L'épopée des Vieux-Croyants
De 1653 à 1666, le patriarche de Moscou Nikon introduit de légères modifications dans le rituel pour se rapprocher de l’usage grec (signe de croix avec 3 doigts au lieu de 2, modification de la prononciation du nom de Jésus, révision des livres liturgiques, etc.). Bien que la Bible reste lue dans sa version en vieux slave, le slavon, et que ces changements soient purement rituels, ceux-ci rencontrent une vive opposition des milieux les plus traditionalistes avec à leur tête l’archiprêtre Avvakum. Ce seront les Vieux-Croyants. En 1666-1667, le schisme est consommé, ils sont anathématisés lors de conciles ; Avvakum est mis sur le bûcher en 1682 (il est l’auteur d’une Autobiographie qui est un des chef d’œuvre de la prose russe).
Au XVIIIès. les Vieux-croyants sont des opposants farouches aux mesures d’occidentalisation de Pierre le Grand (ils conservent le port de la barbe). Il s'agissait aussi, profondément, d'une protestation populaire contre l'imitation par les élites des moeurs étrangères. La répression (de l’Eglise et de l’Etat) durera jusqu’à la fin des Tsars. Ce n’est qu’en 1905 qu’un Edit de tolérance leur accordera la liberté religieuse.
A l'exception de Pierre Pascal et de Léon Poliakov, peu ont étudié l'importance et la singularité du "Raskol" - le schisme - qu'évoque le nom de Raskolnikov, le héros déchiré de Crime et Châtiment. La volonté des Vieux-Croyants de ne pas se laisser recenser, au point de se suicider par milliers pour manifester leur refus, une tradition de semi-clandestinité héritée des persécutions tsaristes et soviétiques, leur dispersion dans le monde expliquent que les chercheurs sont passés à côté du phénomène. Ce n'est qu'en 1989 que des Vieux-Croyants purent se manifester publiquement en Russie. Jusque-là toujours opposés au pouvoir en place, ils furent considérés comme d'autant plus subversifs que, grâce à leur solidarité, à l'ardeur des minorités brimées, ils accaparèrent au XIXème siècle les principales branches du commerce et de l'industrie manufacturière. Une partie sympathisa avec l'agitation révolutionnaire qui aboutit à la chute du régime tsariste. Un "raskolnik" le manufacturier Morosov, fut le principal bailleur de fonds de Lénine. Mais les Vieux-Croyants, qualifiés de "koulaks" dont beaucoup succombèrent dans les goulags, opposèrent la résistance la plus tenace à la collectivisation. Durant la période soviétique, de véritables colonies vivaient dans des endroits inaccessibles de la taïga sibérienne ou les montagnes de l'Altaï, vivant en totale autarcie. Nombre de témoignages soviétiques indiquent la découverte de maisons hâtivement abandonnées, avec des icônes, des bibliothèques, des traces d'écoles clandestines. On estime qu'ils sont aujourd'hui environ trois millions dispersés dans le monde, mais continuant, où qu'ils soient, à discuter du "pur" (denrées d'origine russe) et de l' "impur" (non-russe). Le tabac et l'alcool sont proscrits. Dégagés de toute illusion politique, ils s'interessent prioritairement à leur salut et à celui de la Sainte Russie. Lors d’un récent concile, ils sont désormais réconciliés avec l’Eglise officielle.
bibliographie :
-L'épopée des Vieux-Croyants, Léon Poliakov, Perrin, 1991.
-Avvakum et les débuts du Raskol, Pierre Pascal. EPHE, Mouton & Co, 1963, EHESS, 1969.
-Autobiographie de l'archiprêtre Avvakum, NRF Gallimard, 1960.
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