Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Merveilles du chant byzantin

Publié le par Christocentrix

 

   

 faites aussi une visite virtuelle de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople...  

 

 

 

Voir les commentaires

Je vous ferai devenir...(Evangile-premiers disciples)

Publié le par Christocentrix

La force de la parole de Jésus, sa puissance, est à considérer sous un autre angle qu'il est bon d'examiner.

 « Je vous ferai devenir » : dans cette expression, Jésus emploie le verbe « faire ». Il annonce qu'il va agir sur les disciples, au point de les faire devenir ce qu'ils ne sont pas encore. Si les disciples deviennent pêcheurs d'hommes, ce sera à la suite de l'intervention de Jésus sur eux.

 En grec biblique, le verbe « faire » est extrêmement fort, plus qu'en français. C'est un verbe qui contient l'idée de création. Cela apparaît très clairement dans le premier verset de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », dit le texte hébreu. Dans sa traduction grecque, ce verset devient: « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre ». Le grec n'édulcore pas ici l'hébreu, car le verbe « faire » en grec inclut le sens de « créer ».

 C'est avec l'intensité de ce verbe « faire » qu'il nous faut entendre la parole de Jésus: « Je vous ferai devenir » : la puissance mise en oeuvre par le Christ est une puissance créatrice : Jésus va faire de ses disciples des créatures nouvelles. Celui par qui tout a été créé dans le ciel et sur la terre, exerce maintenant sa puissance créatrice sur ses disciples.

 Cependant, les créatures nouvelles qui sont l'oeuvre du Fils de Dieu, ne se mettent pas à exister à partir de rien, mais à partir de leur être ancien. Tout le thème de l'homme ancien et de l'homme nouveau apparaît ici. Et Marc nous y rend attentifs avec deux expressions qu'il met côte à côte : « ils étaient pêcheurs », c'est-à-dire pêcheurs de poissons (v 16) : voilà ce qu'étaient les quatre Galiléens, dans la réalité de leur être ancien. Ils vont « devenir pêcheurs d'hommes »(v 17) : voilà ce que seront ces quatre Galiléens, en tant qu'hommes nouveaux, grâce à l'intervention créatrice du Christ.

 L'intervention du Christ est ici très claire, dans le passage du verbe « être » au verbe « devenir ». Ce qu'étaient les disciples et qui était immuable, de génération en génération de pêcheurs de poissons, va maintenant passer à une autre réalité qui ne peut venir que du Christ, car sans lui cela n'existe pas : « pêcheur d'hommes » est une notion inconnue, qui n'a de sens qu'en Christ. Ce n'est que par l'intermédiaire de Jésus que l'on peut devenir pêcheur d'hommes.

 Ce « devenir » des disciples, c'est une mise en mouvement, non pas pour des kilomètres, au niveau géographique, cette fois, mais une mise en mouvement à l'intérieur de leur être, au niveau de l'existence. Suivre le Christ, c'est entrer dans un mouvement, dans le mouvement qui est le sien, avons-nous dit. Cela se précise ici : cette mise en mouvement est intérieure, au plus profond de l'être. Cela est possible, non pas de notre propre fait, mais de celui du Christ. En suivant le Christ, je me confie à lui pour qu'il oeuvre en moi avec sa puissance créatrice, et pour que d'une créature ancienne, il fasse une créature nouvelle.

 

Devenir ce qu'il est

Quel est donc cet être nouveau, cette créature nouvelle, qui vient à l'existence par la parole créatrice du Christ ? Comme je l'ai déjà dit, des pêcheurs d'hommes, il n'en existe pas. Ou plus précisément, il en existe un, un seul, qui peut servir de modèle et qui n'est pas à chercher bien loin, en fin de compte, car il est là, à l'oeuvre au bord de la mer de Galilée. Il vient d'ailleurs de pêcher sous nos yeux quatre hommes : la pêche miraculeuse est là ! Jésus a attrapé dans son filet ses quatre premiers disciples. Le pêcheur d'hommes, l'unique véritable pêcheur d'hommes, c'est lui !

Que vont donc « devenir » les disciples ? Des pêcheurs d'hommes, c'est-à-dire ce que Jésus est déjà. Les disciples vont devenir ce que Jésus est : c'est fabuleux ! Ils ne vont pas devenir Jésus, car ce serait une aliénation. Ils restent Pierre, André, Jacques, Jean, avec leur identité profonde. Mais ils vont participer au ministère même du Fils de Dieu, à son être, et devenir ainsi ce qu'il est.

Participer à l'être même du Christ, ce n'est pas rien ! C'est participer à son être divino-humain. C'est devenir ce qu'il est dans cette qualité d'être qu'il partage avec le Père et le Saint Esprit. Lui seul, Jésus, peut « faire » cela dans nos existences. C'est le miracle le plus extraordinaire, mais non pas réalisé en un instant, là, au bord du lac. C'est tout un « devenir » qui commence là, tout un processus profond qui commence et qui va s'étaler sur les années du ministère de Jésus, et au-delà encore. On ne devient pas disciple en un instant, on le devient au fil du temps, au fil de la vie, dans le pas à pas à la suite du Christ. Ce n'est pas notre oeuvre propre, mais celle du Christ créateur. Participer à l'être du Christ, c'est participer à l'être même de Dieu, du Dieu trinitaire ! Affirmer cela, c'est affirmer quelque chose qui me dépasse infiniment ! Cependant la Bible nous y autorise et nous permet ainsi de nous avancer un peu plus dans ce mystère, afin d'y voir un peu plus clair.

 

L'être de Dieu

Le verbe « être » pour les humains, comme pour toutes les autres créatures, est un verbe d'état, un verbe statique. Pour Dieu, et pour lui seul, c'est un verbe de mouvement. Le verbe être : un verbe de mouvement! ? Cela sort, bien sûr, de nos catégories de langage, mais ne nous arrêtons pas là !

Le nom propre de Dieu, appelé « tétragramme » en hébreu, car il est composé de quatre lettres (YHWH), ce nom réclamé par Moïse devant le buisson ardent et que l'on ne prononce pas, car il est trop saint pour nos lèvres impures, ce nom-là est une forme de l'ancien verbe hébreu « être » : HWH. Lorsque Dieu répond à Moïse : « Je suis celui qui suis » (Ex 3.14), il ne donne pas vraiment son nom, mais il indique bien que « être », c'est le coeur de son nom, son identité profonde. De là est venu, comme une confession de foi : « il est » (YHWH).

Or, cette forme verbale qui compose le tétragramme est, curieusement pour nous, non pas une forme du verbe à « l'accompli », mais à « l'inaccompli » (ce sont les deux conjugaisons temporelles en hébreu). Jamais un esprit pétri de philosophie grecque n'aurait accepté de parler ainsi de Dieu, mais l'hébreu l'affirme : l'être de Dieu est de l'ordre de l'inaccompli, c'est-à-dire du devenir, du jamais fini de devenir, de cet éternel mouvement intérieur qui appartient à sa personne même. L'être de Dieu est mouvement infini. En lui, le verbe « être » est bien un verbe de mouvement. Devenir participant de son être, c'est entrer dans ce mouvement.

 

Il est, il était et il vient

En grec biblique, le tétragramme n'a jamais été vraiment traduit, car, en vérité, il ne pouvait pas l'être. Ce nom propre de Dieu est complètement absent du Nouveau Testament, ni transcrit car imprononçable, ni même traduit, car le verbe « être » grec est insuffisant, trop statique, inadéquat, incapable de signifier l'idée de mouvement. Comment faire alors ? Comment rendre compte du nom propre de Dieu dans le grec du Nouveau Testament ?

La plupart des auteurs du Nouveau Testament se sont contentés de faire ce qu'a fait la Septante pour l'Ancien Testament, et ce qui était d'usage courant à l'époque dans le judaïsme : remplacer ce nom par le titre de « Seigneur ».

L'Évangéliste Jean, cependant, est sorti du lot, et de manière véritablement inspirée. Il s'est risqué, en effet, dans une « traduction » originale, faite non pas d'un seul mot, mais de trois, car un seul n'aurait pas suffi ; trois mots qui sont trois formes verbales, qui à elles toutes parviennent à rendre compte au mieux du nom hébreu de Dieu : « Celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1.4). Jean s'est donc mis à déployer le verbe « être » au présent et au passé, en y ajoutant non pas le futur, mais le verbe « venir » pour rendre compte de la notion de mouvement incompatible avec le verbe « être » grec. Admirable Jean, vraiment inspiré, pour désigner ainsi Dieu, le nommant, sans donner toutefois son nom propre, afin de respecter l'interdiction de le prononcer.

« Celui qui est, qui était et qui vient » : tel est le nom que Jean réserve à Dieu (Ap 4.8), au Père (1.4), mais également au Fils (1.8), pour bien souligner que le Christ est Dieu tout comme son Père.

 

Le prologue de Jean

De manière tout à fait admirable, Jean construit le prologue de son Évangile sur ces trois formes verbales, qu'il applique toutes au Christ, pour bien souligner sa divinité, au moment même où il va mettre en avant son incarnation (v 14). Ainsi, le Christ est « la Parole qui était au commencement » (v 1) ; il est aussi la lumière qui vient (v 9), et le Fils unique qui est sur le sein du Père (v 18). On le voit : aux extrémités et au centre du Prologue se trouvent remarquablement disposées les trois expressions qui forment ensemble le nom de Dieu, honorant ainsi son Maître dans sa divinité.

Jean va même jusqu'au bout des possibilités de la langue grecque, en forçant celle-ci pour lui faire dire l'indicible, à savoir que l'être du Christ est un être en mouvement. En grec, le verbe « être », en tant que verbe d'état, ne peut pas être suivi d'une particule avec accusatif, car c'est le propre des verbes de mouvement. Or, au début du prologue, Jean ne dit pas que la Parole « était auprès de Dieu », avec datif (pros tô théô), mais qu'elle était « auprès de Dieu », avec accusatif (pros ton théon). Ce glissement, intraduisible en français, malmène la langue grecque, pour parvenir à faire du verbe « être » un verbe de mouvement, ce qui pourrait se rendre ainsi, « au commencement la Parole était en élan vers Dieu », c'est-à-dire que depuis le commencement, depuis toujours, le Fils est en élan vers le Père.

De la même manière, à la fin du Prologue, Jean ne dit pas que le Fils « est sur le sein du Père », comme il dit par ailleurs que le disciple bien-aimé est « sur le sein du Christ » (13.23 avec datif : en tô kolpô), mais qu'il est « vers » le sein du Père (avec accusatif : eis ton kolpon), ce qui malmène encore le grec pour faire encore du verbe « être » un verbe de mouvement ! Le Fils est sur le sein du Père, de telle manière qu'il est tout à la fois en élan vers le Père et sur le sein du Père, en élan immobile, en élan d'amour éternel. L'être même du Christ, en tant qu'il est Dieu, est un élan d'amour infini.

 

Et le disciple devient fils

En nous faisant devenir ce qu'il est, le Christ nous fait participer à cet élan d'amour éternel qui est propre à Dieu. Christ nous fait participer à l'être même de Dieu, il nous fait devenir « participants de la nature divine », comme le dit Pierre (2 Pi 1.4). Tel est donc le disciple : celui auquel le Christ donne de participer à l'être même de Dieu, à son éternel élan d'amour... Lui seul, assurément, peut « faire » qu'il en soit ainsi !

« Venez à ma suite », dit Jésus, en entraînant les siens sur des chemins jusque-là inaccessibles aux hommes, des chemins sur lesquels nous devenons, par sa grâce, des créatures nouvelles.

Ce que nous découvrons ici, à propos de quatre pêcheurs appelés à devenir pêcheurs d'hommes, nous pouvons l'appliquer à toutes les vocations de disciples, alors même que tous les disciples ne sont pas appelés à devenir pêcheurs d'hommes. Il y a diversité de vocations au sein de l'Église. Chaque chrétien, chaque disciple, est appelé à un service particulier, mais chaque fois la réalité spirituelle profonde est la même : chaque disciple est appelé à devenir par la grâce agissante du Christ, ce que le Christ est. Car le Christ est véritablement et tout à la fois pasteur, enseignant, diacre, aumônier, visiteur d'hôpitaux, etc... De ce fait, chaque chrétien est appelé à suivre le Christ pour être rendu participant de son être, pour devenir ce qu'il est, d'une manière ou d'une autre. La diversité des vocations ne fait que déployer la richesse de l'être unique du Christ. Chaque chrétien dans sa vocation vit une facette du ministère du Christ.

Mais dans cette diversité, une réalité commune est partagée entre tous, à savoir que tout chrétien devient fils ou fille, enfant de Dieu. Ce que nous devenons tous, c'est ce qu'il est, lui : Fils de Dieu. Il est l'unique Fils de Dieu, et ne le devient pas, car il l'est depuis toute éternité, dans son être même. Nous, par contre, nous devenons, par adoption, par grâce, ce qu'il est, lui, par nature. Nous le devenons en partageant sa filialité, en participant à son être.

Cette différence entre lui et nous apparaît clairement dans des tournures évangéliques, auxquelles il nous est bon d'être d'attentifs. D'un côté, au baptême, le Père dit au Christ « Tu es mon Fils » (Mc 1.11), ce qui met en avant l'être du Christ, son être filial. D'un autre côté, dans l'Apocalypse, Dieu dit du chrétien : « Il sera pour moi un fils » (2 1.7), ce qui est une formule d'adoption, qui met en avant le devenir (non plus « uios mou », réservé au Christ, mais « uios moï », avec un datif qui rend l'hébraïsme équivalent au verbe « devenir »). Sans nous, le Christ est toujours Fils. Mais sans lui, nous ne pouvons pas le devenir, car c'est par lui que nous le devenons, lui qui nous rend participants de son être.

C'est cette réalité de notre être en devenir qui fait jubiler l'apôtre : « Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est » (1 Jn 3.2).

 

 

Voir les commentaires

Une parole et un projet (Evangile-premiers disciples)

Publié le par Christocentrix

A l'appel adressé aux disciples, Jésus joint un projet: « Je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes ».

Au premier abord, nous pourrions être tentés de penser que ce projet est ce qui a attiré les disciples. Rien de cela, en fait! La nouvelle profession proposée par Jésus n'est inscrite dans aucune chambre des métiers ! « Pêcheur d'hommes »: ce métier-là n'existe pas ! Même un pêcheur de poissons ne peut imaginer en quoi cela peut consister ! Ni en Galilée, ni dans aucune autre mer au monde il n'existe des pêcheurs d'hommes !

 Si les disciples obéissent, ce n'est pas parce qu'ils convoitent la tâche proposée par Jésus, ni parce qu'ils sont curieux de découvrir cette insolite besogne, mais parce que c'est Jésus qui la propose et qu'elle pourra être découverte à sa suite, avec lui.

L'important dans ce projet, c'est de constater qu'il vient de Jésus et non des disciples. On ne devient pas disciple pour réaliser ses propres projets, si beaux soient-ils ! On n'entre pas dans l'Église pour concrétiser ses rêves ! Heureux celui qui saura dire : " Le Christ en a un projet pour moi, et c'est à cela que je m'efforce de répondre avec le meilleur de moi-même et la force de son Esprit!".  Il n'y a pas besoin d'un projet personnel pour se mettre à la suite du Christ : il s'agit d'entrer dans le projet de Dieu.

Le premier effet de l'appel du Christ, c'est qu'il met en mouvement : les disciples le suivent. La parole de Jésus est si puissante qu'elle fait sortir des hommes de leur barque : ils partent à la suite du Christ. Le mouvement déclenché par la parole du Christ n'est pas n'importe lequel : les disciples suivent celui qui est lui-même en mouvement. Depuis le début de l'Évangile de Marc, Jésus ne cesse de se déplacer, d'avancer. Il vient de Galilée jusqu'au Jourdain ; sitôt baptisé, il remonte de l'eau et s'en va au désert, de là il ressort après quarante jours pour retourner en Galilée. Près de la mer, il ne fait que longer le bord, de barque en barque, pour poursuivre sa route, ensuite, vers Capharnaüm, puis d'autres villages... Celui qui appelle n'a pas même de lieu où reposer sa tête. Il ne cesse d'être en mouvement ! Et les disciples, en le suivant, entrent dans ce mouvement. Être disciple, c'est entrer dans le mouvement du Christ, dans son élan, qui depuis toujours et pour toujours est un élan d'amour. Être disciple, c'est entrer dans l'élan d'amour du Christ.

Pour souligner cette mise en mouvement des disciples, Marc s'est appliqué à décrire ces hommes dans une impressionnante immobilité, jusqu'à ce que Jésus les appelle. Jacques et Jean sont installés dans leur barque, recousant des filets : geste qui demande l'immobilité de la concentration. Quant à Pierre et André, ils ont l'air de s'agiter un peu plus en jetant leur filet dans la mer. Mais en fait il n'en est rien ! Pour bien montrer que même ce geste-là est d'une grandiose immobilité, Marc se donne l'autorisation de faire une faute de grec ! « Jeter un filet » est en grec un verbe de mouvement, qui normalement demande à être suivi d'une particule avec un accusatif pour signifier qu'il y a bien mouvement. Or, curieusement, Marc fait suivre le verbe « jeter » d'une particule avec datif (en tè thalassè : dans la mer), pour bien dire que ce geste, contrairement aux apparences, est sans le moindre mouvement, un véritable arrêt sur image ! Le geste de ces deux pêcheurs est aussi immobile que leur vie ; immobile comme est immobile une vie où chaque jour ressemble au précédent. Marc bouscule la syntaxe pour dire l'indicible d'une vie figée ! Avant que Jésus appelle les disciples, leur vie est donc immobile, toujours la même... A l'appel de Jésus tout se met en mouvement, aspiré par le mouvement même de la vie du Christ.

Lorsque Matthieu écrit à son tour le récit de la vocation des premiers disciples, il n'ose pas reprendre à son compte la « faute grammaticale » de Marc ; il corrige, dans un grec irréprochable : « ils jetaient un filet dans la mer » (eis tèn thalassan, Mt 4.18). Marc a-t-il fait une banale faute de grammaire ? A vrai dire, non ! Marc a tout simplement compris et voulu exprimer que l'élan du Christ, le mouvement dans lequel il nous entraîne, est si extraordinaire que pour en rendre compte il faut bousculer un peu les règles du langage.

Si le Seigneur nous invite à entrer dans son élan, dans son mouvement, vers où nous entraîne-t-il ? Vers quel but nous conduit-il ? Être en mouvement n'est pas un but en soi !

Avant de répondre à cela, il est bon de prendre tout d'abord le temps de méditer sur le fait de marcher à la suite du Christ, à la suite de quelqu'un qui est lui-même en marche. Suivre ainsi quelqu'un, c'est essentiellement le regarder de dos. Nous brûlons peut-être une étape en pensant à notre face-à-face avec le Christ. Nous supprimons en tout cas toute idée de mouvement. Le face-à-face est peut-être pour demain, quand il ne sera plus question de marcher. Pour l'heure il s'agit de le suivre, de le voir non pas encore de face, mais de dos seulement.

Moïse, un jour, demanda à Dieu de le voir face-à-face ; cela lui fut refusé ! il lui fut accordé de laisser simplement Dieu passer devant lui, et de le contempler alors, mais seulement de dos (Ex.22. 33.23). Entrer dans le mouvement de Dieu, c'est pouvoir le contempler de dos. Cela suffit ! Qui pourrait le voir face-à-face et demeurer vivant, en soutenant l'intensité de son regard ? Avec le Christ il en va de même, car il est Dieu ! Commençons par marcher à sa suite, le contemplant de dos seulement... Le face-à-face n'est pas encore pour aujourd'hui !

Mais reprenons notre question : où va-t-il donc ? Vers quel but ? Le début de l'Évangile de Marc (v 1 à 11) répond admirablement à cette question par un superbe paradoxe.

 

Vers le Père...

Le baptême de Jésus décrit parfaitement ce vers quoi est orienté le mouvement du Christ, sans qu'il soit même nécessaire de l'expliciter. En silence, Jésus remonte de l'eau. C'est alors que l'Esprit descend vers lui. Le Fils et l'Esprit vont à la rencontre l'un de l'autre dans un profond silence. À ce moment-là, la voix du Père descend du ciel à la rencontre du Fils qui remonte de l'eau. Le Fils va à la rencontre du Père, dans l'élan suscité par son désir de l'amour du Père. L'Esprit descend, comme descend la voix du Père vers le Fils. Tout n'est qu'élan d'amour entre les Personnes de la Trinité.

Le Fils, habité par cet élan, nous entraîne donc tout simplement dans ce mouvement, vers le Père, vers l'Esprit Saint. « Venez à ma suite », dit tout simplement Jésus. Sa parole a l'intensité de la force infinie de l'amour trinitaire. Le mouvement dans lequel il nous entraîne s'inscrit dans l'ineffable élan d'amour infini qui entraîne le Père, le Fils et l'Esprit Saint dans une danse éternelle. Devant un tel élan, une faute de grec se permet de dire combien nos vies sont immobiles et combien elles sont bousculées par l'irruption de la parole de Dieu, qui nous entraîne dans son mouvement.

« Je suis le chemin... nul ne vient au Père que par moi », dit Jésus, en employant une tournure exprimant un mouvement (Jn 14.6). Le Père : tel est donc le but de notre marche à la suite du Christ, sur le chemin qu'est le Christ.

Il est bon, me semble-t-il, de lever un énorme contresens, fait très fréquemment aujourd'hui sur cette parole, par laquelle Jésus se décrit comme étant le chemin, l'unique chemin ! Cette parole mal comprise pourrait être considérée comme contestable, parce qu'il y a d'autres chemins que le christianisme pour conduire à Dieu....  Mais cette parole de Jésus dit autre chose, qui va plus loin. Jésus ne dit pas qu'il conduit à Dieu, mais « au Père ». Ce n'est pas un homme qui conduit à Dieu, mais Dieu le Fils qui conduit à Dieu le Père. Jésus n'est pas un maître à penser, ni un fondateur de religion qui conduit à Dieu, mais Dieu qui conduit à Dieu, le Fils qui conduit au Père, au sein de la Trinité. Alors, en ce sens, au sein de la Trinité, Jésus est bien le seul à pouvoir dire: « Nul ne vient au Père que par moi ! ». Si l'on néglige la profondeur trinitaire de l'Évangile de Jean, la phrase de Jésus est sujette à contresens, voire même incompréhensible et inacceptable. Mais en prenant en compte cette profondeur trinitaire, on évite le contresens.

 ...et vers les autres hommes

Mais revenons à l'Évangile de Marc qui, outre le récit du baptême qui ouvre au mystère trinitaire, nous invite à envisager une autre direction dans le mouvement du Christ, direction qui est aussi à prendre en compte pour comprendre vers quel but le disciple est entraîné sur les pas de Jésus.

Si le Christ vient de Galilée jusqu'au Jourdain, c'est aussi pour emprunter les chemins qui lui sont préparés, comme le demande Jean-Baptiste dans sa prédication : « Préparez le chemin du Seigneur ! »(1.2) Chaque homme est invité à préparer un chemin pour le Seigneur, car le Seigneur vient à la rencontre de chacun. C'est pour rencontrer les hommes que Jésus vient de Galilée. Le sens, le but de son ministère est là. Sa vie durant, et déjà sur le bord du lac, Jésus vient au devant de son peuple. Et à sa suite il appelle à devenir pêcheurs « d'hommes », ce qui met bien en mouvement vers des êtres humains qu'il s'agit de pêcher. Quiconque suit le Christ le suit dans son élan qui le conduit vers les autres.

Le paradoxe est là, dans le double but du Christ : les autres et le Père. Il ne s'agit pas pour nous de choisir, mais de suivre le Christ dans son élan vers ces deux buts, qui sont inséparables.

Cela dit, ce n'est qu'en cheminant vers le Père que je pourrai véritablement rencontrer les autres. C'est Dieu qui donne aux relations humaines leur profondeur et leur vérité. Plus je m'approche de Dieu et plus je pourrai m'approcher des autres. Je me trompe en voulant rencontrer les autres, sans passer par Dieu, car je ne vais qu'à la surface des rencontres, sans les rencontrer véritablement. Mais aussi, j'aurais tort de me passer de la rencontre des autres pour rencontrer Dieu.

Ce n'est qu'en Christ qu'il est possible de vivre ce paradoxe : lui qui nous conduit dans la profondeur du coeur de Dieu, car il est Dieu, et qui nous conduit dans la profondeur du coeur de l'homme, car il est l'homme véritable, dans un élan d'amour qui unit l'ensemble.

« Venez à ma suite », dit le Fils, Fils de Dieu et Fils de l'Homme... Ils laissèrent leur barque et le suivirent...

Le verbe « suivre » est fondamental pour comprendre le sens de la vocation d'un disciple, de tout disciple. Être disciple, c'est bel et bien suivre Jésus. Ce verbe est extrêmement employé dans les Évangiles, presque autant dans chacun des quatre (25 fois chez Matthieu, 19 fois chez Marc, 17 chez Luc et 18 chez Jean, si je ne me trompe).

En lisant les Évangiles, on s'aperçoit qu'il y a plusieurs manières de suivre Jésus, deux essentiellement : celle des disciples, mais aussi celle de la foule (Mt 4.25, 8.1...). La foule suit Jésus de sa propre initiative, par curiosité, par intérêt ou pour d'autres raisons, mais toujours momentanément ; c'est sans lendemain. Par contre, aucun disciple n'a suivi Jésus de sa propre initiative. C'est Jésus qui appelle, qui prend l'initiative. L'unique raison de le suivre tient à cet appel. Et dans ce cas ce n'est pas momentané.

Il arrive qu'un disciple se mette à ne suivre plus que « de loin », comme ce fut le cas pour Pierre par exemple (Mc 14.54). La suite du récit nous montre que cela conduit alors, tôt ou tard, au reniement. Le disciple peut donc lui aussi être infidèle, tout autant que la foule, mais s'il peut espérer le suivre encore, c'est grâce à la fidélité du Christ qui renouvelle son appel, comme il l'a fait pour Pierre (Jn 21.19, 22). La liberté du disciple peut conduire au reniement, mais la fidélité du Christ est telle qu'il invite sans cesse le disciple défaillant. Chaque nouvel appel contient le pardon des défaillances passées et ouvre à nouveau le chemin. L'élan d'amour du Christ entraîne tout disciple, y compris celui qui a renié : « M'aimes-tu ? », dit le Christ à Pierre après son reniement (Jn 21.15 s). Au disciple, qui répond positivement, le Christ redit alors ce qu'il a dit au premier jour: « Suis-moi! »(21.19), avivant encore le feu dans un élan renouvelé. La fidélité du disciple découle de la fidélité du Christ.

 

 

Voir les commentaires

Aussitôt ils le suivirent... (Evangile-premiers disciples)

Publié le par Christocentrix

« Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, frère de Simon, qui jetaient un filet dans la mer, car ils étaient pêcheurs. Jésus leur dit: « Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes . Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent. Comme il allait un peu plus loin, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, qui eux aussi étaient dans une barque, réparant les filets. Aussitôt, il les appela; et, laissant leur père Zébédée dans la barque avec les ouvriers, ils partirent à sa suite ». (Marc 1.14-20)

Dans le récit par Marc de la vocation des premiers disciples, la réaction de ces derniers est extraordinaire : « Aussitôt, ils le suivirent ». A la différence de Luc, Marc ne rapporte aucun dialogue entre Pierre et Jésus. Il se contente de rapporter la commune réaction des pêcheurs, qui prend alors beaucoup plus de relief : « Aussitôt ils le suivirent ». Ce que dit Jésus est donc immédiatement suivi d'effet. Les hommes appelés obéissent sans plus tarder, sans discuter, sans hésiter, sans poser la moindre question ! Ils entendent une seule parole et ne demandent rien, ni signe, ni miracle, ni assurance, ni garantie. Ils s'empressent d'obéir.

Dans la suite du récit de Marc la foule est admirative et  impressionnée, mais par qui ? Par Jésus et non par les disciples ! Le regard de la foule est sur Jésus et non sur les quatre Galiléens qui sont derrière lui. Ce qui frappe la foule, ce n'est pas l'obéissance des premiers disciples, mais l'autorité de Jésus, la force de sa parole : « Ils étaient frappés, car il enseignait comme ayant autorité » (1.22), et plus loin: « Qu'est-ce que ceci ? Il commande avec autorité » (1.27). « Jamais personne n'a parlé comme cet homme », diront encore quelques gardes aux chefs du peuple (Jn 7.46). À aucun moment, les Évangiles ne s'extasient sur l'obéissance des disciples. En réalité ce qui est admirable, ce n'est pas que des hommes aient laissé leur barque, leur travail, leur entourage, leur métier, et même qu'ils aient « tout laissé », comme le dira Pierre, plus tard (Mc 10.28). Ce qui est admirable, c'est « l'autorité » de Jésus, c'est-à-dire la force de sa parole, qui parvient à arracher des hommes à leur quotidien, à retourner leur vie et leur donner un sens nouveau. Rien n'est dit de la prédisposition des quatre Galiléens à l'obéissance, de leur aptitude à l'écoute, des sentiments qu'ils ont éprouvés à l'appel de Jésus. Ce qui est mis en avant, c'est l'autorité, la puissance de la parole de Jésus. Il a suffi qu'il dise « venez à ma suite », et ils vinrent à sa suite. Ce que dit Jésus est si fort que c'est « aussitôt » suivi d'effet. L'important n'est pas l'obéissance, mais la parole qui fait naître l'obéissance.

Qui donc est cet homme, pour parler ainsi avec une telle autorité ?  Quel est celui dont la parole fait naître l'obéissance, d'abord de la part de deux Galiléens inconnus, puis à nouveau de la part de deux autres, et puis même, encore un peu plus tard, de la part d'esprits impurs dans la synagogue de Capharnaüm, au grand étonnement de la foule : « Qu'est-ce que ceci ? Quelle autorité ! Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent ! » (1.27). Quelle est donc cette puissance qui est en Christ, en sa parole ? La suite de l'Évangile va éclairer petit à petit ce point. On s'aperçoit, ainsi, au fil de la lecture qu'il en va avec les quatre premiers disciples comme il en va avec tant d'autres personnes, et même avec des éléments de la création : Jésus ordonne à la mer de se taire et elle se tait, au vent de se calmer et il se calme (4.39) ; il commande même aux démons de sortir et ils sortent (1.25 s). II ordonne enfin à un mort de sortir de sa tombe et le cadavre sort (Jean 11.43 s). Qui donc est-il pour parler avec une telle autorité ?

Il en va avec Jésus, exactement comme avec celui qui, au commencement du monde, a dit « que la lumière soit! » et la lumière fut. Ce que souligne, de son côté, le psalmiste au sujet de Dieu s'applique parfaitement à Jésus: « Lui, il parle et cela est ! Lui, il commande, et cela advient! » (Ps 33.9) . La puissance de la parole de Jésus est la puissance même de celle de Dieu. Qu'est-ce donc ? Jésus ne serait-il pas Dieu ? je crois que ce questionnement est ce que Marc veut faire naître à la lecture de son récit, un récit qu'il épure au maximum, pour nous placer devant l'essentiel : « Il dit : "Venez à ma suite", et ils vinrent aussitôt à sa suite ». Marc ne prêche pas sur les disciples, mais sur le Christ, pour faire comprendre qu'il est Dieu, puisque sa parole produit les mêmes effets que celle de Dieu.

Dans le récit parallèle de Luc, la vocation de Pierre s'accompagne d'une pêche miraculeuse (5.1 s). Luc rapporte le miracle pour donner plus d'autorité et de crédit à celui qui invite à être suivi. Si Pierre finit par suivre Jésus, c'est bien parce qu'il a été témoin d'une pêche hors du commun. Dans le récit de Marc, il en va tout autrement : Jésus accomplit bien un miracle, cependant le miracle en question n'est pas la pêche, mais l'obéissance de Pierre et d'André, puis à nouveau, l'obéissance de Jacques et de Jean, comme aussi celle de Lévi, plus tard, et puis la nôtre aujourd'hui, en tant que disciples. Chaque fois que quelqu'un devient disciple et suit Jésus, c'est un miracle opéré par Jésus, un miracle aussi grand que la résurrection d'un mort. C'est d'ailleurs ce que suggère Marc dans son récit de la vocation de Lévi. Celui-ci « se leva » de son bureau de péager (Mc 2.14), comme Lazare de sa tombe: Le verbe « se lever », employé pour Lévi, est celui de la résurrection. Lévi était donc comme mort, jusqu'à ce que Jésus l'appelle. Le miracle, c'est l'effet de la parole de Jésus, qui fait advenir à la vie, à la vraie vie, la vie en Dieu. Émerveillement que de voir à quel point la parole du Fils de Dieu a eu sur nous un tel impact, comment elle nous fait advenir à la vie.

Dans les récits de vocation que l'on trouve dans l'Ancien Testament, la plupart contrastent avec celui de l'appel des disciples sur un point très intéressant. Ceux qui sont appelés par Dieu se permettent de discuter avec lui avant de lui obéir. Moïse pose ainsi toute une série de questions et réclame de Dieu des réponses, alors qu'il est devant le miracle d'un buisson qui brûle sans se consumer (Ex 3.1 s). Celui qui l'appelle est Dieu lui-même, et Moïse ose pourtant émettre des objections... Dieu lui a ordonné d'enlever ses sandales et non de poser des questions, et le petit berger se permet d'interroger le Seigneur du ciel et de la terre... Sa vocation ressemble fort à un marchandage, où l'homme s'autorise quelques tractations avec Dieu avant de lui obéir. Jérémie, de son côté, objecte aussi (1.6) et attend des signes avant d'obéir. Jonas, quant à lui, se contente de fuir tout simplement, sans répondre le moindre mot à Dieu (1.3), avant de finir tout de même par s'incliner longtemps après, après des tas de péripéties. Ézéchiel, pourtant doté d'une extraordinaire vision céleste, fait longtemps la sourde oreille, avant de s'incliner lui aussi devant l'autorité de Dieu...  Dans le récit qui nous occupe, l'obéissance des disciples est immédiate, ce qui ne fait que souligner l'extrême autorité de la parole de Jésus, alors que pourtant aucun buisson ne brûle au bord du lac, ni que le ciel ne s'est ouvert en des visions extraordinaires. Les disciples ne discutent pas, ne posent aucune question, ne font aucune objection, alors qu'ils seraient bien en droit de le faire, car l'inconnu qui est devant eux, n'a rien qui le distingue des autres hommes, sinon sa parole, en laquelle il décèle une telle force, que toutes les objections disparaissent, et qu'il est exclu pour eux de désobéir : ils laissent tout et le suivent ! Telle est donc la force de la parole de Jésus, qui engendre l'obéissance.

Quelle est donc la nature de la puissance du Christ ? De quoi est faite la force de sa parole ?  Marc n'en dit rien, ou plutôt il va tarder à le dire, pour nous le faire comprendre avec beaucoup de finesse. Il est bon de s'arrêter un peu sur ce point de son Évangile.

Avant même d'adresser la moindre parole aux disciples, nous rapporte Marc, Jésus commence par les regarder. Le récit est si dépouillé que la mention du regard de Jésus n'échappe pas,  d'autant moins qu'elle est répétée : Jésus « voit » Simon et André, puis il leur parle (v 16). Même chose ensuite : il « voit » Jacques et Jean, puis les appelle (v 19). C'est encore la même chose pour Lévi : Jésus le « voit » dans son bureau de péager, puis lui demande de le suivre (2.14). L'appel de Jésus semble donc être inséparable de son regard. Sans doute y a-t-il dans son regard la même force que dans sa parole ? Mais Marc ne dévoile encore rien à ce sujet, tout simplement parce que cela relève d'une certaine pudeur à respecter.

Marc attend le dixième chapitre de son Évangile pour lever un peu le voile. Il le fait à l'occasion d'un récit qui a tout d'un récit de vocation, à ceci près qu'il s'agit d'une vocation manquée ! Le récit en question est celui de la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche. Lorsque Jésus se trouva en présence de ce dernier et qu'il l'invita à le suivre pour devenir son disciple, Marc nous dit que Jésus a commencé par le regarder. Le regard et l'appel sont encore une fois étroitement liés. C'est alors que Marc intercale entre la mention du regard et celle de l'appel, un simple verbe, sans faire le moindre commentaire, le plus discrètement possible : « l'ayant regardé profondément, il l'aima et lui dit : ...suis-moi » (10.21). Telle est la force du regard du Christ: l'amour. Marc n'en dit pas plus !

Pour attirer un peu l'attention du lecteur sur l'amour du Christ, Marc a seulement pris soin de changer de verbe pour désigner le regard de Jésus. Il n'utilise pas cette fois le simple verbe « voir », utilisé pour les premiers disciples, mais un autre verbe, plus précis et plus fort, que l'on pourrait traduire par « regarder à l'intérieur », ou « regarder profondément » (emblépein). Le regard d'amour du Christ est si intense, si pénétrant qu'il va jusqu'au plus profond de l'âme, sans être le moins du monde un regard inquisiteur ou indiscret, car il ne s'agirait plus d'un regard d'amour. L'amour : telle est donc la force du regard du Christ, telle est aussi la force de sa parole : une force impossible à mesurer, car elle dépasse tout ce que l'on peut en dire. Le miracle de sa parole, le miracle de notre obéissance, c'est le miracle de son amour pour nous. Son amour est tel, en effet, qu'il ne paraît pas possible de lui désobéir.

Au bord du lac de Galilée, les disciples ont perçu dans le regard de Jésus et dans sa parole une telle force d'amour, qu'ils se taisent et obéissent. Quand l'amour est extrême, il plonge dans le silence. Il n'y a plus rien à dire. Laissant tout, les disciples suivent Jésus... Si le jeune homme riche s'est permis de désobéir, c'est parce que l'argent a blindé la porte de son cceur et qu'il est resté attaché à son argent. Obéir au Christ, c'est ne pas résister et ouvrir la porte à son amour, c'est laisser son amour nous gagner le coeur.

Lorsque nous nous sentons interpellés dans notre vie, comment savoir que cela vient de Dieu ? Nous le savons avec certitude, lorsque nous pouvons dire avec les disciples d'Emmaüs : « Notre coeur ne brûlait-il pas lorsqu'il nous parlait ? » (Lc 24.32). A l'appel de Dieu, le coeur brûle sans se consumer, comme le buisson ardent devant Moïse ! Même si notre coeur malade ne brûle que faiblement, la brûlure se reconnaît entre mille. Lorsque l'amour commence à embraser notre coeur, alors il n'y a pas de questions à poser au Christ, pas d'objections à émettre, pas de remarques à faire, car elles disparaissent toutes dans ce feu-là, non pas le feu de notre amour pour le Christ, mais le feu de son amour pour nous. Tel est le véritable feu qui embrase une vie.

Avant de parler aux disciples, Jésus ne prend même pas la peine de se présenter à eux, C'est étonnant ! Il leur est pourtant totalement inconnu. Aucun détail de l'Évangile ne laisse entendre que ces quatre pêcheurs auraient eu écho de la première prédication de Jésus. Au jour du baptême, sur les bords du Jourdain, il n'y avait que des Judéens auprès de Jean Baptiste (Mc 1.5). Pas le moindre Galiléen n'a accompagné Jésus. Pas le moindre Galiléen non plus, n'était présent ensuite dans le désert auprès de Jésus durant les jours de sa tentation. Alors qu'il est totalement inconnu des quatre pêcheurs, Jésus ne décline rien de son identité, n'avance aucune affirmation qui pourrait l'accréditer comme envoyé de Dieu. Les prophètes, avant lui, ont émaillé leurs discours de formules caractéristiques pour qu'on les reconnaisse : « Ainsi parle le Seigneur », « oracle du Seigneur », « la parole du Seigneur m'a été adressée en ces termes »... Rien de cela dans la bouche de Jésus ! A aucun moment dans l'Évangile, le Christ n'emploie de telles formules, il n'a pas besoin d'authentifier sa parole, car la force de sa parole suffit. En vérité, il y a en lui plus qu'un prophète : il est la Parole même de Dieu, la Parole faite chair ; il est Dieu. Il parle et cela est. A quoi bon demander des signes, des preuves, des attestations, des justificatifs, des miracles ? Son insondable amour ne suffit-il pas ?

La parole du Christ n'est pas une parole qui rejoint des vies extraordinaires, mais une parole qui transforme des vies ordinaires pour les entraîner dans l'extraordinaire. Elle n'est pas une parole accueillie par des saints, mais une parole qui fait devenir saint. Non pas une parole qui séduit, mais une parole qui fait brûler de l'amour de Dieu. Non pas une parole qui manipule et aliène, mais une parole qui façonne des existences pour les faire devenir ce qu'elles sont appelées à être : des créatures nouvelles. Non pas une parole qui se mesure à l'aune des paroles humaines, mais une parole qui est à la mesure de celles de Dieu.

Comment se fait-il que des hommes obéissent à ce point ? et aussi comment se fait-il que des hommes n'obéissent pas ? L'extraordinaire n'est pas d'obéir au Fils de Dieu, mais de lui désobéir !

Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, devant toi se prosternent les cieux et la terre. Le soleil et tous les astres obéissent à tes ordres ; les vents et les mers ne résistent pas à ta parole ; les bêtes des champs et les oiseaux du ciel sont soumis à ta volonté ; même les esprits impurs s'inclinent à ta parole, et une légion de démons ne se permet pas de faire obstacle à ton commandement. Et nous, Seigneur, dans notre égarement, nous nous permettons de te désobéir ! quel orgueil a pu ainsi nous troubler l'esprit et nous rendre à ce point insensés ?

L'homme est le seul à qui Dieu a donné ce qu'il n'a pas donné aux autres créatures visibles. Le soleil et la lune n'ont pas la faculté de lui désobéir, pas plus que les vents et la mer. Mais nous, nous le pouvons, car l'homme est celui à qui la liberté a été donnée, parce que pour Dieu, aimer l'homme, c'est l'aimer en le laissant libre d'obéir ou de désobéir. Sa grandeur, c'est la grandeur de sa liberté et la grandeur de l'amour de Dieu pour l'homme. En nous aimant, il court le risque de notre désobéissance, pour que notre obéissance soit la réponse libre de notre amour. Aucune obéissance ne sera plus grande à ses yeux que la nôtre, car elle est l'expression de notre liberté, d'un libre amour.

« Venez à ma suite », dit Jésus avec la force de son amour. Quatre pécheurs de Galilée, dans leur totale liberté, laissèrent leur barque et le suivirent... Merveille et miracle de l'amour qui attire avec tant de force !

 

 

Voir les commentaires

Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture...

Publié le par Christocentrix

..."l'Esprit du Seigneur est sur moi, car il m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle......

Il replia le Livre....Tous avaient les yeux fixés sur lui....

Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture". (Luc, 4, 16 et ss...)

C'est cette mission que décrivait Isaïe dans des termes que Jésus, nous l'avons vu, s'est appliqué à lui-même au tout début de sa vie publique (Is. 61,1 ss). Nous sommes mieux à même de comprendre maintenant pourquoi c'est ce texte là que Jésus voulut faire retentir pour commencer à dévoiler son identité messianique. En peu de mots, en effet, cette prophétie résume l'oeuvre du salut, tel qu'il a plu à Dieu de le faire advenir.

 Peut-être même tout est-il dit dans cette simple expression « consoler les affligés » (v. 2). A coup sûr, pour bien l'entendre, il faut la débarrasser des harmoniques d'hypocrisie, de larmoiement et de sentimentalité que nos habitudes de langage pourraient y mettre. L'homme biblique est un tempérament positif, sa vie est exposée et rude : il n'appelle pas consolation les bonnes paroles ou les caresses, mais qu'on lui fasse justice, qu'on le débarrasse de ceux qui l'oppriment, qu'on lui rende l'enfant qu'il a perdu, qu'on lui donne les moyens de vivre en homme libre et debout ! Ses afflictions, ce sont celles qui pèsent sur tous les hommes et toutes les générations d'hommes, et qui font de la Bible, en dehors même de toute question de Révélation, l'un des chants d'humanité espérante et souffrante les plus extraordinaires qui aient traversé les siècles.

Ce qu'a fait Dieu dans son peuple au long des siècles de l'Ancienne Alliance ? Rien d'autre, peut-être, que d'amener un certain nombre d'hommes à confesser ouvertement qu'ils attendaient une consolation. Non pas celle qui rend l'âme esclave et l'accule à la hideuse résignation qu'un Marx, qu'un Nietzsche ont dénoncée. Mais celle qui veut que les mots Justice et Paix, Amour et Fidélité, Bonheur enfin, deviennent vrais sur notre terre, une fois pour toutes ; et qui sait que cela n'adviendra que par un renouvellement d'alliance entre Dieu et les hommes, que par une coopération active du ciel et de la terre (cf. Ps. 85,11-13). Les hommes veulent y mettre la main, mais ils savent que si Dieu aussi ne bâtit la maison, « en vain peinent les bâtisseurs ! » (Ps. 127,1).

Il est capital de souligner qu'il s'agit de tout autre chose que de ce que nous appellerions un idéal. L'idéal n'est guère qu'une projection phantasmatique, d'aspirations dont la séduction n'est qu'au prix de l'impuissance. Notre mentalité critique lui a réglé son compte. L'idéal, en effet, ne peut tenir que par un certain oubli volontaire de la force des choses. L'attente messianique, elle, s'intensifie et se purifie par cette même force des choses, qu'elle éprouve à fond et qui l'accule à refuser tous les trompe-faim. L'attente messianique veut étreindre une réalité tangible et totale, qu'elle a appris à savoir (par un réalisme suprême), impossible à l'homme seul mais possible à ce Dieu-avec-les-hommes qui la dévoile et, par instants, la rend comme imminente et en donne des avant-goûts. Ainsi, dans l'oppression ou l'exil, les hommes de l'ancienne Alliance criaient qu'il y avait des choses inacceptables ; Job criait qu'il y avait des vies invivables, un mal injustifiable ; toute une race de psalmistes criaient que l'homme n'était pas fait pour succomber à la maladie, à la haine, à la guerre, à la mort. Même ceux que l'épreuve épargnait apprenaient à reprendre ces cris au nom des autres, au nom de tout un peuple : tel le vieillard Siméon, cette figure saisissante d'une humanité déjà blanchie par sa douloureuse expérience, mais tenant bon dans l'espérance d'une humanité nouvelle - « il attendait, nous dit saint Luc, la Consolation d'Israël » (Lc 2,25). Nous disons que ces cris et ces aveux ont été inspirés par l'Esprit de Dieu, parce qu'il devait y avoir une réponse et afin que la réponse trouve des coeurs préparés à la recevoir.

Jean-Baptiste n'a été envoyé que pour ranimer ce cri au moment où les temps allaient « s'accomplir », c'est-à-dire où la réponse allait être dévoilée. Il n'a pas eu d'autre rôle que de rallier ceux qui se reconnaissaient affligés et justiciables de la consolation, de quelque bord ou par quelque chemin qu'ils vinssent. Tout un peuple accourait : des publicains, des soldats, des pécheurs. Seuls demeuraient à distance ceux pour lesquels la richesse, le pouvoir ou l'orgueil tenaient lieu de consolation. C'est dans ce bouillon de culture de l'espérance messianique que descend Jésus. On devrait dire : qu'il s'enfonce, car cela se passe aux bords du Jourdain, non loin de Jéricho, dans un des lieux les plus bas du monde, les plus pauvres et les plus grandioses aussi. C'est là que Jean-Baptiste commence à laisser filtrer le secret dont il est dépositaire (Jn 1,29 s) et que, guidés par le geste de sa main, ceux qui allaient devenir les premiers disciples de Jésus soupçonnent la vérité. André s'en va trouver son frère Simon - le futur Pierre, chef des Apôtres - et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie ! » (Jn 1,41).

 A cette heure, la vie dite publique de Jésus est commencée. Le processus de l'accomplissement messianique est déclenché. Rien ne peut plus l'arrêter. Entre le moment où Jésus se présente devant le Baptiste et lui dit: « II nous convient d'accomplir toute justice » (Mt. 3,15), et l'instant où il murmure sur la Croix: « Tout est achevé » (Jn 19,30), il ne se sera guère écoulé plus de trente mois. Trente mois qui, pour nous chrétiens, ont transformé sinon déjà la face du monde, du moins son coeur, et le sens du destin humain. Trente mois d'action messianique dont l'actualité demeure intacte, dont l'énergie continue à nous travailler. Car après vingt siècles, la confession de foi des disciples demeure la nôtre : "Tu es le Christ" !...

Il nous reste cependant à exprimer quelle signification aussi moderne que traditionnelle elle a pour nous. J'y reviendrai...

 

Voir les commentaires

Kamarianos

Publié le par Christocentrix

Vous pouvez retrouver Kamarianos directement sur sa chaine : http://www.youtube.com/user/Kamarianos

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir les commentaires

simandre

Publié le par Christocentrix

 

 

 

Voir les commentaires

enclaves serbes du Kosovo

Publié le par Christocentrix

de tristes nouvelles concernant nos frêres des enclaves serbes du Kosovo...,  par ce site :  http://www.national-hebdo.net/spip.php?article1287    et

http://www.national-hebdo.net/spip.php?article1285

 

rappel :

on peut aider en souteant les projets de : http://www.solidarite-kosovo.org/fr/nous-aider

 

Voir les commentaires

Portez mon joug (suite)

Publié le par Christocentrix

Porter sa croix

L'image du joug proposée aux disciples est extrêmement proche d'une autre image proposée elle aussi par Jésus à quiconque veut devenir son disciple: « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive » (Mt 16.24). La croix, dans le message évangélique, est aussi incontournable que le joug pour le disciple. Dans les deux cas, il s'agit pour le disciple de « porter », et c'est exactement le même verbe grec qui est utilisé : porter sa croix et porter le joug.

 Cependant, la première différence entre le joug et la croix, c'est le possessif qui les qualifie : « mon » joug et « votre » croix. La seconde différence, c'est que le joug se porte à deux, alors que la croix se porte seul ; cela fait même partie du supplice que de porter seul sa croix jusqu'au bout. Nous faut-il donc renoncer au merveilleux compagnonnage du Christ lorsqu'il est question de la croix ? Y aurait-il pour nous d'abord le joug avec lui, puis la croix tout seul ?

Il est frappant de noter que l'invitation à porter sa croix se trouve dans Matthieu (16.24), Marc (8.34) et Luc (9.23) et que ces trois mêmes Évangélistes sont d'accord pour dire que Jésus n'a pas réussi à porter lui-même sa propre croix ! Il n'y est pas arrivé ! Il a flanché en cours de route...

Comment cela Seigneur ? Me demanderais-tu de faire ce que tu n'as pas réussi à faire ? jamais, Seigneur, tu n'as exigé d'un disciple de faire plus que ce que tu as toi-même fait ! Voudrais-tu maintenant que je porte ma croix, quand tu n'as pas porté la tienne... ?

Au moment où Jésus a ployé sous la charge, l'autorité romaine a eu pitié ; elle a mobilisé un certain Simon de Cyrène pour porter la croix du Christ. Et Luc précise alors que Simon s'est placé « derrière Jésus » pour porter avec lui sa croix (23.26). Ils l'ont portée ensemble. Le Christ a bénéficié d'une grâce. Lorsqu'il a fléchi sous sa croix, il a senti que quelqu'un venait à son aide. Il a certainement perçu derrière lui le silence de sa présence, le silence de son effort. Et il a éprouvé le merveilleux soulagement d'une aide inattendue. Sans rien demander il a pourtant bénéficié d'une incroyable pitié, celle de ses impitoyables bourreaux ! Crois-tu, pourrait nous dire le Christ, que je ne sais pas ce que c'est que de ployer sous une croix, d'être écrasé, accablé, et de flancher ? Crois-tu que ma pitié est moindre que celle d'un tyran et que je ne te ferai pas grâce... ?

Faisons silence et portons notre croix ! Les fidèles disciples du Christ qui ont porté leur croix sont unanimes pour rendre le même témoignage : au moment où la charge devient trop lourde et même insupportable, au moment où l'on tombe, voilà que soudain la charge se fait plus légère, voilà qu'une présence inattendue se manifeste dans le silence de l'effort. Quelqu'un est là, derrière nous, à la place de Simon de Cyrène. Le moment venu, tu reconnaîtras bien qui est là, derrière toi, en silence, portant avec toi ta croix... Tu le reconnaîtras au bruit de son pas, pour l'avoir entendu avec toi sous le joug...

Que veut-il que nous apprenions de lui ?

Revenons à l'image du joug, au pas à pas du quotidien avec le Christ, à cette école qui nous est proposée pour devenir disciple.  Qu'allons-nous donc apprendre du Christ ? Lui-même donne la réponse : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ». Voici deux vertus du Christ : la douceur et l'humilité ; deux vertus parmi toutes celles qui sont les siennes, et qu'il veut nous enseigner pour que nous les fassions nôtres. Pourquoi donc mettre en avant ces deux-là plus particulièrement ? Tout simplement, me semble-t-il, parce que ces deux vertus sont par excellence celles qui sont les plus indispensables lorsqu'on porte un joug, afin que cet engin de travail ne devienne pas un engin de supplice. Plus une bête est douce et humble et plus son joug lui devient doux et léger, et devient aussi doux et léger sur les épaules de l'autre. La douceur et l'humilité : deux qualités essentielles pour le compagnonnage avec le Christ. Être sous le joug avec le Christ, c'est découvrir combien il est doux et humble ; c'est expérimenter cette douceur et cette humilité, l'expérimenter concrètement, en en étant le premier bénéficiaire. Plus on chemine dans la foi, au quotidien de l'existence, et plus on mesure à quel point le Seigneur est doux et humble envers nous, à quel point c'est une bénédiction d'avoir un tel maître à son côté ; et plus on s'efforce alors de devenir soi-même doux et humble, pour marcher en meilleure harmonie avec lui.Jean Cassien a noté que seuls les doux et les humbles savent vraiment aimer. Il a certainement raison. L'enseignement du joug au quotidien le confirme.

La nuque raide

Le contraire, manquer de douceur et d'humilité, c'est avoir une « nuque raide », et donc être particulièrement inapte à porter un joug. Avoir la nuque raide, est une expression fréquemment employée dans l'Ancien Testament pour décrire l'orgueilleuse insoumission d'Israël devant Dieu, son refus d'être enseigné par Dieu. Le premier emploi de cette expression est plein d'humour de la part de Dieu. Lorsqu'elle apparaît, en effet, pour la première fois, c'est dans la bouche de Dieu, au moment où celui-ci informe Moïse que le peuple s'est fabriqué un veau en or (Ex 32.9). Au dire d'Israël ce veau représente l'image de Dieu qui a fait sortir le peuple d'Égypte. Un veau, dans le métal le plus précieux : voilà de quoi faire honneur à Dieu ! Mais pour Dieu, ce veau n'est qu'une caricature, non pas de lui, mais du peuple, car en fin de compte Israël a une nuque aussi raide que celle d'un veau en or ! Un peuple indocile et orgueilleux, sur lequel aucun joug ne peut être posé : voilà bien ce que nous sommes en vérité !

La douceur

Sous un joug, la douceur est un immense bienfait pour le compagnon d'attelage, car elle évite maintes souffrances. Le moindre geste brusque, en effet, entraîne des à-coups violents qui font que le joug engendre des souffrances. Le moindre écart soudain, la moindre rebuffade fait mal à l'autre, aussi bien qu'à soi-même, d'ailleurs, car le joug blesse les deux nuques. Heureusement pour nous, le Christ est admirablement doux et nous bénéficions à tout moment de cette douceur. C'est bien sous le joug, au pas à pas du quotidien que nous découvrons et vérifions cette douceur, et non dans des livres de spiritualité ou des discours théologiques. L'apprentissage de la douceur du Christ est dans l'apprentissage de la vie à son côté. Que peut nous enseigner le Christ dans sa douceur, sinon à devenir nous-mêmes doux, à son image, à son contact ? Si par sa douceur le Christ nous évite bien des souffrances, il est bon de nous épargner aussi des souffrances, en devenant nous-mêmes doux. En effet, la moindre de nos brusqueries, de nos rebuffades, de nos réactions violentes, nous blesse et blesse le Christ par la même occasion. Ces blessures que nous nous infligeons à nous-mêmes, à cause de notre manque de douceur, ne sont pas une punition infligée par le conducteur de l'attelage, ni même par le Christ. Elles sont le fruit de notre propre attitude ; elles découlent de notre manque de douceur, de nos révoltes, de notre insoumission. Nous nous faisons mal à nous mêmes par notre insoumission, notre désobéissance à Dieu. C'est un aspect de la souffrance dont il est bon d'avoir conscience. Plutôt que d'accuser Dieu de nous punir, reconnaissons que par notre insoumission à Dieu nous nous faisons mal à nous-mêmes.

La docilité

Le mot grec traduit par « doux » (praüs) signifie aussi « apprivoisé », en parlant d'un animal, c'est-à-dire « docile ». Les deux sens du mot grec donnent en français deux mots aux sonorités proches, comme en latin : dolcis et docilis ; mais restons-en au grec et gardons ensemble les deux sens du même mot.  Sous un joug, le principal bénéficiaire de la douceur est le voisin d'attelage, alors que la docilité est avant tout orientée vers le bouvier, à savoir Dieu, en ce qui nous concerne. Autant le Christ est doux envers nous, autant il est docile envers son Père, obéissant à sa parole, entièrement soumis à ses commandements, à sa volonté. « Père, non pas ma volonté, mais que ta volonté soit faite » (Lc 22.42).

L'obéissance n'a pas toujours bonne presse, aujourd'hui, même dans l'Église, car elle connote pour nous la servilité, l'avilissement. L'obéissance que nous découvrons en Jésus envers son Père n'a rien de servile, elle est une obéissance pleine d'amour, une soumission volontaire, libre, dictée par le seul amour. C'est le contraire même de la nuque raide. Ce que le Christ attend de nous, notre docilité à la parole de son Père, à sa volonté, nous la découvrons non pas simplement dans des livres, mais dans le quotidien, quand nous nous appliquons à vivre à son côté. La docilité dont parlent les Évangiles, nous l'assimilons vraiment en essayant d'en vivre, dans le compagnonnage du Christ. C'est l'école du joug qui nous enseigne à devenir nous-mêmes obéissants à Dieu. C'est du Christ que nous apprenons vraiment l'obéissance. La docilité à Dieu est affaire d'abandon. Non pas l'abandon de ce que nous avons, mais l'abandon de ce que nous sommes. Il s'agit moins d'abandonner quelque chose que de nous abandonner nous-mêmes à Dieu, nous abandonner par amour. L'abandon au Père se vit dans l'obéissance confiante et aimante, au côté du Christ qui, dans sa docilité, vit lui-même parfaitement cet abandon. Cela aussi est l'affaire de toute une vie...

Douceur et docilité ne font qu'un ; c'est un même mot grec, et ce n'est pas pour rien ! Si tu veux tout savoir de ce qu'ont transmis les Pères, et si dans ta sagesse tu veux être doux avec tes frères, sache que c'est en étant docile à Dieu que tu deviendras véritablement doux avec les autres. Et c'est bien vrai ! Ce que les Pères disent là, ils l'ont appris du Christ dans leur compagnonnage avec lui sous le même joug.

D'où vient notre manque de docilité envers Dieu ? De notre orgueil, assurément ! De notre prétention à vouloir nous diriger nous-mêmes, à vouloir nous passer du conducteur d'attelage, à savoir mieux que lui ce qu'il nous convient de faire ! L'orgueil nous rend insoumis à Dieu et violents envers nos frères. L'orgueil est si perfide et subtil qu'il nous fait croire que nous pouvons aimer Dieu sans lui obéir. Aimer Dieu en se permettant de lui désobéir, c'est tomber dans le piège de l'illusion tendu en secret par l'orgueil.

Si l'orgueil est ainsi la source de l'indocilité, alors on comprend pourquoi Jésus, en plus de la douceur, est amené à parler de l'humilité, non pour se mettre en avant dans son humilité (ce qui serait une subtile marque d'orgueil !), mais pour nous faire comprendre tout simplement d'où vient sa douceur, quelle en est la source, pour l'éclairer, nous la faire découvrir, nous l'enseigner et nous montrer ainsi le véritable chemin de la docilité à Dieu.

L'humilité du coeur

Être humble, c'est une chose, mais être humble de coeur en est une autre, infiniment plus extraordinaire. Les Pères ont finement noté qu'il y a, en réalité, plusieurs degrés d'humilité. Selon l'analyse de Nicétas Stéthatos, par exemple (au XIIè siècle), il y a d'abord l'humilité du langage : c'est le premier degré de l'humilité, le plus facile, le plus accessible pour celui qui veut bien s'en donner la peine, avec l'aide de Dieu bien entendu, car sans Dieu tout effort d'humilité ne fait que produire l'orgueil. A force de combat spirituel, de détermination humaine et de secours divin, l'humilité de la parole est assez aisément accessible.

Le deuxième degré, moins fréquent, moins accessible, plus difficile, c'est l'humilité du comportement. On peut, en effet, être humble dans ses propos, sans être encore humble dans son attitude. On peut avoir un discours humble et un comportement orgueilleux, ce qui révèle combien l'orgueil arrive encore à se cacher derrière des paroles humbles. Parvenir à l'humilité du comportement est le fruit d'un long combat spirituel de tout instant, demandant un effort acharné sur soi-même et une totale collaboration de la grâce de Dieu.

Le troisième degré d'humilité est proprement inaccessible à l'homme et pure grâce de Dieu : c'est l'humilité du coeur. S'il y a un fossé entre l'humilité du langage et l'humilité du comportement, il y a un abîme entre l'humilité du comportement et l'humilité du coeur ! Nul parmi les humains n'a pu franchir cet abîme, sinon le Christ et ceux qu'il a rendus semblables à lui par sa grâce. L'humilité du coeur est en premier lieu l'humilité de Dieu lui-même, du Père, du Fils et de l'Esprit Saint.

Sous le joug, au pas à pas du côte à côte avec le Seigneur, l'Esprit Saint nous donne de découvrir petit à petit l'extrême humilité du Christ jusque dans la profondeur de son coeur. Et c'est merveilleux de pouvoir découvrir en même temps, petit à petit, dans les récits évangéliques combien est grande cette humilité. Merveille, car avec elle se révèle aussi, en même temps, la profonde humilité du Père et du Saint Esprit. L'humilité du coeur, c'est la profondeur du mystère de l'amour divin.

Découvrir petit à petit, sous le joug, combien le Christ est doux et humble de coeur plonge notre propre coeur dans un silence contemplatif. Découvrir l'humilité du coeur du Christ, c'est pénétrer dans le mystère du coeur du Christ, dans la profondeur inaccessible de son coeur... Cela relève du miracle, bien sûr ! Qui peut, en effet, sonder la profondeur du coeur du Christ, sinon celui qui « sonde les profondeurs de Dieu » (1 Co 2.10), à savoir le Saint Esprit ? Découvrir donc petit à petit, sous le joug, l'humilité du coeur du Christ, c'est être conduit par l'Esprit Saint, façonné lentement par lui, transfiguré petit à petit. Seul un regard transfiguré, un coeur transfiguré, peut entrer dans le mystère du coeur du Christ et le suivre sur le chemin de l'humilité.

Ce passage de l'Évangile a ceci d'unique qu'il est le seul de toute la Bible à parler du coeur de Jésus. Personne d'autre que Jésus n'a parlé du coeur de Jésus. Seul le Père le connaît et seul l'Esprit peut nous le révéler, car lui seul peut aussi venir à bout de notre orgueil, qui nous rend aveugles et sourds à ce sujet.

Cheminer sous le joug, c'est donc, en fin de compte, être habité par le Saint Esprit, à côté du Fils, sous la conduite du Père. Ce pas à pas dans le mystère trinitaire conduit dans le silence de l'émerveillement...

La synergie

« Sans moi vous ne pouvez rien faire »: cette parole du Christ rapportée par l'Évangile de Jean (15.5) rejoint parfaitement l'image du joug. L'image du joug est sans doute la meilleure manière de parler de la synergie, c'est-à-dire de la collaboration d'effort, de la mise en commun des énergies en une seule qui en est la résultante. Quand deux bêtes de somme sont sous un joug, ce qui est mesurable ce n'est pas l'énergie de l'une ou de l'autre, mais l'énergie des deux ensemble, non pas le travail effectué par l'une ou par l'autre, mais celui des deux ensemble.

En nous invitant à prendre son joug, le Christ nous invite à une vie en synergie avec lui, une vie telle qu'il ne nous est plus possible de savoir ce qui vient de lui ou de nous. Sous ce joug d'amour et d'humilité, personne ne va faire des comptes, mais chacun va humblement attribuer l'essentiel à l'autre.

Sous le joug il n'existe donc plus aucune oeuvre propre, aucune oeuvre personnelle, mais une oeuvre commune. C'est la seule école où il n'est pas possible d'apprendre l'individualisme. La seule école où la première personne du singulier cède le pas à la première du pluriel, en sorte que le disciple ne pourra plus jamais dire : « voilà ce que j'ai fait », mais seulement « voilà ce que nous avons fait, nous deux ensemble... ». Et, s'émerveillant devant ce constat, il fera humblement silence sur lui-même, sans cesser de rendre gloire au Seigneur.

A regarder de plus près encore, le travail effectué par un attelage est non pas l'oeuvre des bêtes attelées, mais l'oeuvre du bouvier qui conduit l'attelage, car sans lui plus rien n'est possible ; les bêtes, livrées à elles-mêmes, seraient incapables de mener à bien leur ouvrage. C'est lui qui réalise tout, dans sa manière de mettre au travail, de faire travailler. Quand un travail est bien fait, ce n'est pas l'attelage que l'on admire et glorifie, mais celui qui l'a conduit de sa main experte, avec tout son art

La synergie parfaite est dans l'obéissance commune au conducteur de l'attelage, dans l'harmonie, dans une sorte de complicité avec lui. Alors, la fatigue ne compte plus ; elle disparaît même, tant le joug est doux et le fardeau léger.

Encore la synergie

Non seulement nous avons découvert que le temps de formation des disciples est un temps où s'apprend la synergie avec Jésus, à côté de lui, sous le même joug ; mais nous découvrons aussi dans l'Évangile que cette même synergie demeure, alors que les disciples cessent d'être disciples à proprement parler, et deviennent apôtres, envoyés en mission.

On pourrait penser que le joug convient très bien pour décrire la période d'apprentissage, les trois années passées par les douze disciples aux côtés du Christ et que cette image ne conviendrait plus pour leur envoi en mission. En effet, on imagine bien, alors, les apôtres volant de leurs propres ailes, mettant en application, sans le Christ, tout ce qu'ils ont appris de lui. Or, il n'en est rien ! Dans les deux derniers versets de l'Évangile de Marc, il nous est dit que le Ressuscité est élevé au ciel à la droite du Père et que les apôtres partent en mission sur la terre. Or, curieusement, dans ce passage qui rend compte de la séparation et de la dispersion, il est ajouté cette précision essentielle, paradoxale, mais combien vraie pour nous, aujourd'hui encore: « Le Seigneur était en synergie avec eux » (16.20).

La synergie du joug demeure et demeurera tant que les disciples seront en mission sur la terre, alors même que le Fils est assis à la droite du Père ! Car le Christ est tout à la fois au ciel et sur la terre, près du Père et près de nous. L'image du joug demeure et dit la collaboration incessante du maître avec ses disciples : « Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde », dit le Ressuscité, au moment de rejoindre son Père (Mt 28.20).

Sur la croix, Christ seul est à l'oeuvre. De ce fait, nous ne participons en rien à l'oeuvre du salut. Cela n'est pas à remettre en cause. Mais si le Christ est seul à l'oeuvre dans notre salut, il n'y a pas de sanctification ni de mission sans notre participation. Dès lors qu'il s'agit de vivre le salut reçu du Christ, la synergie est indispensable.

Et je vous donnerai le repos

Le repos : telle est la perspective que Jésus envisage pour nous, sous forme de promesse. Dans la vie spirituelle, le repos n'a rien à voir avec l'oisiveté. Cela va de soi, mais il est bon peut-être de le préciser. L'oisiveté est la fille du relâchement et de la négligence ; elle écarte le travail, le fuit, le repousse, et fait tomber dans l'assoupissement, alors que le repos suit le travail et le couronne. Plus on a travaillé et plus on goûte le repos. Le repos révèle alors la beauté du travail effectué et donne aussi pour nous d'entrevoir déjà le bonheur du Royaume. La perspective envisagée par Jésus pour le temps d'apprentissage sous le joug, est donc bien le repos.

Que dire à ce sujet ? S'agirait-il simplement du repos éternel, à la fin des temps, quand le joug de la vie sera déposé ? C'est cela, en particulier, mais pas seulement. Sans voir si loin, et sans nier non plus cette perspective dernière, il est possible, dans un premier temps, d'envisager le repos reçu du Christ comme une réalité présente, ne serait-ce que dans le fait qu'il est plus reposant de travailler à deux que seul, et encore plus reposant de travailler avec un compagnon de joug particulièrement doux. Travailler avec le Christ, doux et humble de coeur, c'est éminemment reposant. La présence du Christ à nos côtés procure du repos, alors même que le joug est encore sur nos épaules. Travailler en synergie avec le Christ a quelque chose de reposant. C'est un don du Christ, lié au simple fait de sa présence.....

                                                                 - - -

Ce texte est un large extrait d'un commentaire de Daniel Bourguet, "Devenir disciple", édité aux éditions Olivétan, 2006, collection "veillez et priez".

(Ce passage est extrait du chapitre commentant le "venez auprès de moi", il est précédé d'un autre chapitre "Venez à ma suite..." et lui succède un autre commentaire sur "Demeurez auprès de moi...". Les trois chapitres forment une unité... ils sont à découvrir... l'ensemble forme un des meilleurs commentaires que j'ai trouvé sur ces passages de l'Evangile. Ceux qui trouvent que c'est spirituellement "nourrissant" et que l'auteur (dont j'ai déjà parlé) bénéficie d'un charisme particulier peuvent facilement se le procurer pour un prix modique).

 

Voir les commentaires

Portez mon joug !.... (le joug du Christ)

Publié le par Christocentrix

Devenir disciple du Christ, cela ne se fait pas pour nous, en un instant, en quelques heures, ni même en quelques jours, non pas à cause de l'incompétence du Maître, mais à cause de l'opacité de nos esprits, de la résistance de nos coeurs, de l'incohérence de nos désirs, de la lourdeur de nos existences humaines, de notre faiblesse spirituelle... C'est un long travail d'apprentissage. Après l'appel du disciple, qu'en est-il de sa formation auprès du Maître ?

Le mot « disciple » en grec, mathétès, dérive d'un verbe manthano, qui signifie « apprendre ». Ce verbe apparaît rarement dans les Évangiles, mais on le trouve une fois dans la bouche de Jésus dans l'expression « apprenez de moi ». L'unique emploi de cette expression mérite toute notre attention. Le texte où elle se trouve situe très bien les interlocuteurs de Jésus comme des disciples ou de futurs disciples, et Jésus comme le maître qui se propose de les former.

 « Apprenez de moi ! » : ce propos de Jésus est incontournable pour comprendre comment il entend instruire ses disciples, comment nous pouvons devenir disciples.

 « Venez auprès de moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai le repos. Portez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes, car mon joug est doux et mon fardeau léger » (Mt 11.28-30).

Le jour de leur vocation, Jésus a dit à ses disciples « venez à ma suite » ; maintenant il emploie une expression légèrement différente, « venez auprès de moi », apportant à son propos une légère modification, dans le sens d'une plus grande proximité. Celui qui était toujours en marche, sans cesse en mouvement, semble vouloir maintenant s'arrêter, s'asseoir peut-être, observer une pause, au moins le temps d'un enseignement: « venez auprès de moi ».

La pause paraît être d'autant plus indispensable que Jésus s'adresse à des personnes fatiguées, qui ont bien besoin d'un temps d'arrêt : « venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos ». L'enseignement du Christ va trouver place dans un moment de répit, au milieu du tourbillon et des épreuves de la vie. Heureux disciples qui ont affaire à un maître bienveillant, attentif à leur fatigue.

 Un étonnant rabbi...

En disant « apprenez de moi », Jésus se présente comme un véritable maître, un véritable rabbin, comme on disait de son temps, mais un rabbin qui a profondément intrigué ses contemporains, car il se distinguait étonnamment des autres rabbins. En effet, de manière tout à fait singulière, Jésus est apparu comme un homme, que beaucoup ont appelé « rabbi », c'est-à-dire « mon maître », mais qui pourtant n'a pas été formé lui-même par un autre rabbin. On ne devient rabbin qu'après avoir été soi-même disciple. Or, dans le cas de Jésus, personne ne sait qui a été son rabbin. Par qui a-t-il donc été formé ?

Cette question n'a pas manqué d'être posée, et l'Évangile de Jean s'en fait l'écho, en rapportant les propos tenus dans le Temple de Jérusalem par quelques juifs qui le virent en train d'enseigner dans ce haut-lieu: « Comment connaît-il les Écritures, lui qui n'a point appris ? » Jn 7.15). On retrouve dans la bouche de ces juifs le verbe « apprendre », dont est dérivé le mot « disciple », ce qui revient à dire : « comment connaît-il les Écritures, lui qui n'a point été disciple ? »

Jésus n'élude pas la question et donne une réponse sans équivoque : « Mon enseignement n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé ». Non, Jésus n'est pas autodidacte, il a bien reçu son enseignement de quelqu'un, mais pas de n'importe qui, de « celui qui m'a envoyé », ce qui revient à dire : de Dieu lui-même ! Nouvel étonnement : aucun rabbin n'a été ainsi directement formé par Dieu ! Dieu est bien la source de tout enseignement, mais toujours à travers un intermédiaire humain. Singulier rabbin qui ne ressemble à aucun autre rabbin ! Qui donc est-il ? Un fieffé orgueilleux, un charlatan qui blasphème, ou l'envoyé de Dieu, l'envoyé du Père, comme il le prétend... ? Se mettre à son école, répondre à son appel, c'est faire un véritable acte de foi... « Venez auprès de moi ! Mettez-vous à mon école!... »

 ... et d'étonnants disciples

Pour ce qui est de l'étonnement, nous n'en sortons pas ! En effet, Jésus va encore surprendre, en interdisant à ses disciples de se faire appeler « rabbi ». Lorsqu'ils sont formés, en passe de devenir eux-mêmes rabbins, les disciples de Jésus ne doivent pas se considérer comme des maîtres. Jean Baptiste a des disciples (Jn 1.35 ; Lc 7.18 s) et il est appelé « rabbi » (Jn 3.26). Chez les pharisiens, les rabbins ont aussi des disciples (Lc 5.33), mais les disciples de Jésus ne sont pas de futurs maîtres : « Mais vous, leur dit Jésus, ne vous faites pas appeler Rabbi, car un seul est votre maître et vous êtes tous frères » (Mt 23.8).

Pourtant, après la résurrection, Jésus envoie ses disciples pour enseigner et leur prescrit alors de « faire des disciples » (Mt 28.19). De fait, il y aura des enseignants dans l'Église (Ac. 13.1 ; 1 Co. 12.28), mais les disciples formés par eux ne seront pas leurs disciples. Ni Matthieu, ni Marc, ni Luc, ni Jean, ni Paul, ni Pierre, ni Jacques, ni aucun disciple n'aura des disciples ! Nul dans l'Église n'est disciple d'un autre que de Jésus. Les disciples formés par les disciples sont toujours considérés comme des « disciples du Seigneur » (Ac. 9.1).

Telle est donc, par rapport au judaïsme, la logique dans l'Église, selon la volonté du Seigneur : un seul a la qualité de maître, le Christ. Et tout disciple est disciple du seul Christ et de personne d'autre.

Après un temps de formation auprès de Jésus, les disciples seront donc à leur tour envoyés pour enseigner, pour faire de nouveaux disciples. Ils seront alors appelés « apôtres », c'est-à-dire « envoyés ». C'est un aspect de la vie des disciples qu'il nous faut bien garder présent à l'esprit, car cela donne un sens, une perspective à leur temps de formation, mais je n'en parlerai pas ici, pour me limiter au temps d'apprentissage du disciple au côté de Jésus, en sachant qu'il y a une suite, un prolongement : l'apostolat, l'envoi en mission. « Être apôtre »...c'est un autre sujet...

Portez mon joug

Entre « venez à moi » et « apprenez de moi », Jésus prononce un autre impératif, adressé aux mêmes personnes et qu'il est bon d'examiner maintenant, car il va décrire les conditions dans lesquelles va se dérouler l'enseignement proposé : « portez mon joug ».

Nous allons de surprise en surprise : voilà une expression qui est une image, certes, mais une image particulièrement étonnante.

L'enseignement proposé par Jésus ne va pas se situer sur des bancs d'école, mais sous un joug ! Non pas au niveau théorique, mais d'emblée dans les conditions d'un travail pratique : le joug est un instrument de travail, et même d'un travail harassant, éreintant ! Curieux rabbin qui enseigne ainsi !

L'enseignement proposé par Jésus ne va pas non plus se donner dans un lieu saint : ni dans une salle annexe d'une synagogue, ni dans les parvis du Temple de Jérusalem, où il est formellement interdit de faire un travail servile. Il sera donné là où l'on porte un joug, c'est-à-dire en un lieu tout à fait profane, non pas le jour du sabbat, mais dans le quotidien de la vie, puisque les jougs sont proscrits comme est proscrit tout travail le jour du sabbat ou les jours de fêtes religieuses... Curieux rabbin, décidément !

Libres ou esclaves ?

À l'époque de Jésus, dans le contexte de la culture romaine, le joug pouvait évoquer l'image d'une soumission à un vainqueur. Après une guerre, en effet, les vaincus devaient « passer sous le joug », en s'inclinant sous un petit portique appelé « joug », en signe de soumission et d'asservissement. Mais il ne s'agit pas de cela ici. Jésus ne dit pas « passez sous mon joug », mais « portez mon joug », se situant ainsi clairement dans le registre du travail et non de la guerre.

Dans la Bible, porter un joug dénote un travail très fatiguant, le plus souvent effectué pour un étranger, dans un contexte d'esclavage. C'est ainsi qu'Israël a porté le joug de l'Égypte (Lv 26.13), de l'Assyrie (És 14.25), de Babylone Jr 28.2), et donc de tous les peuples qui se sont rendus maîtres de lui. Mais il ne s'agit pas de cela ici : Jésus ne se présente pas comme un dominateur ; il n'impose pas son joug, il le propose ! Il n'asservit pas, il invite : « Venez à moi, portez mon joug ». L'invitation est adressée à des gens libres, qui ont toute liberté de répondre, d'accepter ou de refuser.

Si l'on veut chercher un précédent dans l'Ancien Testament, il en est un qui apparaît clairement, car c'est aussi sous le mode d'une invitation que le joug est proposé, et c'est aussi pour former des disciples, et non pour enrôler de force des esclaves. Avant Jésus, c'est la Sagesse de Dieu qui lance l'invitation à qui veut bien l'entendre : « Venez à moi, gens sans instructions, installez-vous à mon école, mettez votre nuque sous le joug et que votre âme reçoive l'instruction » (Si 51.23,26). La proximité des paroles est frappante : Jésus se situe dans le contexte de la sagesse et non dans celui d'un envahisseur guerrier. Il se présente même comme la Sagesse de Dieu en personne ! Qui veut donc être sage n'a plus qu'à s'approcher de lui pour porter son joug. L'image du joug est celle d'un travail effectué dans la liberté, pour apprendre la sagesse de Dieu, et non d'un travail d'esclave au profit d'un tyran ou d'un oppresseur.

À quel type de travail nous faut-il alors penser ? À tout travail effectué au nom du Christ. Que ce travail soit de type diaconal ou bien qu'il s'agisse d'un travail intérieur, d'un travail sur soi : tout ce qui est fait sous le joug du Christ, sous son autorité, dans le quotidien de la vie, tout cela est un lieu d'apprentissage concret où se forme le disciple.

Venez à moi, vous tous fatigués et chargés !

L'image du joug pour un travail effectué dans le concret de la vie est intéressante, mais il faut bien reconnaître qu'elle apparaît tout à fait incongrue et même déplacée, voire inadmissible, quand on considère à qui s'adresse Jésus : « Vous, les fatigués et chargés ! ». Proposer un joug, et donc une charge supplémentaire, à des gens déjà chargés et fatigués, paraît une invitation choquante, inacceptable !

Que dis-tu Seigneur ? La vie est déjà bien assez pénible comme cela, le quotidien bien assez lourd à porter ! Comment peux-tu nous proposer quelque chose qui va être un poids supplémentaire ? Est-ce cela la sagesse de Dieu... ? y a-il un  malentendu ? car véritablement l'invitation de Jésus est une magnifique parole, sur le chemin de la Bonne Nouvelle du Royaume. Le joug est une grâce incomparable, dictée par un merveilleux amour. Prenons le temps d'écouter le Christ.

La grâce du joug

La particularité du joug est de n'être pas porté par un seul, mais par deux. D'autres instruments sont utilisés pour faire travailler un seul animal, mais le propre du joug est d'être posé sur deux nuques reliées entre elles, sinon ce n'est pas un joug. En proposant un joug, Jésus ne veut donc pas accabler celui qui souffre et qui n'en peut plus sous sa charge, mais au contraire répartir la charge sur deux, en adjoignant une autre personne. Proposer un joug à quelqu'un, c'est donc alléger sa charge de moitié. Ce n'est pas tout enlever, certes, mais c'est tout de même un immense soulagement, une véritable grâce.

Jésus ne se présente pas comme celui qui va supprimer toutes les difficultés de la vie, qui va faire disparaître tout ce qui peut peser. Ce serait faux de faire croire à un disciple qu'il n'aura plus rien à porter, plus de problèmes, plus de difficultés, de tentations, plus aucune charge... Jésus n'ouvre pas le chemin du rêve ou de l'illusion. Il fait face à la réalité de la vie, en proposant un allégement, un soulagement.

En plus de cela, la proposition du joug vient faire disparaître toute solitude. La difficulté de la vie, sa dureté, c'est aussi d'avoir à l'affronter seul et de porter seul son fardeau. La proposition du joug apporte un terme à la solitude. Désormais, je ne serai plus seul, mais avec un autre pour porter ce qui fait le poids de ma vie : quelle bonne nouvelle ! As-tu remarqué que la fatigue d'une tâche accomplie seul disparaît presque complètement, dès lors que cette même tâche est accomplie avec quelqu'un d'autre?  C'est un soulagement, et même parfois une joie, de partager avec un autre la fatigue d'un travail. La présence d'un autre est alors une grâce.

« Et vous trouverez le repos de votre âme » : lorsqu'on découvre ici que le repos annoncé par Jésus concerne l'âme, et donc que la fatigue de ceux que Jésus invite doit aussi être celle de l'âme, alors les propos de Jésus ouvrent de merveilleux horizons. La fatigue des épreuves, des soucis, des échecs, des péchés à porter, est d'autant plus pénible qu'elle affecte l'âme, le plus profond de l'être.

Nous voici donc placés devant de merveilleux horizons, seulement voilà : qui sera donc cet autre qui va prendre place à mon côté sous le joug proposé par Jésus ? Qui donc va pouvoir porter avec moi le fardeau de ma vie, le fardeau qui écrase mon âme ? Jésus ne le précise pas clairement, mais, à regarder de près, que veut-il dire au juste quand il dit : « portez mon joug » ?

Portez MON joug

On a souvent commenté l'image du joug, en faisant du Christ celui qui conduit l'attelage, après avoir posé son joug, comme fait un bouvier qui conduit deux bêtes de somme, mais cela sans jamais expliquer qui pouvait se trouver à notre côté pour porter avec nous le joug. L'image est alors faussée, car un joug nécessite deux personnes pour être porté. La question demeure incontournable : Qui donc est celui qui porte avec nous le joug ?

« Venez auprès de moi », commence par dire Jésus avant de parler de son joug. Venez auprès de moi, c'est-à-dire, venez à côté de moi... Je crois que tout s'éclaire : l'autre à mon côté, n'est autre que Jésus lui-même ! Son joug est bien le sien, celui qu'il pose sur mes épaules en même temps que sur les siennes, pour se joindre à moi et partager ainsi mes fatigues, mes fardeaux et mes charges, et tout ce qui accable mon âme... Merveille !

Quelle bonne nouvelle ! Mais aussi quel amour et quelle humilité de la part de Jésus, qui m'invite à m'approcher de lui pour qu'il se trouve ainsi à mon côté afin de porter avec moi le fardeau du quotidien de ma vie ! Quelle merveille que ce maître qui se met à côté de son disciple, au même niveau que lui, pour s'atteler avec lui à la tâche du quotidien ! Et quel allégement pour le disciple dans sa charge, quel soulagement ! Quel bonheur que de voir ainsi disparaître la peine de la solitude, pour un compagnonnage aussi extraordinaire, au pas à pas de l'existence ! Oui, il ne ment pas, en disant que son joug est doux et son fardeau léger !

À vrai dire, Seigneur, je ne vois pas vraiment qui, en dehors de toi, aurait été capable de porter avec moi le fardeau de mon âme ! Mais je n'aurais jamais osé te le demander ! Béni sois-tu, toi qui te proposes ainsi, dans ton extrême humilité et ton amour sans pareil !

« Venez auprès de moi, portez avec moi le joug, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai le repos » : quelle magnifique invitation ! Non seulement elle est à recevoir avec gratitude, mais elle est aussi à transmettre à tous les fatigués et les chargés de la terre : venez vous aussi auprès du Christ ! Il vous attend avec son joug et se propose de porter avec vous le poids de votre vie.

Un long apprentissage

C'est ainsi, sous le joug, que nous apprenons à devenir disciples de celui qui se place humblement à notre côté. C'est un merveilleux mais long apprentissage. Porter un joug, en effet, ça ne s'apprend pas en une matinée. Pour quiconque n'a jamais porté un joug, ce n'est pas facile de s'habituer à ce nouveau mode de vie, à cette nouvelle manière de travailler. Mais pourquoi ne pas apprendre, quand on s'aperçoit que c'est nécessaire pour bénéficier sans cesse de cette extraordinaire proximité du Christ ? On ne peut pas être plus proche que sous un joug, et cela aussi longtemps que le joug réunit, à chaque pas, et même pendant un temps d'arrêt pour reprendre son souffle, avant le pas suivant...

Apprendre à être disciple, apprendre à porter le joug, c'est apprendre à rythmer son pas sur le pas de celui d'à côté ! Et pour nous, ce n'est pas une mince affaire : apprendre à rythmer son pas sur celui du Christ ! C'est l'affaire de toute une vie...

Apprendre à porter le joug, c'est apprendre à doser son effort en rapport avec l'effort de l'autre. Vivre ainsi à côté du Christ au quotidien de l'existence, c'est encore l'affaire de toute une vie...

Apprendre à porter le joug, c'est apprendre à marcher dans le même sens, sous la conduite d'un commun bouvier. Et qui donc nous conduit ? Qui donc est celui auquel le Christ obéit déjà, sinon son Père ? Vivre ainsi avec le Christ, dans une même obéissance à Dieu, c'est encore l'affaire de toute une vie...

Quelle exigence ! Mais aussi, quelle grâce, encore une fois, car sous un joug chacun s'adapte au pas de l'autre, au rythme de l'autre, à l'effort de l'autre, ce qui veut dire aussi que le Christ, si humble et aimant pour vivre à mon côté, est d'autant plus humble et aimant qu'il s'efforce encore de s'adapter lui-même à mon propre pas, à mon propre rythme, pour ralentir s'il me sent faiblir, pallier au mieux mes défaillances... Quel merveilleux compagnon, en vérité, car c'est bien ce qu'il fait, dans sa grâce, tout en m'encourageant pour que je ne démissionne pas, que je ne renonce ni ne désespère... Une fois lié sous le même joug, Christ ne se délie pas, ne fait pas défaut ! Fidèlement, il reste jusqu'au bout, coûte que coûte.

La particularité du joug est de faire avancer ensemble deux bêtes qui ne se voient pas. Elles sont extrêmement proches, se côtoient sans cesse, se sentent, se touchent, mais ne se voient pas ! Il y a là un très bel éclairage sur la proximité de celui que nous savons extrêmement proche, alors qu'il demeure pour nous invisible...

Plus le travail est prenant et exigeant, et plus l'attelage est silencieux. Et c'est encore bien une réalité de la foi. Oui, Christ est là silencieux à mon côté, et son silence vient de ce qu'il est totalement investi et appliqué dans le travail commun... Merveilleux silence que ce silence-là, du Christ à côté de nous !

Si le disciple et le maître font un travail commun sous le même joug, cela ne veut pas dire pour autant qu'il y a entre eux une égalité parfaite. ils sont tous deux totalement impliqués dans le travail, mais il n'en reste pas moins que le maître demeure maître, enseignant au disciple à marcher sous le joug, et que le disciple demeure disciple, apprenant de son maître comment se comporter sous le joug. Lorsqu'on veut apprendre à un jeune boeuf, encore sauvage et inexpérimenté, à porter le joug, on l'attelle avec un vieux boeuf, tout à fait expérimenté et particulièrement sage et docile. C'est ainsi qu'on obtient le meilleur apprentissage ! De même pour nous!

Marcher sous un joug, c'est une merveilleuse école de confiance mutuelle, d'attention à l'autre et d'obéissance en commun au bouvier. C'est tout cela que le pas à pas avec le Christ nous enseigne, en sachant que notre confiance en Christ reçoit en écho la confiance que le Christ nous fait. Oui, le Christ aussi fait confiance à son disciple quand il marche avec lui, et cette confiance est une telle force, que la charge paraît moins lourde.

 

                                             (à suivre dans le prochain article)

 

Voir les commentaires