chefs. Ils erraient au hasard sans avoir de demeures fixes, et leur gîte était là où la nuit venait les surprendre.»

Pour comprendre l'importance de ces premières indications, il suffit d'examiner de près les populations dont elles parlent. L'Afrique, dont il est question ici, n'est pas le continent africain, mais bien la région qui fut dominée plus tard par les Carthaginois. Il s'agit donc du pays de l'Atlas. Ce pays fut occupé primitivement par les Libyens qui étaient au nord, sur les bords de la mer, et dans la montagne tout entière. Les Gétules, qui vivaient au midi, avaient d'abord habité vers la zone torride, c'est-à-dire dans le Sahara.  Plus tard, à la suite d'une conquête que rappellera Salluste, ils pénétrèrent à leur tour dans l'Atlas en refoulant les Libyens. Or ces deux populations n'étaient pas moins différentes par la race que par le domaine qu'elles occupaient.

Les Libyens appartenaient à une race dont le type et le rôle ont été nettement déterminés par les monuments de l'Égypte. Tant que l'on a fait de leur nom le synonyme d'africain, l'indication de Salluste n'avait aucune signification. Mais on sait aujourd'hui que les Libyens sont les Lebou ou Rebou que les inscriptions et les peintures de la vallée du Nil ont décrits et représentés. On en possède de véritables portraits entièrement authentiques. C'étaient des hommes au teint rosé, aux yeux bleus, aux cheveux blonds, que les Égyptiens appelaient les Tahennou ou hommes blancs d'Afrique et des Tamehou ou hommes blonds du nord. Ils sont nettement distingués des Sémites dans ces descriptions, et ils sont évidemment de type européen. Tout cela fait comprendre pourquoi les Libyens s'établirent sur les côtes africaines et dans les montagnes voisines du littoral; ils étaient arrivés par l'Europe et par le détroit.

Les Gétules, au contraire, y vinrent par le Sahara, comme l'indique Salluste. Rien que ce fait suffirait pour montrer qu'ils appartenaient à une autre race. Mais on peut compléter l'indication de l'historien latin par d'autres renseignements. Josèphe, l'écrivain juif, fait des Gétules les descendants d'Evilus (ou Hévila), fils de Chus, le chef des Ethiopiens, et dit qu'ils s'appelèrent d'abord Eviléens (Antiquitates Judaiae 1, 6, § 2). Cette tradition nous fait voir directement comment les Gétules sont arrivés dans l'Afrique occidentale en partant des bords de la mer Rouge et en passant par l'Éthiopie. Cependant elle a besoin d'être complétée à son tour.

Ptolémée nous montre qu'il y avait deux sortes de Gétules, les Gétules proprement dits et les Mélano-Gétules ou Gétules noirs, c'est-à-dire Éthiopiens. Or, la Genèse, à laquelle Josèphe a emprunté ses renseignements, nous apprend qu'il y eut deux Hévila, dont les descendants habitèrent également sur les bords de la mer Rouge.  L'un deux était fils de Jectan et appartenait à la famille sémitique dont le domaine se trouvait dans l'Arabie méridionale ; l'autre était de la race de Cham et appartenait à la branche des Chamites qui alla s'établir dans l'Éthiopie propre. Ces deux familles pénétrèrent en même temps dans l'Afrique centrale ; car les Arabes ont passé sur la rive occidentale de la mer Rouge dès la plus haute antiquité. Ce sont ces deux groupes d'Héviléens qui ont été les ancêtres des deux groupes de Gétules.

Si l'on passe de ces documents anciens à ceux que nous fournit la science moderne, on voit que la langue berbère présente des caractères complexes qui la rattachent en même temps aux langues sémitiques et aux langues chamites, à ces dernières surtout ; elle est de la même famille que le copte et les langues non sémitiques de l'Abyssinie. Ces faits montrent que les Berbères appartiennent à une race mixte et qu'ils se rattachent tout à la fois à la famille de Cham et à celle de Sem. Les révélations de la science moderne coïncident donc avec celles que les documents anciens nous ont faites; elles confirment les indications de Moïse, de Josèphe et de Ptolémée (Ptolémée, IV, 6, édition Wilberg, p. 296. - Genèse, c. X. - Renan, Histoire Générale et système comparé des langues sémitiques, p. 201, 202).

Alors on retrouve l'histoire des Berbères depuis leur origine ; on peut les suivre dans leur marche à travers l'Afrique depuis les bords de la mer Rouge, et on les voit prendre successivement les noms de Héviles, Gétules, Numides et Berbères. Ce dernier nom leur a été donné à une époque relativement récente par les Arabes. Il vient soit du mot barbare que les Égyptiens employaient pour désigner les peuples qui parlaient une autre langue qu'eux (Hérodote, II, 158), soit d'un mot arabe qui signifie bredouiller, prononcer des mots inintelligibles. (Mercier, Histoire de l'établissement des Arabes dans l'Afrique septentrionale, p. 364).

Cette tradition qui nous montre deux races rivales dans l'Atlas primitif, et qui est si clairement indiquée par Salluste, devient plus manifeste quand on examine les héritiers actuels de cette double population.  Aujourd'hui encore, le pays a deux races distinctes, sans compter les Arabes. Il y a d'abord les Berbères qui y sont largement représentés. Ensuite on y rencontre des hommes aux cheveux blonds et aux yeux bleus, dont le nombre est beaucoup plus limité. Ces derniers ne forment que de petits groupes établis dans les massifs les plus inaccessibles comme ceux de l'Aurès. Cependant il est probable que l'on en découvrira encore d'autres plus nombreux dans l'Atlas occidental.  En outre, on verra que certaines populations, rangées parmi les Berbères, renferment des représentants de la race blanche européenne qui leur a transmis quelques débris de sa langue et de ses traditions.

La question devient surtout intéressante quand on examine les anciens monuments de l'Atlas. Une des deux races que les historiens numides signalaient comme ayant occupé primitivement cette contrée, devait nécessairement comprendre les hommes des dolmens. Ces hommes avaient été trop nombreux et ils avaient vécu trop longtemps dans le pays pour que l'on pût les oublier. Ils avaient occupé une place particulièrement grande dans l'Atlas oriental, autour de la Numidie, dans l'Afrique propre, dans le pays de Sitifi (province de Constantine; dans celui de Iol-Caesarea ou Cherchell, province d'Alger). A l'époque où les historiens consultés par Salluste écrivaient leurs livres, au deuxième siècle avant notre ère pour le plus tard, cette population existait encore. C'est dans l'Atlas qu'elle s'est maintenue le plus longtemps. Les hommes des dolmens y ont vécu jusqu'à une date assez récente pour apprendre à écrire et pour graver des inscriptions sur leurs monuments. Ils ont même continué à élever leurs constructions jusqu'à l'époque romaine, puisque l'on a trouvé dans l'une de ces tombes une monnaie à l'effigie de l'impératrice Faustine.(Espagne, Algérie, Tunisie, de Tchihatchef, p. 148).

Or il n'est pas nécessaire de chercher longuement pour savoir si les hommes des dolmens appartiennent à la race des Libyens ou à celle des Gétules. Leurs monuments nous montrent qu'ils sont arrivés de l'Europe, qu'ils ont occcupé l'Atlas presque tout entier, s'ils n'ont pas été les maitres de toute cette contrée, et qu'ils ont fini par disparaitre devant l'invasion d'un peuple puissant. Ils appartiennent donc à cette race européenne des Libyens qui s'établit d'abord dans l'Atlas, et qui a été vaincue par les Berbères Gétules arrivés de l'intérieur.

Cette conclusion ressort directement des deux récits, qui racontent l'histoire primitive de l'Afrique septentrionale, celui de Salluste et celui qui a été écrit sur le sol par les hommes des dolmens. Les deux récits sont tellement d'accord, que cette conclusion présente une certitude absolue.

En conséquence, on peut affirmer que les hommes qui ont élevé les monuments mégalithiques en Europe et en Afrique, ont été connus des Numides ; que leur histoire était écrite dans les livres du roi Hiempsal ; qu'ils se nommaient Libyens ; qu'ils sont identiques aux Lebou ; que leurs portraits et le récit de leurs exploits sont gravés sur les monuments égyptiens et qu'ils ont pris part à une des plus grandes guerres dont les traditions humaines aient gardé le souvenir. Ainsi l'abîme que séparait les temps historiques des âges primitifs, commence à se combler, et la science supprimera bientôt la période des temps préhistoriques.

Les Numides racontaient que la population primitive de l' Atlas, aussi bien les Gétules que les Libyens, était une race misérable vivant sans loi. Tandis que les écrivains numides faisaient de ces peuples une descriprion si triste, les traditions conservées par Platon et Diodore les rangeaient parmi les races les plus favorisées qui avaient été riches et prospères depuis leur origine. Les livres d'Hiempsal ajoutaient que les premières connaissances leur furent apportées par une invasion nouvelle qu'il faut connaître maintenant.

« Mais, continue Salluste, lorsque Hercule fut mort en Espagne, c'est l'opinion des Afri, son armée qui était composée d'hommes de races diverses, resta sans chef, se partagea entre de nombreux compétiteurs, et finit par se disperser. Une partie de ces hommes, les Mèdes, les Arméniens et les Perses, passèrent en Afrique sur des vaisseaux et s'emparèrent des terres voisines de notre mer. Les Mèdes et les Arméniens s'allièrent aux Libyens qui étaient plus rapprochés de la mer d'Afrique. Ils ne tardèrent pas à bâtir des villes, car ils n'étaient séparés de l'Espagne que par le détroit et ils se mirent en relation avec leurs compatriotes restés dans ce pays (mutare res inter se instituerunt). Leur nom se corrompit peu à peu dans la bouche des Libyens et ces barbares les appelèrent des Maures au lieu de Mèdes.

« Les Perses s'avancèrent un peu plus du côté de l'Océan. Ils se firent des cabanes en renversant la carcasse de leurs navires; car le pays n'avait pas de matériaux et ils ne pouvaient en obtenir des "Ibériques" ni par achat ni par échange : l'immensité de la mer et l'ignorance de la langue rendaient ce commerce impossible. Peu à peu ils s'allièrent par des mariages avec les Gétules. Comme ils avaient longtemps cherché des terres et qu'ils avaient souvent changé de demeures, ils se donnèrent à eux-mêmes le nom de Numides. D'ailleurs les paysans numides ont encore des habitations nommées Mapalia, qui ressemblent par leur forme allongée et leurs cloisons cintrées à des carènes de vaisseaux.

« Cependant la puissance des Perses se développa bientôt. -L'accroissement de la population décida des colonies numides à s'éloigner de leurs demeures primitives et à s'emparer des terres voisines de Carthage, celles que l'on nomme Numidie. Ensuite les deux branches de la nation réussirent, soit par leurs victoires, soit par la terreur qu'elles répandirent, à soumettre les populations environnantes : elles couvrirent leur nom de gloire, particulièrement celle qui s'était avancée vers notre mer... A la fin, la partie basse de l'Afrique fut occupée presque tout entière par les Numides : les vaincus acceptèrent le nom des conquérants et firent partie de leur nation. »

Les faits rapportés dans ces passages remplirent une longue période qui s'écoula depuis l'établissement des Libyens dans l'Atlas jusqu'à l'arrivée des Phéniciens. Il est même facile de distinguer deux époques dans cette période, celle où les Libyens développèrent leur puissance car ils furent les premiers à fonder des villes, et celle où les Gétules arrivèrent jusqu'au littoral à la suite d'une guerre longue et sanglante.

C'est seulement après cela, « dans la suite, comme le dit le texte, que les Phéniciens arrivèrent » et fondèrent des villes sur la côte.  Il en résulta de nouveaux changements que Salluste résume ainsi :

A côté de la terre carthaginoise, « tout le reste du pays est occupé par les Numides jusqu'à la Mauritanie. Les Maures sont tout près de l'Espagne.  Au delà des Numides, à ce que l'on rapporte, il y a les Gétules, dont les uns habitent dans des huttes, tandis que les autres sont plus barbares et vivent en nomades. Derrière les Gétules sont les Éthiopiens. Plus loin se trouvent les terres brûlées par le soleil. »

Pour faire une étude complète de ce récit, il faut l'examiner à un double point de vue, sous le rapport de la géographie et au point de vue de l'histoire.  Une première indication géographique donnée par ce tableau, est celle qui nous signale la parenté des Numides de l'Atlas avec les Gétules du désert. D'après les historiens royaux, ces peuples issus de la même race s'étaient divisés en deux branches. Une partie des Gétules étaient restés dans le désert et continuaient à y vivre en nomades. Les autres étaient venus s'établir dans l'Atlas et y étaient devenus agriculteurs et sédentaires. Ils devaient cette transformation à une invasion d'étrangers qu'ils nommaient des Perses et qui leur avaient appris à bâtir des villes. Il semble même, en lisant ce récit, que les rois numides étaient tout fiers de cette alliance qui les rapprochait d'une population illustre.

Quoi qu'il en soit de cette prétention, il est certain que le fait énoncé sur la parenté des Numides et des Gétules est entièrement exact. La science moderne a établi que les Berbères de l'Atlas et les Touareg du désert appartiennent à la même race, malgré la profonde différence qui semble les séparer. Il est curieux de constater que ce fait avait été reconnu par les savants de la Numidie et qu'il a été signalé par Salluste.

Une seconde indication de la même nature est celle qui nous apprend que la masse principale de la nation libyenne fut refoulée du côté de l'ouest, et qu'elle finit par s'établir sur les terres qui sont tout près de l'Espagne proxume Hispaniam, comme dit Salluste, c'est-à-dire au sud des Colonnes d'Hercule, dans la Maurétanie occidentale que les Romains nommèrent Tingitane du nom de la ville de Tingis. Elle avait été réduite à cette extrémité après de longs siècles de guerre. D'abord les Libyens avaient eu un développement brillant, lorsque les compagnons d'Hercule, ceux que les traditions africaines appelaient des Arméniens et des Mèdes, étaient venus leur apporter de nouveaux éléments de civilisation. Mais, plus tard, ils avaient été attaqués par les Numides unis aux Perses. Ils avaient fini par avoir le dessous dans la lutte qu'ils soutinrent contre ces Chamites aussi cruels que guerriers, comme le reconnaissaient les historiens du roi Hiempsal. Ils subirent la domination des vainqueurs sur un grand nombre de points ; ailleurs ils se réfugièrent dans les montagnes; enfin la plus grande partie se replia dans l'ouest. A cette époque ils ne s'appelaient plus des Libyens, mais des Maures. Ce nom venait de celui des Mèdes prononcé à la barbare, disaient les historiens numides. Quoique cette étymologie soit difficile à comprendre, il ne faut pas se hâter de croire qu'elle était sans aucun fondement.

Pour préciser la situation nouvelle qui fut le résultat de cette lutte, il faut connaître la position relative des Numides et des Maures à la fin de la guerre : les noms de Numidie et de Maurétanie ont une signification géographique mal déterminée qui n'indique pas exactement cette situation. A l'époque romaine, on connaissait trois Maurétanies : celle de l'ouest qui avait pour chef-lieu Tingis et qui s'étendait des Colonnes d'Hercule à l'Atlas méridional en suivant les côtes de l'Océan ; la Maurétanie centrale qui avait pour chef-lieu Césarée, et la Maurétanie orientale dont la capitale était Sitifi. Mais ces trois régions n'appartenaient pas aux Maures descendants des Libyens. Ces derniers, comme le dit très clairement Salluste, ne possédaient plus que les pays qui sont tout voisins de l'Espagne. Cela veut dire que les Maures n'avaient conservé leur nationalité et leur langue que dans la Maurétanie occidentale. Ils avaient laissé leur nom dans les deux autres Maurétanies ; ils y formaient même des groupes nombreux à l'intérieur des montagnes ; mais les Numides dominaient dans ces provinces dont ils avaient enlevé les plaines et les plateaux. Dans ces conditions nouvelles, la race berbère occupait une grande partie de l'Atlas. Elle possédait toute la Numidie et les meilleures terres des deux Maurétanies orientales. Les Maures libyens n'étaient restés indépendants que dans les régions de l'ouest qui sont comprises entre les Colonnes d'Hercule, l'Océan et l'Atlas. Or il se rencontre précisément que la nomenclature géographique de ces contrées occidentales présente un caractère tout particulier : dans les premiers siècles de notre ère, comme on le verra plus loin au chapitre IV de cette étude, tous les fleuves de cette terre portaient des noms que l'on retrouve dans la géographie de l'Europe. C'est une nouvelle preuve établissant la vérité du récit de Salluste.

Lorsque cet historien présente tant d'exactitude au point de vue de la géographie et de l'ethnographie africaine, il n'est pas possible qu'il soit moins exact sous le rapport des événements qu'il raconte. Mais la discussion historique de son récit est beaucoup plus délicate que celle qui s'applique à la géographie. Son résumé est tellement resserré, qu'il a confondu un grand nombre de faits qui sont entièrement distincts, et qui appartiennent à des époques toutes différentes. On s'en aperçoit tout de suite en remarquant ce qu'il dit de l'invasion des Mèdes et de celle des Perses. Ces deux peuples ne sont pas arrivés en même temps ni sous le même chef. Les premiers étaient venus par l'Europe, et c'est pour cela qu'il comprenaient la langue que l'on parlait en Espagne. Le texte semble même indiquer qu'ils étaient apparentés aux peuples établis dans ce pays avec lesquels ils se mirent tout de suite en relation. Pour les seconds, il déclare formellement qu'ils n'avaient aucun rapport avec la population de l'Espagne dont la langue leur était inconnue; mare magnum et ignara linqua commercia prohibebant. Cela veut dire que les Perses étaient étrangers aux peuples de l'Europe, qu'ils n'étaient pas arrivés par les routes qui traversent ce continent et qu'ils sont entrés dans l'Atlas à une autre époque que les Mèdes. La suite des faits confirme cette première indication.

En réalité, le récit de Salluste comprend une très longue période renfermant un bon nombre de siècles et une série d'événements multiples : l'arrivée des Arméniens et des Mèdes, le développement de l'empire libyen par suite des ressources que les nouveaux venus lui apportèrent ; l'invasion des Perses qui fournit aux Gétules le moyen de pénétrer dans l'Atlas ; la lutte des Numides contre les Maures ou des Berbères contre les Européens, enfin la défaite de ces derniers qui durent abandonner aux Chamites une grande partie de leur domaine. En un mot, il raconte toute l'histoire des Atlantes et l'on doit connaître toute cette histoire pour en avoir le commentaire complet. En conséquence, il faut renvoyer toutes les discussions de détail dans les chapitres suivants, et se contenter ici des indications générales qui concernent ces événements.

Les Arméniens et les Mèdes furent amenés vers l'Atlas par le courant qui emportait les hommes d'Orient en Occident vers les terres inoccupées, et qui renouvela ses flots bien des fois. La route qu'ils suivirent les menait tout droit à l'entrée de l'Afrique. C'est la grande voie qui part de l'Euxin, qui remonte le Danube jusqu'à sa source, et qui pénètre dans le bassin de la Saône par les trouées des villes Forestières et de Béfort, pour employer des expressions modernes. Plus loin elle suit le Rhône et elle arrive directement sur les grands passages qui s'ouvrent à travers les Pyrénées orientales, pour se prolonger jusqu'au détroit.

Pour étudier ces invasions, il faudrait reprendre l'histoire de l'Europe primitive et discuter surtout les événements qui se rattachent au souvenir d'Hercule. Une pareille discussion ne peut trouver place ici. Il suffit de rappeler qu'il y a eu plusieurs grandes périodes dont les événements sont attribués à des Héraclès. Le plus ancien des héros de ce nom vivait à l'époque où les hommes prenaient possession des terres inhabitées, et où ils avaient à lutter contre les forces de la nature et contre les bêtes fauves. Un autre Héraclès est ce Melkarth qui partit des côtes phéniciennes et qui n'arriva pas dans la Méditerranée centrale avant le XIVème siècle. Le dernier est le héros hellénique qui vivait à l'époque de Priam.

Après que l'on a distingué les principaux personnages qui ont porté le nom de Héraclès, il faut distinguer également les grandes expéditions de ces héros qui marquent des périodes historiques différentes. Pour la région de l'Atlas, ces expéditions forment trois séries. Il y eut d'abord les invasions qui furent attirées sur cette terre privilégiée par la renommée de ses richesses. Héraclès dirigea deux de ces campagnes. Dans l'une il traversa l'Europe et entra en Afrique par le détroit auquel il a laissé son nom (Phérécyde, Fragmenta historic graec. Didot, v. 1. p. 78, fr. 33). Dans l'autre il partit de la Crète, c'est-à-dire des pays pélasgiques et entra dans l'Atlas par la Petite Syrte (Diodore, IV, 17, § 3).

A la suite de ces expéditions qui se dirigèrent de l'Orient en Occident vers les terres inoccupées, et qui renouvela ses flots bien des fois. La route qu'ils suivirent les menait tout droit à l'entrée de l'Afrique. C'est la grande voie qui part de l'Euxin, qui remonte le Danube jusqu'à sa source, et qui pénètre dans le bassin de la Saône par les trouées des villes Forestières et de Béfort, pour employer des expressions modernes. Plus loin elle suit le Rhône et elle arrive directement sur les grands passages qui s'ouvrent à travers les Pyrénées orientales, pour se prolonger jusqu'au détroit.

Pour étudier ces invasions, il faudrait reprendre l'histoire de l'Europe primitive et discuter surtout les événements qui se rattachent au souvenir d'Hercule. Une pareille discussion ne peut trouver place ici. Il suffit de rappeler qu'il y a eu plusieurs grandes périodes dont les événements sont attribués à des Héraclès. Le plus ancien des héros de ce nom vivait à l'époque où les hommes prenaient possession des terres inhabitées, et où ils avaient à lutter contre les forces de la nature et contre les bêtes fauves. Un autre Héraclès est ce Melkarth qui partit des côtes phéniciennes et qui n'arriva pas dans la Méditerranée centrale avant le XIVème siècle. Le dernier est le héros hellénique qui vivait à l'époque de Priam.

Après que l'on a distingué les principaux personnages qui ont porté le nom de Héraclès, il faut distinguer également les grandes expéditions de ces héros qui marquent des périodes historiques différentes. Pour la région de l'Atlas, ces expéditions forment trois séries. Il y eut d'abord les invasions qui furent attirées sur cette terre privilégiée par la renommée de ses richesses. Héraclès dirigea deux de ces campagnes. Dans l'une il traversa l'Europe et entra en Afrique par le détroit auquel il a laissé son nom (Phérécyde, Fragmenta historic graec. Didot, v. 1. p. 78, fr. 33). Dans l'autre il partit de la Crète, c'est-à-dire des pays pélasgiques et entra dans l'Atlas par la Petite Syrte (Diodore, IV, 17, § 3).

A la suite de ces expéditions qui se dirigèrent de l'Orient en Occident, il y en eut d'autres qui partirent de l'Atlas pour se porter du côté du nord et de l'est. Celles-ci sont nombreuses. Elles rappellent les conquêtes des Atlantes ou des Libyens. Héraclès en conduisit une qui parcourut toute l'Europe occidentale. Il partit de la montagne africaine, traversa l'Espagne, la Gaule, l'Italie et arriva jusqu'en Grèce (Diodore, IV, 18, § 2). D'après une autre tradition il se dirigea sur l'Orient, non par l'Italie, mais par le centre de l'Europe, c'est-à-dire par la vallée du Danube qui le ramena en Scythie (Hérodote, IV, 82 et 8). Il suivit donc, en sens inverse, la route qui avait conduit les premiers envahisseurs du côté de l'Atlas. Dans ces expéditions il personnifiait les conquêtes des Atlantes ou des Libyens, et aussi leurs expéditions commerciales. Plus tard son nom reparaît une dernière fois dans une campagne qui alla ruiner l'empire de l'Atlas (Diodore, III, 55, § 3). Mais cet Héraclès de la dernière période, qui extermina la nation pour laquelle le héros précédent avait combattu, n'a rien de commun avec celui des anciens âges. Celui-là arriva de la Phénicie : c'est Melkarth. Il vint, non pour continuer l'oeuvre de Héraclès l'européen, mais pour la détruire. Il fut particulièrement funeste à l'Atlas

Après cette détermination générale, dont la discussion ne peut trouver place dans cette étude, parce qu'elle demanderait un long volume, on voit à quelle série d'expéditions se rapportent les invasions rappelées par Salluste. Celle qui amena en Afrique les Mèdes et les Arméniens et qui eut pour résultat le développement de la puissance libyenne, fut conduite par le premier Héraclès. L'autre, au contraire, qui amena le triomphe des Berbères et prépara l'établissement des Phéniciens, fut dirigée par un ami de Melkarth. Elles ont été connues l'une et l'autre par les traditions de la Grèce qui nous permettront d'en retrouver l'histoire et d'en constater les résultats. Le voyage d'Héraclès à travers l'Europe jusqu'à l'Atlas est un des plus anciens événements dont notre continent ait été le théâtre. C'est à cause de cela que la tradition en avait conservé un souvenir plus confus. Cependant elle savait que le héros avait passé par le Caucase où il avait reçu les conseils de Prométhée (Phérécyde...). Ils s'en allait du côté de l'Hespérie, dont les richesses minérales, les pommes d'or de la légende, commençaient à devenir célèbres. Le fils de Japhet lui conseilla de ne pas attaquer son frère de l'Atlas, mais de s'entendre avec lui pour faire cette conquête. Au point de vue purement géographique, ces souvenirs qui relient le Caucase à l'Atlas, qui rapprochent les Mèdes des Libyens, présentent une marque frappante de vérité; le champ sur lequel s'est accomplie cette invasion correspond exactement au domaine de la race européenne.

L'arrivée des envahisseurs en Afrique est bien plus connue que leur voyage. Elle est identique à l'invasion des Amazones libyennes, dont Diodore a raconté l'histoire d'après un auteur beaucoup plus ancien (Diodore, III, 53, § 3). Les nouveaux venus s'entendirent avec les premiers habitants du pays, les Atlantes, et les aidèrent à combattre les nomades, comme les Arméniens et les Mèdes ont soutenu la population des Libyens. Ils donnèrent à l'empire de l'Atlas une prospérité inconnue jusque-là et firent pour lui de grandes conquêtes. Ils possédaient une puissante cavalerie et ils avaient l'habitude d'enterrer leurs morts sous des tumulus; ces deux usages étaient comme la marque ethnographique de leur race. En outre leurs femmes les accompagnaient sur le champ de bataille, et, au besoin, prenaient part à la lutte. A cause de cela, la légende prétendait que ces héroïnes s'arrogeaient le droit exclusif de porter les armes et l'interdisaient à leurs maris. Cela explique pourquoi ce peuple a été appelé la nation des Amazones.

Si Diodore ne donne pas le nom véritable de ces envahisseurs de la seconde époque, on peut s'assurer que les nouveaux venus s'appelaient des Libyens comme les habitants primitifs de l'Atlas. On en trouve la preuve dans Hérodote. En effet, cet historien attribue aux Libyens établis sur les pentes méridionales de la montagne africaine, les usages même que Diodore a assignés aux Amazones. D'après lui, c'étaient d'habiles cavaliers qui avaient enseigné aux Grecs l'art d'atteler les quadriges et qui menaient leurs femmes à la guerre en les chargeant de conduire les chariots (Hérodote, IV, 187 et 193). Ces peuples qui avaient exactement le même domaine et les mêmes usages que les Amazones sont identiques, évidemment, que la nation à laquelle on a donné ce nom. En conséquence, il faut admettre que les envahisseurs arrivés dans l'Atlas à la seconde époque, ceux qui élevaient des tumulus, ont été appelés des Libyens comme les hommes des dolmens.

Leur richesse en chevaux et leur habitude de se servir de chariots, soit à la guerre soit dans leurs migrations, sont des traits qui ont été signalés par tous les historiens qui en ont parlé. Après Hérodote et avant Diodore, Platon a raconté que les Atlantes possédaient de nombreux chars de guerre (Critias). De leur côté, les inscriptions et les sculptures de l'Égypte rappellent incessamment que les Lebou menaient avec eux des chariots de transport et des chars de combat. C'est avec la force que leur donnait cette cavalerie et avec la supériorité que leur assurait l'exploitation des mines, un fait qui sera examiné plus loin, que les Atlantes finirent par dominer les peuples de l'Occident.

Cette détermination, qui donne à la race libyenne une physionomie plus vivante, permettra de retrouver ses traces à travers l'histoire et d'interroger la tombe de ses morts. Dès aujourd'hui même, elle permet de reconnaître la parenté des hommes qui ont élevé les tumulus de l'Afrique, avec ceux qui ont hérissé de tertres funéraires le sol de l'Europe. En effet, on a constaté qu'un bon nombre de ces tombes européennes ont été élevées par une population de cavaliers, dont les morts ont été ensevelis avec leurs chars de guerre (M. Perron, Revue archéologique, 1882, p.437).

D'après les faits qui précèdent, en rapprochant les traditions numides et les traditions grecques, il reste établi que l'Atlas a vu arriver successivement deux sortes de populations qui se sont groupées pour ne former qu'un seul peuple et que ces envahisseurs des deux époques ont été également appelés des Libyens.

Pour compléter ces recherches, il faudrait examiner maintenant l'origine de ce nom et dire auquel des deux groupes il a appartenu en propre. Cette nouvelle question sera discutée plus loin, au chapitre IV, dans lequel on verra que le nom des Libyens s'est conservé beaucoup plus longtemps en Europe qu'en Afrique.

Les livres du roi Hiempsal racontaient que les Libyens de l'Atlas changèrent de nom à l'arrivée des nouveaux immigrants amenés par Hercule et s'appelèrent désormais des Maures. C'est encore là un fait qui a besoin d'être discuté. D'après quelques savants le nom de maure viendrait du mot sémitique maghreb qui signifie le couchant, et il aurait été donné aux populations de l'ouest par les Berbères numides qui habitaient à l'est (Vivien de Saint-Martin, Le nord de l'Afrique dans l'Antiquité, p.100). L'explication est ingénieuse et paraît probable. Cependant il faudra examiner si ce nom n'a pas été véritablement apporté par ceux que les traditions numides appelaient des Mèdes. Il faudra voir également si ce dernier nom lui-même ne rappelait pas un fait historique. Toutes ces recherches se retrouveront plus loin ; sur cette route, où le sol n'a pas encore été déblayé, il faut avant tout parcourir le champ d'exploration, sauf à revenir pour examiner chaque pièce en particulier.

L'invasion des Perses a été également connue de la Grèce. C'est l'expédition de Persée qui vint de l'Orient, et qui alla dans les régions libyennes baignées par l'Océan, pour combattre Méduse, la reine des Gorgones, comme les Perses attaquèrent les Mèdes de la Mauritanie (Diodore, III, 55, § 3, Hésiode, Théogonie, v. 223). Ces traditions nous permettent d'affirmer que les alliés des Gétules n'étaient pas de race japhétique et qu'ils n'arrivaient pas de l'Europe. Ils venaient de l'Orient, ils étaient même d'origine chamite comme Persée, descendant de l'égyptien ou phénicien Danaos, et c'est à cause de cela qu'ils s'allièrent avec les Berbères. D'après les Numides, ils débarquèrent dans une contrée où ils ne trouvèrent pas de matériaux pour bâtir des maisons. C'est là qu'ils rencontrèrent les Gétules. Cette terre où l'on ne pouvait bâtir des maisons, c'est-à-dire qui n'avait ni arbres ni pierres, n'était pas dans l'Atlas, mais bien dans le désert. Elle était même entourée de solitudes, car les deux peuples errèrent longtemps avant de trouver un domaine où ils pussent se fixer. Evidemment cela signifie qu'ils eurent de la peine à pénétrer dans la contrée boisée et fertile dont les Libyens étaient les seuls maîtres. L'attaque se fit surtout par l'est. C'est par là que les Berbères finirent par franchir la frontière du pays fortuné qui excitait leur convoitise, et c'est à cause de cela qu'ils allèrent s'établir dans la vallée du Bagradas, et dans les régions voisines de Carthage, le pays qui s'appela désormais la Numidie. En conséquence, il faut admettre que les Berbères sont entrés dans l'Atlas par le bassin du Triton et la vallée de l'Igharghar. Les prétendus Perses les avaient rejoints par le littoral des Syrtes, et non par les colonnes d'Hercule. Ils arrivèrent au moment où les Altantes ne pouvaient plus défendre leur pays, c'est-à-dire vers l'époque où l'empire libyen fut détruit, et ils vinrent leur porter les derniers coups. Ils entraînèrent contre eux les populations du désert auxquelles ils fournirent des armes.  Alors commença cette lutte qui couvrit les Numides de gloire comme le disaient les historiens officiels et qui livra l'Atlas aux populations chamitiques (c'est le nom que M. Renan donne aux populations semblables à celles des Berbères, qui sont Sémites-Chamites).

Les envahisseurs, incessamment renforcés par de nouveaux colons qui arrivaient de l'Orient, firent aux Libyens une guerre sans merci. Ils les épouvantèrent par leur cruauté plus que par leur courage, quoiqu'ils se vantassent d'être plus braves qu'eux. Cependant la résistance fut longue et énergique, et une grande partie de la nation libyenne échappa à la domination des vainqueurs.  Aujourd'hui même, il en reste des débris pour témoigner de cette résistance.

Le résultat de la lutte est clairement résumé par cette phrase de Salluste : «A la fin la partie basse de l'Afrique fut occupée presque entière par les Numides ; les vaincus acceptèrent le nom des conquérants et firent partie de leur nation». Les vainqueurs prirent pour eux près des deux tiers de l'Atlas, toutes les régions de l'est, particulièrement les plaines et les plateaux ouverts. Ils imposèrent leur langue dans ces contrées. Cependant ils subirent, de leur côté, l'influence des vaincus et leur firent de nombreux emprunts. C'est en grande partie à cette influence que les Berbères doivent ces qualités européennes qui mettent entre eux et les Arabes une démarcation si profonde.

Après avoir suivi ces faits dans le récit de l'historien latin, on pourrait répéter ce qu'il disait lui-même des traditions numides :« Cela est en contradiction avec les idées reçues par le plus grand nombre (ab ea fama que plerosque obtinet diversum est). » Jusqu'ici les Berbères ont passé pour les habitants primitifs de l'Atlas, et, si l'on reconnaissait, à côté deux, certains groupes appartenant à des populations étrangères, on leur accordait la place la plus large et la date la plus ancienne. Or il se rencontre que ces populations étrangères non sémitiques ni chamites ont occupé les premières les régions de l'Atlas, qu'elles y ont formé une race puissante, qu'elles ont habité ces pays pendant de longs siècles avant l'arrivée des Berbères, que ces derniers n'y ont dominé qu'après le XIVème siècle avant notre ère (voir au chapitre VI pour la détermination de cette date).

Cette conclusion paraîtra peut-être étrange au premier abord. Mais on peut s'assurer qu'elle est exacte en consultant l'histoire de l'Egypte. Les Egyptiens qui ont visité l'Atlas au XVIe siècle sous Toutmès III (Lenormant, Histoire ancienne de l'Orient, 9e édition, t. II, p. 203) n'ont jamais connu de Sémites à l'ouest de leur pays, dans toute l'Afrique du nord. Ils distinguaient nettement les hommes de cette race qu'ils représentaient avec un profil fin, le nez arqué, la barbe en pointe et les chairs peintes en jaune. Or ils mettaient ces populations au nord ou à l'orient de l'Egypte et non à l'occident (Lefébure : Les Races connues des Egyptiens, pp. 9 et 13, Extrait des Annales du Musée Guimet, t. I).  De ce côté, ils ne connaissaient que les Lebou au type européen. Il est donc certain que les Berbères sont arrivés fort tard sur les côtes de la Méditerranée, vers l'époque où les Phéniciens ont commencé à s'y établir. Jusqu'à cette date le littoral a appartenu aux Libyens. Les deux noms de Libye et d'Afrique, portés successivement par le continent africain, rappellent ces deux périodes historiques, celle des Libyens qui venaient de l'Europe, et celle des Sémites-Chamites qui sont arrivés de l'Asie. Ces événements qui ont une si grande importance pour le passé, n'en ont pas une moindre pour le présent. Aujourd'hui, la science se met à l'oeuvre pour étudier l'Atlas. Dès les premiers pas elle se trouvera en face de ces souvenirs quand elle voudra interroger les populations ou les monuments de cette terre.

Il est peu de pays qui offrent des problèmes aussi complexes, parce qu'il en est peu qui aient une série de monuments aussi variés et remontant aussi loin. Cette série commence avec les monuments des âges primitifs appelés préhistoriques, qui s'y trouvent tous représentés, et elle a été continuée à travers les siècles par les races multiples qui se sont donné rendez-vous sur cette terre, en venant de l'Europe, de l'Orient ou de l'intérieur de l'Afrique.  Il serait impossible de déterminer d'avance la part que chacune de ces races a apportée dans cette oeuvre, et il est inutile de tenter ici un pareil classement. Il suffit de rappeler que les Libyens de race blanche européenne ont compté parmi les opérateurs. Jusqu'à présent le nom de libyen ou libyque n'a eu qu'une signification vague, et on s'en sert indifféremment pour désigner des oeuvres diverses, inscriptions ou monuments, qui forment l'héritage des anciennes populations de l'Atlas, des Berbères aussi bien que des Libyens. C'est une confusion qui peut occasionner des erreurs dangereuses. Les inscriptions libyennes et les inscriptions berbères appartiennent à deux classes de langues entièrement différentes. C'est à l'Orient et aux langues des Chamites ou des Sémites qu'il faut s'adresser pour comprendre les premières. Quant aux secondes, elles n'ont aucun rapport avec ces langues; elles soulèvent des problèmes qui n'ont pas encore été discutés et dont la solution aura la plus grande portée. Pour que l'examen de cette double série de documents s'accomplisse d'une façon fructueuse, la première condition est d'en faire le triage, le classement, et de retrouver l'histoire des peuples qui les ont laissés.

Les Berbères ont été l'objet d'un grand nombre de travaux remarquables, et, si leur histoire n'est pas encore fixée d'une manière définitive, on possède déjà sur leur compte une riche collection de matériaux.

Pour les Libyens, aucune étude spéciale un peu étendue n'a jamais essayé d'en déterminer la place historique. C'est une lacune qu'il faut combler. Les chapitres suivants feront connaître le rôle de ce peuple dans la première période de son existence, mais ils n'en raconteront pas l'histoire complète. Le travail serait trop vaste si l'on voulait suivre les Libyens depuis leur origine jusqu'à leur disparition ; rechercher leurs traces sur les routes qui les ont amenés en Afrique ; discuter leurs relations avec les peuples de l'Europe et avec ceux de l'Orient ; raconter comment ils ont associé à leurs luttes ou à leur commerce les Ibères, les Tyrrhéniens, les Pélasges, toutes les anciennes populations européennes depuis les hommes des dolmens jusqu'aux Gaulois ; examiner en détail leurs entreprises contre l'Egypte, leurs tentatives contre l'Asie où ils trouvèrent des alliés et soulevèrent des guerres, enfin dire comment ils se replièrent vers l'intérieur de l'Afrique, après avoir abandonné l'Atlas aux Berbères, et comment ils se remirent à l'oeuvre sur cette terre lointaine pour fonder de nouveaux empires dont le souvenir n'est pas sans gloire.  Ici, il s'agit seulement d'examiner, au double point de vue de la géographie et de l'histoire, l'empire libyen primitif, celui qui fut fondé dans l'Atlas et que les anciens appelèrent l'Atlantis. Tout ce qui regarde cette terre et les événements dont elle fut le théâtre, sera discuté largement, sinon d'une façon complète. Pour les entreprises des Libyens en Europe et en Orient, elles seront exposées avec moins de détails ; les unes se retrouvent dans l'histoire de l'Égypte, les autres exigeraient de longs développements si l'on voulait examiner tous les faits qui s'y rattachent. Quant aux dernières périodes de l'histoire libyenne et aux événements de cette histoire qui s'accomplirent dans l'intérieur de l'Afrique, on les trouvera plus tard dans des études qui feront suite à ce premier travail.

 

 

 

(article en chantier....suite prochainement....)