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theologie

le Dieu caché, le Dieu cosmique.

Publié le par Christocentrix

Les caricatures de Dieu jonchent l'histoire, celle aussi du christianisme, comme autant d'idoles mentales qui ont conduit les hommes soit à la cruauté, soit à l'athéisme : comment, à l'époque moderne, avec l'essor de l'esprit critique et de la liberté, auraient-ils pu accepter un Dieu qui leur semblait pire qu'eux-mêmes, du moins que la plus haute exigence de leur conscience secrètement fécondée par l'Evangile ?
Les hommes ne cessent de projeter sur Dieu, pour se l'approprier et l'utiliser, leurs propres obsessions, individuelles ou collectives. Il leur faut comprendre qu'on ne peut saisir Dieu de l'extérieur, comme un objet, car il n'y a pas d'en dehors par rapport à lui, le Créateur ne se juxtapose pas à la créature. « C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être » (Actes 17, 28) comme disait Paul aux Athéniens, mais, enfermés en nous-mêmes, enfermés aussi « dans sa main », nous ne pouvons le connaître que s'il établit librement avec nous une relation où la distance et la proximité se font le lieu d'une Parole, de Quelqu'un qui parle à quelqu'un.
"La plupart des hommes, enfermés dans leur corps mortel comme l'escargot dans sa coquille, enroulés dans leurs obsessions à la manière des hérissons, modèlent sur eux-mêmes leur idée du Dieu bienheureux." CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, V, XI (PG 9, 103).
"Les graines qui se trouvent à l'intérieur de la grenade ne peuvent voir les objets extérieurs à l'écorce, puisqu'elles sont au-dedans. De même l'homme enfermé avec toute la création dans la main de Dieu ne peut contempler Dieu. (...) C'est par lui que tu parles, ami, c'est lui que tu respires, et tu ne le sais pas ! Car ton esprit est aveugle, ton coeur endurci. Mais, si tu veux, tu peux guérir. Confie-toi au médecin, il ouvrira les yeux de ton âme et de ton coeur. Qui est médecin? Dieu, par sa parole et sa sagesse [...]". THÉOPHILE d'ANTIOCHE, Premier Livre à Autolycus, 5 et 7 (SC n° 20, p. 66 et 72).
Dieu n'est pas davantage un objet de connaissance. Les concepts, qui ne vont jamais sans une volonté secrète de classement, de possession, sont impuissants à saisir celui par lequel nous devons nous laisser « saisir ». Aux deux sens du mot : d'ouverture à sa venue, à sa libre révélation, et de saisissement, d'émerveillement.
"Tout concept formé par l'entendement pour tenter d'atteindre et de cerner la nature divine ne parvient qu'à façonner une idole de Dieu, non à le faire connaître". GRÉGOIRE DE NYSSE, Vie de Moise (PG 44, 377).
"Seul l'émerveillement peut entourer l'inentourable puissance". MAXIME LE CONFESSEUR, Sur les Noms divins, 1(PG 4, 192).
Ainsi l'Epouse du Cantique des Cantiques, dans le commentaire de Grégoire de Nysse, ne cesse de chercher l'Epoux qui l'attire dans une distance toujours renouvelée.
« J'ai cherché dans la nuit à savoir quelle est son essence. [...] Mais je n'ai pu trouver. Je l'ai appelé d'autant de noms qu'on en peut nommer, mais aucun nom n'a eu la force de l'atteindre. Comment en effet pourrait-on atteindre par un nom celui qui est au-delà de tout nom? ». GRÉGOIRE DE NYSSE, Homélies sur le Cantique des Cantiques, 6ème homélie (PG 44, 893).
La véritable approche du mystère sera donc d'abord de célébration et de célébration cosmique. Pour les Pères, la chute a voilé mais non détruit la transparence des êtres à la lumière divine. Certes, l'universel élan vers Dieu est devenu « gémissement », « soupir de la création ». Mais la prière constitue toujours l'être même des choses : « Tout ce qui existe te prie ». Le caractère inépuisable de la transcendance s'exprime dans la profusion des créatures. L'univers est la première Bible. Chaque être manifeste la Parole créatrice qui la fonde et l'attire. Chaque être exprime une idée dynamique, une volonté de Dieu. A la limite chaque chose est un nom créé de celui qu'on ne peut nommer. 
O toi l'au-delà de tout,
comment t'appeler d'un autre nom?
Quel hymne peut te chanter?
Aucun mot ne t'exprime.
Quel esprit peut te saisir?
Nulle intelligence ne te conçoit.
Seul, tu es ineffable;
tout ce qui se dit est sorti de toi.
Seul, tu es inconnaissable ;
tout ce qui se pense est sorti de toi.
Tous les êtres te célèbrent,
ceux qui parlent et ceux qui sont muets.
Tous les êtres te rendent hommage,
Ceux qui pensent comme ceux qui ne pensent pas.
L'universel désir, le gémissement de tous
tend vers toi. Tout ce qui existe te prie
et vers toi, tout être qui sait lire ton univers,
fait monter un hymne de silence.
En toi seul tout demeure.
En toi, d'un même élan, tout déferle.
De tous les êtres tu es la fin.
Tu es unique.
Tu es chacun et tu n'es aucun.
Tu n'es pas un être, tu n'es pas l'ensemble :
Tu as tous les noms; comment t'appellerai-je,
Toi, le seul qu'on ne peut nommer? [...]
O Toi, l'au-delà de tout : comment t'appeler d'un autre nom?
GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Poèmes dogmatiques (PG 37, 507-508).
De toute éternité, Dieu vit et règne dans la gloire. Chaque rayon de cette gloire est un Nom divin et ces Noms sont innombrables. Denys l'Aréopagite, qui a écrit un admirable traité Des noms divins, en énumère quelques-uns qu'il trouve dans la Bible et les Evangiles. Les Pères désignent aussi ces Noms comme les « puissances », les « énergies » qui jaillissent de l'inaccessible essence divine. A la création, c'est cette gloire, la Kabôd biblique, qui remplit les choses, leur donne à la fois leur densité propre et leur transparence. Les énergies deviennent alors autant de modes de la présence divine. La « parole », le logos, qui fonde chaque créature lui permet de participer à ces énergies ou l'appelle à cette participation s'il s'agit des hommes. Ainsi toute créature nomme ou devrait nommer à sa manière propre les Noms divins. Malgré le péché qui signifie l'exil de la gloire, le monde reste cette immense théophanie que célèbrent les religions archaïques.
"Ainsi instruits, les théologiens louent tout ensemble la divine Origine de n'avoir aucun nom et de les posséder tous. De n'avoir aucun nom, puisqu'ils rapportent que la déité elle-même dans une des visions mystiques où elle se manifeste symboliquement, reprit celui qui lui demandait : « Quel est ton nom ? » (Gen 32, 29) et, pour le détourner de toute connaissance capable de s'exprimer par un nom, lui dit : « Pourquoi demander mon nom? Il est admirable » (Jug 13, 18). Et n'est-il pas en effet admirable, ce nom qui dépasse tout nom, ce nom anonyme, « qui transcende tout ce qui porte un nom, non seulement dans le monde présent, mais encore dans le monde à venir » (Eph 1, 21)? 
D'avoir pluralité de noms, lorsqu'ils observent qu'elle dit d'elle-même « Je suis celui qui suis » (Ex 3, 14), ou encore Vie, Lumière, Dieu, Vérité ; et lorsque ceux qui connaissent Dieu célèbrent par des noms multiples la Cause universelle en s'inspirant de ses effets, comme Bonté, Beauté, Sagesse. (...] Chorège de vie, Intelligence [...], Ancien des Jours, Jeunesse éternelle, Salut, Justice, Sanctification, Libération, comme surpassant toute grandeur et se manifestant à l'homme dans une brise légère. Ils affirment en outre que cette Origine divine [...] est à la fois au sein de l'univers et au-delà du ciel, Soleil, Etoile, Feu, Eau, Souffle, Rosée, Nuée, Roc absolu, Pierre, en un mot tout ce qui est et rien de ce qui est.Ainsi cette cause de tout qui dépasse tout c'est à la fois l'anonymat qui lui convient et tous les noms de tous les êtres [...]. Elle contient d'avance en soi tout être [...] en sorte qu'on peut la louer et la nommer à partir de tout être". DENYS L'ARÉOPAGITE, Noms divins, I, 1, 6 (PG 3, 596).
Cependant le monde masque le mystère autant qu'il l'exprime. Une approche négative est alors indispensable. Elle balaie les idoles mentales, les systèmes, les notions intelligibles autant que les images sensibles. En premier lieu on ne peut confondre le mystère de l'Etre avec un être, serait-il au sommet de la hiérarchie des êtres. L'Etre fait être, il n'est donc pas un être. Cette idole philosophique, le « Bon Dieu » d'un certain christianisme ou l' « Etre suprême » du spiritualisme, a provoqué simultanément la « mort de Dieu » et la perte du mystère de l'Etre.
Pourtant le Vivant n'est pas davantage l'Etre illimité, la théotès - divinité - des gnostiques qu'il n'est l'Etre suprême du monothéisme clos. La vie du Vivant qui s'exprime par la profusion des Noms divins, des théophanies, s'enracine dans l'inépuisable de l'Amour personnel. L'abîme n'est pas indifférencié, ni indifférent. De lui viennent à nous une liberté et un amour, amour crucifié et déifiant. C'est cette révélation ultime - celle du Christ - qu'il faut sentir dans les expressions qui suggèrent une plénitude abyssale au-delà de notre notion même de Dieu, comme de notre absorption dans l'Etre. Et peut-être l'athéisme contemporain, dans la mesure où il n'est pas opacité mais révolte purifiante, pourrait-il être saisi, transmué dans cette démarche d' « inconnaissance » qui est une démarche non pas intellectuelle (car la négation est niée tout autant que l'affirmation) mais de pure adoration.
"Célébrer les négations [...] pour connaître sans voiles cette inconnaissance que dissimule en tout être la connaissance qu'on peut avoir de lui, pour voir ainsi cette ténèbre suressentielle que dissimule toute la lumière contenue dans les êtres. DENYS L'ARÉOPAGITE, Théologie mystique, II (PG 3, 1025).
"S'il arrive que, voyant Dieu, on comprenne ce qu'on voit, c'est qu'on n'a pas vu Dieu lui-même, mais quelqu'une de ces choses inconnaissables qui lui doivent l'être. Car en soi il dépasse toute intelligence et toute essence. Il n'existe, de façon suressentielle, et n'est connu, au-delà de toute intellection, qu'en tant qu'il est totalement inconnu et n'existe point. Et c'est cette parfaite inconnaissance, prise au meilleur sens du mot, qui constitue la connaissance vraie de Celui qui dépasse toute connaissance". DENYS L'ARÉOPAGITE, Lettre I, à Gaios (PG 3, 1065).
"L'infini est sans doute quelque chose de Dieu mais non Dieu lui-même qui est encore infiniment au-delà". MAXIME LE CONFESSEUR, Ambigua (PG 91, 1224).
"Nous disons donc que la Cause universelle, située au-delà de l'univers entier, n'est ni matière [...] ni corps ; qu'elle n'a ni figure, ni forme, ni qualité, ni masse ; qu'elle n'est dans aucun lieu, qu'elle échappe à toute saisie des sens [...]. Nous élevant plus haut, nous disons maintenant que cette Cause n'est ni âme ni intelligence; [...] qu'on ne peut ni l'exprimer ni la concevoir, qu'elle n'a ni nombre, ni ordre, ni grandeur, ni petitesse, ni égalité, ni inégalité, ni similitude, ni dissimilitude ; qu'elle ne demeure immobile ni ne se meut; [...] qu'elle n'est ni puissance ni lumière ; qu'elle ne vit ni n'est vie ; qu'elle n'est ni essence, ni perpétuité, ni temps ; qu'on ne peut la saisir intelligiblement ; qu'elle n'est ni science, ni vérité, ni royauté, ni sagesse, ni un, ni unité, ni divinité, ni bien ; ni esprit, ni filiation, ni paternité au sens où nous pouvons l'entendre ; ni rien de ce qui est accessible à notre connaissance ni à la connaissance d'aucun être ; qu'elle n'est rien de ce qui appartient au non-être, mais rien non plus de ce qui appartient à l'être ; que personne ne la connaît telle qu'elle est [...] ; qu'elle échappe à tout raisonnement, à toute appellation, à tout savoir ; qu'elle n'est ni ténèbre, ni lumière, ni erreur, ni vérité ; que d'elle on ne peut absolument ni rien affirmer ni rien nier ; que, lorsque nous posons des affirmations et des négations qui s'appliquent à des réalités inférieures à elle, d'elle-même nous n'affirmons ni ne nions rien : car toute affirmation reste en deçà de la Cause unique et parfaite de toutes choses, car toute négation reste en deçà de la transcendance de Celui qui est dépouillé de tout et se tient au-delà de tout". DENYS L'ARÉOPAGITE, Théologie mystique, IV et V (PG 3, 1047-1048).
"Le mystère qui est au-delà même de Dieu, l'Ineffable, celui que tout nomme, l'affirmation totale, la négation totale, l'au-delà de toute affirmation et de toute négation...". DENYS L'ARÉOPAGITE, Noms divins, II, 4 (PG 3, 641).
Cette négation simultanée de l'affirmation et de la négation signifie que la transcendance de Dieu échappe à notre notion même de transcendance. Dieu transcende sa propre transcendance non pour se perdre dans un néant abstrait mais pour se donner. Le dépassement simultané de l'affirmation et de la négation dessine déjà l'antinomie de l'existence personnelle, d'autant plus secrète qu'elle se donne, d'autant plus donnée qu'elle est secrète. C'est pourquoi les Pères parlent aussi du Dieu inaccessible, du Dieu au-delà de Dieu, en termes de jaillissement, de bond créateur et rédempteur hors de son essence, selon l'éternel mouvement des énergies divines, mais aussi pour communiquer celles-ci aux créatures par des actes personnels, car le Dieu vivant est un Dieu qui agit. Il n'est pas l'être mais le contient et, par ses actes, le rend participable.
"Ce n'est pas du tout par besoin que Dieu, la plénitude absolue, a amené à l'existence ses créatures : c'est pour que ces créatures soient heureuses d'avoir part à sa ressemblance, et pour se réjouir lui-même de la joie de ses créatures tandis qu'elles puisent inépuisablement à l'Inépuisable". MAXIME LE CONFESSEUR, Centuries sur la charité III, 46 (PG 90, 434).
"Il est appelé Dieu parce qu'il a tout bâti sur ses propres assises et parce qu'il bondit (Théos (Dieu) est ici expliqué par les verbes theirai (fonder) et thééin (bondir) - au-delà de toute limite) : bondir, [...] c'est donner vie au monde. [...] Tout-puissant, il contient tout : le faîte des cieux, les profondeurs des abîmes, les confins de la terre sont dans sa main". THÉOPHILE D'ANTIOCHE, Premier Livre à Autolycus, 4 (SC n° 20, p. 64).
"Dieu a toujours existé, et il existera toujours ; ou, pour mieux dire, il existe toujours. En effet, « avoir été » et « être dans le futur », c'est exprimer les fragments de la durée telle que nous la connaissons, un écoulement de la nature. Mais Dieu, lui est l' « éternel Existant » et c'est là le nom qu'il se donne à lui-même lorsqu'il dévoile l'avenir à Moïse sur la montagne. En effet il contient en lui-même l'être tout entier, lequel n'a pas eu de commencement et n'aura pas de fin, ce que j'appellerais un océan d'être sans limites et sans fin, placé au-delà des concepts que notre intelligence peut se former de la durée et de la nature. On ne peut l'évoquer par l'intelligence que d'une manière obscure [...], non par une connaissance de sa nature propre mais par une vision des réalités qui l'entourent. Rassemblant et comprenant les images qui s'imprègnent dans notre esprit, nous pouvons arriver à reconstituer comme une ressemblance de la Vérité [...] ; il éclaire la partie supérieure de notre être, pourvu qu'elle soit purifiée, autant que, dans sa rapidité, l'éclair frappe notre vue et cela, selon moi, pour qu'en proportion de l'intelligence que nous avons de lui, il nous attire à soi [ ...] et que, dans la mesure où nous ne le comprenons pas, il excite en nous la curiosité ; celle-ci fera naître dans notre âme le désir de le connaître plus avant ; ce désir nous dépouillera ; ce dépouillement nous rendra semblables à Dieu. Lorsque nous aurons atteint cet état, Dieu conversera avec nous comme avec des amis et, si j'ose dire, Dieu uni à des dieux et se révélant à ceux-ci, sera connu autant qu'il connaît ceux qui le connaissent". GREGOIRE DE NAZIANZE, Discours 45, Pour la Pâque, 3 (PG 36, 847).
Elles sont lourdes de l'approche négative de Dieu, elles sont lourdes de son silence, ces paroles qui disent, dans le respect de l'Inaccessible, la présence et l'action de Celui dont un saint du XIXème siècle affirmait qu' « il est un feu qui réchauffe nos entrailles ». Ces affirmations consumées par les négations disent que Dieu est Souffle, Feu, Lumière, Vie, Amour. On reconnaît les paroles et les attitudes mêmes de Jésus.
"Dieu est Souffle car le souffle du vent est participé par tous, il traverse tout, rien ne l'enferme, rien ne le capte". MAXIME LE CONFESSEUR, Sur les Noms divins, I, 4 (PG 4, 208).
"Les saints théologiens décrivent souvent sous la forme du feu l'Essence suressentielle [...]. Le feu sensible est, pour ainsi dire, partout présent, il illumine tout sans se mêler à rien [...]. Il brille d'un éclat total et demeure en même temps secret, restant inconnu hors d'une matière qui le manifeste. On ne peut ni supporter son éclat ni le contempler face à face, mais son pouvoir s'étend partout et, là où il apparaît, il attire tout [...]. Par cette transmutation, il se donne à quiconque l'approche si peu que ce soit : il régénère les êtres par sa chaleur vivifiante, les éclaire, mais en soi demeure pur et sans mélange. [...] Il est actif, puissant, partout invisible et présent. Négligé, il semble qu'il n'existe pas. Mais sous l'effet de ce frottement qui est comme une prière, Il apparaît brusquement, prend son essor, se communique autour de lui. On trouverait encore plus d'une propriété du feu qui s'applique, comme une image sensible, aux opérations du Principe divin". DENYS L'ARÉOPAGITE, Hiérarchie céleste, XV, 2 (PG 3, 328-329).
"De même que la lumière, qui nous montre tout, n'a pas besoin d'une autre lumière pour être vue, de même Dieu qui nous fait tout voir n'a pas besoin d'une lumière dans laquelle nous puissions le voir, car il est par essence lumière". EVAGRE LE PONTIQUE, Centurie I, 35 (éd. Frankenberg, p. 79).
"Il nous faut maintenant célébrer cette Vie perpétuelle d'où procède toute vie, et par qui tout vivant, à la mesure de sa capacité, reçoit la vie [...]. Que tu parles de vie spirituelle, rationnelle ou sensible, de celle qui nourrit et fait croître, ou de quelque vie que ce puisse être, c'est grâce à la Vie qui transcende toute vie qu'elle vit et qu'elle vivifie [...]. Car c'est trop peu de dire que cette Vie est vivante. Elle est Principe de vie, Source unique de vie. C'est elle qui parfait et différencie toute vie, et c'est à partir de toute vie qu'il convient de célébrer sa louange [...]. Donatrice de vie et plus que vie, elle mérite d'être célébrée par tous les noms que des hommes peuvent appliquer à cette Vie indicible". DENYS L'ARÉOPAGITE, Noms divins VI, 1 et 3 (PG 3, 856-857).
"Dieu est amour. Celui qui voudrait le définir serait comme un aveugle qui veut compter les grains de sable de la mer". JEAN CLIMAQUE, L'Echelle sainte, 30ème degré, 2 (6), p. 167.

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Mystère de la Trinité

Publié le par Christocentrix

 

Le mystère de Dieu : la Trinité, sa Gloire essentielle, sa Vie .

Dans un acte éternel, le Père engendre le Verbe ; le Verbe est Ia Parole que le Père prononce en se pensant lui-même "dans un éternel silence " ; il est la Pensée éternelle du Père dans laquelle le Père se voit, se contemple, avec ses Attributs divins, ses Perfections infinies. Le Père est la Suprême Intelligence qui connaît dans son Verbe le Suprême Intelligible; c'est donc par une procession d'intelligence* que le Père engendre le Verbe. Le Verbe est, si l'on veut, un Miroir où le Père contemple sa propre image ; ou plutôt, il est plus qu'un miroir, il est cette Image même : il est «le rayonnement de sa gloire, l'empreinte de sa substance » (Hebr. I, 3). Le Verbe est la parfaite Image du Père, pure, sainte et sans tache, dans laquelle le Père se reconnaît et se complaît : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances » (Mat. Ill, 17). Rien ne compte par conséquent aux yeux du Père que le Fils ; en dehors de lui, il n'y a rien qui puisse lui être agréable. Sans ce Fils qui lui est égal en tout, qui lui est « consubstantiel », Dieu comme lui, le Père n'est rien. Il n'existe comme Père, et comme Dieu, que parce qu'il engendre ce Fils, à qui il donne tout ce qu'il a et tout ce qu'il est, c'est-à-dire la Nature Divine elle-même, l'Essence* Divine, la Déité. L'Essence ou la Nature* Divine consiste donc dans ce don total que le Père fait d'elle au Fils. C'est dans le don total qu'il fait de lui-même que le Père existe en tant que Personne divine, et c'est ce qui la distingue de la Personne du Fils. Ce qui constitue une personne, c'est la tendance vers une autre, un ad aliud, un « altruisme » parfait et total ; c'est en se perdant totalement dans l'autre que la personne se trouve et se constitue : « Celui qui perdra sa vie la trouvera » (Mat. XVI, 25). Ceci suppose dans la personne un esprit de pauvreté absolu, parfait, total, un renoncement, un détachement, un dépouillement, un anéantissement de son être dans l'autre qui lui fait trouver son être propre. Ce qui constitue essentiellement une Personne divine, c'est de se donner entièrement à une autre Personne divine. Le Père est donc le Grand Pauvre par excellence, et c'est ce qui fait son infinie richesse. Réciproquement, le Verbe ou le Fils se connaît dans le Père comme engendré du Père. A son tour, il n'existe, comme Fils et comme Dieu, que parce qu'il est engendré par le Père. Le Père ne possède l'Essence Divine que parce qu'il la donne au Fils ; le Fils ne possède l'Essence Divine que parce qu'il la reçoit du Père. C'est cela qui distingue les deux Personnes. C'est la même Essence qui est donnée par l'une et reçue par l'autre. Mais, à son tour, le Fils ne peut se constituer en tant que Personne que s'il communique à l'Autre tout ce qu'il a reçu d'elle ; il ne peut que recevoir l'Essence Divine que s'il la donne à son tour ; ainsi le Père reçoit ce qu'il a donné et se "retrouve". En définitive, il se produit un échange mutuel de la Divine Essence entre le Père et le Fils ; ce don mutuel, total, parfait, constitue l'Amour réciproque du Père et du Fils. Il suppose de la part de l'un et de l'autre une volonté libre de se communiquer réciproquement ce don, un anéantissement, un dépouillement, un renoncement, un esprit de pauvreté communs au Père et au Fils, qui fait de chacun d'eux le Grand Pauvre par excellence. Aussi, cet amour mutuel qui procède d'une volonté commune de dépouillement et d'anéantissement réciproques, ne saurait-il se replier sur soi dans une sorte d'égoïsme à deux. C'est pourquoi cette volonté commune de dépouillement tend à son tour à s'anéantir en s'exprimant dans une troisième Personne divine, l'Esprit-Saint qui apparaît ainsi comme un fruit de l'Amour commun du Père et du Fils. On dit, par conséquent, que l'Esprit-Saint procède de la volonté commune d'Amour mutuel des deux autres Personnes. On dit aussi que le Père et le Fils, spirent l'Esprit-Saint. Ainsi, l'Amour mutuel du Père et du Fils n'existe qu'en s'anéantissant dans une troisième Personne, dans le don total que le Père et le Fils font de leur amour, ou de la Nature Divine, à cette troisième Personne, qui devient ainsi le lien substantiel qui unit le Père et le Fils dans l'unité d'un même Amour, une sorte de témoin, de fruit de leur amour. C'est aussi pour cela que l'Essence Divine, objet de l'échange mutuel des trois Personnes, consiste dans l'Amour : Dieu est amour (1 Jean IV, 16). A son tour l'Esprit-Saint n'existe, en tant que Personne, que s'il rend au Père et au Fils conjointement ce commun Amour dont il procède. Il y a donc un double courant d'amour : l'amour réciproque qui part du Père et du Fils et aboutit à l'Esprit, et, inversement, remonte de l'Esprit pour aboutir au Père et au Fils ; c'est ce qu'on appelle la Circumincession* des trois Personnes. C'est en cela que consiste la Vie intime de Dieu, et sa Gloire essentielle. Elle se suffit infiniment à elle-même ; Dieu vit et règne éternellement dans cette Gloire parfaite, dans un éternel silence, un bonheur infini, une paix souveraine.

Le mystère de la Divine Pauvreté et de la Divine Charité : l'anéantissment du Verbe et l'effusion de l'esprit, le Sacerdoce éternel du Verbe.

Si l'on envisage la vie divine par rapport au Père, elle consiste dans une double activité, une double opération : la génération du Verbe, qui est une procession d'intelligence, l'effusion ou spiration de l'Esprit, qui est une procession d'amour ou de volonté. La première opération constitue le mystère de la Divine Pauvreté, et la seconde le mystère de la Divine Charité ; l'une ne va pas sans l'autre. La Divine Pauvreté suppose l'Amour et la Divine Charité suppose l'Anéantissement : c'est dans l'acte de la suprême Pauvreté, qui engendre le Verbe, que le Père trouve l'Infinie Richesse de la Divine Charité, qui est la spiration ou l'effusion de l'Esprit d'Amour.

Si nous envisageons maintenant la vie divine du côté du Verbe, elle consiste également dans la réciprocité d'un altruisme parfait, total, fait d'Infinie Pauvreté et d'Infinie Charité. Insistons davantage sur ce point de vue, puisque c'est par rapport au Verbe que se situe l'Incarnation dont nous parlerons tout à l'heure.

Éternellement, le Verbe s'anéantit, se dépouille dans un acte de suprême et totale Pauvreté, et s'offre en Victime Sainte, Hostie sans tache, dans un renoncement, un détachement, une « dépossession » intégrale de son être, à ce Père qui lui communique en retour le même Don. Cet acte de Suprême Pauvreté et d'Infinie Charité devient ainsi l'Infinie Richesse dans le dépouillement, l'Infinie Possession dans la dépossession de soi, la Richesse d'une Personne Divine qui trouve son être en s'anéantissant dans l'Autre. C'est en cela que consiste ce qu'on peut appeler le Sacerdoce éternel du Verbe, dont le Sacrifice du Calvaire sera « l'Incarnation dans le temps » : au sein de la Trinité, le Verbe est Prêtre et Victime éternels : « Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui... Tu es prêtre pour toujours selon l'ordre de Melchisédech » (Hebr. V, 5-6).

L'Esprit, qui est la Charité ou l'Amour du Verbe pour le Père (comme aussi du Père pour le Verbe), se situe à la fois à l'origine et au terme de cette éternelle Immolation : pas de véritable Amour sans cet esprit de Pauvreté et de Dépossession de soi qui constitue le Sacerdoce Eternel du Verbe, et inversement, la raison de cette dépossession réside dans l'Infinie Charité qui porte le Verbe à se dépouiller entièrement de son Etre pour ce Père qui, lui aussi, engendre éternellement ce Verbe dans une même effusion d'Amour, qui n'est autre que l'Esprit.

Nous sommes ici au sommet de la Révélation. On ne comprend rien, non seulement à la Vie Divine, mais à I'Incarnation, à la Rédemption, au Péché, à la Création, à la Grâce, au Corps Mystique, à l'Eucharistie, et surtout à l'esprit de pauvreté et de charité qui constitue, si l'on vent, la base et le sommet de l'Evangile, si l'on n'a auparavant pénétré, autant qu'on le peut, le Mystère de la Divine Pauvreté et de la Divine Charité, de l'anéantissement du Verbe et de l'effusion de l'Esprit dans le Sacerdoce Eternel du Verbe.

 

 

La suprême réalisation de l'anéantissement du Verbe et de l'effusion de l'Esprit dans le mystère de l'Incarnation rédemptrice suppose la création et la chute.

La Gloire essentielle de Dieu consiste dans la vie intime des trois Personnes, dans un esprit de mutuelle et infinie Pauvreté et un élan infini d'Amour, où chaque Personne se trouve en se perdant dans les deux autres, et cette Gloire essentielle suffit infiniment et procure à Dieu un Bonheur Infini auquel on ne peut rien ajouter de l'extérieur.

Cependant, tout échange d'amour, tout acte d'amour suppose de la part de la personne une Souveraine Indépendance, une Parfaite Liberté. Si, en un certain sens, on peut dire que le Père engendre nécessairement le Verbe, sous peine de ne pas être Père, que le Père et le Fils spirent nécessairement l'Esprit sous peine de n'être ni Père, ni Fils, en un mot, si l'Essence ou la Nature divine n'est ce qu'elle est qu'à la condition de s'épanouir en trois Personnes distinctes, liées entre elles par des relations mutuelles d'amour, il n'en est pas moins vrai que cet échange d'amour procède de la part de chaque Personne d'une Souveraine et Infinie Liberté. Comment concevoir l'amour sans la liberté du don ?

Envisageant maintenant la question du côté du Verbe, on peut dire que la Gloire essentielle du Père consiste dans le don total, souverainement libre, et pourtant nécessaire, que lui fait le Verbe dans son Sacerdoce Eternel. Il y a, si l'on veut, un parfait accord entre la volonté du Père, qui désire l'anéantissement de son Verbe, en quoi consiste sa Gloire, et la libre acceptation du Verbe, qui, lui aussi, tire toute sa Gloire de celle du Père glorifié par cet anéantissement.Le verbe, en parfait accord avec le Père, n'ayant en somme qu'une volunté commune avec lui, qui est la spiration d'amour de l'Esprit, est donc infiniment libre de prouver au Père son amour et de lui procurer ainsi sa Gloire essentielle, par un acte qui, lui, n'est pas essentiel à la Gloire divine. Répétons-le : ce qui est essentiel à la Gloire du Père, c'est l'Amour du Fils ; ce qui n'est pas essentiel à la Gloire du Père, c'est la manière dont le Fils « s'arrangera » pour rendre Gloire au Père. Cette distinction est d'une importance capitale pour la suite. En d'autres termes, si le Verbe n'est pas « libre » de refuser au Père son amour, sans quoi la Trinité et Dieu n'existeraient pas, il est libre de choisir la manière dont il manifestera au Père son amour.

Pour manifester au Père son amour et lui procurer ainsi la Gloire essentielle de la Divinité, le Verbe, Prêtre et Victime éternels, a choisi l'Incarnation rédemptrice. Cette « manière » de rendre Gloire et Amour au Père étant souveraine-ment libre, elle n'est pas essentielle à la Gloire divine, laquelle, encore une fois, consiste dans l'Amour du Verbe, mais pas dans la façon dont il le manifeste. Il s'ensuit que l'Incarnation - et la Création qu'elle suppose - ne sont absolument pas nécessaires à la Gloire essentielle de la Trinité ou du Père. Elles sont dues à la souveraine liberté de l'Amour.

Examinons alors, autant que le permet notre intelligence humaine éclairée par la Révélation, quelles pouvaient bien être les conditions permettant au Verbe de réaliser le maximum d'anéantissement, le maximum de Pauvreté et de Charité susceptible de procurer le maximum de Gloire au Père ? Quel fut, si l'on veut, dans les profondeurs de la Trinité, le « rêve » d'anéantissement du Verbe et d'effusion de l'Esprit que se proposèrent de réaliser d'un commun accord le Père, le Fils et le Saint-Esprit ?

Ce rêve divin, qui est un rêve d'Amour et de Pauvreté, confond l'imagination de l'homme et heurte les préjugés de sa raison ; il faut la foi, l'espérance et la charité pour pénétrer les profondeurs du mystère, en dissiper quelque peu les ombres en attendant la clarté de la vision de Gloire qui en révélera l'immensité.

Un passage de saint Paul, admirable à la fois par la richesse de son contenu et par la concision d'une phrase capable d'exprimer en si peu de mots les réalités infinies qu'elle contient, nous indique la réalisation de ce rêve : « Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu'il fut dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; il s'est anéanti lui même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui est paru de lui ; il s'est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la Croix. C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père que Jésus-Christ est Seigneur » (Philip. II, 5-11).

Peut-on exprimer plus splendidement et plus brièvement les conditions de l'anéantissement du Verbe, le mystère de la Divine Pauvreté, source d'où le Père et le Fils tirent toute leur Gloire ?

Analysons ce passage. Pour réaliser le maximum d'anéantissement, le Verbe a voulu - suprême pauvreté - renoncer à sa condition de Dieu, en prenant la condition d'esclave. Analysons ce mot : esclave ; l'esclave est traité, dans la maison du père de famille, comme un étranger ; son maître dispose de lui, de sa vie, de sa personne comme il l'entend ; il ne s'appartient pas, il ne possède rien en propre, pas même la liberté de son activité ; il obéit à la volonté de son maître et c'est tout. Mais pour que le Verbe pût accepter semblable condition, il fallait qu'il existât d'autres êtres logés, si l'on peut dire, à la même enseigne. En d'autres termes, il fallait que Dieu créât d'autres êtres, assujettis au maximum d'esclavage, c'est-à-dire au péché, au mal.

Quel peut être pour une créature le maximum d'esclavage ? C'est de réaliser en elle ce qui fait le contraire de la Souveraine Liberté qui est en Dieu : or, la Souveraine Liberté de Dieu consiste dans cette « libération », ce détachement, cette désappropriation, cette dépossession de soi, cet anéantissement, cette pauvreté, que réalise chaque Personne Divine. Il n'y aura donc pas pire esclavage que le repliement sur soi, l'égoïsme, l'amour propre, la recherche de soi, l'esprit de possession, la volonté propre ; c'est en cela que consiste le mal, le péché sous quelque forme que ce soit.

Pour que des êtres pussent atteindre cet esclavage, il fallait que Dieu les créât libres, capables de se replier sur soi au lieu de se donner à « l'autre », capables de se perdre dans un mortel égoïsme au lieu de se trouver dans un « altruisme » salutaire et libérateur. D'où Dieu décida de créer l'homme à son image et à sa ressemblance, c'est-à-dire d'en faire une personne libre de se constituer dans un don de soi émanant d'un suprême esprit de charité, dans une totale pauvreté. Mais le « risque » que court la personne est de pouvoir refuser ce don de soi et ainsi de se perdre ; le péché est donc un refus d'amour qui rend l'être créé esclave de soi, de ses passions, du péché, du mal. L'enfer n'est que la consécration définitive d'un tel état.

C'est cette condition d'esclave, avec toutes ses misères, que le Verbe a décidé de prendre ; il a revêtu la nature humaine, le « corps du péché », il s'est chargé du « péché du monde », et, quoique innocent, il a voulu être regardé par son Père comme pécheur, comme un ver de terre vil et méprisable. Peut-on rêver un plus grand anéantissement, un plus grand esprit de pauvreté ? C'est pour cela que nous n'hésitons pas à dire que le Suprême Anéantissement du Verbe suppose la création et la chute : le Verbe ne pouvait pas s'anéantir davantage qu'en revêtant la nature humaine, c'est-à-dire « le corps du péché ».

Ayant ainsi revêtu le corps du péché, il fallait que le Verbe en acceptât les conséquences, c'est-à-dire la souffrance et la mort. Aussi s'est-il rendu obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la Croix. Cette obéissance à la Volonté du Père, dans la Suprême Pauvreté et le dénuement du Calvaire, devenait ainsi l'acte suprême d'amour de la Divine Charité ; aussi la Gloire de la Trinité, faite de la Divine Pauvreté et de la Divine Charité, est-elle la conséquence du Sacrifice du Christ :« C'est pourquoi Dieu l'a exalté... » Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech, le Verbe de Dieu, par son Sacrifice dans le temps, accomplit un des modes de son Sacerdoce Eternel. Nous ignorons s'il en existe d'autres. Ainsi, le Sacrifice de la Croix (et l'Eucharistie qui le prolonge à travers les âges) n'est que « l'incarnation dans le temps » de l'Immolation éternelle du Verbe.

 

                                                       extrait d'un traité sur la Trinité par l'Abbé Stéphane.

 

 

                                                                                  

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PROCESSION DES PERSONNES ET ATTRIBUTS DIVINS (Vladimir Lossky)

 

La théologie chrétienne ne connaît pas de divinité abstraite : Dieu ne peut être conçu en dehors des trois personnes. Si « ousia » et « hypostasis » sont presque des synonymes, c’est comme pour briser notre raison, pour nous empêcher d’objectiver l’essence divine hors des personnes et de leur « éternel mouvement d’amour » (saint Maxime le Confesseur). Un Dieu concret, puisque l’unique divinité est à la fois commune aux trois hypostases et propre à chacune d’elles : au Père comme source, au Fils comme engendré, à l’Esprit car procédant du Père.

Le terme de « monarchie » du Père est courant dans la grande théologie du IVe siècle : il signifie que la source même de la divinité est personnelle. Le Père est la divinité, mais justement parce qu’il est le Père, il la confère dans sa plénitude aux deux autres personnes : celles-ci prennent leur origine du Père, unique principe, d’où le terme de « monarchie ». La « divinité source », dit du Père Denys l’Aréopagite. C’est d’elle en effet que jaillit, en elle que s’enracine la divinité identique et non-partagée, mais différemment communiquée, du Fils et du Saint-Esprit. La notion de monarchie note donc d’un seul mot l’unité et la différence en Dieu, à partir d’un principe personnel. Le plus grand théologien de la Trinité, saint Grégoire de Nazianze, ne peut évoquer ce mystère que par de véritables poèmes, seuls capables de faire surgir un au-delà des mots. « Ils ne sont pas divisés en volonté, écrit-il, ils ne sont pas séparés en puissances », ni en aucun autre attribut. « Pour tout dire la divinité est non partagée dans les partageants. » « Dans trois soleils qui se compénétreraient, unique serait la lumière », car le Verbe et l’Esprit sont deux rayons d’un même soleil, ou « plutôt deux soleils nouveaux ».

Ainsi la Trinité est-elle le mystère initial, le Saint des Saints de la réalité divine, la vie même du Dieu caché, du Dieu vivant. Seule la poésie peut l’évoquer, justement parce qu’elle célèbre et ne prétend pas expliquer. Toute existence et toute connaissance sont postérieures à la Trinité et trouvent en elle leur fondement, La Trinité ne peut être saisie par l’Homme. C’est elle qui saisit l’homme et suscite en lui la louange. Hors de la louange et de l’adoration, hors du rapport personnel de la foi, notre langage, parlant de la Trinité, est toujours fausse. Si Grégoire le Théologien écrit des Trois qu’« ils ne sont pas divisés en volonté », c’est que nous ne pouvons dire que le Fils a été engendré par la volonté du Père : nous ne pouvons pas penser le Père sans le Fils, il est Père-avec-un-Fils, c’est ainsi de toute éternité, il n’y a pas d’acte dans la Trinité et parler même d’état impliquerait une passivité qui ne saurait convenir. « Lorsque nous visons la divinité, la cause première, la monarchie, le Un nous apparaît : et lorsque nous visons ceux en qui est la divinité et qui procèdent du principe premier en même éternité et gloire, nous adorons les Trois (saint Grégoire de Nazianze).

La monarchie du Père n’impliquerait-elle pas une certaine subordination du Fils et de l’Esprit ? Non, car un principe ne peut être parfait que s’il est le principe d’une réalité qui l’égale. Les Pères grecs parlaient volontiers du « Père-cause », mais ce n’est qu’un terme analogique dont l’usage purifiant de l’apophatisme nous permet de mesurer la déficience : dans nos expériences la cause est supérieure à l’effet : en Dieu, au contraire, la cause comme accomplissement de l’amour personnel ne peut produire des effets inférieurs : elle les veut égaux en dignité, elle est donc aussi la cause de leur égalité. En Dieu d’ailleurs, il n’y a pas extraposition de la cause et de l’effet, mais causalité à l’intérieur d’une même nature. La causalité ici ne suscite pas un effet comme dans le monde matériel, ni un effet qui se résorbe dans sa cause, comme dans les hiérarchies - ontologiques de l’Inde et du néoplatonisme, elle est seulement l’image impuissante d’une inexprimable communion. Le Père « ne serait le Principe que de choses mesquines et indignes, bien plus, il ne serait Principe que d’une façon mesquine et sans dignité, s’il n’était pas le principe de la divinité et de la bonté qu’on adore dans le Fils et le Saint-Esprit : dans l’un comme Fils et Verbe, dans l’autre comme Esprit procédant sans séparation » (saint Grégoire de Nazianze). Le Père ne serait pas une véritable personne s’il ne l’était pros, vers, entièrement tourné vers d’autres personnes, entièrement communiqué à elles qu’il rend personnes, donc égales, par l’intégralité de son amour.

La Trinité n’est donc pas le résultat d’un processus, mais une donnée primordiale. Elle n’a de principe qu’en elle, non au-dessus d’elle : rien ne lui est supérieur. L’arché, la monarchie, ne se manifeste que dans, par et pour la Trinité, dans le rapport des Trois, dans un rapport toujours ternaire, à l’exclusion de toute opposition, de toute diade.

Déjà saint Athanase affirmait que la génération du Fils est une œuvre de nature. Et saint Jean Damascène, au VIIIème siècle, distinguera l’œuvre de nature, génération et procession, et l’œuvre de volonté, qui est la création du monde. L’œuvre de nature n’est d’ailleurs pas une œuvre au sens propre, mais l’être même de Dieu : car Dieu est, par sa nature, Père, Fils et Saint-Esprit. Dieu n’a pas besoin de se révéler à lui-même, par une sorte de prise de conscience du Père dans le Fils et l’Esprit, comme l’a cru un Boulgakov. La révélation n’est pensable que par rapport à l’autre que Dieu, c’est-à-dire dans la création. Pas plus qu’il n’y a dans l’existence trinitaire le résultat d’un acte de volonté, il est impossible d’y voir le processus d’une nécessité interne.

II faut donc soigneusement distinguer de la causalité du Père qui pose les trois hypostases dans leur diversité absolue et sans qu’on puisse établir entre elles un ordre quelconque, sa révélation ou manifestation. L’Esprit, par le Fils, nous mène au Père où nous découvrons l’unité des Trois. Le Père, selon la terminologie de saint Basile, se révèle par le Fils dans l’Esprit. Ici s’affirme un processus, un ordre d’où résulte celui des trois Noms : Père, Fils et Saint-Esprit.

De même tous les Noms divins, qui nous communiquent la vie commune aux Trois, nous viennent du Père par le Fils, dans le Saint-Esprit. Le Père est la source, le Fils la manifestation, l’Esprit la force qui manifeste. Ainsi le Père est-il la source de la Sagesse, le Fils la Sagesse elle-même, l’Esprit la force qui nous approprie la Sagesse. Ou encore, le Père est la source de l’amour, le Fils amour qui se révèle, l’Esprit amour en nous réalisé. Ou, selon l’admirable formule de Mgr Philarète, le Père est l’amour crucifiant, le Fils l’amour crucifié, l’Esprit l’amour triomphant. Les Noms divins sont l’écoulement de la vie divine dont la source est le Père, que nous montre le Fils et que l’Esprit nous communique.

La théologie byzantine nomme « énergies » ces Noms divins : le mot convient particulièrement à ce rayonnement éternel de la nature divine : mieux que les attributs de la théologie scolaire, il évoque pour nous ces forces vivantes, ces jaillissements, ces débordements de la gloire divine. Car la théorie des énergies incréées est profondément biblique : la Bible évoque souvent la gloire flamboyante et tonnante qui fait connaître Dieu hors de lui-même tout en le dissimulant sous une profusion de lumière. Saint Cyrille d’Alexandrie parle de la splendeur de l’essence divine qui se manifeste. Les termes lumineux, qui n’ont rien ici de métaphorique mais expriment l’expérience de la plus haute contemplation, reviennent sans cesse pour désigner le resplendissement d’une éblouissante beauté. La gloire divine est multiforme. « Jésus a fait encore bien d’autres choses : si on les écrivait une à une, le monde entier, je crois, ne pourrait contenir les livres qu’on en écrirait » (Jn 21, 25).

De même, le monde entier ne peut contenir les noms innombrables de la gloire. Dunameis dit le Pseudo-Denys : et tantôt il parle au singulier, tantôt au pluriel. Le nombre ici n’a que faire. Ni un, ni plusieurs, mais l’infinité des Noms divins. Dieu est Sagesse, Amour, Justice..., non parce qu’il le veut, mais parce qu’il est tel. Il n’y a pas ici de mascarade : Dieu montre ce qu’il est. Nous ne pouvons connaître jusqu’au fond l’essence divine, mais nous connaissons ce rayonnement de gloire qui est vraiment Dieu : car si nous appelons essence la nature divine en tant qu’elle est transcendance inépuisable, et si nous l’appelons énergie en tant qu’elle se manifeste glorieusement, c’est toujours la même nature. « Père, glorifie-moi de cette gloire que j’avais avant que le monde ne fût » (Jn 17,5). La manifestation énergétique ne dépend donc pas de la création : elle est rayonnement de toujours, que ne conditionne nullement l’existence ou l’inexistence du monde. Certes, nous la découvrons dans la créature, car « depuis la création du monde, les œuvres (de Dieu) rendent visibles à l’intelligence ses attributs invisibles » (Rm 1, 20) : la créature est marquée du sceau de la divinité. Mais cette présence divine est une gloire permanente, éternelle, une manifestation non-contingente de l’essence, comme telle inconnaissable. C’est la lumière qui de toute éternité baigne la plénitude en soi parfaite de la vie trinitaire.

 

Extrait de Théologie dogmatique (conférences orales enregistrées. transcrites et préparées par Olivier Clément).

                                                                


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Trinité...Filioque...

Publié le par Christocentrix

Dieu Trinité dans la tradition ancienne. Des origines bibliques et patristiques à saint Thomas d'Aquin. André-Marie Ponnou-Delaffon, éditions Parole et Silence, cahiers de l'école cathédrale, 2008. 145 pages.

 

Ce livre s'adresse à ceux qui souhaitent approfondir leur connaissance du mystère trinitaire en se laissant enseigner par l'Écriture et la manière dont l'Eglise l'a interprétée. Les affirmations conciliaires et les grandes théologies complémentaires de saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin, qui ont précisé la vérité du Dieu Trinité, y sont présentées. La fin de l'ouvrage, consacrée à l'Esprit Saint, propose une réflexion plus personnelle inspirée de la théologie contemporaine. Cette traversée historique du développement du dogme trinitaire permet une appropriation des mots forgés par l'Eglise pour dire sa foi. Elle aide ainsi à mieux saisir la spécificité du Credo des chrétiens.

Un chapitre est consacré au Filioque, aux approches différentes de la Trinité par l'Eglise d'Orient et l'Eglise d'Occident, la complémentarité des approches grecques et latines.

Les Cahiers de l'Ecole Cathédrale : cette collection, dans la droite ligne des écoles cathédrales du Moyen-Age, se veut à la fois un lieu de formation enraciné dans l'Eglise et un facteur d'actualisation de l'enseignement chrétien.

                                                                     

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Sur la question du Filioque, on peut aussi se rapporter à Cyriaque Lampryllos, la Mystification Fatale, étude orthodoxe sur le Filioque, éditions l'Age d'Homme, 1987.

 

La Mystification Fatale  : Le Filioque, ajouté au Credo de Nicée par les Carolingiens et les papes germaniques a-t-il été un contresens théologique, une hérésie, ou le produit d'une immense ignorance dogmatique ? A-t-il été, au contraire, un progrès rationnel dans la connaissance de la Sainte-Trinité, comme l'ont cru les principaux théologiens catholiques et protestants ?

Un Grec de Cythère, Cyriaque Lampryllos, bien avant que le mouvement oecuménique ne pose à nouveau la question des origines patristiques du Filioque, a tenté, au XIXè siècle, de démêler les aspects dogmatiques et historiques de cette querelle.

Écrivant en français pour se faire comprendre des Européens, connaissant parfaitement les textes occidentaux et orthodoxes, Lampryllos est devenu l'un des rares liens vivants entre la tradition chrétienne, longtemps vivante dans la Gaule romaine ou dans l'Italie du Sud, et l'orthodoxie de la Grèce et de l'Asie Mineure. Faisant véritablement la genèse d'un dogme fondateur de la pensée occidentale - le Filioque - Lampryllos devance aussi certaines des recherches historiques de notre siècle.

Ce livre oublié, publié à un tout petit nombre d'exemplaires à Athènes en 1892, réédité avec une introduction et la traduction française des textes latins et grecs cités par l'auteur, aidera à la compréhension de cette difficile question théologique, toujours d'actualité.

 

                                                                                                       

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