Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Constantin Cavafis

Publié le par Christocentrix

Des poèmes de Cavafis ont déjà été affichés sur ce blog dans divers articles mais ils ont été maintenant regroupés ici et présentés à nouveau :

 

 

chose bien râre


...Il se demande qu'elle peut être sa part, encore, de jeunesse.

Aujourd'hui, des jeunes gens récitent ses vers.

Dans leurs yeux ardents passent ses visions.

Leur cerveau sain, voluptueux, leur chair harmonieuse et ferme,

c'est son idée du beau qui les fait tressaillir.

 

                                                                                

                                                                              ***

 

Thermopyles

 

 

Honneur à ceux qui, dans leur vie,

se sont donné pour tâche la garde des Thermopyles.

Jamais ne s'écartant du devoir; intègres et justes dans tous leurs actes,

mais avec indulgence et pitié; généreux s'ils sont riches

et s'il leur arrive d'être pauvres, généreux dans leur modestie,

et secourables autant qu'ils le peuvent ;

se faisant fort de parler vrai, mais sans haine pour ceux qui ont failli.

Et plus d'honneur encore leur soit rendu lorsqu'ils prévoient

(et nombreux sont ceux qui prévoient)

qu'Ephialtès pour finir va se manifester,

et que les Mèdes, un jour finiront par passer.


 

 

 

 

 

 

                                                                            





                                                                       ***

 


En attendant les Barbares...

 

-Pourquoi nous être ainsi rassemblés sur la place ?

Il paraît que les barbares doivent arriver aujourd'hui.

-Et pourquoi le Sénat ne fait-il donc rien ?
Qu'attendent les Sénateurs pour édicter des lois ?

C'est que les barbares doivent arriver aujourd'hui.
Quelles lois pourraient bien faire les Sénateurs ?
Les barbares, quand ils seront là, dicteront les lois.

-Pourquoi notre empereur s'est-il si tôt levé,
et s'est-il installé, aux portes de la ville,
sur son trône en grande pompe, et ceint de sa couronne ?

C'est que les barbares doivent arriver aujourd'hui.
Et l'empereur attend leur chef pour le recevoir.
Il a même préparé un parchemin à lui remettre,
où il le gratifie de maints titres et appellations.

-Pourquoi nos deux consuls et les préteurs arborent-ils
aujourd'hui les chamarrures de leurs toges pourpres ;
pourquoi ont-ils mis des bracelets tout incrustés d'améthystes
et des bagues aux superbes émeraudes taillées;
pourquoi prendre aujourd'hui leurs cannes de cérémonie
aux magnifiques ciselures d'or et d'argent ?

C'est que les barbares doivent arriver aujourd'hui;
et de pareilles choses éblouissent les barbares.

-Et pourquoi nos dignes rhéteurs ne viennent-ils pas comme d'habitude ,
faire des commentaires, donner leur point de vue ?

C'est que les barbares doivent arriver aujourd'hui;
et ils n'ont aucun goût pour les belles phrases et les discours.

-D'où vient tout à coup, cette inquiétude
et cette confusion (les visages, comme ils sont devenus graves !)
Pourquoi les rues, les places, se vident-elles si vite
et tous rentrent-ils chez eux, l'air soucieux ?

C'est que la nuit tombe et que les barbares ne sont pas arrivés.
Certains même, de retour des frontières, assurent qu'il n'y a plus de barbares.

Et maintenant, qu'allons-nous devenir, sans barbares.
Ces gens-là, en un sens, apportaient une solution.

 

                                                                                

                                                                             ***

                                   

 

 

Devant la maison....

 

Hier, en marchant dans un faubourg éloigné,
je suis passé devant la maison
que je fréquentais quand j'étais très jeune.
C'est là qu'Eros s'était emparé de mon corps
avec sa délicieuse vigueur.

Et hier, quand j'ai emprunté cette vieille rue,
aussitôt les trottoirs, les magasins, les pierres,
se sont retrouvés embellis par l'enchantement de l'amour,
jusqu'aux murs, balcons et fenêtres ;
il n'y avait plus rien de sordide.

Et comme je restais là, en train de regarder la porte,
comme je restais à m'attarder devant la maison,
mon être tout entier libérait en retour
l'émotion d'un plaisir qui s'était conservé  intact.


                                         

 

 

 

 

 

Je me suis allongé sur leurs couches...

 

 

Quand je suis entré dans la maison du plaisir,

je ne suis pas resté dans la salle où l'on célèbre

suivant un certain rite les amours reconnues.

J'ai préféré les alcôves secrètes

et je me suis accoudé, je me suis allongé sur leurs couches.

J'ai préféré rejoindre les alcôves secrètes

celles dont on a honte de prononcer le nom.

Mais ce n'est pas une honte pour moi - car alors

quel poète et quel artiste aurais-je été ?

Mieux eût valu être un ascète. Ce qui aurait été plus en accord,

beaucoup plus en accord avec ma poésie,

que de me contenter de la salle ordinaire.

 

 

 

        ***

 

Je suis parti....

 

Je n'ai pas voulu m'attacher.

J'ai tout donné de moi, puis je suis parti.

Vers des jouissances qui se sont avérées à demi réelles,

en même temps que les folles chimères de mon cerveau,

je suis parti dans la nuit illuminée.

Et j'ai bu des vins âpres,

comme savent en boire les hommes de plaisir.




                                                                                     ***
                                                      

 

addition


Si je suis heureux ou malheureux, je ne me pose pas la question.

La seule chose à laquelle je pense toujours avec joie :
c'est que dans la grande addition (leur addition que je déteste)
avec tous ses chiffres, je ne figure pas, moi, comme une unité parmi les autres. 
Dans ce total, je n'ai pas été compté. Et cette joie là me suffit.

                                                                        

 

                                                                ***

  

 

Les désirs....beaux comme.... 

 

Beaux comme des morts qui n’ont point vieilli,

enfermés au milieu des larmes dans un mausolée splendide,

le front ceint de roses et jasmins aux pieds,

tels sont les désirs qui nous ont quittés sans s’être accomplis ;

sans qu’aucun n’atteigne à une nuit de volupté ou à son lumineux matin.

                                                         

                                                                                              

                                                                          Constantin Cavafis 

         

           (traduits du grec et présenté par Dominique Grandmont, nrf-poésie/Gallimard, 1999)  

 

 

  

Concernant ce dernier poème, il existe aussi ces traductions :

 

Les désirs qui passèrent sans être accomplis,

sans avoir obtenu une des nuits du plaisir ou un de ses lumineux matins,

ressemblent à de beaux cadavres qui n'ont pas connu la vieillesse

et qu'on a déposés en pleurant dans un magnifique mausolée,

avec au front des roses et aux pieds des jasmins.

 

                                      (par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras, Gallimard, 1958)

 

 

 

Ils sont comme de beaux corps que l'âge n'auraient pas atteints

et qu'on dépose avec des larmes dans un magnifique sépulcre

des roses à la tête et, aux pieds du jasmin-

ils ressemblent à de tels corps les désirs qui se sont éteints

sans se rassasier, sans avoir eu ne fût-ce

qu'une seule nuit de plaisir ou qu'un radieux matin..

 

                                                                          

                                                   (par Gilles Ortlieb et Pierre Leyris, Seghers,1978)

 

 

                                          

                                         

 

Commenter cet article