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courir le monde (Abel Bonnard)

Publié le par Christocentrix

..."Quand on commence à courir le monde, on aime d'abord les paysages les plus dis­tincts, les mieux définis, ceux qui attendent l'étranger pour lui débiter leur éloquente tirade. C'est ensuite qu'on préfère à tous ces arrangements l'espace, plus beau que les choses. Des plaines sans orgueil, des terres pauvres et silencieuses manifestent peut-­être mieux l'âme universelle que ces pay­sages enfermés dans la rigueur de leurs lignes. Une touffe d'herbes frissonne, une pâle fleur s'étonne de contempler l'infini, au loin passent des deuils de pluie, de faibles et divins sourires de lumière. L'âme ne s'en­nuie pas de ces étendues, elle a de quoi les remplir. Où ne poussent pas les plantes utiles, marchent à pas lents les désirs, les regrets, les songes"...

extrait de "Au Maroc" par Abel Bonnard (1927).

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regardons un âge finir (Abel Bonnard)

Publié le par Christocentrix

"...élevons-nous encore un peu, regardons un âge finir. Une laideur uniforme s'étend sur toute la terre. La fête de la vie s'éteint et ce changement s'opère avec une rapidité dont on est saisi. Il me souvient d'avoir, enfant, regardé avec consternation, à la campagne, une fille de cuisine plumer un faisan. Empoignant sans égards l'oiseau magnifique, où je voyais comme un abrégé de tout l'automne, elle arrachait à pleines mains les plumes merveilleuses, et la peau nue qui apparaissait à leur place avait quelque chose de pauvre et de presque obscène dont j'étais gêné. Ainsi s'en va, maintenant, la beauté du monde. La couleur d'une veste ou d'une ceinture, l'éclat d'un bijou, tout ce qui était pour une race, une tribu ou un homme une façon brave et naïve de s'annoncer, de parader au soleil, tout cela aura bientôt disparu. Naguère encore, dans l'Asie entière, le moindre ustensile relevait de l'art. Au Japon, en Chine, les fleurs de la pivoine, les ailes ouvertes du papillon riaient sur le bol des plus pauvres gens. La morne produc­tion des fabriques a tout supprimé. Les objets morts de l'industrie ont partout remplacé les objets vivants des arts. Partout où cette industrie s'établit, elle change les conditions de la vie; elle en a créé, au Japon, qu'on n'y avait jamais connues, et qui altèrent profondément les fortes et délicates vertus de l'âme japonaise. La fumée de l'usine aveugle de son bandeau les yeux qu'ex­tasiait la candeur de la première neige. En même temps que l'art manque à l'homme, la nature, elle aussi, recule. Les cerisiers, les pruniers, qui poussaient leurs branches fleuries jusque dans la porte ouverte des chaumières s'éloignent des faubourgs impurs. Les augustes cérémonies où se conservait pompeusement l'âme d'une race, privées de l'esprit qui les soutenait, pâlissent et meurent. On voit s'effacer, derrière les peuples, la perspective profonde et dorée de leurs légendes et de leurs croyances, qui était, pour chacun d'eux, comme sa façon particulière de rejoindre l'infini. La campagne et la maison se dépeuplent de leurs habitants divins, les uns secourables, les autres effrayants, mais ceux-là mêmes comme apprivoisés par un long compagnonnage avec leurs dévots et laissant une familiarité presque espiègle se jouer autour de leurs figures terribles. Dans un monde déshérité où il ne relève désormais que de ses besoins, l'homme n'ajoute plus de rêve à ses jours. Cette immense décoloration annonce la fin d'une époque. Ce qui se perd, c'est tout ce que l'homme avait acquis, conquis sur soi-même, tout ce qui était hiérarchie, moeurs, discipline, et il ne reste, à la place, que la monotonie des appétits. A vrai dire, certains caractères distinctifs ne s'effacent pas, la nature les a trop profondément empreints dans les races. Ce ne sont point les différences qui disparaissent, mais la variété, c'est-à-dire l'expression pacifique, esthétique, heureuse de ces différences; elles ne résistent que dans ce qu'elles ont de rude et d'ingrat. La terre était plus spacieuse autrefois, plusieurs civilisations y tenaient à l'aise : Louis XIV, sur son trône, ne gênait pas Kang-Hi sur le sien. Les empires se comparaient, chaque orgueil avait pour limite une politesse. Des communications plus rapides ont abrégé toutes les distances, mais on n'a jamais si bien vu que certains facteurs, quel que puisse être leur pou­voir de destruction, sont incapables de rien sus­citer, dans l'ordre qui les dépasse. Ces enchevêtrements d'intérêts, dont on attendait paresseusement tant de résultats pour les moeurs, n'ont réussi qu'à faire des ennemis plus voisins. Le monde s'unifie, il ne s'unit pas. Sous une laideur également partagée, les peuples sont plus défiants et plus jaloux que jamais, mais, à présent, chacun ne défend qu'une âme sans trésors et sans parures. Devant ces ravages, le coeur désolé se rejette vers tout ce qui va périr. On voudrait ressaisir, retenir dans ce qu'elle a encore de vivant cette vieille Asie merveilleuse, où les conquérants se faisaient dire des vers, où tous les princes aimaient les jardins, où s'élevait, comme un jet d'eau, le babil ravissant de la Perse conteuse. Le grand charme de l'Asie, c'est que nul homme n'y vit séparé. Quelque chose de la plus haute spéculation des Sages descend jusque dans l'hé­bétude du rêveur infime accroupi au bas du ciel bleu. Comme, dans une forêt, une branche plus haute semble faire un geste pour tous les arbres, de même un acte quelconque y parle soudain pour toute une race. Chez nous, au contraire, l'homme médiocre est arrogamment soi-même et n'est que cela. Qu'on le transporte là-bas, son infériorité s'y accuse encore. Montrant souvent d'autant plus de hauteur aux indigènes qu'il était plus enragé d'égalité, tant qu'il avait à craindre d'être soumis lui-même à des supérieurs, bruyant, grossier, incongru, dans un monde où tout est réserve, allusion et finesse, il n'y apparaît que comme le parvenu de la puissance. Mais on se ferait de ces grandes oppositions une idée insuffisante si on ne les envisageait que sous ces espèces. Pour bien se les représenter, il faut rendre au génie occidental toute sa stature. L'Asie est simple et rattachée jusqu'à sa base à ce qu'elle a produit de plus élevé. Aujourd'hui, l'Europe est double, c'est-à-dire que, dans ce qu'elle a d'hommes ordinaires, elle ignore ou renie ses supérieurs. Ceux-ci ne sont plus que des souverains solitaires. Pour dignement la connaître, il faut pourtant remonter jusqu'à eux. L'Asie ne séduit par sa façon de tout embrasser sans rien définir, de mêler sans cesse la pensée au rêve et de garder la sagesse, en nous laissant la méthode. Mais c'est en Occident seulement que l'homme a osé entreprendre, de ses richesses spirituelles, l'inventaire courageux qui devait le laisser plus pauvre, et comme l'ardeur d'apprendre n'est que l'expression épurée du besoin de conquérir, ainsi l'esprit critique, rigoureusement entendu, est un véritable héroïsme intellectuel, en comparaison duquel la bravoure naïve d'un guerrier fait pres­que sourire. Sans doute, il est impossible de n'avoir pas honte des ravages que fait en Asie l'esprit moyen de l'Europe, encore faut-il se souvenir que l'Europe aussi, dans le même temps, suscite, parmi ses fils, ceux qui, par leur étude ou leur amour, nous rendent sa rivale toujours plus présente : de sorte qu'au moment même où elle risque de manquer au voyageur, elle se recompose en nous, cette Asie où les capi­tales veuves ramènent sur elles un pan de désert, où ce ne sont pas seulement les fleuves, mais les sentiments de l'homme qui ont eu un cours plus vaste qu'ailleurs et plus libre, où là cruauté s'est portée à des excès inouïs, où la compassion, moins étroite que chez nous, abrite tout ce qui vit et jusqu'à l'existence condamnée des pierres, où l'art, bien plus voluptueux que le nôtre, sait aussi accompagner l'âme bien plus haut, jusqu'aux retraites du dédain, jusqu'aux sommets du renoncement. Asie, aïeule enfantine, plus crédule que nous, puisqu'elle s'enchante de contes, moins crédule aussi, puisque, perçant d'un regard les grossières illusions auxquelles nous sommes adonnés, elle nous apprend à n'être plus les dupes de rien, pas même de nous. Il n'est pas aujourd'hui d'esprit élevé qu'elle n'atteigne. Au moment même où nous attaquions sa base, elle investissait nos sommets : au mo­ment où le matérialisme moderne envahissait son domaine, elle s'emparait, en Europe, de tous ceux que ce matérialisme comblait de dégoût. Tout lui est contraire au bas de nos hiérarchies, tout lui devient ami à leur faîte. Peut-être la revanche qu'elle prend ainsi a-t-elle quelque chose de mé­lancolique et de vain. Il n'en faut pas moins tenir présents tous ces échanges, et se figurer, en les mettant chacun à son plan, ces mouvements divers et opposés, si l'on veut se faire de notre temps une idée qui ne lui soit pas inégale. En bas, pour la multitude des hommes, la poésie du monde se dissipe et s'évanouit : en haut, elle se rassemble. Les Taoïstes, autrefois, en Chine, suspendaient aux branches des arbres, quand le soir tombait, des miroirs de bronze, pour que s'y condensât l'eau toute pure, la rosée nocturne : ainsi, main­tenant, quelques âmes recueillent et sauvent le sublime épars..."

extrait de "En Chine" par Abel Bonnard (1924)

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Un Moine-Soldat, André de Montpeyroux

Publié le par Christocentrix

André de Montpeyroux : "L'espérance et la Foi, L'honneur et la Vérité refusent le pluriel ; la Parole donnée aussi ! ".

https://p5.storage.canalblog.com/58/39/702570/126335303.pdf

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le Christ et le larron (fin)

Publié le par Christocentrix

Le témoignage du larron
Lors de son procès, personne n'a défendu Jésus ; aucun disciple, ni personne ne s'est levé pour plaider en sa faveur. Seuls des faux témoins se sont présentés pour déverser leurs mensonges. Jésus lui-même ne s'est pas défendu. Sur la croix, il ne se défend toujours pas, ne répond pas. Alors, le larron prend la parole, après avoir entendu le blasphème sur l'autre croix. Il est le premier à témoigner en faveur de Jésus. Le procès est clos, mais peu importe, il n'est jamais trop tard pour dire la vérité : « Celui-ci n'a rien fait de mal ! »
Comment le larron sait-il cela du Christ ? Serait-il un de ses disciples ? Il parle en tout cas comme auraient dû parler les disciples, mais comme aucun n'a osé le faire, par peur de la mort. Lui, le larron, n'a pas peur ; il est libre ; il témoigne !
Satan a fait tomber Pierre, en le faisant renier. Il a fait blasphémer le malfaiteur, mais il ne parvient pas à faire tomber le bon larron. Si quelque servante avait posé au larron les questions auxquelles Pierre a répondu « non », il aurait répondu « oui » : oui, je connais cet homme ; il n'a rien fait de mal...
Ce premier vrai témoignage, c'est du baume sur le coeur du Christ. Enfin quelqu'un qui dit la vérité...
D'où vient que ce larron dise la vérité sur Jésus alors que, la veille encore, il ne le connaissait pas ? Comment sait-il que Jésus n'a rien fait de mal ? Il le sait par une conviction intérieure que seul l'Esprit Saint peut lui donner. Le larron confesse ici sa foi de néophyte : « je crois qu'il n'a rien fait de mal ».

Le sermon du larron
Non seulement le larron témoigne, mais encore il prêche, il évangélise. Il « reprend » le blasphémateur, nous dit Luc. Voilà que le larron fait des reproches à un malfaiteur, pour lui faire prendre conscience de son erreur sur Jésus, de son blasphème, et pour l'inviter à la crainte de Dieu. C'est là, en quelques mots, un vrai sermon pour conduire à la repentance dans la crainte de Dieu. Les malfaiteurs n'ont peur de personne, c'est bien connu ! Ils se moquent de la crainte, certes, mais devant Dieu ne serait-il pas bon de connaître la crainte ?

La justice des hommes nous a condamnés au supplice de la croix, et c'est justice, nos méfaits le méritent bien, dit le larron. Mais qu'en sera-t-il de la justice de Dieu à l'heure de son verdict ? Pour le moment, Jésus intercède et demande pour nous le pardon. Tais-toi ! Le Père va peut-être répondre à sa prière et donner son verdict ? Fais silence ! L'heure de notre mort approche ! Nous allons bientôt comparaître devant Dieu ! Ne crains-tu pas Dieu ?
Nous n'avons pas la réaction de l'autre malfaiteur à cette prédication. Luc nous laisse devant son silence. Dans ce silence il va entendre le bon larron se tourner vers le Christ pour lui adresser une prière. Il va aussi entendre la réponse du Christ. Il va assister, en silence, à la mort du Christ... Ce silence est son secret avec Dieu. Il ne nous appartient pas de percer ce secret. Nous ne savons qu'une chose, c'est que le Fils intercède pour lui auprès du Père : « Père, pardonne-lui, car il ne sait pas ce qu'il a fait ».
 

La prière du larron
« Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton royaume »: peut-être est-ce la toute première fois que le bon larron se met à prier ? C'est aussi la dernière, unique et superbe prière que tant d'hommes et de femmes dans l'Eglise adopteront pour la prier à leur tour. Cette prière toute simple est la dernière parole du larron : il mourra en prière, porté par la promesse que lui a faite Jésus en retour. Unique et superbe prière qui déjà reçoit son exaucement dans la réponse de Jésus.
C'est avec tout le poids d'une existence de malfaiteur que le larron s'adresse à Jésus. Il ne met rien de sa vie en avant, aucune bonne oeuvre, aucun mérite ; il ne cherche même pas ce qui dans ses années passées aurait pu plaire à Dieu. Il se livre au Christ tel qu'il est aujourd'hui sur sa croix, à l'heure de sa mort ; il se livre à la grâce seule : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne ».


Le vocatif : « Jésus »
Le premier mot que le larron prononce dans cette prière est le nom même de Jésus. Dans tout le reste de l'Evangile de Luc, ceux qui s'adressent au Christ en prononçant son nom au vocatif, ajoutent toujours un titre en signe de respect. Le larron sent le Christ si proche de lui qu'il s'adresse à lui avec la plus grande simplicité : « Jésus ». C'est la simplicité de ceux qui partagent le même sort, la même peine, le même supplice... Mais le larron ne manque pas de respect pour autant. Il sait bien en lui parlant de son « règne » qu'il s'adresse à un roi. Le nom propre que prononce le larron est celui d'un roi. L'absence de titre souligne la grandeur de ce nom. Aucun titre n'est assez grand pour l'adjoindre à ce nom qui à lui seul dit tout : « Jésus ».
Le larron se souvient-il que « Jésus » signifie « Dieu sauve » ? S'il ne s'en souvient pas, sa demande est pleine de cette réalité, car c'est rien de moins que le salut qu'il demande à Jésus. Les chefs, les soldats se sont moqués du nom de Jésus en disant: « sauve-toi toi-même ». Le larron est le seul à dire en vérité ce pour quoi Jésus s'appelle Jésus. Il n'aurait dit que ce seul mot, sa prière gardait tout sa pertinence : « Jésus ».

Durant toute la Passion, personne ne s'est adressé à Jésus en l'appelant par son nom. Personne ne l'a honoré en l'appelant par son nom. Le larron est le premier à le faire et ce sera le dernier. C'est là encore comme un baume répandu sur les plaies du Christ : quelqu'un à côté de lui l'appelle par son nom : « Jésus ».
Le ciel et la terre attendaient cette prière pour se prosterner. Le cosmos entier pour se mettre à genoux attendait que quelqu'un prononce le nom qui est au-dessus de tout nom, comme le chante l'apôtre. (Ph 2.9)
Lorsque le larron prononce sur la croix le nom de Jésus, le ciel se prosterne, l'enfer s'arrête de blasphémer et se met à trembler, la terre cesse de déverser ses moqueries et se tait. Le cosmos fait soudain silence. Il n'y a plus que le larron qui se met à dire, à genoux dans son coeur :« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne ».
Dans sa prière, le larron n'a pas dit « abba » ; il a seulement dit « Jésus », mais à ce seul nom le coeur blessé du Père trouve sa consolation. Bienheureux larron à qui l'Esprit consolateur a donné de trouver le mot qui monte vers le Père comme un parfum d'une infinie douceur.

« Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne »
Prière étonnante que celle du larron. Celui-ci est en train de mourir, mais il ne demande rien pour l'heure présente de son agonie, rien pour l'aider à franchir le seuil redoutable de la mort. Ce n'est pas la peine. Il sait qu'il va mourir à côté du Roi, avec lui. Cela suffit. Il ne peut pas espérer plus belle mort qu'une mort partagée avec celle du Roi. Dans sa prière, le larron se situe déjà au-delà de la mort, lorsque le Roi entrera dans son royaume. Déjà dans sa prière le larron a dépassé la mort.
Peut-être que plus tard, lorsque le Roi sera pris par les affaires de son royaume, il oubliera ce pauvre larron, son compagnon d'infortune. Le larron sait bien qu'à l'heure de la gloire on oublie vite les moments de disgrâce. C'est pourquoi il juge important de prononcer maintenant cette prière.
« Souviens-toi de moi » : le larron ne demande rien de plus, sans préciser comment il voudrait que se concrétise ce souvenir. Souviens toi de moi en me faisant siéger à ta droite ou à ta gauche, ont osé demandé certains ! Le larron n'espère même pas ce que des disciples ont pu rêver ! Il n'est qu'un malfaiteur et non un proche. C'est déjà beaucoup pour un malfaiteur de demander ce qu'il demande ; il n'ose pas demander plus : « Jésus, souviens-toi de moi... ». Le larron laisse au Roi le soin d'exercer sa grâce comme il l'entend !
Dit-il « Souviens-toi que j'ai prononcé ton nom sans me moquer ! Souviens-toi que j'ai fait taire un blasphémateur?.. Le larron ne met absolument rien en avant de ce qu'il a pu faire en faveur de Jésus ; il s'en remet totalement à la grâce du Roi. Jean Baptiste était indigne de délier la courroie des sandales du Christ, le larron sait bien qu'il est indigne d'être crucifié à côté du Roi. Il sait bien qu'il est indigne de s'adresser au Roi, mais l'amour qu'il a découvert en Jésus crucifié l'invite à oser. L'amour dont est rempli le Christ libère la prière du larron, le rend digne et lui permet d'espérer : Jésus, toi qui pries pour tes ennemis, je suis indigne d'être autre chose que ton ennemi, mais dans ta bonté, ne m'oublie pas.

La foi du larron
« Quand tu viendras » : parler au futur à l'heure de la mort est le fait d'une foi magnifique. Le larron est animé d'une telle foi. Son regard dépasse déjà la mort. Le larron ne nie pas la mort ; il la dépasse, parce qu'il meurt avec Jésus.
Pour le larron, le futur au-delà de la mort se résume en une seule chose : la venue de Jésus. L'au-delà se concentre sur Christ seul et sa venue dernière. Dans cette prière, le larron confesse non pas la première venue du Christ sur la terre, mais sa venue dernière, sa venue dans son royaume. Le verbe « venir » est le verbe par excellence lié à l'attente messianique. Les prophètes ont annoncé cette venue. Jean Baptiste a été le dernier à l'annoncer. La foi du larron est la foi de tout Israël et la foi de l'Eglise, réunies dans la venue dernière.
« Sauve-toi toi-même et nous aussi », disait en se moquant le malfaiteur. Le bon larron, même sans se moquer, ne demande rien de cela. Il n'espère pas être épargné de la mort et descendre de la croix. Il se prépare à mourir, et, dans la prière, s'en remet à celui-là seul qui tient en main le mystère de l'au-delà. Il accepte sa mort parce qu'elle est juste aux yeux des hommes, et il s'en remet à la justice de Jésus.
C'est au Roi que le larron s'adresse, c'est-à-dire à quelqu'un qui exerce la justice. Toi qui es Roi, tu seras donc mon juge, quand tu viendras dans ton royaume. Tu es Roi comme je suis malfaiteur. Les hommes m'ont condamné à mort et je l'accepte. Ceux qui m'ont condamné ont écrit sur la croix que tu es Roi et je crois que tu l'es. Je voudrais donc comparaître devant ton tribunal quand tu viendras dans ton royaume. Je remets mon jugement entre tes mains ; j'accepterai ton verdict quel qu'il soit ; j'ai tellement confiance en toi, toi que j'ai vu demander à ton Père de pardonner à tous tes bourreaux. Je m'en remets à ta grâce...
Ami lecteur, s'il t'arrive d'accompagner un mourant, aie l'audace de prier avec lui en regardant au-delà de la mort, même si le mourant ne vaut guère mieux qu'un larron ! Aie l'audace de croire que le Christ est présent et qu'il reçoit la prière de ceux qui se tournent vers lui, qui meurent avec lui, en lui.
Le larron sur la croix nous apprend à prier : point n'est besoin de prière longue et compliquée pour se tourner vers le Christ. Point n'est besoin de titres ronflants et de superlatifs : il suffit d'une prière toute simple, avec les mots de tous les jours et une foi inébranlable.
Le larron sur la croix nous apprend à mourir en priant, le coeur tourné vers le Christ silencieux. Car le Christ fait silence lorsque le larron s'adresse à lui. Son silence est toujours celui de l'écoute, lorsqu'un être, fut-il larron, s'adresse à lui en prononçant son nom avec confiance : « Jésus ».

Le Christ désaltéré
Au moment de l'agonie de Jésus, et au milieu des insultes, quelqu'un s'est approché de lui en lui proposant du vinaigre : nouvelle moquerie qui accentue la souffrance du crucifié (cf. Ps 69.22 : quand j'avais soif ils m'ont donné du vinaigre).
Luc ne dit rien de la soif de Jésus sur la croix, parce qu'il considère qu'il a trouvé dans le larron ce qui le désaltère : cette prière dite avec amour et confiance est plus qu'un verre d'eau. Elle coule du coeur du larron comme une source à laquelle Jésus se désaltère. Oui, cela lui est donné par le Père ; il n'est pas abandonné...

La réponse du Christ
Jusqu'à présent sur la croix, Jésus n'a répondu à personne. Mais cette fois, il répond. Miracle pour le larron qui a osé s'adresser au Roi, le Roi lui répond ! Et le fait est que la réponse de Jésus est une réponse de roi, dite avec l'autorité d'un roi. « En vérité, je te le dis » : une parole introduite ainsi sonne comme un décret. Dans la bouche du Roi, c'est un serment royal.
Jésus ne tarde pas à répondre ; il répond tout de suite, avant que la mort fasse son oeuvre, pour que le larron soit porté à travers la mort par cette réponse. La réponse de Jésus ne nie pas la mort, elle la dépasse.
Jésus ne peut bien sûr pas oublier celui qui lui a donné à boire alors qu'il avait soif. C'est sur l'amour de petits gestes et de petites paroles que portera son jugement quand il sera sur son trône (cf. Mt 25.31s). J'avais soif d'amour, soif de la confiance d'un proche, tu as su par ta prière désaltérer ma soif : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ».
Devant un coeur qui s'est ouvert à lui, Jésus ouvre la porte du paradis. Il est plus facile d'ouvrir la porte du paradis que d'ouvrir la porte du coeur de ceux qui blasphèment. Toi, qui m'ouvres ton coeur, voici j'ouvre devant toi une porte que personne ne pourra fermer (Ap 3.8).
Au baptême, le ciel s'est ouvert devant l'humilité du Christ en prière ; maintenant le paradis s'ouvre devant l'humble prière d'un larron. La mort n'est pas contournée, elle est mise en brèche et dans cette brèche Jésus ouvre une porte sur le paradis.

« Aujourd'hui »
Ce mot est à prendre à la lettre. C'est l'aujourd'hui de la mort du larron, l'aujourd'hui que vit cet homme dans toute sa réalité. Mais c'est aussi un aujourd'hui éternel, l'aujourd'hui de Dieu, qui n'a ni soir ni matin. Dans la réponse de Jésus se rejoignent l'aujourd'hui des hommes et l'aujourd'hui de Dieu. Aussi mystérieux que cela puisse être Jésus va, le même jour, descendre en enfer et entrer dans le paradis. Il va descendre en enfer avec celui qui a blasphémé et entrer dans le paradis avec celui qui a prié avec confiance. Ainsi accompagne-t-il chacun dans la mort, comme lui seul sait accompagner un mourant. Il meurt avec chacun.
Dans sa réponse, Jésus met au présent ce qui dans la bouche du larron est au futur. C'est aujourd'hui même, lui dit-il, que j'entre dans mon royaume. Je suis roi, en effet, un roi crucifié, bafoué, blasphémé, mais un roi tout de même et c'est avec mon autorité royale que je te dis : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. Aussi vrai que tu es aujourd'hui avec moi sur la croix, tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis ».

Alors il y eut des ténèbres sur toute la terre
Avec les ténèbres, c'est Satan qui s'approche. La puissance de Satan (Ac 26.18), c'est la puissance des ténèbres. Jésus savait que cette heure allait être redoutable et l'a annoncée la veille à ceux qui venaient l'arrêter: « C'est ici votre heure et la puissance des ténèbres » (Lc 22.53).
Redoutables ténèbres, où tout peut basculer de la foi naissante du larron. Redoutables ténèbres qui vont s'installer pendant trois heures ! Le soleil se voile la face. La nuit soudaine en plein midi impose silence. Les moqueurs se taisent ; les insultes cessent. Il y a dans ce silence comme un apaisement dans le vacarme. Mais pour le larron, c'est aussi de redoutables ténèbres, car il ne voit plus Jésus. Et le silence est aussi celui de Dieu ! Il ne reste plus que la foi dans toute sa fragilité, assaillie par la puissance des ténèbres. Croire et ne plus voir. Croire et ne plus entendre. Croire seulement...
En même temps que les ténèbres, la mort approche. Il va falloir mourir dans la nuit, mourir dans le silence de toute la terre, dans le silence de Dieu...
La mort approche, mais Jésus et le larron sont encore côte à côte. Ils vont mourir ensemble, en silence. Jésus est porté par la prière du larron qui résonne encore dans son coeur. Le larron est porté par la réponse de Jésus qui résonne encore dans son coeur. Tous deux sont enveloppés de ténèbres. Que fait Dieu dans ces ténèbres silencieuses ?
Le silence est si grand qu'il est possible d'entendre un bruit inattendu, surprenant ! Le larron a pourtant bien entendu : le voile du Temple a été déchiré... Nul doute qu'il y a dans cette déchirure un geste de deuil. Quelqu'un dit dans ce geste sa souffrance devant la mort d'un proche. Personne d'autre ne déchire son vêtement ! Qui donc est là, seul, en deuil dans les ténèbres ?
Alors Jésus élève la voix pour être sûr que le larron entende ; il élève la voix pour l'éclairer sur cette présence et sur l'identité de l'endeuillé : « Père ! »

La dernière prière de Jésus
« Père, entre tes mains je remets mon Esprit » : ce que le larron entend là dans la bouche de Jésus est presque un psaume ; mais le larron ne le sait peut-être pas. Le psalmiste a dit aussi à Dieu « entre tes mains je remets mon esprit » (Ps 31.6), mais sans jamais appeler « Père » celui auquel il s'adresse. Il l'appelle seulement « Seigneur » (31.2,6,10,15,18). Avec Jésus cette prière est autre, d'une autre profondeur. Le larron entend ici le Fils prier le Père.
« Père, entre tes mains je remets mon Esprit » : cette prière du Christ, son ultime prière, est un moment d'une grande intensité trinitaire, d'un amour qui dépasse tout amour : le Fils remet l'Esprit au Père...
Au baptême le Père a remis l'Esprit au Fils dans une phrase d'une grande profondeur d'amour intime : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi j'ai mis toute mon affection ». Maintenant le Fils remet l'Esprit au Père, il « expire » ainsi dans une prière d'une égale profondeur d'amour.
Pendant que Jésus priait au baptême, le ciel s'ouvrit. Maintenant qu'il prie sur la croix, le paradis s'ouvre. Satan vaincu n'a pu briser la communion d'amour trinitaire ; le larron lui échappe et va suivre le Christ...
Par sa dernière prière, le Christ enseigne au larron comment mourir et par cet enseignement il l'accompagne encore dans la mort. On peut mourir en remettant librement son esprit à Dieu. Pour le larron c'est une découverte, la découverte d'un chemin de liberté. La mort ne prend rien. Le larron peut librement donner à Dieu son esprit : suprême liberté qui dépossède la mort de son emprise.


La mort du Christ
Des trois crucifiés, Jésus est le premier à mourir, comme nous le fait comprendre Jean (19.32-33). Le larron est donc là présent, encore vivant pour accompagner en silence la mort du Roi : indicible moment pour le larron ; intense moment...
Alors, « tous ceux qui assistaient en foule à cette scène, ayant vu ce qui était arrivé, s'en retournèrent en se frappant la poitrine ». Le Golgotha se vide. Pour le larron, la solitude grandit ! Cependant, il lui reste une parole à laquelle se raccrocher encore. La promesse que Jésus lui a faite ne peut que le rassurer. Le larron ne se sent pas abandonné : il sait que le Roi est parti le premier pour aller lui préparer une place dans son royaume (cf. Jn 14.2).
Il ne se sent pas abandonné par Dieu : il sait que le Père est là, le vêtement déchiré, pour écouter sa prière, prêt à recueillir son esprit quand viendra le moment de le lui remettre.
Il ne se sent pas abandonné par l'Esprit Saint : juste après la mort de Jésus, le larron entend au pied de la croix un homme dire ces simples mots « certainement, cet homme était juste » (v 47). Cette parole rejoint tellement ce que pense le larron ! Cette confession du centenier jette du baume sur le coeur du larron. Seul l'Esprit Saint peut faire dire cela à un soldat...


La mort du larron
Tous ceux qui étaient là sur le Golgotha s'en retournèrent donc en se frappant la poitrine... Personne ne va assister à la mort du larron.
Les quelques femmes qui se trouvaient au loin gardent le silence et partent finalement. Quelqu'un est revenu, avant la tombée de la nuit. Constatant que le larron n'était pas encore mort, il lui a brisé les jambes, puis il est reparti...
Personne n'était là pour la mort du larron. Il meurt dans le secret de Dieu....
Nul ne sait s'il a prié. Nul ne sait s'il a remis son esprit entre les mains du Père. Nul ne sait s'il s'est écrié « Abba » ou « Jésus » dans son dernier souffle. Nul ne le sait, sinon Dieu...
Il nous reste seulement cette merveilleuse parole que le Fils lui a laissée en viatique pour le conduire auprès du Père : « Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis ».

                                                                    

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L'auteur de cette méditation : Daniel Bourguet, est un pasteur de l'Eglise réformée de France. Le texte est extrait du titre "Des ténèbres à la lumière", dans lequel se trouve aussi un commentaire très inspiré du psaume 88, psaume de la descente aux enfers. Ce livre est édité par les éditions Olivétan, qui édite aussi d'autres titres de Daniel Bourguet. Voir ici : http://www.editions-olivetan.com/index.chtml
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  ou ici pour la liste de ses ouvrages : www.xl6.com/auteurs/daniel_bourguet.php

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le Christ et le larron (suite 2)

Publié le par Christocentrix

Sur son chemin de conversion, le larron silencieux voit s'abattre sur Jésus des vagues redoutables de violence, des flots de violence verbale, qui vont mugir en crescendo contre Jésus. Luc décrit ce crescendo avec précision.
Les premiers à prendre la parole contre le Christ sont les chefs, qui ricanent. Ce verbe « ricaner » (au sens premier : « chasser l'air de ses narines ») exprime la dérision dont Jésus est l'objet.
Après ces ricanements viennent des moqueries plus cinglantes, dans la bouche des soldats. Le verbe choisi par Luc pour « se moquer », signifie plus précisément « traiter d'enfant », ce qui est franchement méchant quand cela concerne quelqu'un qui vient de prier son Père. Traiter d'enfant un adulte qui vient de dire « papa », c'est le blesser profondément.
La troisième vague de violence vient du supplicié qui, d'après Luc, « blasphème ». Les paroles du malfaiteur sont en gros les mêmes que celles des soldats, qualifiées elles de moqueries. Pourquoi maintenant le choix du verbe « blasphémer », sous la plume de l'évangéliste ? Un blasphème est une injure adressée à Dieu. Si le malfaiteur « blasphème Jésus » , comme dit Luc, c'est donc que Jésus est ici touché dans sa divinité, au plus profond du mystère de son être. Avec le blasphème du malfaiteur, le crescendo de la violence arrive à son sommet.

Ce crescendo est accentué encore par une proximité grandissante par rapport à Jésus. D'abord les ricanements viennent des chefs, situés à une certaine distance de Jésus. Les soldats, ensuite, se tiennent plus près de la croix, dans la mesure où ils « s'approchèrent », comme le précise Luc (v 36). La proximité est plus grande aussi dans le fait que les soldats ne s'en tiennent pas à la troisième personne utilisée par les chefs (« qu'il se sauve lui-même ») et passent à la deuxième, ce qui touche forcément Jésus de plus près : « sauve-toi toi-même »). Le blasphémateur enfin est encore plus proche de Jésus, sur la croix d'à côté ; lui aussi parle à Jésus en le tutoyant.
A ces déversements de violence verbale s'ajoutent des gestes dont la violence est encore manifeste. D'abord il est question de partager les dépouilles de l'agonisant, comme un héritage dont on prend possession avant même que la mort soit passée par là. Ensuite, vient le vinaigre, proposé comme une moquerie de plus envers celui que l'agonie assoiffe...

L'intervention du bon larron
Ces vagues de violences convergent vers le Christ et vers lui seul. Le larron n'est en rien concerné par cela ; il est seulement témoin, comme il est également témoin de l'absence de réactions de Jésus à cette violence. Qu'aurait-il fait, lui, le larron, s'il avait reçu tant de violence ? Il aurait réagi par la violence, bien sûr, comme fait tout malfaiteur qui se respecte !
Devant l'absence de réaction de la part de Jésus, le larron se permet d'intervenir. Il le fait après la troisième vague de violence, celle de l'autre malfaiteur. Il réagit pour prendre la défense de Jésus, pour cet innocent que tout le monde accable et qui ne se défend pas. Ce qui fait réagir le larron à ce moment-là, c'est de voir un malfaiteur faire chorus avec des chefs et des soldats ! Entre compagnons de supplice on se respecte ; entre crucifiés on se soutient ; on fait front commun contre les bourreaux ! Comment se peut-il qu'un malfaiteur abonde dans le sens des chefs et des soldats ? Devant cette énormité, le bon larron réagit et réprimande le traître pour le faire taire, mais d'une manière qui va au-delà d'une simple solidarité entre compagnons de misère.
« Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation que lui ? » : qui donc désigne ce « lui » dans la bouche du larron ? Jésus ou bien Dieu ? Tout ce que dit le larron s'applique aussi bien à Jésus qu'à Dieu. La communion entre le Fils et le Père est telle que pour le larron ils ne font qu'un. Oui, ce que dit le malfaiteur est un vrai blasphème contre Jésus, contre Dieu, car ce Jésus en croix est le Fils de Dieu...
Jusqu'où va la communion d'amour entre Jésus et Dieu, entre le Père et le Fils ? Le mystère est trop grand pour le larron... Il n'empêche que pour le larron cette communion est hors du commun.
Ce que le bon larron ne perçoit peut-être pas non plus, c'est que l'autre malfaiteur est tout simplement manoeuvré par le prince des ténèbres, qui s'est saisi de lui pour le faire blasphémer comme un possédé. Le larron ignore que Satan s'est approché de la croix.

La présence cachée de Satan
A la fin du récit de la tentation du Christ, Luc écrit une phrase qu'il est bon de se remémorer : « Après l'avoir tenté de toutes ces manières, le diable s'éloigna de lui jusqu'à un moment favorable » (4.13). Les derniers mots sont redoutables et nous interrogent : quand donc sera ce « moment favorable » que le diable choisira pour s'approcher à nouveau du Christ ? Cette approche n'est jamais signalée clairement par Luc dans la suite de l'Evangile. S'il ne s'est pas approché de manière franche, comme dans le désert, peut-être s'est-il approché en se dissimulant, par ruse et perfidie. Tout porte à croire que Satan s'est approché au moment de la croix, au moment où Jésus est le plus démuni, le plus affaibli.
Luc nous invite, en effet, à discerner ici la présence cachée de Satan. Les trois vagues de violence verbale apparaissent comme une triple tentation visant à faire descendre Jésus de la croix pour se sauver lui-même et renoncer ainsi à sa mission.
Pour nous aider à repérer la présence cachée du tentateur, Luc nous donne un bel indice dans la tournure de phrase utilisée par les soldats : « Si tu es le roi des Juifs... »

Lorsque le diable s'est approché au désert, sa tactique fut la suivante : mettre en avant une affirmation juste pour y glisser une suggestion tentatrice. Ainsi dit-il par deux fois « si tu es le Fils de Dieu » (4.3,9), ce qui est une affirmation vraie, tirée de ce que Dieu a dit juste avant, au baptême (3.22). Puis Satan ajoute à cette affirmation ses suggestions tentatrices : changer des pierres en pains, sauter du haut du temple. Sur la croix le procédé est le même : « Si tu es le roi des Juifs », telle est l'affirmation juste, tirée de l'inscription située au-dessus de Jésus et que Luc nous rapporte : « Celui ci est le roi des Juifs » (23.38). De cette affirmation juste, Satan, par la bouche des soldats, fait sa suggestion tentatrice : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ».
C'est donc clair : à travers les soldats, c'est Satan qui parle. Luc ne le nomme pas pour signifier qu'il se cache, mais il a tout fait pour que nous discernions sa présence. La prière de Jésus sur la croix devient alors beaucoup plus claire : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ». Oui, Père, pardonne aux hommes, pardonne aux chefs, aux soldats, à tous, car ils ne savent pas qu'ils sont manipulés... Et Jésus ne nomme même pas le manipulateur, tant son nom est abject.

Au désert, Jésus a répondu à Satan qui s'est avancé sans se cacher. Sur la croix, Jésus ne répond même pas à celui qui se cache. Devant la dissimulation de l'ennemi, Jésus n'a qu'une riposte : la prière... Ne l'oublie pas, ami lecteur : devant le tentateur il n'y a pas meilleure arme que la prière ! Ne cherche pas à te mesurer à plus rusé que toi! Calque ton attitude sur celle du Christ et prie ! Tourne-toi vers le Père, avec le Fils et dans l'Esprit, et que tes seules paroles soient pour Dieu.

En ne répondant ni aux chefs, ni aux soldats, ni au malfaiteur, qui l'agressent verbalement, Jésus est sans mépris pour ces gens-là, mais il manifeste dans son attitude son refus de répondre au tentateur. Quant aux personnes manipulées par Satan, Jésus ne peut que les porter dans son intercession : « Père, pardonne-leur... »

Les violences verbales subies par le Christ sur la croix ne sont pas de simples violences humaines. En elles se trouve la violence de l'Adversaire. La croix est pour Jésus le moment d'un combat redoutable, un combat qui nous dépasse infiniment. Contre chaque assaut du tentateur, Jésus résiste grâce à la prière, une prière dont le contenu ne répond pas à l'attente du tentateur. Ce n'est pas « Père, sauve-moi », mais « Père, sauve-les, en leur pardonnant ».

Dans ce combat d'une violence inouïe, Jésus combat seul, mais avec une aide surprenante que le Père lui donne de manière merveilleuse. A Gethsémani, dans son combat contre l'adversaire, un ange lui a été donné pour le fortifier (22.43). Sur la croix, ce n'est pas un ange qui lui est donné pour le fortifier, mais le bon larron ! Sans le savoir, le bon larron dans sa conversion est un cadeau du Père au Fils pour le soutenir dans son combat.
Satan a mis la main sur les chefs, sur les soldats, sur un des malfaiteurs, et s'est ainsi avancé, de proche en proche, jusque sur la croix voisine, mais il n'a pas pu mettre la main sur le bon larron, que Dieu préserve en le remplissant d'un humble amour pour le Christ : « Jésus, souviens-toi de moi... ». Et Jésus ne s'y est pas trompé : il ne répond à personne, sinon au larron auquel il parle comme un ami parle à un ami : « je te le dis vraiment : aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ».

Libre ou esclave ?

Face au déferlement de violence dont il est témoin, sans en mesurer sans doute la profondeur spirituelle, le bon larron pouvait se sentir comme chez lui : le monde de la violence, il le connaît. Toute sa vie de malfaiteur a été marquée par la violence. Sur la croix, le larron pourrait entrer dans le jeu de la violence et se laisser aller à elle. Certes, il est empêché de s'adonner à la violence physique ; ses mains clouées ne peuvent frapper. Mais sa langue est libre. Il est encore libre d'insulter tout le monde, y compris Dieu si le coeur lui en dit. Il peut cracher sa haine jusqu'à son dernier souffle... Mais il n'en fait rien ! Il le sait bien : la mort aura le dernier mot. Et la mort d'un supplicié, c'est la victoire de ceux qui l'ont condamné. La mort du larron sera la victoire des autres ; il sera vaincu, « exécuté », comme le dit fort justement Luc à son sujet (v 32). La victoire de la mort, c'est le point final du cycle de la violence, dans lequel le larron a toujours vécu ; un cycle dont il n'est pas libre, en fin de compte, mais esclave. Sa liberté d'insulter qui s'offre à lui sur la croix est une liberté illusoire, un soubresaut d'une liberté déjà vaincue. La mort a le dernier mot : c'est la loi du péché qui conduit à la mort, la loi de Satan.

Sur la croix, le bon larron se tait. Il n'entre pas dans le jeu de la violence. C'est sans doute la première fois ! Et cela à cause de la prière de son voisin ! Sa vie est en train de basculer, entraînée par cet homme qui n'est à aucun moment entré dans le cycle de la violence. Le monde de la violence ignore une chose essentielle que le Christ vient de mettre en avant : le pardon. Si la vengeance et la haine sont le moteur qui alimente la violence, si elles sont au coeur de la logique de Satan, le pardon et l'amour désamorcent la violence et sont au coeur de la logique de Dieu. Jésus se situe complètement en dehors du cycle de la violence et le larron le remarque bien : Jésus ne répond à personne, n'insulte personne, n'use d'aucune violence verbale, n'accuse personne... Son silence n'est pas celui d'un homme vaincu, désemparé, impuissant. Son silence, au contraire, est chargé d'une autre puissance : celle de la prière, du pardon, de l'amour... En silence, Jésus ne cesse d'aimer ; c'est un silence actif, fort d'une étonnante puissante, dont prend conscience le larron. Le silence du Christ est plus fort que toutes les vagues de violence qui déferlent sur lui...

L'amour et le pardon font sortir du cycle de la violence ; ils font échapper à l'emprise de Satan et sont le signe de la vraie liberté. Le pardon que Jésus demande à son Père ne sera pas vaincu par la mort. Le pardon donné par Dieu subsistera au-delà de la mort. Ce Jésus qui pardonne est en train de mourir, certes, mais il meurt libre. Mourir en insultant les autres, c'est mourir en étant esclave de la violence des autres. Mourir en pardonnant, c'est mourir libre, en paix... Le larron est en train de voir quelqu'un mourir libre. Cet homme-là, Jésus, ouvre une porte... Avec lui apparaît une évidence : on peut mourir sans haine, sans maudire, sans blasphémer ; on peut mourir en aimant Dieu et les autres ; on peut mourir libre, proche de Dieu, en Dieu...

Le larron dans son silence est en train de rejoindre le Christ dans son silence ; il est prêt à suivre le Christ dans sa manière de mourir, dans sa mort, sur ce chemin de l'amour qui pardonne, ce chemin qu'il ouvre de manière souveraine. C'est cela une conversion : le larron se convertit.

Dans les propos qu'il entend déblatérer contre Jésus, le larron entend des mots comme « Christ », « roi », « élu », « Christ de Dieu »... Certes, tout le monde se moque en disant cela. Mais si c'était vrai ? Si c'était vrai ce qui est écrit en toutes lettres au-dessus de sa croix : « Celui-ci est le Roi des Juifs »?
  Ce roi-là est libre de l'emprise de la violence, libre devant les moqueries, les blasphèmes, les injures et toute autre manifestation de haine. La prière de ce roi est pleine d'amour et connaît le pardon. Et s'il y avait, à côté de la justice humaine, la justice de ce roi-là ? S'il y avait pour ce roi un autre royaume que ceux de la terre ? Après tout, ce roi-là doit bien avoir un royaume ! A voir ce roi dans sa manière d'être, ce royaume-là ne doit connaître que l'amour...
Du haut de sa croix, le larron voit deux mondes se côtoyer : l'un en Christ qui prie et qui pardonne, l'autre qui injurie et qui blasphème. Le larron se tourne alors vers le roi qu'il découvre : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton royaume ».
Sur une croix, un homme est en train de basculer dans la foi, aux dernières heures de sa vie. Cela est l'oeuvre du Saint Esprit en lui. Pendant que l'autre malfaiteur hurle avec les loups dans le royaume des loups, le bon larron ouvre en silence son coeur au Roi pour qu'il fasse de ce coeur une parcelle de son royaume. Pendant que Satan enchaîne un malfaiteur dans le blasphème, le Saint Esprit libère l'autre pour le Royaume du Christ.

Le larron peut maintenant comprendre l'attitude de Jésus devant les assauts de la violence. Pourquoi garde-t-il le silence? Que fait-il donc dans son si profond silence ?

Devant la violence, Jésus ne réagit par aucune violence. Il ne rend pas coup pour coup, insulte pour insulte. Il se tait et ne sort pas de son silence. Sa seule parole a été une prière. Que fait-il donc maintenant dans son silence, depuis que la violence s'est déchaînée ? Que peut-il bien faire d'autre que de continuer de prier ? Tout s'éclaire alors pour le bon larron.
Si la première parole de Jésus sur la croix a été une prière, c'est parce qu'il est constamment en prière. Le premier auquel il s'est adressé est son Père, parce qu'il est toujours en communion avec lui dans la prière. Sa demande de pardon ne se limite pas à ce qui s'est passé jusqu'à la croix ; elle ne s'arrête pas, mais se prolonge. Cela ne fait aucun doute : Jésus continue de demander à son Père de pardonner le partage des vêtements, la présentation du vinaigre, les ricanements des chefs, les moqueries des soldats, le blasphème du malfaiteur... Dans son silence, le Christ intercède sans cesse : Père, pardonne-leur, car ils ne savent toujours pas ce qu'ils font ; ils ne savent pas ce qu'ils disent...
Le larron poursuit sur la croix sa méditation silencieuse : si Jésus est en train de prier pour tous ces gens, pour cette ordure qui blasphème, ne serait-il pas aussi en train de prier pour moi, son compagnon de supplice, pour moi qui suis aussi en train de mourir... Le larron devient alors encore plus silencieux, d'un silence qui se remplit d'amour et de reconnaissance... En silence, le larron laisse Jésus prier pour lui. Personne n'a jamais prié pour lui. Merveille que cet homme qui est en train de prier ! Merveille que ce Fils qui n'est qu'en prière devant son Père et qui intercède pour moi ! Les larmes de bonheur ne troublent pas le silence lorsqu'elles coulent...
Jusque là le larron se sentait exclu de la prière du Christ. Il s'aperçoit soudain qu'il n'en est rien. Le Christ intercède pour lui. Seul l'Esprit témoigne à notre esprit que nous sommes portés devant le Père par l'intercession du Fils (cf. Ro 8.34). Dans son silence, le larron s'abandonne à l'oeuvre du Trois fois Saint. Dieu est si proche : le Fils est là à ses côtés sur la croix ; le Père est là qui écoute en silence ; l'Esprit murmure au fond de son coeur...
Le larron serait-il pardonné par le Père sans l'avoir demandé, parce que le Fils l'en a prié ? Serait-il gracié par le Père à la demande du Fils ? l'Esprit le lui murmure au fond du coeur et fait déjà monter dans son silence un mot qu'il n'a jamais encore prononcé : « Abba ».
Et si le Père de Jésus était aussi son Père ? Et si Jésus était plus qu'un compagnon de supplice : un frère ? 1'Esprit Saint poursuit son oeuvre dans le coeur du larron...
Jésus prie en silence pour le larron ; c'est ainsi qu'il accompagne ce mourant. Ne l'oublie pas, ami lecteur : la prière silencieuse trouve place auprès d'un mourant. C'est une prière qui s'appuie sur l'intercession du Christ, qui ne cesse d'intercéder pour lui.

Depuis qu'il est en croix, le bon larron n'est que silence : pourquoi ne prierait-il pas en silence ? Pourquoi ne se tournerait-il pas comme Jésus vers le Père pour lui demander pardon pour tous ses méfaits ? Peut-être n'a-t-il jamais prié de sa vie ? Au moment de se tourner vers le Père, il ne peut que découvrir à quel point il est pécheur. Plus Dieu est proche et plus on se découvre pécheur, plus on se sent accablé par ses fautes conscientes et inconscientes. Si Dieu pardonne les fautes inconscientes, à la demande du Christ, pardonnera-t-il aussi les fautes conscientes ? Toutes ses fautes conscientes ne rendent-elles pas indignes de se tourner vers Dieu ? Le larron se découvre indigne de la proximité de Dieu, indigne de prier. Et le fait est que le larron ne prie pas le Père... Luc nous oriente vers une autre direction.
A côté du larron se trouve Jésus, qui prie. Si tant de gens indignes se permettent de parler à Jésus, lui le larron indigne ne pourrait-il pas aussi lui parler ? Il est là, à quelques mètres, à portée de voix. Même en parlant doucement, il entendra. Il n'a encore répondu à personne, mais il doit bien entendre ce qu'on lui dit...  Si le larron ne se permet pas de prier le Père, il va oser prier le Fils ; il se sent soudain libre de le prier...

De quoi sommes-nous donc témoins dans ce texte d'Evangile : de la mort du larron ou bien de son entrée dans la vie nouvelle ? De son agonie ou de sa naissance ? Merveilleux Evangile qui nous fait contempler la vie naissante d'un homme à l'heure de sa mort...
Nous pouvons même dire que nous sommes témoins de la résurrection du larron. Souvenons-nous qu'au début de son Evangile, Luc nous a rapporté la prophétie que le vieillard Syméon a prononcée devant Joseph et Marie, en parlant de Jésus : « Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël » (2.34). Cette prophétie est en train de s'accomplir sur la croix : la chute est celle du blasphémateur, le relèvement est celui du bon larron. Le mot que Syméon, prononce pour dire « relèvement » est « anastasis », qui signifie aussi « résurrection ».
Mais avant d'écouter la prière du larron, écoutons-le tout d'abord s'adresser à l'autre malfaiteur pour découvrir dans le bon larron un véritable disciple, un témoin qui prend la défense de Jésus.

                                                             (fin dans le prochain message)

 

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le Christ et le larron (suite 1)

Publié le par Christocentrix

La première parole de Jésus est donc une prière. Luc nous la rapporte, au v.34, juste après avoir mentionné par deux fois la présence des deux malfaiteurs (v. 32 et 33), pour bien indiquer qu'ils ont entendu cette prière, même si elle ne leur était pas directement adressée. Jésus aurait pu prier à voix basse ou dans son coeur ; il ne l'a pas fait. C'est bien le signe qu'il prend soin d'être entendu de ses compagnons de supplice.
Plutôt que de s'adresser directement aux deux malfaiteurs, Jésus préfère prier devant eux, et les rendre ainsi attentifs à une présence à laquelle ils ne pensaient peut-être pas, celle de Dieu. Si Jésus s'adresse à Dieu, c'est bien que Dieu est là. Jésus lui parle comme il parlera au larron, avec la même intensité de voix. Et c'est là un premier enseignement que Jésus dépose dans le coeur de ceux qu'il accompagne dans la mort : à l'approche de la mort, il est bon de prier. Premier enseignement et premier choc aussi, car les malfaiteurs ne sont peut-être pas enclins à la prière... Peut-être même est-ce la première fois qu'ils entendent quelqu'un prier à côté d'eux ? Voilà que, dans leur agonie, quelqu'un ouvre pour eux le chemin de la prière, dans le silence de Dieu...
Ces deux malfaiteurs ne se rendent pas compte de leur privilège : rares, en effet, sont ceux qui ont entendu Jésus prier. A Gethsémani, Jésus avait demandé à ses disciples de l'accompagner pour prier avec lui, et tous se sont endormis ! Sur le Golgotha, Luc ne mentionne plus la présence des disciples. Ce sont deux malfaiteurs qui vont accompagner Jésus dans sa prière : bienheureux malfaiteurs ! L'un des deux va se mettre à blasphémer, mais l'autre va suivre Jésus sur le chemin de la prière :
 «souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ».

Mourir en priant : tel est donc le premier enseignement de Jésus dans son accompagnement des mourants. Mais encore, sa manière de prier et le contenu de sa prière vont parfaire cet enseignement : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».

« Père », dit Jésus ! Mais à qui s'adresse-t-il au juste, en parlant ainsi ? Il est bien connu que des mourants dans leurs derniers moments s'adressent à des défunts, comme pour jeter un pont entre morts et vivants. Bien des agonisants appellent ainsi leur père, leur mère, ou un proche déjà mort ! Jésus aurait-il fait de même ? Certains de ceux qui étaient sur le Golgotha l'ont pensé, si l'on en croit les autres évangélistes qui rapportent qu'en entendant Jésus appeler « Elie !»(c'est-à-dire « mon Dieu! » en araméen), quelques-uns ont cru que Jésus appelait le prophète Elie, qui avait quitté cette terre depuis longtemps (Mt 27.46-49).
Après tout, si certains ont cru que Jésus appelait Elie, d'autres pourraient penser que Jésus, en disant « père », appelle Joseph de Nazareth. Cependant, Luc ne laisse planer aucune confusion de cet ordre, et les malfaiteurs eux-mêmes ne s'y sont pas trompés. Le bon larron, en tout cas, a bien compris que Jésus s'adressait à Dieu. Voilà pourquoi ce larron se met à parler de Dieu à l'autre, lui disant : « Ne crains-tu pas Dieu ? ». La pensée de Dieu lui est venue de ce que Jésus s'est mis à prier sur la croix.

« Père », dit donc Jésus en s'adressant à Dieu, sans avoir à crier, sans parler plus fort que lorsqu'il s'adressera au bon larron. Dieu est-il si proche que cela ? Serait-il aussi proche que ne le sont les crucifiés entre eux ? Les malfaiteurs n'en savent rien, et ils découvrent ce qui pour Jésus est une réalité : Dieu est proche, même s'il demeure silencieux. Cette découverte a de quoi plonger le bon larron dans le silence...

« Père », dit le crucifié. Si les deux malfaiteurs n'ont peut-être pas souvent entendu quelqu'un prier, ils n'ont certainement jamais entendu quelqu'un s'adresser ainsi à Dieu. Ce n'était pas du tout une habitude, en effet, en Israël de prier Dieu en l'appelant « Père ». En outre, de cette innovation découle que Jésus se considère comme le Fils de celui qu'il prie ! Une telle relation avec Dieu a de quoi maintenir le larron dans le silence...
« Père » : ce vocatif est un mot qui, dans la bouche de Jésus, est toujours particulièrement chargé d'amour. Les malfaiteurs n'étaient peut-être pas préparés à entendre, sur un engin de supplice, un mot d'amour à l'adresse de Dieu ! Toujours est-il qu'ils gardent le silence après ce que vient de dire Jésus. Ils ont là de quoi méditer profondément.
« Père »: le mot grec transmis par Luc est très certainement la traduction de ce que Jésus a dû dire en araméen, comme nous l'apprend Marc (14.36), qui en même temps nous révèle que ce mot grec traduit pour Jésus un mot araméen beaucoup plus chargé d'affection que ne le dit le grec. En araméen, en effet, « Abba » correspond plus à notre « papa » qu'à « père », mais ces nuances manquent dans le vocabulaire grec.
Dans l'oreille du larron ce « papa » adressé à Dieu par Jésus a pour effet de le maintenir dans un immense silence. Bien des gens vont prendre la parole après Jésus : les chefs, les soldats, l'autre larron... Le bon larron est celui qui fait silence le plus longtemps....On le comprend : il a tellement de quoi méditer avec tout ce qu'il vient d'entendre, auquel il était si peu préparé....
Sur la croix, le bon larron découvre à la fois le Père et le Fils... Le voilà placé devant un mystère infini ! Son silence en est rempli...
Le "bon larron" semble pressentir l'amour indicible qui unit le Père et le Fils. Pour le découvrir, il n'a que cette brève prière dite à côté de lui, suivie du très long silence que Jésus lui-même observe et qui va rejoindre le sien pour petit à petit l'éclairer. Après ce long silence, lorsque le larron prendra enfin la parole, il n'osera pas prononcer le mot « amour ». Il parlera seulement de « crainte » à l'autre supplicié : « Ne crains-tu pas Dieu ? ». S'il dit cela, c'est sans doute parce qu'il se sent lui-même habité par ce sentiment qu'il nomme « crainte », sentiment qu'il ne connaissait pas et qui ne l'a pas empêché d'être malfaiteur ; sentiment qu'il vient de découvrir à l'écoute de la prière de Jésus, et qu'il est étonné de ne pas rencontrer chez l'autre crucifié. « Ne crains-tu pas Dieu ? » : sous-entendu : « moi je le crains maintenant! »
La crainte de Dieu n'est pas la peur de Dieu. Dans la Bible, la crainte est l'amour naissant que l'on peut avoir pour Dieu ; c'est le début d'un amour plein de respect, où l'affection n'a pas encore sa place. « Abba » dit autre chose, un immense amour, où l'affection a chassé la crainte. Parlant seulement de « crainte de Dieu », le larron mesure la distance qu'il y a entre ce qui l'habite et ce qui habite celui qui vient de dire « Abba »!
« Père », « Abba » : avec quelle intonation Jésus a-t-il dit ce mot ? Ce serait si important de le savoir ! C'est si important, en effet, l'intonation ! Mais Luc ne peut pas nous la rapporter ! Bienheureux larron qui l'a entendue et qui s'en est laissé imprégner en silence !
« Père »: il est fréquent à l'heure de la mort de s'accrocher à Dieu, pour se rassurer, pour trouver en lui la paix et les forces nécessaires pour franchir ce redoutable passage. Dans ce cas, la prière est une demande d'aide. Or, il n'y a rien de cela dans la prière de Jésus. Le crucifié ne demande rien pour lui ; il n'est pas centré sur lui, mais sur les autres. L'amour de Jésus pour son Père n'est pas replié sur lui-même ; il est totalement ouvert aux autres. Avec amour le Christ s'efface humblement et place les autres entre son Père et lui: « Père, pardonne-leur car ils ne savent ce qu'ils font ».Cette attention, le larron a dû la sentir à travers la prière de Jésus. Jamais il n'a rencontré un homme si proche de Dieu. Dans son silence, le larron découvre lentement le Père et le Fils : Jésus ne demande rien pour lui ; il demande tout au Père pour les autres !

« Pardonne-leur » : qui donc est désigné par ce pronom « leur »? De qui Jésus parle-t-il exactement ? Très certainement des responsables de la crucifixion, de tous ceux qui l'ont conduit jusque sur la croix. Jésus prie pour ce « ils » anonyme et indéfini, dont parle Luc dans son récit : « ils arrivèrent au lieu appelé Crâne ; et ils l'y crucifièrent ... ». C'est bien cela ! Mais, s'il en est ainsi, les deux malfaiteurs ne sont pour rien dans cette crucifixion. Ils la subissent comme lui. Ce n'est donc pas pour les crucifiés que Jésus prie ! De ce fait, le larron se sent extérieur à la prière de Jésus. Il n'est pas concerné. Il peut garder le silence.
« Pardonne-leur », mais pardonner quoi ? Cette condamnation à mort ? Sans doute ! Cependant si une condamnation est juste, si elle est juste application de la loi, cela ne réclame pas de pardon. On ne pardonne pas ce qui est juste ! Le pardon n'intervient qu'en cas d'injustice. Y a-t-il injustice dans la condamnation de Jésus ? Certainement ! Et c'est bien ce que pense le larron et ce qu'il va dire à l'autre malfaiteur : « Pour nous c'est justice si nous sommes condamnés, mais lui n'a rien fait de mal ». C'est bien cela : condamné injustement, Jésus peut parler de pardon. Quant au bon larron, il reconnaît qu'il n'est pas victime d'une injustice. Il ne peut donc pas s'associer à la prière de Jésus.
Ni responsable de la mort de Jésus, ni victime comme lui d'une injustice, le bon larron a décidément de quoi se sentir tout à fait extérieur à la prière de son voisin. Cela ne le concerne pas. Il n'a pas à intervenir dans ce que dit Jésus à son Père.
Si injustice il y a dans le cas de Jésus, elle frappe Jésus en premier, et c'est à lui de pardonner. Si maintenant, Jésus demande à son Père de pardonner, c'est donc que cette injustice frappe aussi celui-ci. Ainsi, à entendre Jésus, l'injustice faite au Fils atteint également le Père. Jésus et Dieu sont ensemble victimes des hommes. Le larron fait silence devant la communion qu'il découvre entre le Père et le Fils : leur communion d'amour est aussi communion dans la souffrance ; lorsque le Fils est blessé dans son corps, le Père est blessé dans son coeur : « Père, pardonne-leur parce qu'ils ne savent pas le mal qu'ils te font en me faisant mourir ».
Le larron découvre ici que le Père peut souffrir, que Dieu peut souffrir ! Il a vraiment de quoi être plongé dans le silence... Pour demander ce qu'il demande, le Fils connaît la souffrance du Père, mais dans cette prière il ne fait que le sous-entendre. Il n'en dit pas plus, par pudeur à l'égard de ce coeur blessé. C'est la pudeur d'une grande intimité.
Après la prière de Jésus, le Père ne répond pas au Fils. Dieu garde le silence ; il ne dit rien de sa douleur. Lui aussi est pudique. Le Père et le Fils se rejoignent dans le silence de l'intimité.
« Pardonne-leur » : tous ceux qui prendront la parole après Jésus sur le Golgotha voient les choses tout à fait autrement ; plus personne, en effet, ne parlera de pardon. Tous se rejoindront sur un autre verbe, une autre demande: « Qu'il se sauve lui-même », diront les chefs (v.35). « Sauve-toi toi-même », ajouteront les soldats (v.37), ce que reprendra encore l'un des malfaiteurs, en disant comme en écho : « Sauve-toi toi-même »(v.39). Tous parlent de salut et le font en se moquant ! Seul Jésus parle de pardon, sans la moindre moquerie. Le désaccord est total... Le bon larron a de quoi garder le silence avant de se situer et de prendre éventuellement parti.
« Se sauver », dans le cas présent, ce serait échapper à l'action des autres et à la mort. « Pardonner », c'est tout autre chose : c'est supporter l'action des autres et la dépasser, tout en la purifiant de tout son mal. Ce n'est pas échapper à la mort, mais l'accepter et la dépasser.

Si Jésus demande à son Père de pardonner, cela implique que lui-même a déjà pardonné. Si, en effet, Jésus n'avait pas pardonné, il ne demanderait pas à Dieu de le faire. Voilà donc que le larron découvre à ses côtés la victime d'une injustice qui a pardonné et qui demande à Dieu de faire de même. Lorsqu'une victime et Dieu s'accordent pour pardonner, alors le pardon est total, plénier. Tel est le souhait de Jésus pour cette foule de coupables : un pardon total. Faut-il que le crucifié soit débordant d'amour pour prier ainsi ?
« Ils ne savent pas ce qu'ils font », dit Jésus. S'ils ne savent pas, ils ne peuvent pas demander pardon. Voilà donc que Jésus demande à Dieu un pardon que les coupables ne peuvent pas demander. Jésus demande à leur place. C'est dire aussi qu'il a pardonné, alors que personne ne lui a demandé pardon ! Quel amour ! Et quelle humilité aussi, car il faut assurément être humble pour pardonner avant que le pardon soit demandé. En silence, le larron est en train de découvrir ce qui transparaît du coeur de Jésus dans sa brève prière : son amour, son humilité...
« Père, pardonne-leur »: Jésus parle du pardon à Dieu et non à la foule. Il n'adresse d'ailleurs aucun mot à la foule durant toutes ces heures d'agonie. C'est étrange ! Jésus pourrait facilement haranguer le peuple du haut de la croix, dire ne serait-ce que quelques mots, tant qu'il en a la force. Il pourrait clamer son innocence devant tous. Il pourrait convaincre de leur erreur ceux qui ont réclamé sa mort. Il pourrait leur annoncer qu'il leur pardonne. Et puisqu'il est plein d'amour, il pourrait faire un sermon sur l'amour... Mais Jésus ne fait rien de tout cela ! Il ne prêche pas l'amour, ni quoi que ce soit d'autre du haut de la croix. Il ne veut pas convaincre ; il prie et c'est tout ! Il ne prêche pas l'amour, il le vit dans son intercession et dans l'acceptation de la mort qu'il subit à cause d'eux.
Tant d'amour en Jésus ! Et cela pour des coupables ! Il ne prie pas pour ces femmes silencieuses qui se tiennent à distance et qui ne sont coupables de rien dans cette injustice ; par contre, il prie pour ceux qui ont réclamé sa mort, pour ses assassins ! Si le larron n'a pas entendu le sermon que Jésus a prononcé un jour sur une montagne de Galilée, en invitant à prier avec amour pour ses ennemis, il le voit maintenant vivre cet amour-là sur le mont Golgotha. Cette prière en dit pour lui plus long qu'un sermon sur une montagne...Sur la croix, Jésus porte tout son peuple dans sa prière, comme un berger porte une brebis qui c'est égarée. C'est la mission que son Père lui a confiée ; il l'accomplit jusqu'à son dernier souffle.

Dans la suite de son oeuvre, au livre des Actes, Luc fera une sorte de commentaire de cette expression. Le peuple et ses chefs ont cru bien faire en faisant condamner Jésus. Ils ont cru bien faire en le faisant crucifier, pensant que ce châtiment était une juste application de la Loi. Or, précisera l'apôtre Pierre, la mort de Jésus n'est pas une condamnation judiciaire, mais un véritable assassinat : « Vous l'avez tué », dira tout crûment Pierre (Ac 3.15). Puis l'apôtre ajoute : « Je sais que vous avez agi par ignorance, ainsi que vos chefs » (3.17).

Ces coupables « par ignorance » ont bien sûr une bonne conscience. Ils croient faire plaisir à Dieu, en débarrassant la terre d'un blasphémateur qui s'égale à Dieu en se prenant pour son fils. Ils croient bien faire en protégeant la société d'un beau parleur qui pourrait déclencher la répression romaine. La bonne conscience s'accompagne en général de bonnes intentions...
Quel fossé entre cette bonne conscience et Dieu ! Quel fossé, alors que nous ignorons le mal que nous faisons à Dieu. Jésus comble ce fossé en demandant à Dieu notre pardon, en pardonnant notre bonne conscience, nos bonnes intentions, nos illusions, notre aveuglement ! Heureux sommes-nous de recevoir du Père et du Fils leur pardon !
Aujourd'hui, lorsqu'on est devant un fautif par ignorance, on s'empresse de le déculpabiliser, en déplaçant la faute sur d'autres. Pas plus que l'Ancien, le Nouveau Testament ne fait cela. Pierre constate bien la culpabilité ignorée (Ac 3.17) ; il la révèle et la met en avant pour inviter à la repentance et donc à la demande de pardon (3.19). Un fautif inconscient est tout de même un fautif. Sur la croix, Jésus ne cherche pas à déculpabiliser qui que ce soit : il demande à Dieu le pardon.
Prendre le chemin de la déculpabilisation, c'est une autre manière de se sauver soi-même, une autre manière de se passer de Dieu. Déculpabiliser et être déculpabilisé ne fait pas intervenir Dieu. Le pardon, lui, ne peut pas se passer de Dieu, car Dieu seul pardonne en vérité, comme le dit l'Ancien Testament en faisant de Dieu le seul sujet du verbe hébreu « pardonner »(sâlah). Même entre les hommes, le pardon n'a pas sa véritable force, s'il n'est pas appuyé, accompagné par le pardon de Dieu. Le pardon de Dieu donne toute son efficacité au pardon humain. Même Jésus, lorsqu'il pardonne à ses bourreaux, demande au Père d'ajouter son propre pardon au sien. Un pardon seulement humain n'est pas assez profond pour être pleinement efficace.

En silence, le larron découvre à ses côtés un homme qui pardonne à des irresponsables et qui demande à Dieu l'appui de son pardon.
Voilà en particulier tout ce que découvre le bon larron sur son chemin de conversion, durant les heures de silence qui suivent la prière de Jésus. Reste-t-il cependant extérieur à cette prière, lui qui n'est coupable de rien dans la mort de Jésus ? Peut-être que ce malfaiteur a fait le bilan de sa vie à la lumière de cette prière, pour découvrir en lui tout ce qu'il a pu faire de mal, sans savoir, au cours de sa vie... Mais, le découvrirait-il, cela ne serait rien à côté de tout le mal conscient qu'il a fait ! Si Luc dit que cet homme est un « malfaiteur », ce n'est pas pour rien ! S'il se retrouve cloué sur un engin de supplice, c'est bien qu'il a fait du mal, sans doute plus consciemment qu'inconsciemment ! Alors, sur ce point encore, ce malfaiteur ne peut que se sentir en marge de la prière de Jésus. En effet, Jésus a prié pour les fautes inconscientes de ses bourreaux et non pour le mal conscient...
Qu'en sera-t-il alors de ce malfaiteur et de tous ses méfaits conscients ? Le larron finira par poser la question à Jésus : toi qui penses à tous les irresponsables et qui pries pour eux, toi qui les aimes au point de demander leur pardon, que fais-tu de ceux qui savent qu'ils ont fait le mal ? Que fais-tu d'un malfaiteur qui se sait responsable d'un grand nombre de fautes ? « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu feras justice dans ton royaume ».

Mais, avant d'aller plus loin sur le chemin de conversion suivi par ce malfaiteur, arrêtons-nous un peu sur le fait qu'un des malfaiteurs prend le chemin de la conversion, et l'autre le chemin du blasphème, alors que les deux ont entendu la même prière ! D'où vient que l'un soit touché par la prière du Christ et l'autre pas ? D'ou vient que l'un entre dans l'intime communion d'amour du Père et du Fils et l'autre pas ?
Cela vient du Saint Esprit et de nul autre, assurément ! Nul autre que l'Esprit, en effet, ne peut nous faire entrer dans l'intimité du Père et du Fils, car en Dieu l'intimité du Père et du Fils est partagée avec le Saint Esprit. Seul l'Esprit peut nous introduire dans l'intimité trinitaire. Il s'agit là d'une de ces profondeurs de Dieu que seul l'Esprit peut sonder (1 Co 2.10) et nous révéler. Il n'y a pas de chemin de conversion sans le souffle de l'Esprit Saint... Si le bon larron avance sur ce chemin-là, c'est parce qu'il est saisi par le Saint Esprit, travaillé par lui, ouvert au Père et au Fils. C'est par l'Esprit que le bon larron peut entrer dans la prière que le Fils adresse au Père.
Quant à l'autre malfaiteur, il est entraîné sur un autre chemin, celui du blasphème... Et cela jusqu'à quand ? Nous n'en savons rien. Que deviendra ce blasphémateur par la suite ? Comment entendra-t-il la réplique qui lui est adressée, l'échange entre le bon larron et Jésus, la dernière prière de Jésus, la remarque du centenier... ? Nous n'en savons rien, car ce malfaiteur se réfugie alors dans le silence ! Et rien ne dit si son dernier silence est habité par de nouveaux blasphèmes ou par l'Esprit Saint. Cela appartient à Dieu qui seul peut savoir quelle aura été la fin du larron qui a blasphémé...
Mais revenons au bon larron, celui dont la conversion nous est rapportée par Luc. Il est en tout cas essentiel pour nous de savoir qu'un malfaiteur peut se convertir à l'heure de sa mort et de savoir que cela est l'oeuvre de l'Esprit en lui. Oui, l'Esprit Saint est à l'oeuvre dans un mourant, et c'est lui d'ailleurs, plus que nous, le véritable accompagnant. Nous qui accompagnons des mourants, sachons que l'Esprit accompagne chacun et que nous pouvons nous appuyer sur cette réalité.
En entrant avec l'Esprit dans le mystère du Père et du Fils, le bon larron entre dans le mystère trinitaire, et tout à la fois dans le mystère de la prière, du pardon, de l'amour.... Merveilleuse fin que celle de cet homme ! Grâce à l'Esprit il comprend ce que dit Jésus et le rejoint.

La foule des moqueurs et des railleurs ne peut pas comprendre le pardon de Jésus. C'est bien pourquoi Jésus ne leur en parle pas. Il sait que son pardon ne sera pas reçu. Ce n'est pas nécessaire de répondre à ces moqueurs et ces railleurs. La moquerie vient ici de coeurs fermés au pardon.
Quand donc Jésus parlera-t-il de son pardon à ses bourreaux, à nous tous qui le crucifions encore de bien des manières ? Je crois volontiers qu'il publiera son pardon au dernier jour. Alors, nous tous, ses bourreaux conscients ou inconscients, nous verrons l'agneau immolé. Il n'aura qu'à nous montrer ses plaies et son côté percé, et cela suffira pour que nous mesurions la profondeur de notre faute. Il pourra simplement se tourner vers son Père et lui dire : « Père, pardonne-leur, car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient ! ». Alors, dans notre silence et dans notre confusion, nos coeurs fermés s'ouvriront au pardon, et le Père exaucera son Fils...

Sans attendre le dernier jour pour la révélation du pardon plénier, le Père exauce son Fils au moment de la croix, du moins partiellement. Il l'exauce en ouvrant le coeur du bon larron au pardon. La conversion du bon larron, c'est le cadeau que le Père offre au Fils en signe d'exaucement. C'est un merveilleux miracle, plein d'un amour infini : dans ce larron le Père donne au Fils un frère pour mourir avec lui, à côté de lui. Le bon larron est le réconfort donné au Fils à l'heure de sa mort, comme le Christ est le réconfort donné au bon larron.
Le coeur d'un malfaiteur s'ouvre : miracle que fait le Père en silence, humblement...
Cet humble et discret miracle n'a pu échapper à Jésus, lui qui est habité par cette certitude : « Nul ne peut venir à moi si le Père ne l'attire » (Jn 6.44). Le larron vient vers le Christ ; c'est là l'oeuvre de Dieu, merveilleux signe d'amour que le Fils reçoit de son Père.
Ami lecteur, je me suis longtemps demandé pourquoi Luc ne rapporte pas le cri de Jésus sur la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ». Matthieu et Marc rapportent ce cri, mais ne disent rien non plus de la conversion du bon larron. Il me semble maintenant que pour Luc la conversion du bon larron montre au Fils que le Père ne l'a pas abandonné. Jésus meurt sans le moindre doute à ce sujet, dans une grande paix : « Père, entre tes mains je remets mon Esprit ». Voilà pourquoi aussi Jésus peut parler au larron du paradis avec une totale certitude.

                                                                  (suite et fin dans les prochains messages)

 

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Le Christ et le larron (début)

Publié le par Christocentrix

32 On conduisit aussi deux autres personnes, des malfaiteurs, pour être exécutés avec lui.
33 Lorsqu'il arrivèrent au lieu appelé Crâne, ils y crucifièrent, ainsi que les malfaiteurs, l'un à droite, l'autre à gauche.
34 Jésus dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ». Ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort.
35 Le peuple se tenait là et regardait. Les chefs ricanaient, disant: « II en a sauvé d'autres, qu'il se sauve lui-même, si c'est lui le Christ de Dieu, l'élu ».

36 Les soldats se moquaient de lui, s'approchant et lui présentant du vinaigre;
37 Ils disaient: « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ».
38 Il y avait une inscription au dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs ».
39 L'un des malfaiteurs crucifiés le blasphémait : « N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, ainsi que nous ».
40 L'autre lui répondit, en le reprenant : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation que lui ?
41 Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos actes, mais lui n'a rien fait de mal».
42 Puis il dit « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ».
43 Jésus lui dit: « En vérité je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ».
44 Il était déjà environ midi, et il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu'à trois heures;
45 Le soleil ayant disparu. Et le voile du Temple fut déchiré par le milieu.
46 Alors Jésus s'écria d'une voix forte : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ». Ayant dit cela, il expira.
47 Voyant ce qui était arrivé, le centenier glorifia Dieu, disant: « Certainement, cet homme était juste».
48 Et tous ceux qui assistaient en foule à cette scène, ayant vu ce qui était arrivé, s'en retournèrent en se frappant la poitrine.
49 Tous ses familiers se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui l'avaient suivi depuis la Galilée et qui regardaient tout cela. (Luc 23)


                                                                                  ***

Aucune mort, assurément, ne laisse indifférent ; or, ils sont trois ici à voir venir la mort en face, trois suppliciés à partager côte à côte leurs derniers instants ; et parmi les trois se trouve notre Seigneur Jésus, le Fils bien-aimé de Dieu le Père... Aucun récit biblique, assurément, n'est aussi poignant que celui-là... Ce que relate Luc nous remplit d'émotion, mais d'une émotion si grande qu'elle est au-delà de tout entendement, au-delà de tout mot pour l'exprimer. Luc, d'ailleurs, ne sait pas ou n'ose pas l'exprimer, si bien que c'est dans le silence qu'il nous faut le plus la chercher.
Or, du silence il y en a ! Ce texte en est rempli, débordant...
Il suffit de peu pour s'en rendre compte : ce qui, en effet, est décrit en quelques lignes s'est passé en six heures. Six longues heures d'agonie en une dizaine de versets seulement... : c'est dire à quel point ce récit est imprégné de silence.


Un simple coup d'oeil sur le texte, et l'on a vite fait le compte des paroles dites par les suppliciés : Jésus en prononce trois, l'un des malfaiteurs en dit une, et l'autre deux. Six paroles en six heures ! C'est dire à quel point l'agonie de ces hommes est marquée par le silence !
D'autres paroles s'ajoutent à celles des trois condamnés ; mais on les compte encore sur les doigts de la main : il y a celle des chefs, celle des soldats, puis, beaucoup plus tard, après la mort de Jésus, celle d'un centenier. Et c'est tout !
Tout le reste est silence...
En dehors des chefs et des soldats, le peuple ne dit pas la moindre parole. Un peu en retrait, à l'écart, quelques familiers de Jésus et quelques femmes venues de Galilée ne sortent pas non plus du silence. La mort s'approche sans faire le moindre bruit, alors que, pour couronner le tout, plane l'immense silence de Dieu, auquel nul ne peut être indifférent... Le Fils meurt dans le silence de son Père...

Lorsque le soleil disparaît, il n'entame en rien le silence qui règne. Les ténèbres s'installent, sans bruit, sur toute la terre. Un seul bruit vient troubler le silence, un bruit étrange, angoissant même : celui du voile du Temple qui se déchire...
Après cette déchirure, le silence reprend le dessus, s'installe à nouveau, si grand qu'il est possible d'entendre Jésus expirer...

Et Jésus expira... ! A notre tour d'être étreints par le silence devant l'indicible.

Six longues heures
Luc donne une seule information concernant la durée de ces événements ; il nous dit que les ténèbres envahirent la terre pendant trois heures : de midi jusqu'à trois heures (v. 44). C'est grâce à Marc que nous pouvons dire que l'agonie de Jésus s'est étalée sur environ six heures, puisque cet évangéliste nous apprend que les suppliciés ont été crucifiés dès neuf heures du matin (15.25).
D'après l'Evangile de Jean, nous savons que Jésus est mort avant les deux autres suppliciés (19.32s), sans que nous sachions exactement combien a encore duré l'agonie de ces derniers. Pas plus de quelques heures en tout cas, puisqu'on leur a brisé les jambes pour qu'ils meurent plus vite, avant la tombée de la nuit.
Tel est donc ce récit extraordinairement sobre et dense à la fois, qu'il est bon de méditer lentement, au rythme des paroles et des silences, en sachant que sa profondeur est trop grande pour nous.

L'accompagnement dans la mort
Nous sommes aujourd'hui très attentifs à l'accompagnement des mourants. Or, vu sous cet angle-là, ce récit est encore extraordinaire. Nous voici, en effet, placés devant l'agonie de deux malfaiteurs qui ont l'immense privilège d'être accompagnés dans la mort par nul autre que Jésus lui-même. Et le fait est que Jésus va admirablement accompagner ces deux hommes. Il va même jusqu'à partager leur mort et mourir avec eux. Qui ne souhaiterait être ainsi accompagné par Jésus ?
Mais en même temps, si Jésus accompagne ces deux mourants en mourant avec eux, lui-même est accompagné dans la mort par ces mêmes deux compagnons de supplice. Jésus ne meurt pas seul. Ses deux voisins partagent aussi sa mort. Certes, chacun d'eux accompagne Jésus à sa manière, l'un en blasphémant, l'autre en se convertissant, mais ils sont là tout de même et nous font découvrir comment Jésus, tant bien que mal, a pu être accompagné, sans oublier l'accompagnement qu'il a pu recevoir de tous les témoins de sa mort, là encore de manière très contrastée, avec les sarcasmes des uns, mais aussi avec l'émouvant silence que l'on devine compatissant, de la part de ses familiers et des femmes de Galilée qui ne le quittent pas des yeux pendant les longues heures d'agonie ; présence réconfortante à laquelle s'adjoint celle du centenier, dont l'exclamation finale dénote son extrême attention.
Tel est donc ce texte qui nous donne à contempler Jésus, accompagnant deux mourants en mourant avec eux, et lui-même accompagné dans son agonie.

Un échange de paroles et de silences
Mourir à côté de Jésus, n'est-ce pas extraordinaire ? Cela l'est tellement que Luc nous invite par son récit à entrer dans ce mystère. Mais il est le seul évangéliste à le faire ! Serait-ce parce qu'il est médecin que Luc se fait plus proche des mourants ? Peut-être ? Toujours est-il que les trois autres évangélistes, qui sont d'accord toutefois pour mentionner la présence des deux malfaiteurs crucifiés, ne disent rien de leur rencontre avec le Christ. Luc est le seul à nous rapporter les quelques paroles échangées entre les trois suppliciés. Suivons-le pour entrer dans ce dialogue.
Un dialogue de six heures : c'est très long ! C'est en tout cas, d'après les Evangiles, le plus long des dialogues auxquels Jésus a pris part. Un échange avec si peu de paroles et tant de silence, c'est aussi très rare ! C'est tellement exceptionnel que les silences de ce récit ne peuvent pas être négligés ; ils sont à approfondir autant que les paroles. Et le fait est que dans cette rencontre chaque silence met en relief et prolonge les paroles qu'il reçoit ; chaque parole bouleverse ou transfigure le silence qu'elle remplit : bref, paroles et silences se côtoient, s'interpénètrent et se mêlent, livrés à notre méditation.

La source de ce récit de Luc
Luc ne fait pas partie des disciples de la première génération ; il a dû s'appuyer sur plusieurs témoignages pour rédiger son Evangile (cf. 1.2). Qui donc a entendu le dialogue entre Jésus et le larron pour le lui transmettre ? Qui donc était assez proche de la croix pour entendre ce que se sont dit les crucifiés ? Qui donc Luc a-t-il pu interroger pour nous rapporter ce qu'aucun autre évangéliste n'a raconté ?
Matthieu et Marc ne rapportent de Jésus en croix que des paroles qu'il a criées, comme cela est bien précisé dans ces deux Evangiles (cf. Mt 27.46, 50 ; Mc 15.34, 37). Matthieu et Marc ne rapportent que des cris de Jésus. Les récits qu'ils nous donnent sont ceux de témoins qui se tenaient à distance. Chez Jean il en va autrement, mais cela se comprend bien, car ce disciple était près de la croix. Quant à Luc, il n'était certainement pas au pied de la croix pour entendre ce que pourtant il nous transmet ! Qui donc l'a informé ?
Près de la croix se tenaient aussi des femmes, nous dit Luc. Laquelle a-t-il pu interroger, sinon celle qu'il a aussi interrogée pour raconter le récit de l'enfance, c'est-à-dire Marie, la mère de Jésus. Tout le récit de l'enfance chez Luc a manifestement sa source dans les informations données par Marie. Il en va de même, me semble-t-il, pour le récit de la crucifixion.
Marie, nous dit Jean, était aussi près de la croix (Jn 19.25). Or, curieusement, Luc reste silencieux sur ce point. Pourquoi un tel silence ? Luc sait, bien sûr, par Marie elle-même, qu'elle était proche de la croix, mais pourquoi n'en dit-il rien ? Ce silence traduit, je crois, l'extrême pudeur de Luc sur la souffrance de Marie. Au pied de la croix, la douleur de cette mère est au-delà de tout, indicible. Luc est dans une telle incapacité à mettre des mots sur cette extrême douleur qu'il préfère garder le silence, mais pas un silence total, cependant.
Au tout début de son Evangile, Luc nous rapporte la prophétie prononcée par Syméon dans le Temple devant Marie. Habité par le Saint Esprit, le vieillard lui a dit : « Toi-même, une épée te transpercera l'âme » (2.35). Telle sera donc la souffrance de Marie au pied de la croix : la souffrance que fait une épée qui transperce l'âme... Cela dépasse l'entendement !
Près de la croix, Marie a connu la douleur annoncée par Syméon. Luc le sait. Il nous en a informés au début de son Evangile. Il n'en reparlera plus. Cela ne se raconte pas !
Si donc Marie a été le témoin privilégié de Luc pour son récit de la crucifixion, alors bien des aspects de ce récit s'éclairent.
Le dialogue que Marie a entendu entre son fils et le bon larron est pour elle un véritable baume pour son âme endolorie. Elle a le bonheur d'entendre, au milieu des insultes, un homme parler avec douceur à son fils : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton (règne) royaume ». Enfin, quelqu'un qui n'insulte pas! Quel soulagement pour Marie qui ne peut oublier une telle parole.
Mais quel soulagement encore pour cette femme d'entendre la réponse qu'elle ne peut non plus oublier : « Tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis ». Quel réconfort pour cette mère ! Son fils sera donc au paradis ! Aujourd'hui même... L'âme, qu'une épée a transpercée, a reçu de son fils de quoi ne pas mourir de douleur. Marie peut s'abandonner à la méditation de ce qu'elle a entendu, alors que les ténèbres sont pourtant en train d'envahir la terre. Pendant ces heures ténébreuses, Marie est tellement plongée dans cette parole d'espérance qu'elle n'écoute plus ce qui pourtant s'est entendu de loin, et que Marc et Matthieu nous rapportent : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ». Ce cri de douleur, insupportable pour une mère, Marie ne l'a pas entendu ! Son âme transpercée était ailleurs, transportée par l'évocation du Paradis.
Tout le récit de la croix, chez Luc, vient de Marie qui n'en rapporte que ce qu'elle a pu entendre avec son âme transpercée et cependant apaisée. Cela donne à ce récit une empreinte d'une paradoxale douceur qui ne se trouve pas chez les autres Evangélistes. A travers Luc, nous entendons une mère raconter la mort de son fils ... Jésus ne crie jamais ; il ne sort de son silence que pour remplir un larron d'espérance. Pour le reste, il n'est que prière, totalement tourné vers son Père, comme il l'a toujours été (cf. Lc 2.49).
Il est un autre point qui peut être expliqué par le fait que Luc tient son récit de Marie : jamais il n'est dit dans ce récit quelles ont pu être les souffrances physiques endurées par Jésus sur la croix. Luc fait silence sur ce point, alors qu'auparavant dans son Evangile il nous rapporte les paroles mêmes de Jésus, annonçant qu'il « souffrirait beaucoup » (9.22 ; cf. encore 22.15, puis 24.26,46). On le comprend : comme toute mère, Marie a forcément été sensible aux souffrances éprouvées par son fils, mais il lui a été impossible d'en parler. Une mère ne trouve pas les mots pour dire ce qui pour elle est insupportable.

La première parole
Une fois les trois condamnés cloués sur leur engin de supplice, le premier à prendre la parole est Jésus. Personne encore ne s'est mis à parler parmi les bourreaux, les familiers ou les spectateurs. Le Golgotha est en silence autour des trois crucifiés. Ces derniers ont donc toute possibilité de se parler ; ils sont assez proches l'un de l'autre et encore assez valides pour le faire.
Jésus est le premier à parler, et d'emblée sa parole ne peut qu'interpeller et inviter au silence. Elle ne s'adresse pas aux autres crucifiés, ni à personne dans la foule. Elle est cependant dite à haute voix, avec assez de force pour que les autres suppliciés au moins l'entendent. Cette première parole est une prière : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».
Aucun des deux malfaiteurs ne réagit sur le moment à cette prière, mais elle va faire son chemin dans le coeur de chacun, dans le silence de chacun, comme nous allons nous en rendre compte, grâce à la suite du récit.
Celui qui aurait à répondre à cette parole de Jésus devrait être celui auquel elle s'adresse : Dieu... Or, Dieu se tait... Le silence du Golgotha après la prière de Jésus souligne le silence de Dieu. Dieu va-t-il répondre ? Dans l'attente de cette réponse, le silence de Dieu invite chacun à garder le silence et permet à chacun de méditer et d'approfondir cette prière de Jésus.
Si nous ignorons quel chemin la prière de Jésus fait dans les coeurs de tous ceux qui l'ont entendue, nous constatons que l'un des deux malfaiteurs va être très touché par elle et qu'il va même à partir d'elle parcourir tout un chemin, qui ne sera rien de moins qu'un extraordinaire chemin de conversion !
Non seulement Jésus accompagne deux mourants, mais il accompagne aussi l'un d'eux sur son chemin de conversion, et cela de manière tout à fait extraordinaire !

Une conversion passée inaperçue
Les deux suppliciés ne sont rien moins que des « bandits », comme disent Matthieu (27.38,44) et Marc (15.27), des « malfaiteurs », dit Luc (v 32, 33, 39), bref des gens peu recommandables... Pour plus de clarté, pour distinguer les malfaiteurs entre eux, j'appellerai celui qui se convertit « le bon larron », suivant la tradition, mais sans que cela soit un jugement porté sur l'autre.
Sur une croix, comme sur tout engin de supplice, on a de fortes chances de rencontrer des gens de mauvaise fréquentation... C'est bien le cas ici pour les voisins de Jésus, mais Jésus n'a pas le choix. Cependant, il ne manifeste aucun mépris pour eux. Au contraire même ! Durant tout son ministère, il n'a cessé de dire qu'il était venu pour les pécheurs. Le voici donc avec deux d'entre eux maintenant. Il peut poursuivre auprès d'eux son ministère, et c'est ce qu'il va faire, en effet. Admirable Jésus, qui accomplit jusqu'à son dernier souffle la tâche qui lui est confiée !
Est-ce parce qu'il s'agit de brigands que Marc, Matthieu et Jean ne prêtent aucune attention au dialogue entre les trois crucifiés? Je ne sais ! C'est possible ! Mais il est à noter que ces trois évangélistes passent de ce fait sous silence une conversion qui a pourtant de quoi nous interpeller.
Voici donc un brigand qui se convertit à l'heure de sa mort ! Cela donne à réfléchir sur la mort des gens peu recommandables, des païens notoires ! Voici un homme qui va au paradis, alors que tout le monde le mettrait en enfer ! Voici un homme qui meurt sanctifié par une parole de Jésus, alors que Matthieu, Marc et Jean n'y prêtent aucune attention ! Gardons-nous de juger les païens, les gens peu recommandables, les bandits notoires... Qui sait ce qu'ils deviennent au moment de leur mort ? La conversion du bon larron nous montre que des coeurs peuvent, à notre insu, s'ouvrir à la foi. Des yeux peuvent s'ouvrir à la contemplation du Christ au moment de la mort...
Aucun disciple n'a pris la peine d'évangéliser ces deux malfaiteurs. Personne n'a prié pour eux à l'approche de leur mort. Seul Jésus s'en est soucié, comme un berger prend soin de chacune de ses brebis, et même d'une brebis perdue ... ! Béni soit-il !

                                                         ( la suite dans les prochains messages....)

 

 

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Nikoloz Baratachvili : destin de la Géorgie

Publié le par Christocentrix

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Baratchvili mon coursier

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portrait Baratachvili NikolozLe poète géorgien Nikoloz Baratachvili est le premier et le plus grand poète romantique de la poésie géorgienne. L'importance de son oeuvre ne saurait se mesurer ni à la langue dans laquelle il écrit ses vers, ni à l'époque où il les compose, ni au volume de l'oeuvre qui se réduit à ce mince recueil, car il appartient à cette catégorie de poètes qui chantent des sentiments profondément ancrés dans le coeur de l'homme que la marque du temps et la barrière de la langue sont impuissants à en limiter la portée.

Son existence n'a rien que de banal sinon qu'il était issu d'une famille aristocratique dont la lignée maternelle parentait au roi de Géorgie Irakli II. Il est né le 15 décembre 1817. En 1827, il entre à l'école réservée aux enfants nobles et reçoit l'enseignement de grande valeur du pédagogue C. Dodachvili, qui le révéla à lui-même.  On sait que ce maître fraternel eut une grande influence sur le jeune poète et l'aida à découvrir les dons qu'il portait en lui. 

Peu après sa sortie du collège, Baratachvili fut obligé de prendre un emploi dans l'administration et d'entrer à la chancellerie de la justice ; il y travailla petitement dans une atmosphère que ses lettres nous donnent à imaginer, c'était le monde sans horizon que dépeint « Le Revizor », la pièce de Gogol qui fut jouée en cette même année 1836. C'est seulement après huit années passées dans cette ambiance où devaient régner l'arbitraire et la mesquinerie, qu'il obtint un travail mieux rémunéré et moins accablant lorsqu'il fut nommé adjoint civil du gouverneur de la province de Nakitchevan, puis de celle de Gandja, toutes deux récemment acquises à l'Empire après la guerre russo-perse que les troupes russes, où servait une grande partie de la noblesse géorgienne, venaient d'achever victorieusement. En mars 1845, le poète se rend à Tiflis (Tbilissi) où il effectue un ultime séjour qui dure trois mois, puis il repart pour Gandja où il passe les derniers moments de son existence dans une bourgade déshéritée au climat aride ; atteint de congestion pulmonaire, il y meurt dans la solitude, âgé de 28 ans.

Ses oeuvres manuscrites qui n'ont jamais été publiées de son vivant furent rassemblées et conservées par les soins pieux d'une amie ; elles ne furent éditées pour la première fois que près de vingt ans après sa mort dans la revue littéraire « Tsiskari », le plaçant d'emblée au rang des plus grands écrivains géorgiens. Le transfert des cendres de Nikoloz Baratachvili, de Gandja à Tiflis, sera en 1890 pour l'intelligentsia de la Géorgie, l'occasion d'organiser une importante manifestation contre l'oppression nationale à laquelle étaient soumises les nations colonisées dans l'Empire tsariste.

La poésie de Nikoloz Baratachvili est l'aboutissement de toute une série d'influences convergentes. Il faut se représenter la situation de la Géorgie et de l'Empire russe dans cette première moitié du XIXème siècle, et particulièrement dans les années entre lesquelles s'inscrit la brève existence du poète. La Géorgie, située au pied du Caucase sur la rive orientale de la mer Noire, est un pays de très ancienne existence puisqu'elle comprend la Colchide des légendes grecques et l'Ibérie décrite par Strabon. Harcelée par les incursions des Turcs et des Persans, elle avait signé à la fin du XVIIIème siècle un traité qui la plaçait sous la protection de la Russie dont la rapprochait son appartenance à la même religion ; elle se tournait également, par ce biais, vers l'Europe dont elle avait été séparée depuis la chute de Byzance. Mais en 1801, elle avait été annexée d'autorité et incorporée dans l'Empire russe.

Sombre et cruelle époque où dans tout l'Empire sévissait, depuis 1825, le règne tyrannique de Nicolas Ier... La contrainte intellectuelle allait au point que, dans les ouvrages d'histoire enseignée dans les gymnases, la censure supprimait les noms des héros de l'antiquité qui avaient lutté pour la liberté. Après la Révolution de Juillet dont les vagues s'étaient étendues à toute l'Europe et menaçaient la Russie; le Général Paskevitch qui venait tout juste de quitter le poste de Gouverneur du Caucase, noyait dans le sang l'insurrection des patriotes polonais. Dans cette période de réaction, sous l'influence de l'élite intellectuelle déportée au Caucase, des Décembristes russes et des patriotes polonais, une conjuration s'était formée en Géorgie en 1832 en vue de redonner au pays son indépendance mais elle avait été dénoncée et ses membres arrêtés et proscrits.

Le même échec assombrissait la vie privée du poète. Son enfance s'était déroulée dans une atmosphère où la douceur de la vie familiale était rendue étroite et morose par la contrainte de l'argent. Maintenant, en raison de ses difficultés matérielles, son père l'empêchait de donner suite à son rêve de gloire et d'action en lui interdisant la carrière des armes ou la poursuite de ses études à l'Université, brisant net l'inclination à agir et l'impatience de gloire qu'enfermait alors en son coeur tout adolescent doué de quelque noblesse d'âme. Certes, dès qu'il est en âge de fréquenter le monde, Baratachvili ne cesse de participer aux réceptions de la société aristocratique, à se mêler à tout ce que Tiflis (Tbilissi), petite capitale du Caucase, compte de jeunesse dorée, de fins esprits et de séduisantes beautés. On se réunit dans le salon des Tchavtchavadzé, l'une des familles illustres de la Géorgie, dont le père est un poète de grande valeur, traducteur de Racine, de Voltaire et de Parny, et les trois filles, de troublantes égéries qui inspirent aux jeunes gens des amours passionnées. Baratachvili est follement amoureux de l'une d'elles, cette Catherine à qui il dédiera la plupart de ses vers, et est lié d'amitié avec l'autre soeur, Nino, veuve de l'écrivain Griboedov. En société, il se montre joyeux, enthousiaste, il compose des épigrammes, joue du thari ou du tchongouri, les guitares d'orient, et raffole de danse malgré une claudication consécutive à un accident survenu à l'âge de quinze ans.

Mais, pas plus que celui de Musset ou de Stendhal, le dynamisme de Baratachvili ne doit nous tromper ; ce n'est pas la coterie mondaine qu'il fréquentait, si éclairée qu'elle fût, éprise même de belles lettres et d'idées libérales, qui pouvait fournir à son esprit le climat qui lui était nécessaire. Il aimait la gloire, l'amour et la générosité et aspirait intensément au bonheur. Or, après l'échec de la conspiration, il régnait à Tiflis, comme dans toutes les petites capitales des provinces et des principautés d'Europe, un esprit semblable à celui que Stendhal évoque dans « Lucien Leuwen », le roman inachevé qu'il commence précisément à écrire en 1834, l'année dont sont datés les premiers vers de Baratachvili - « C'étaient avant tout, des hommes d'esprit et de plaisir qui, peut-être, le matin s'occupaient sérieusement de leur fortune, mais, le soir, se moquent de tout au monde, vont à l'Opéra, et surtout ne chicanent pas le pouvoir car pour cela il faudrait se fâcher, blâmer, être triste ». Tel était l'air du temps; il fermait la réalité aux âmes inquiètes et aux nobles ambitions et les dérivait vers le rêve et l'imaginaire. C'est sur ce fond que se développe la sensibilité romantique dont Lermontov, le grand contemporain de Baratachvili a tracé un tableau saisissant dans « Un héros de notre temps ».

L'absence d'ouverture au monde, le défaut de prise sur la réalité, l'impuissance à peser sur le cours des événements tendent naturellement à donner une particulière exaltation aux sentiments et à ressusciter le mythe éternel de « l'amour fou » que tous les poètes lyriques ont de tout temps célébré; mais la sensibilité romantique lui confère une résonance d'un tout autre diapason qui tient sans doute à ce que l'amour devient alors une nécessité vitale. L'individu romantique, impuissant à saisir le monde et à communiquer avec lui, ayant perdu son « être social », son « double », ou, comme le héros de Chamisso, son « ombre », la femme devient, pour reprendre l'émouvante expression de Novalis, « l'essence complémentaire » qui permet à l'homme de s'accomplir. C'est pour cette raison que les thèmes de l'absence d'amour et de la solitude douloureuse de l'âme se mêlent si intimement dans la poésie de Baratachvili. Pour se faire une idée plus précise de son état d'esprit, il importe de se rappeler qu'il existe deux niveaux dans l'acuité du désespoir et dans la puissance de l'angoisse ; il y a d'une part l'exaltation poétique banale de la douleur, cette jouissance de la mélancolie par laquelle les poètes romantiques, et non des moindres, répondent habituellement aux injures de la réalité, et puis, il y a un « crève-coeur », un registre de la douleur beaucoup plus profond et plus grave où le mal-aimé ne sent pas seulement que tout est dépeuplé par l'absence d'un être cher, mais où il pressent qu'il est en quelque sorte damné, condamné par une voix mystérieuse ! Le poème « L'âme solitaire » a le même accent poignant que le « desdichado » de Nerval, le déshérité.

Les êtres d'une essence si fine sont naturellement enclins au mysticisme ou au panthéisme ; dans le cas de Nerval, si proche de Baratachvili, l'épanchement du rêve dans la réalité conduit à une mystique, à un syncrétisme qui unifie toutes les croyances et qui pacifie toutes les discordes de l'âme. Chez Baratachvili la communion avec la nature fait l'objet d'une effusion panthéiste où l'on retrouverait sans peine des thèmes néo-platoniciens hérités de Roustavéli. C'est la nuit surtout, la grande nuit qui marche, chère à Baudelaire, qui touche le plus profondément le coeur du poète. Durant ces instants privilégiés, lorsque le favorable minuit le contemple en silence et le scrute de ses milliers de prunelles dardées dans l'ombre, il ne se sent plus isolé du monde, il n'est plus exclu de l'amour et de la communion des créatures.

Le poète ne se complaît pas seulement dans la communion avec la nuit; un grand appel vers la lumière, un appel à la liberté et à la révolte, s'élève de son oeuvre pour annoncer que la douleur humaine n'est pas vaine, qu'elle n'est que le chemin aride qui permet d'accéder à l'ivresse de la connaissance du monde. Le romantisme de Baratachvili tourné vers le combat pour l'avenir, ne prône pas seulement le courage qui fait affronter la solitude, il enseigne aussi à traverser les abîmes, à affronter les cris des corbeaux et les ululements des vents. A travers la poursuite farouche, sans fin mais non désespérée de l'Idéal, le beau poème de « Mérani » (traduit dans ce volume sous le titre : mon coursier) trace en lettres de feu l'idée que cette prospection inquiète n'est pas inutile ou insensée :

Je n'aurai pas été l'inutile victime

Car le chemin frayé ne s'effacera pas ;

Les poètes demain retrouveront tes pas,

Et leurs chevaux sans peur franchiront les abîmes.

Il affirme hautement que le poète et l'homme ne sont pas sur terre sans raison. La soif de l'absolu est inséparable de la soif de l'action. Les thèmes et les poèmes d'inspiration politique et nationale montrent que les malheurs de la patrie et l'échec politique de 1832 ont causé au poète une inguérissable blessure. Le long dialogue du « Destin de la Géorgie » est une sorte de monologue divisé où, comme le jeune Hamlet, Baratachvili s'interroge sur ce qu'il faut assumer pour que la nation puisse être. Pour sauver la Géorgie des massacres et des dévastations qui menacent son peuple de la destruction physique, le vieux Roi a décidé de demander la protection de la Russie à laquelle l'unissent les liens de la foi ! Il n'est pas d'autre issue, mais que deviendra la liberté de son peuple ? Quel en sera le futur destin ? C'est ce dilemme, ce déchirement qu'exprime le poème dans lequel s'ébauchent les prémisses du réalisme que le grand poète et penseur Ilya Tchavtchavadzé développera dans la seconde moitié du XIXème siècle.

Dès le début de son oeuvre poétique, Baratachvili manifeste à l'évidence le souci d'échapper à l'influence orientale et archaïsante qui avait cours dans la littérature géorgienne et dont le plus éminent représentant était son oncle, le poète G. Orbéliani. Si l'on trouve dans les premiers poèmes de Baratachvili une certaine préciosité de ton, des images bibliques, des périphrases classiques qui l'apparentent à ses devanciers, il se libère très vite des formes traditionnelles pour revenir à la vérité et à la vie, à une représentation libre et complète de la nature. Il retrouve d'instinct le verbe naturel et puissant de Chota Roustavéli et, le premier, il introduit dans la littérature de son pays le ton et les motifs de l'Europe, en faisant passer dans sa poésie l'expression des rêves, des regrets et des révoltes qui forment la trame de sa vie intérieure. Dès lors, la musique et le rythme de ses vers jaillissent avec l'aisance et la fluidité d'un jeu d'eaux ; ils confèrent à sa poésie le charme et la pureté de la source, si difficiles à rendre perceptibles à travers le voile de la traduction.

Baratachvili n'a pas eu le temps de laisser une oeuvre poétique considérable ; outre les poèmes que nous présentons ici, on ne compte de lui que des lettres et quelques ébauches de poèmes. Il semble que ce ne soit qu'un mince filet, mais, repris et transmis par les générations, ces vers que chacun de ses compatriotes connaît par coeur forment un fleuve inépuisable. Avec celles de Roustavéli et de Galaktion Tabidzé, il n'est pas dans la poésie géorgienne de voix plus émouvante. Le public russe qui connaît son oeuvre par une admirable traduction en langue russe due à l'art inspiré de Boris Pasternak, le place à juste titre aux côtés de Pouchkine et de Lermontov, dans la troupe sacrée de ceux qui portent l'étoile au front, parmi les purs poètes qui célèbrent et illuminent la vie des hommes; « Hors de leur calme demeure, dit Hôlderlin, les Dieux envoient souvent leurs favoris séjourner quelque temps sur la terre afin que, devant leur noble image, le coeur des mortels se réjouisse et se souvienne ».

 

 (ce texte, traduit du géorgien, est de Serge TSOULADZÉ, qui l'a écrit à Tbilissi en Juin 1968.)

 

Les poèmes du recueil "Destin de la Géorgie" ont été adaptés par Max Pol Fouchet, Pierre Gamarra, Jacques Gaucheron et Guillevic ont été traduits du géorgien par Gaston Boitchidzé. L'admirable édition bilingue (Editeurs Français Réunis) présentée ici date de 1968. (140 pages, 35 poèmes).

 

 

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Vous êtes trois, nous sommes trois

Publié le par Christocentrix

court-métrage russe sous-titré français. D'après la nouvelle de Tolstoï intitulée "Les 3 vieillards".

https://youtu.be/gVRZ_LCNFpw

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Avant de tuer les Dieux, songer aux monstres qui naîtront de leurs cendres...

Publié le par Christocentrix

 

Le mal, l'absurde, l'impossible - des échelons que Dieu nous invite à gravir pour aller à Lui. Pourquoi faut-il que nous en tirions des arguments pour nier son existence ?

Sophismes nietzschéens de la "Nouvelle Droite" . L'Univers ; un chaos ordonné par l'homme ? je veux bien. Mais qui a ordonné cet ordonnateur?
La métaphysique, traduction des besoins psychologiques? C'est trop souvent vrai. Mais quel instinct métaphysique - celui de la vérité nue et peut-être mortelle - nous fait-il récuser ces métaphysiques issues de la psychologie ?
Transcendance irréductible de l'homme à l'égard de tout l'humain : sa dignité consiste en ceci qu'il peut se poser des questions métaphysiques et son infirmité en ceci qu'il ne peut en résoudre aucune. Aveugle devant la vérité, mais capable de dire : qu'est-ce que la vérité ?

L'amour de la vérité : générateur de doutes infinis sur la vérité de l'amour.
la foi sans vêtements......

Silence de Dieu - Silence surtout de moi à Dieu. Plutôt ne pas lui parler que de confondre sa réponse avec l'écho de ma propre voix. Mais je crois encore ; je crois contre toutes les raisons de douter et contre toutes les raisons de croire. Je crois de toute mon incrédulité.

.....Il y a un péché d'espérance comme il y a un péché de désespoir. Il faut savoir mourir inconditionnellement....
...mais ce Dieu que je retrouve sans fin dans l'amertume sans fond de l'avoir perdu....

Toujours Gethsemani. Dieu devant le froid absolu de la mort -- Dieu qui n'est jamais si Dieu que lorsqu'il ne sait plus qu'il est Dieu....

Je n'ai rien à partager que ma nuit -- terreur sans fond et espérance sans forme -- refusant de savoir si elle est  grosse ou non d'une aurore. Je suis un aveugle qui fait crédit aux ténèbres....

"Ne tue pas ton plus haut espoir" (Nietzsche). On laisse mourir, on aide à mourir son âme pour ne plus entendre le reproche silencieux qu'elle fait par ses blessures. Ne pas achever le Dieu blessé....

Avant de tuer les Dieux, songer aux monstres qui naîtront de leurs cendres.....


                       extraits de "le Voile et le Masque" (Gustave Thibon)




 

 

 

 

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