Georges Thémélis
Georges Thélémis est né sur l'île de Samos en 1900. Après des études de Lettres à Athènes, il devient professeur en 1930.
Ses débuts poétiques sont marqués par le symbolisme et le surréalisme comme l'attestent ses deux premiers recueils "Fenêtre nue" (1945) et ""Oiseaux" (1947).
A partir de 1947, il essaye de réaliser une sorte de synthèse entre la poésie moderne et l'ancienne tradition grecque : "le Retour" (1948) et "Ode pour se souvenir" (1949) sont de cette veine.
En 1950, il écrit "Suite", puis en 1953 "Causeries". En 1955, dans le "Jardin des Arbres", le poète est au sommet de sa force créatrice, dévoile une expérience profonde qui le situe parmi les plus grands créateurs de l'époque.
En 1959, parait "le Visage et l'Image", en 1961 "Clair-Obscure" et "Mona joue". "Le Filet des Ames" paraitra en 1964 et "Issue" en 1968.
G. Thélémis est aussi l'auteur d'essais : "La poésie grecque moderne" (1963), "le Jugement Dernier" (1964) et "la Poésie de Cavafis" (1970).
Son oeuvre est hautement estimée en Grèce et dans le monde. Elle a fait l'objet de vastes études. Toute une génération littéraire grecque se nourrit et s'abreuve au jaillissement de son verbe. Il est considéré comme une figure dominante du lyrisme néo-hellénique. Unité quasi-mystique entre le contenu et la forme, inquiétude métaphysique et spiritualisme inspiré marquent son oeuvre.
Une traduction : "Choix de poèmes de Georges Thélémis" est paru en 1972 aux éditions Caractères.
Voici un choix (personnel) parmi ses poèmes :
BATTANTS DE PORTE
Nous sommes différents, tellement différents
Dans le rapprochement, comme
Des battants de porte, qui tendent l'un vers l'autre,
S'unissent, s'embrassent mutuellement, se ferment,
Se partagent le sommeil, le baiser en deux,
Séparant leurs os,
Dans un grincement déchirant, dans le silence.
Nous sommes tellement divers dans le rapprochement:
Deux tâches noires unies dans la lumière.
Deux points, deux battants, deux corps.
(Au-dehors dans les couloirs hurle la solitude.)
MOURIR ENSEMBLE
Ici dans ce lit
Creusé par l'amour
Pour qu'il puisse contenir le corps de l'amour
Qu'il soit comme un lit et comme une tombe.
Ici je te ferai mourir, tu me feras mourir
Dans un profond baiser mortel
Ils viendront forcer la porte et nous trouver
Ils ne pourront pas relever les corps
Ils ne pourront pas ouvrir nos visages.
HYMENES
Dense, inévitable, parfaite destinée de l'amour
Et de la mort : conquête au début et puis abandon
Montée au début, descente après
Chute du corps et tristesse de l'âme,
Lorsque la solitude s'ouvre et qu'elle avale
Des os humiliés, entassés,
L'amour vient et se joue de nous,
Comme un dieu ou un démon.
Il nous déshabille sans honte et sans peur,
Il nous laisse nus pour que nous ayons froid
A jeun pour que nous ayons faim,
Comme au jugement dernier.
Nous avons faim de sa faim, froid de sa nudité.
L'amour arrive et nous transforme.
Ombre dans l'ombre
Silence dans un autre silence.
Nos lèvres sentent le printemps
Une odeur de terre, nos poitrines la pomme mûre.
L'amour émerge des jardins des morts.
Nos membres tremblent comme nos entrailles
Ils ont une fièvre d'incendie.
Celle des vols effrayés, des animaux qui courent,
Et la palpitation d'une mer agitée
Des vagues de fond remodelées
Et la nage nocturne du poisson dans les abîmes.
Les cheveux resplendissent sur les oreillers,
Les mains brillent dans l'ivresse de l'amour,
Des doigts palpent aveuglement la chair.
L'amour s'élève jusqu'au niveau des âmes
De poitrine en poitrine, comme sur une échelle
Les âmes ne peuvent point parler,
Elles n'ont pas de langage, mais du silence,
Étonnement secret et tristesse,
Souvenir et terreur du vide.
Elles ne peuvent que refléter,
Mouvoir les doigts,
Entr'ouvrir les yeux et les lèvres.
Se contempler l'une l'autre, comme dans un miroir.
COMPARAISONS
Comme dans le sommeil, quand tu passes
A l'autre éclat de la nuit.
Le corps, le vêtement, le fruit.
Comme dans le sommeil, comme en amour,
Quand tu t'abandonnes totalement.
Tu restes sans corps, nu.
Le jour, la nuit, le temps,
Une histoire imaginaire.
Comme si les murs s'ouvraient en dedans,
comme s'ils faisaient choir
Les miroirs trompeurs qui nous couvrent,
Nous passons à travers un rêve,
Un rêve incessant atteint par la nuit.
Sans cloche et sans réveil.
Comme si nous passions dans le cercle des Incorporels
Dans un isolement parfaitement clos.
Comme une lampe qu'on a oubliée
Dans une chambre vide et fermée,
Seule, toute seule dans la solitude.
Qui nous connaîtra, qui nous soupçonnera ?
D'autres yeux, d'autres secrets
Derrière ces murs
Derrière les gardiens.
D'autres ombres déambuleront dans les chambres
Frôlant les choses, nos choses
Plus fragiles et rendues plus denses par notre amour.
Habitués, obéissants, et à peine délaissés
Ils recherchent des mains serrées comme nos mains,
Ils recherchent nos yeux messagers.
Ainsi que des fruits, qui ont mûri
Et restent encore suspendus au soleil,
Attendant l'oiseau, la main et la faucille,
Ici, se tiendra l'arbre de la cour,
Seul, stérile, désespéré.
Sans ailes et sans pollen
Dans un calme terrible.
Ici se penchera la fenêtre dans le vide,
Comptant le vent : doit-il tomber, ne pas tomber,
Notre toit toujours frais, comme au printemps ?
Au-dessus de lui un ciel désertique.
Jusqu'à ce que vienne Avril en son lent avenir
Avec tout l'éclat et la gloire,
jusqu'à ce que vienne Pâque la Grande
Avec les nouvelles jacinthes, avec les ressuscités,
Pour que je te pare de la pourpre royale dans ta grande fête,
Bijou de grand prix :
Afin que tu sois beau parmi les beaux.
RÉSONANCE
Je suis moi, dans mon coeur clos.
Si tu prends la main, tu tiens l'âme
Contact d'oiseau emprisonné ou frétillement de poisson.
Si tu coupes un peu de chair, tu coupes une parcelle d'âme,
Si tu craches sur le visage, tu craches sur l'esprit.
Chaque gifle, chaque baiser passe
A travers plusieurs couches, comme un son qui résonne.
Le Seigneur le reçoit au-dedans, il en garde l'empreinte
Dans sa chair mystique, il le cache dans son sang.
Quand les corps seront jugés.
Tu t'es présenté, tu es apparu dans la lumière comme une icône.
Tu as vu beaucoup de soleils
Et tu ne les as pas comptés.
Le crépuscule et l'aube.
Tu as ouverts les yeux,
De grands yeux étonnés.
Tu as fait pousser des mains à la racine des ailes.
Tu as touché des fruits divers,
Beaucoup de pommes, des lys et des roses.
Tu portes la trace des clous.
Tu as marché sur la terre, tu as retenti
Dans le vide, dans le désert du temps,
Tu as émis un son, puis fait beaucoup de bruit.
Le soleil t'a vu, le vent t'a écouté et te fait vibrer.
Qui se portera témoin de ton sang,
Le sang qui a coulé et a teint
Le sommeil, les choses, la lumière.
Quand les corps seront jugés,
Ta poudre vaine sera pesée,
Ta pauvreté, ta nudité.
Ta tristesse est infinie et elle aura du poids.
Georges THELEMIS