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Une approche de Jésus par Marcel Légaut (début)

Publié le par Christocentrix

Extrait de  "Introduction à l'intelligence du passé et de l'avenir du christianisme, Marcel Légaut (1970).

...La voie qui mène à Jésus passe par ceux qui l'ont connu et reconnu. Elle débute par ce qu'ils ont su et voulu dire de lui. Cependant la connaissance de leurs écrits n'est qu'un point de départ. Si la technique la plus poussée est nécessaire pour les étudier, leur déchiffrement linguistique et les conclusions qu'on peut en tirer par déduction ne permettent d'entrevoir qu'intellectuellement et de façon extérieure qui a été Jésus. Bien plus, l'abondance de la documentation que ce travail suppose, le déploiement de l'érudition qui l'accompagne volontiers et presque avec ostentation, tendent à faire croire que les résultats ainsi obtenus sont suffisants par eux-mêmes, qu'il n'est pas nécessaire d'aller au-delà
et même qu'une telle démarche ne convient pas puisqu'elle ne relève plus de la science. Or si l'on en reste à ce savoir, il n'est pas de plus subtil et par là même de plus redoutable obstacle à la vraie intelligence d'un homme dont la prestigieuse personnalité, comme pour bien d'autres de taille moindre, dépasse la vie et a fortiori transcende ce que l'histoire peut en dire objectivement. Les Écritures, sans nul doute, sont à l'origine du chemin qui conduit à Jésus, mais à la condition qu'on s'efforce d'atteindre leur message véritable en allant, de façon convenable, au-delà de leur sens littéral.

La découverte de l'autre exige la même activité spirituelle que la découverte de soi.

L'homme n'exerce pas seulement son activité spirituelle pour se souvenir de ce qu'il a été, pour être ainsi présent à lui-même et entrer dans son existence. Son intelligence se porte aussi sur la vie et les oeuvres de ceux dont il veut s'approcher pour comprendre en profondeur qui ils sont et se les rendre présents. Quand il n'a pas connu personnellement quelqu'un, sa mémoire ne lui sert de rien mais d'autres éléments peuvent jouer le rôle des matériaux que, dans ces conditions, elle ne saurait procurer : ainsi des lettres, des écrits de cet auteur, des témoignages à son sujet. L'activité que l'homme déploie sur cet ensemble de données pour entrer dans le mystère de l'autre ressemble en tout point à celle que, pour se souvenir, il exerce sur les matériaux fournis par la mémoire. A son initiative et sous sa responsabilité, à la lumière de son expérience personnelle et de son sens de l'humain, il fait le départ dans ce dossier entre ce qui est important et-ce qui ne l'est pas. Il distingue les éléments qu'il juge contingents, même si l'insistance des documents leur donne du poids, de ceux qui lui paraissent manifester ouvertement ou lui font entrevoir en filigrane, les orientations principales de l'autre. Il entrevoit ainsi progressivement la signification fondamentale de cette existence. Il dégage aussi peu à peu l'influence et le rôle que cet être aura dans l'avenir même si jadis celui-ci ne les a pas explicitement exprimés; bien plus, même s'il ne les a pas consciemment voulus. Peut-être encore cet être les avait-il conçus autrement, limité qu'il était nécessairement par ses origines et par les horizons bornés de son milieu social.

La découverte de l'autre est à la mesure de la maturité de celui qui s'y emploie.

La maturité de l'homme donne leur mesure à la justesse et à la profondeur de sa vision de l'autre, à l'exactitude des jugements qu'il porte sur lui, à la plénitude de la synthèse, d'ailleurs sans cesse à reprendre, qu'il fait à son sujet. Cette intelligence active varie avec son état spirituel, grandit quand il s'approfondit lui-même, et aussi se défait avec lui. Nul n'est plus capable de découvrir l'esprit fondamental d'un autre que celui qui a déjà quelque sens du sien propre. Inversement, rien n'unifie plus un homme que la compréhension intime de l'unité de l'existence de tel autre et de sa qualité d'être à travers la diversité des phases successives de son histoire. La prise de conscience de soi et la découverte de l'autre vont ainsi de pair. Elles s'épaulent mutuellement.

Plus l'autre est grand, plus la découverte qu'on fait de lui est ferment.

Plus cet autre est un grand vivant, d'une humanité plénière et universelle, ouverte sur l'absolu par sa foi en Dieu et l'exercice de sa mission, plus la communion avec lui au niveau où il vit, nourrit. Singulier ferment que cette présence qui s'approche et se dévoile peu à peu; elle fait lever l'humain des épaisseurs de l'homme et lui révèle sa profondeur. A mesure que l'homme découvre cette présence et qu'il y adhère, il accède à lui-même. Il accède aussi à Dieu tout autrement qu'avant, lorsque, sans cette présence, il était encore davantage étranger à son être propre.

Plus l'autre est grand, plus sa découverte est lente et se fait de façon mêlée et complexe.

Cependant plus cet autre dépasse par sa stature humaine ceux qui le rencontrent réellement (car il ne suffit pas seulement de le croiser), moins ils peuvent l'entrevoir et le recevoir d'emblée, dans sa pureté et sa puissance originales. Pour être approché et entrevu en lui-même, il exige en effet d'eux une activité spirituelle d'autant plus vigoureuse qu'il est plus grand. Aucune préparation sociologique ni même d'origine personnelle n'est suffisante pour protéger de l'erreur dans l'intelligence du message qu'il apporte, et dont la substance est inséparable de ce qu'il est. Lui seul peut amener progressivement ses disciples à le comprendre, par sa parole et ses œuvres sans doute, mais aussi et surtout par sa présence. Laissés à eux-mêmes, par leurs propres moyens, ils n'arrivent pas à franchir la distance qui sépare ce qu'il est de ce qu'ils sont. Sans le savoir, spontanément ils ajoutent ou retranchent à ce qu'il leur dit; ils forgent un compromis entre ce qu'il leur propose et ce qu'ils savent déjà.

Plus cet homme manifeste aux yeux d'un grand nombre maîtrise et autorité, plus les circonstances qui accompagnent son action ont une dimension sociale importante, plus il correspond apparemment à ce que ses auditeurs attendent collectivement avec une ferveur instinctive, plus alors il provoque chez eux une puissante fermentation. Il réveille tout ce qu'il y a en eux de désirs et d'espoirs individuels et collectifs conscients ou non, à quoi ils sont d'autant plus attachés et même liés qu'ils s'ignorent, ne sont pas capables de les critiquer, moins encore de les maîtriser, et qu'ils se sentent perdus s'ils s'en voient frustrés. Cet homme déclenche la violence de ces désirs et de ces espoirs, d'autant plus que son message est capital et pénètre loin; que sous son rayonnement ce qu'il dit et fait, ce qu'il vit, peut être compris à plusieurs niveaux et permet ainsi une adhésion plus globale mais aussi plus ambiguë.

L'intérêt des auditeurs pour ce qu'ils ont et veulent conserver; le désir de ce qu'ils n'ont pas et à quoi ils aspirent avec force; la logique des idéologies de leur temps auxquelles ils adhèrent d'autant plus qu'elles donnent valeur et sens à leur vie; leurs imaginations fabulatrices qui s'emploient surtout à satisfaire leur goût puéril du merveilleux; leur soif quasi structurale de sécurité, démarquent le message de l'autre en l'utilisant à leur fin.

A force de tirer ce message dans leur sens, d'ailleurs à leur insu en toute bonne foi, ils lui trouvent une signification qui cache son esprit fondamental mais qui les conduit, sinon à le comprendre, du moins à se l'expliquer et à l'incorporer dans l'univers de leurs besoins et de leurs espoirs. Ils revêtent spontanément son auteur d'un personnage de légende, ce qui est en réalité l'abaisser alors qu'ils croient ainsi l'exalter, car ils lui prêtent seulement la grandeur dont ils rêvent, étant ce qu'ils sont. Et même, ils peuvent en venir jusqu'à le trahir sans le savoir là où il est le plus grand, mais aussi le plus différent.

C'est au milieu de ce foisonnement vital et désordonné d'aspirations et d'affirmations, de refus et de négations, que s'efforce de se faire jour dans le silence et la discrétion, dans le recueillement, l'activité spirituelle de celui qui cherche à comprendre cet autre et non à l'annexer et à l'utiliser; à communier avec lui autant que possible hors du temps et de tous les éléments contingents; à le recevoir tel qu'il est dans son originalité propre, comme de son côté lui-même cherche à se recevoir dans sa durée et sa consistance.

Les disciples de Jésus ont particulièrement vécu dans sa complexité et son ambiguïté la recherche qu'ils ont faite de leur Maître.

Les disciples ont vécu de cette façon complexe à l'extrême leur rencontre avec Jésus. Ils l'ont fait, chacun avec la singularité et la totalité de son être, dans l'ambiguïté de leurs réactions conscientes et inconscientes, d'autant plus puissantes que Jésus les dominait de toute sa stature et mettait en question tout ce qu'ils étaient. Leur activité spirituelle, par une rumination sous-jacente et continuelle, s'est déployée sur ce qu'il avait été pour eux pendant qu'il était parmi eux, sur ce qui leur était arrivé depuis qu'il les avait quittés. Elle s'est trouvée intimement mêlée à l'ardeur de leurs croyances, de leurs espoirs, de leurs craintes collectives ou individuelles, d'autant plus que Jésus, au début de sa prédication surtout, s'en était abondamment servi afin de se faire entendre et de les atteindre. Peut-être aussi s'y ajoutaient des ambitions cachées ou avouées qu'avait éveillées dans ces hommes simples cette rencontre extraordinaire.

Les disciples revenaient sans cesse aux souvenirs qu'ils avaient conservés du passage de Jésus parmi eux. Ils les revivaient à travers leur présent, tellement ces quelques mois les avaient changés et avaient été pour eux l'occasion d'un nouveau départ dans la vie.

Sans cesse, ils transposaient ces souvenirs encore palpitants en espoirs et en projets qui leur permettaient de dominer le regret d'un temps désormais révolu et de vaincre la tentation de regarder vainement en arrière. Ces souvenirs, portant indélébile la marque de chacun, retrouvés, fondus entre eux, refondus à l'intention de ceux à qui ils les communiquaient, transmis encore par ceux qui les avaient entendus, ont été conservés en assez grand nombre, dans des écrits et une tradition orale dont les siècles suivants, avec toute leur bonne volonté mais aussi avec toutes leurs déficiences, ont vécu comme ils ont pu.

Les écrits, la tradition issue de cette recherche comportent la même ambiguïté, la même complexité.

Ces écrits et cette tradition sont les fruits d'une immense gestation où sont associés et confrontés l'être de Jésus avec ce qu'étaient, dans leur complexité, ses disciples, les milieux dans lesquels ils vivaient et ceux qu'ils évangélisaient. Dans cet héritage laissé par la première génération chrétienne se trouvent mélangés de façon inextricable ce que Jésus a explicitement apporté à ses disciples, ce qu'il leur a seulement suggéré et ce qui de soi-même s'est développé en eux à leur insu, ce qu'ils y ont pû y ajouter sans le savoir par ce qu'ils étaient. Il faut encore y joindre et comme en creux, sinon des refus explicités au moins les contre-sens et les oublis , qu'ils y ont opposés inconsciemment. Le tout est lié et, mieux encore, intimement fondu dans le creuset d'une foi et d'un amour dont seule la métamorphose qu'ils ont connue près de lui et par lui peut donner la dimension.

La portée des paroles de Jésus et les faits le concernant, que les traditions orales et écrites rapportent, ont en gros une base historique certaine; mais le choix qu'on en a fait, la manière de les présenter, la succession qui les ordonne, l'importance que leur attribuent le texte et le contexte, le commentaire explicite ou seulement impliqué par les détails du récit qui les accompagne, les doctrines qui les couronnent ou qui s'y amorcent, sont invinciblement marqués par la mentalité des temps et des lieux où les disciples ont vécu, comme aussi par leurs tempéraments individuels, leurs luttes intimes ou celles qu'ils ont dû mener au dehors.

Les efforts personnels de ces hommes pour souder leur foi, toute tournée vers Jésus, avec leurs anciennes croyances qu'ils n'avaient en rien reniées, ont pesé sur leurs pensées et sur leurs comportements d'un poids d'autant plus lourd qu'ils n'en étaient pas entièrement conscients et que, soit par scrupule, soit par peur de l'inconnu où les entraînerait une rupture trop radicale avec le passé, ils ne voulaient pas reconnaître de façon trop ouverte le secret antagonisme qu'il leur fallait surmonter. Ces efforts ont profondément marqué leurs écrits, qu'il s'agisse de textes doctrinaux, moraux ou liturgiques.

Peut-être même ces hommes ont-ils été ainsi conduits dans la relation des faits dont ils avaient été les témoins, à quelques additions ou omissions sous l'emprise de leurs traditions et de leurs évidences, se confiant plus à leur logique qu'à leur mémoire. Peut-être pour la même raison ont-ils accepté par pente spontanée et sans examen suffisant quelques récits populaires nés de la même façon.

Ces écrits et cette tradition portent aussi la marque des préoccupations auxquelles devait répondre la prédication apostolique.

Les apôtres étaient portés dans le même sens par leurs soucis apologétiques. Ils s'efforçaient de relier, avec le maximum de continuité et le minimum de déchets, les croyances qu'ils voulaient faire partager à celles des hommes qu'ils cherchaient à atteindre. Ils étaient conduits ainsi à utiliser tout ce qui dans ces milieux semblait préparer ou seulement favoriser l'adhésion à ce qu'ils affirmaient.

(La distinction entre foi en Jésus et croyances en Jésus est capitale pour bien comprendre les développements de ce livre. La foi des disciples en leur Maître a pour origine le rayonnement spirituel que Jésus a eu sur eux et qui les a fait croire en lui avant même qu'ils puissent s'en donner raison. Cette foi est principalement et initialement la conséquence non prévue, non voulue, singulière, de la rencontre en profondeur de chacun de ces hommes avec Jésus. Les croyances messianiques ont aidé cette foi à naître, mais seulement de façon indirecte. Elles ne l'ont pas fondée, mais seulement confortée et confirmée; d'ailleurs nombre de juifs en ces temps partageaient ces croyances et ne sont pas arrivés à la foi en Jésus. De même, les croyances que les disciples ont élaborées ultérieurement sur Jésus, à partir de leur foi, n'épuisent pas la foi qu'ils ont eue en lui. Elles la soutiennent. Elles reçoivent beaucoup de cette foi qui les sous-tend. Elles dépendent aussi beaucoup des traditions, des doctrines, des manières de penser, de sentir, de raisonner et de dire de l'époque. D'ailleurs, elles n'ont pas suffi auprès de nombre de chrétiens à leur faire atteindre la foi telle que les apôtres la vivaient après en avoir été transformés.)

La prédication de Jésus était plus une base de départ qui appelait un développement qu'un enseignement se suffisant à lui-même

Jésus, se rappelaient-ils, leur avait parlé en parabole du vin nouveau dans l'outre vieille et de la pièce neuve cousue sur un vieux vêtement. Mais ne leur avait-il pas affirmé aussi que pas un iota de la loi ne serait abrogé? Ne leur avait-il pas laissé dire qu'il était le messie annoncé par les prophètes et attendu par Israël? Son message était d'une ambiguïté voulue pour ne pas heurter les susceptibilités ou les préjugés de l'auditoire et pour se faire supporter, un temps au moins, par les autorités politico-religieuses du pays. Il était aux prises avec les aspirations, mêlées et d'inégale valeur, montées des profondeurs de ceux qui l'écoutaient. Il devait tenir compte des préoccupations bientôt inquiètes puis rapidement alarmées de ceux qui l'observaient.

Jésus laissait, semble-t-il, à ses auditeurs les plus éveillés une large latitude d'interprétation. On peut même dire que, par tout ce qui était sous-entendu et amorcé dans ce qu'il disait, il les poussait à prolonger son enseignement, à en tirer les conséquences qu'en public il ne pouvait que suggérer. Sans doute était-ce là un des buts suprêmes de sa mission; être le semeur, non le moissonneur; appeler ses disciples en les formant du dedans, en les invitant à grandir, avec tout ce que cela impliquait de leur part de tâtonnements et d'erreurs; les préparer à être eux aussi les semeurs de futures moissons suivies, à leur tour, de nouvelles semailles... Ce dessin ultime, Jésus ne l'a jamais explicité mais il est secrètement présent dans l'ensemble de son enseignement qui en reçoit son efficacité toujours nouvelle à travers les siècles et sa signification plénière.

Dans leur univers réduit presque à la taille d'un petit pays, dans leur conception courte et fixiste d'un monde conçu à leur dimension, dont ils connaissaient la création comme un événement relativement peu éloigné d'où leur race prenait origine, les disciples pouvaient-ils seulement imaginer la fermentation future de ce vin nouveau? L'outre dans laquelle ils l'ont versé ressemblait à l'ancienne, quoi qu'ils aient pu en penser. Elles ne pouvait être que trop petite, encore que pour leur époque ils l'eussent conçue très grande. Comment auraient-ils su quelle qualité le vêtement neuf devait avoir pour ne pas se déchirer dans son déploiement à travers le temps, l'espace et les distances humaines? Et même après vingt siècles les chrétiens le pressentent-ils vraiment quand ils se bornent à regarder l'avenir à travers leur passé et qu'ils se font illusion sur la valeur de leur présent?

Les écrits et la tradition apostolique ne doivent pas être séparés de la vie spirituelle des premiers disciples.

Ainsi, les textes où les disciples ont parlé de Jésus ne doivent-ils pas être séparés de leurs activités apostoliques ni de leur humanité, afin que ces écrits conduisent à lui, et ne soient pas le chemin où l'on s'embourbe dans un temps et dans un lieu, et qui finalement se révèle être une impasse. Leur sens obvie ne doit pas être considéré comme un absolu, ainsi qu'on y est porté quand on dit sans discernement que les Écritures sont la parole de Dieu, oubliant qu'elles sont aussi paroles d'hommes d'une tradition et d'une civilisation particulière. Il est une manière de lire les Écritures, avec une soumission superstitieuse à leur lettre, et même à la mentalité de leurs auteurs, qui fait écran à ce que précisément elles peuvent aider à découvrir.

Si l'on connaissait vraiment ce que Jésus fut pour ses apôtres, dans l'intime, avant même qu'ils en aient pris clairement conscience, avant qu'ils se soient efforcés de se le dire tant bien que mal et de le communiquer, on saurait, mieux que par la lettre des Écritures et même mieux que par ce qu'elles peuvent suggérer grâce à une expérience humaine toujours limitée, qui était Jésus.
 

A suivre.... (Dans une suite nous verrons pourquoi les écrits et la tradition apostolique ne doivent pas être séparés de la vie spirituelle des premiers disciples et pourquoi la foi des Apôtres est plus importante pour le chrétien que leurs croyances. Nous verrons comment la compréhension profonde de l'épopée des Apôtres est la voie pour entrer dans l'intime de la vie de Jésus et comment cette recherche de Jésus à travers ses disciples de tous les temps progresse avec celle que le croyant mène pour se trouver. Cette recherche conduit à l'adoration....)

 

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Aumonerie orthodoxe de la Légion étrangère

Publié le par Christocentrix

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Henry de Montherlant : pages catholiques

Publié le par Christocentrix

 
Pages catholiques de Henry de Montherlant, recueillies et présentées par Marya KASTERSKA.
Plon, 1947. (209 pages)
pages catholiques

table des matières :

PRÉFACE de l'auteur.

LETTRE DE H. DE MONTHERLANT (1947)

LA CHAMBRE DES PROMESSES. (La Relève du matin) 1916

UN COLLÈGE CATHOLIQUE HUMANISTE. (La Relève du matin) 1916

PÂQUES DE GUERRE AU COLLÉGE. (La Relève du matin) 1918

LES ATLANTES. (La Relève du matin) 1916

TROIS JOURS AU MONTSERRAT. (Pour une Vierge noire) 1929

LE DERNIER RETOUR. (Pour une Vierge noire) 1929

FRAGMENT D'UNE SCÈNE DE DON FADRIQUE. (Pour une Vierge noire) 1929

LA FETE A L'ÉCART. (Service inutile) 1933

L'AME ET SON OMBRE. (Service inutile) 1935

LETTRES DE PIERRE COSTALS A THÉRÈSE PANTEVIN.(Les Jeunes filles) 1935

FILS DES AUTRES. (Fils de personne) 1939

LA PRÉSENTATION DU CAPITAINE ROMERO. (Croire aux âmes) 1939

SUR PORT-ROYAL. (Croire aux âmes) 1944

LA CHARITÉ. (Le Maître de Santiago) 1944

LA PAUVRETÉ. (Le Maître de Santiago) 1945

SCÈNE DU RAVISSEMENT. (Le Maître de Santiago) 1945

(Les dates indiquées sont celles de l'année où le texte a été écrit.)


LETTRE DE H. DE MONTHERLANT à l'auteur.


Chère Madame,

On a publié de moi, jadis, un livre de Morceaux choisis intitulé Pages de tendresse. On aurait pu aussi bien réunir un choix intitulé, par exemple, Pages de dureté. Une autre anthologie, plus récente, portait en sous-titre : « Pages choisies à l'usage des jeunes gens. » Je pense qu'on pourrait faire de même :« pages à l'usage des femmes », « pages à l'usage des académiciens », etc... C'est très, bien ainsi. Écrivant pour tous, sinon pour moi seul, j'accepte qu'on présente mon oeuvre sous divers éclairages, chacun d'eux en isolant tel aspect à l'intention d'un public particulier. A condition qu'il me soit permis de rappeler que le projecteur peut toujours être incliné de manière différente, et jusqu'à éclairer la face opposée à la face qu'il éclairait auparavant.

Ce rappel - et mes remerciements - suffisaient en tête de votre intéressant travail. Mais voici qu'un mot de votre préface me donne un peu de vivacité, avec l'envie de la produire. Il m'est pénible que, à propos de Fils de personne, vous parliez de « sévérité et de manque de charité jansénistes ». J'y vois combien, après trois cents ans, certains préjugés, nés de la calomnie, ont pris racine, et pour toujours. Aujourd'hui encore, la plupart des gens, et quelquefois des chrétiens mêmes, ne savent rien du jansénisme, que ceci : que jansénisme est synonyme de rigueur. Et pourtant, quel florilège, quelle légende dorée ne ferait-on pas avec les traits de charité de ceux et celles de Port-Royal! Je m'y étendrais sur des pages, si c'en était le lieu ici.

Deux citations, toutefois, qui me forcent la main.

L'une parce qu'elle est sublime. Le janséniste abbé Grégoire termine ainsi ses Ruines de Port-Royal : « Les sacrificateurs de Port-Royal léguèrent leur fureur au siècle suivant ; les victimes, en tombant sous le glaive de l'iniquité, léguèrent leur douceur inaltérable. Les hommes qui continuent d'outrager la vérité et ses défenseurs doivent être l'objet spécial de notre tendresse et de nos prières. »

L'autre parce que son auteur, en même temps qu'il marque la place éminente qu'occupe selon lui le jansénisme dans l'histoire de la foi chrétienne, le lie, tout comme l'abbé Grégoire, à une impression de douceur : « L'entretien de Pascal avec Jésus est plus beau que n'importe quel passage du Nouveau Testament. C'est la plus mélancolique douceur qui ait jamais été exprimée par des paroles. Depuis lors, cette image de Jésus n'a pas trouvé de poète pour la continuer; c'est la raison pour laquelle, depuis Port-Royal, le christianisme est partout en décadence. » Nietzsche. Œuvres Posthumes. (Mercure de France, p. 82.)

Contre le catholicisme des Jansénistes (comme contre le catholicisme du « Maître de Santiago »), on ne peut porter d'autre accusation que celle que portait contre Port-Royal, en 1674, l'archevêque de Paris, Harlay. Il disait à l'abbé Feydeau « que ce n'était pas assez que d'avoir les sentiments de l'Église, qu'il falloit parler comme l'Église parloit aujourd'hui » (Mémoires de Feydeau). Et c'est bien cela. Il n'y avait rien contre le jansénisme;. il n'était pas une hérésie, puisqu'il était parfaitement conforme à la doctrine de saint Paul et de saint Augustin; il n'y avait rien, fors qu'il n'était pas au ton du jour; il était au-dessus. C'est hénaurme, n'est-ce pas? Mais c'est ainsi.

Et, si le jansénisme fut sévère, il me semble aussi que saint Augustin, accusé de tendre, avec tels principes, à l'anéantissement du monde terrestre, s'exclamait : « Utinam ! citius impleatur civitas Dei ! »

Il me semble que Fénelon a écrit, dans les Lettres spirituelles : « L'oeuvre de Dieu est une oeuvre de mort et non de vie.»

Et il me semble que le Christ, à l'heure des paroles les plus lourdes, quelques instants avant qu'on l'arrêtât, et « sachant tout ce qui devait lui arriver », a prononcé : « Non pro mundo rogo. »

Cette lettre n'est qu'un bouquet de citations. C'est tout ce que peut se permettre un homme aussi incompétent que moi en ces matières.

Croyez, chère Madame, à mes sentiments dévoués.

                                                   Henry DE MONTHERLANT, Juillet 1947.



 

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Chant byzantin : plusieurs façons de s'y mettre...

Publié le par Christocentrix





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Archimandrite Aimilianos

Publié le par Christocentrix

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Les oeuvres spirituelles de l'Archimandrite Aimilianos, Higoumène du Saint Monastère de Simonos Pétra (Mont Athos) ont été regroupées et éditées en français en 5 volumes, sous le titre "catéchèses et discours". (éditions Ormylia).
-volume 1 : Le Sceau Véritable. (en partie consacré à la renaissance monastique du mont Athos, la vie athonite et ses saints, la vie de prière, etc..., 425 pages).
-volume 2 : Sous les ailes de la colombe. (le cheminement de l'âme, les étapes de la vie spirituelle, l'élection, l'action de l'Esprit-Saint, les noces éternelles, "nous avons trouvé le paradis", "théologie et expérience spirituelle", "connaissance de Dieu", etc... ,392 pages).
-volume 3 : Exultons pour le Seigneur. (entièrement consacré à de pénétrants commentaires des psaumes, 398 pages).
-volume 4 : Le Culte Divin; attente et vision de Dieu. (consacré à l'office divin, la Divine Liturgie, les expériences au cours de l'office liturgique, "liturgie et ascèse", "la communion des deux mondes", "l'Eglise, Corps du Christ", etc..., 245 pages).
-volume 5 : De la Chute à l'Eternité. ( chapitres très divers : "la Croix et son expérience dans l'Eglise orthodoxe", "le repentir, restauration de l'unité de l'être", "la richesse de la grâce", "la vie spirituelle", "lecture et spiritualité", "le dogme de l'Eglise dans notre vie", "le mariage", "le prochain", "la joie", "l'homme, un roi sur son trône", "un horizon de paix", etc...269 pages).
Chaque volume est muni d'un glossaire, d'un index scripturaire, d'un index patristique, d'un index liturgique, d'un index des sources et des thèmes principaux.
Une somme de 1700 pages, regroupant les enseignements, la prédication et homélies de ce Très Vénéré Père spirituel, depuis les années 70 à nos jours,  traduits et édités entre 1998 et 2006 grâce au labeur et à l'application des religieuses du Saint Cénobion d'Ormylia (Editions Ormylia, Chalcidique, Grèce).

"le père Aimilianos est un orthodoxe universel, un père conciliaire qui possède en lui toute l'Eglise, l'assemblée des saints..., L'église céleste est pour lui une réalité quotidienne, en lui se tient un concile réunissant tous les Saints. les Prophètes, les Apôtres, les Pères, les saints ascètes s'expriment à travers lui quand il nous parle, c'est un témoin vivant de la présence du Royaume et il est de ceux d'ici qui goûtent la puissance du Royaume et qui suit l'Agneau partout où il va..."..."Le Père Aimilianos reflète tous les charismes du Saint-Esprit et réfléchit le Christ en sa plénitude. Ceux qui le connaissent et lisent ses oeuvres ont la possibilité de participer à cette grâce. Ses écrits sont des épis de blé du champ du Seigneur qui deviennent le pain du Royaume des Cieux"... (Mgr Athanase Jévtitch, ex-évêque de Mostar, juin 2006).

On peut se procurer  la collection complète là :
http://www.monastere-transfiguration.fr/librairie/index1.html

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le combat de Jacob (suite)

Publié le par Christocentrix

....à Béthel, le Dieu de ses pères lui avait dit: « Je ne t'abandonnerai pas », et il ne l'avait jamais abandonné. C'est pourquoi, ce soir-là, dans la frayeur et dans l'angoisse, Jacob ne fut tenté de consulter ni les traces laissées sur le sable, ni les augures ni les présages, ni le conseiller subtil, mais seulement celui-là - et celui-là seul - qui avait tenu sa parole envers lui, et qui l'avait gardée tout au long des périls et des voyages de sa jeunesse, le Dieu qui s'était manifesté à lui quand il fuyait devant son frère. Il se tournerait à nouveau vers lui et lui dirait: « Dieu de mon père, Seigneur qui m'a dit: "Je te ferai du bien", je suis trop faible pour toutes les faveurs dont tu as comblé ton serviteur : sauve-moi de la main de mon frère Ésaü qui s'avance contre moi et s'apprête à frapper » (Gn 32, 10). Et ce cri, Jacob le poussait de toutes ses forces, sans respect humain, vers celui qui attend et que l'on attend, vers celui dont on espère la venue et qui est presque toujours absent, vers celui qui, indéfiniment, incessamment, vient, et n'arrive que par moments, vers ce dieu passager, ce dieu transitoire, ce dieu qui disparaît, vers celui qui attend de nous l'attente, et nous l'enseigne, qui espère de nous l'espérance, et nous l'apprend. Ce qui était en cause pour Jacob, ce soir, c'était assurément le fruit de son constant labeur, mais bien au-delà des efforts et de leurs fruits, au-delà des femmes et des enfants, au-delà des troupeaux et des richesses, il s'agissait de savoir si l'oeuvre de Jacob gardait aux yeux du Tout-Puissant la valeur qu'il lui avait donnée lorsqu'il lui avait été dit: « Je suis avec toi, je te garderai partout. » Jacob se préparait à supplier, car c'est là langage d'homme devant Dieu. Mais il entendait aussi compter avec Dieu, compter sur Dieu.


Jacob cherchait la lumière que ne dispense aucune lampe. Il avait cru l'entrevoir autrefois, le soir, près des puits, lorsqu'il voyait le monde s'obscurcir autour des conteurs, et cette obscurité même s'exhaler comme un signe auquel son esprit avait autant de part que ses yeux. Mais ce qu'il entendait contempler, en cet instant de sa vie, ce n'était plus le signe, mais la lueur elle-même.

Jacob s'était retiré à l'abri de rochers plats semés de chênes rabougris qui dominaient de quelques coudées l'étendue des deux vallées. L'ombre se déchirait par endroits pour laisser place à des brumes éparses. Ces formes entassaient leurs volutes, se superposaient au paysage, dérobant même à ses yeux la vision de la nuit. Il sentait revenir en lui l'ancienne terreur qui avait dominé sa vie - la terreur de ces volontés liguées contre la sienne qui, d'étape en étape, s'étaient conjuguées pour courber sous leur joug un destin simple et clair : l'arbitraire de Rébecca, la haine d'Ésaü, la méfiance d'Isaac, la rapacité de Laban, la duplicité de Léa ne formaient en cet instant que la chaîne unique d'une irréversible histoire, celle du complot ourdi contre lui, et dont chaque phase de sa vie, à l'exception de la vision de Béthel et de la vision de Rachel, ne formait que les chaînons.

Mais ce que Jacob entrevoyait dépassait de beaucoup les épreuves et les déceptions de son passé. Au-delà de cette nuit noire, dans la grisaille des jours à venir, Jacob entrevoyait une à une, cruellement mêlées et cruellement distinctes, ses souffrances futures : le massacre perpétré par ses fils à Sichem, la mort déchirante de Rachel à Ephrata, alors qu'elle mettait au monde Benjamin, l'inceste de Ruben, la mort d'Isaac à Mambré, l'enlèvement de Joseph à Dotan, puis la famine, puis l'exil en Égypte, qui ne finirait qu'à sa mort. Ainsi, pas un lieu de cette terre à lui promise, pas une étape de ces pacages qui n'ait été marquée à l'avance par la désolation, le crime ou la mort. En quelle vie avait-il mérité cela?


Celui qui ne connaît pas l'épouvante ne sait pas le peu de chose qu'est la peur. Confusément, Jacob entrevit tout cela à la fois, non seulement comme une menace, mais comme une certitude, et il se crut rejeté par l'Éternel. Sa hantise - voir oubliée la promesse - prit corps, prit possession de lui sans partage. Il s'y abandonna dans la désespérance : la menace d'Ésaü, pourtant imminente et réelle, se dissolvait en présence des menaces conjuguées de l'avenir et du destin. 

Mais, à l'instant même où Jacob se sentit immergé dans sa détresse, alors même que Dieu paraissait l'abandonner sans recours, Jacob ne sut rien faire d'autre que se tourner vers le Puissant qui demeurait son rempart. II tira de son manteau une petite harpe dont il fit résonner les cordes avec un doigt. Les notes étaient douces et graves, espacées, apaisantes. Ce fut comme une respiration. Jacob chantait d'une voix sourde, cassée par l'humidité du fleuve, la prière de sa confiance éperdue : c'était le chant du doute.

Mon âme est collée à la poussière  Donne-moi la vie selon ta parole  Tu es le confident de mes craintes Dans mon angoisse je crie vers toi... Mais ma force et mon chant c'est Yahvé  II ouvrira ses portes de justice au serviteur qu'il a rejeté    car il exauce à jamais sa Promesse

Les notes sur la harpe se firent plus aiguës et se précipitèrent. Jacob en frappait le bois avec la jointure de ses phalanges.

Rappelle à ton serviteur la parole dont tu fis mon espoir...     J'irai au-devant de ta face .....

Mais cette fois la prière de Jacob exigeait une autre présence que celle des sons du nebel. Elle appelait les accents inimitables du silence.

L'âme de Jacob émergeait lentement de l'abîme, elle implorait, elle réclamait, elle exigeait la Présence au moment de sa pire détresse. Rien n'apparaît en lui, ni autour de lui ne change ; mais déjà Il est avec lui et sa présence n'est semblable à nulle autre. Elle n'éveille ni remous ni passion, elle ne s'impose pas à ses sens, et cependant son coeur la reconnaît à ceci qu'il devient brûlant au-dedans de lui : son coeur se fait transparent sans qu'on puisse le voir. Nul ne peut alors s'absenter de lui ; il suffit qu'il soit là pour que l'on soit avec lui ; il suffit d'être là pour être à lui.

Jacob luttait encore contre l'évidence : une présence si familière, si apaisante, pouvait-elle être celle du Dieu redoutable que précède le tonnerre, et dont nous ne pouvons souhaiter la venue sans la craindre ? Il sentait que Dieu n'était pas le prisonnier du lieu où il acceptait d'être, du temps auquel il acceptait de venir, qu'il n'était présence que s'il le voulait, que s'il se voulait présent. Et surtout - en cela consistait la présence - Jacob confusément découvrait que Dieu n'avait jamais été absent. Il n'y avait pas eu à Béthel un songe, puis rien après, rien depuis, rien ensuite, rien pendant vingt années, mais partout et toujours, la présence plus ou moins évidente, plus ou moins sensible, plus ou moins certaine, de ce Dieu qui est chez lui partout et toujours. Et cette présence ne peut nous être accordée sans nous être donnée. Elle procède, même continue et continuée, de l'absence même qui la génère. Dieu est présent au long de toute notre vie, et cependant, ne se manifeste qu'à l'étape. Il demeure en nous comme sous une tente ; nous ne l'apercevons qu'à contre-jour, prêt à demeurer, prêt au départ. Dieu chemine avec nous et nous achemine, attentif au terme de notre route, prêt à s'éteindre comme une lampe lorsque vient le jour ; car il advient autant qu'il vient, attentif à nous abandonner notre part dans la démarche, à donner sa part à notre marche.

Les hommes croient que Dieu est absent alors que nous le disposons à venir, alors que nos recherches lui sont précieuses autant que nos découvertes, nos tentatives autant que nos réussites, nos errances, nos erreurs peut-être, autant que nos certitudes. Jacob tenait de Dieu la compréhension de ces choses. Il savait que Yahvé, son poursuivant, était venu cette nuit là pour lui seul en ce gué tumultueux du Yabbok, sous l'abri clairsemé de ces chênes rabougris, parmi ces rochers arrondis, et que sa venue rendrait ce lieu saint à jamais. Il comprenait que cet événement nocturne s'inscrivait dans la longue fidélité d'une présence discrète et quotidienne. Il comprenait que ce n'était pas son cri, mais son angoisse qui avait pu convoquer ce visiteur mandaté par sa seule miséricorde. Et, de cette visite au Yabbok, Jacob éprouvait comme une paix diffuse, qui s'enracinait en chaque parcelle de son corps, en chaque racine de sa liberté.

C'est alors que s'imposa à lui la Présence souveraine, venue de nulle part, libérale et irrésistible à la fois. Il se sentit disponible et ardent ; c'est à cela qu'il reconnut l'imminence de la bénédiction. Ce qui montait en son esprit était comme la fermentation du raisin, un mouvement irrésistible et multiple ; cela venait de lui-même, mais c'était plus intérieur à lui que lui-même : c'était Dieu.

Jacob tenta de s'abandonner à l'ivresse qui le submergeait soudain. Il avait compté sans la distance et sans le vertige. Ce Dieu proche, soudain, l'effraya.


Qui suis-je, songeait Jacob, pour recevoir la visite d'une lumière si sombre que nous ne pouvons la regarder en face. Ne suis-je pas comme hier le jeune homme chétif qui fuyait Bersabée, l'homme timide qu'asservissait la volonté de Laban dans les steppes d'Élam ? Ne suis-je pas en cet instant même l'homme qui craint Ésaü et sa troupe?

Abraham était au-dessus des hommes ; Isaac avait gardé toute sa vie l'empreinte du Dieu qui avait demandé et épargné sa vie. En vérité, je suis trop faible pour la faveur que Dieu me témoigne (Gn 32, 11) : que peut un berger, un pâtre qui ne trouve nulle part le repos ? La réponse parvint à Jacob, comme toujours, avant que s'achève la question, et il la pressentait déjà : nul avant lui ne s'était fait le poursuivant de Dieu ; nul n'avait, avant lui, demandé à porter le fardeau de l'élection divine. Nul n'avait recherché Dieu avec tant d'obstination et d'exigence. Nul n'avait voulu Dieu comme Dieu l'avait voulu ; il n'était aujourd'hui choisi que pour avoir d'abord choisi lui-même ; il n'était exaucé que pour avoir été importun, pour avoir enfreint la règle qui veut que tout vienne de Dieu. Abraham avait reçu la promesse, Isaac l'avait transmise, Jacob en avait revendiqué le fardeau. Il avait recherché ce fardeau comme d'autres se mettent en quête des richesses les plus précieuses. Il avait découvert le premier que le royaume des cieux souffre violence. Jacob avait été le pèlerin du plus haut désir, et savait pourtant qu'« il n'était devant le Seigneur qu'un voyageur, un passant comme tous ses pères» (Ps 39, 13). Dieu l'avait choisi de l'avoir choisi.

Alors qu'allait s'accomplir la rencontre, Jacob doutait encore, doutait davantage. Car nul ne saurait vouloir devant Dieu, source de notre volonté même. Sa soif d'être choisi, sa soif de Dieu ne seraient-elles pas retenues contre lui ? N'avait-il pas transgressé les interdits confus qui délimitent l'homme et au-delà desquelles l'homme ne peut que se perdre ?

Du jeu qu'il joue, Dieu n'est-il pas le seul à poser les règles, et, à ce jeu, le fraudeur divin ne gagne-t-il pas toujours? Il est le tout-puissant, souverain maître de la partie comme de la règle, du jeu comme de l'enjeu. Et c'est face à un tel partenaire que Jacob avait osé faire lui-même son jeu : il avait voulu l'aînesse et la bénédiction, il avait voulu le songe et voulu la rencontre. Il avait voulu Dieu comme Dieu l'avait voulu. Peut-être connaissait-il mieux que d'autres son partenaire caché.

Car ce joueur que nous ne voyons jamais nous voit toujours, et s'il lit dans notre jeu, il a une manière bien à lui de redistribuer les cartes : il n'en garde aucune pour lui-même et nous les rend toutes. Depuis Luz, Jacob devinait les règles de cette relance divine : l'on arrive un soir, sans bagage et sans espérance, l'on s'abandonne à un sommeil de plomb et l'on est prêt à demander à la terre de s'entrouvrir et de vous engloutir : ce sont les cieux qui s'ouvrent. Et celui qui vous parle n'est ni un homme ni un ange, mais Yahvé qui se tient devant vous et l'atteste avec cette terrible simplicité qui n'appartient qu'à lui : « Je suis Yahvé, le Dieu d'Abraham, ton ancêtre, et celui d'Isaac. »

Dieu, en vérité, parie sur l'homme, mais ne se joue pas de lui : il met toute son impatience à le sauver.

Ces lumières n'ôtaient pas Jacob à sa nuit. Pourquoi subsisterait-il devant celui qui seul subsiste ? Et comment vouloir devant celui qui, avec telle puissance, nous mène ? Pourquoi ne pas s'abîmer dans sa nuit obscure, et y demeurer, enclos, prisonnier, privé de ses puissances, de ses choix, perdu dans la substance immense mais aussi, en cette immersion, protégé du monde, retranché de l'univers, souverain en Dieu et confondu avec lui. Voyageur imparfait, Jacob n'échappait ni à la chaleur ni au froid, et ne s'était pas privé de le dire à Laban lorsque celui-ci vint lui couper la route aux monts de Galaad : « Comme je gardais tes troupeaux, j'étais dévoré le jour par la chaleur, la nuit par le froid, et le sommeil fuyait mes yeux. » Il gardait ainsi le droit de dire tu à Dieu, comme celui de lui dire je : Jacob subsistait devant l'Éternel, et il le savait.

Mais il était en proie à la seule tentation qui vaille, la tentation de Dieu. Ah ! ne plus lui parler, ne plus l'interpeller, ne plus le supplier, mais se réfugier à l'ombre de ses ailes. Se tenir au pied du Mont d'où descend toute gloire ; écouter et consentir, ne plus vouloir à jamais ; ne plus décider et ne plus régir ; fuir les embûches et les déceptions du monde. Là serait le seul repos qui vaille.

Garde-moi comme la prunelle de l'oeil...        Cache-moi à l'ombre de tes ailes.....

Jacob subissait la tentation de Dieu, la tentation du refuge, la tentation qui ôte à Dieu la joie d'avoir en l'homme une créature, un vivant qui va et qui voit, un être qui vit et qui veut et qui n'adore pas en Lui sa force, mais sa puissance de bénédiction. C'est pourquoi Jacob connut le vertige.

Jacob ne pouvait nommer l'abîme qui s'ouvrait en lui, mais il pouvait le sentir. C'était fait de l'immensité des forces qui affluaient vers lui et de sa faiblesse à les accueillir comme à les contenir. C'était l'effet du courant divin qui, par sa seule présence déviait le cours de ses propres courants : « Tu m'emportes, à cheval sur le vent, et nul ne peut résister, tu me dissous dans la tempête, tu es le nuage et l'orage » (Jb 30, 22).

Comme un fétu en proie au souffle, Jacob tourbillonnait (Ps 83, 14) : là où il n'est plus de traces, plus de limites, plus de repères. Les signes qu'il croyait distinguer encore, voici tout à coup que l'Autre les effaçait ; les idées, les images dont il était pourvu, dès que se tendaient les liens du combat, voici qu'ils ne valaient plus. L'itinéraire est tracé, mais soudain, toute trace d'itinéraire s'évanouit. Yahvé nous attire vers sa lumière et nous plonge dans notre nuit. Il nous attrait vers la certitude, et voici le doute. Il nous offre son appui et c'est aussitôt le vertige. Toutes les forces de Jacob étaient conjuguées pour conjurer ce vide. Mais, en ce voyage de l'âme, la seule chance de salut est dans l'anéantissement du voyageur, en cette passivité au-delà de laquelle se décèle une activité venue d'ailleurs : et la seule chance de victoire est dans cette reddition totale et préalable - tant il est vrai que les règles du combat divin sont tout autres que celles de nos luttes : Dieu combat pour être vaincu, mais la défaite de l'homme est la condition de sa victoire. L'abandon doit être le premier mouvement de notre nature face à Celui qui l'a fondée. Mais la nature n'accepte pas sans lutte que notre coeur se rebelle contre nous, que notre foncière dépendance se manifeste devant Celui qui fonde notre liberté même. Et ces ultimes défenses résistent parfois longtemps à la présence de Dieu comme au désir de sa rencontre.

La réponse était là et palpitait en lui : cette vie devant moi n'est que néant, l'homme n'est vraiment qu'un souffle ; rien ni personne ne subsiste devant le Seigneur, et les mérites sont devant lui comme s'ils n'étaient pas. Mais Lui subsiste à jamais.

Avant que les montagnes fussent nées, enfantés la terre et le monde, de toujours à toujours il est Dieu. Drapé de lumière comme d'un manteau, il déploie les cieux comme une tente, où il abrite sa justice. L'homme est comme l'herbe, fanée avant la fin du jour, il ne peut demeurer et vivre devant celui dont les chérubins cachent la face : les nations, à son aspect, s'écoulent comme la cire (Ps 68, 3; 90, 2; 103, 15 ; 104, 2).

Sur le point de succomber, Jacob se souvint de cette parole qui n'avait été adressée qu'à lui: « Je suis avec toi pour te garder partout » : alors, il osa lever les yeux vers les hauteurs d'où lui viendrait le secours, et le secours lui vint de Yahvé (Ps 121, 1). Il comprit que celui-ci était avec lui pour le garder au sein même du tourbillon qu'avait engendré sa présence, que Yahvé ne l'abandonnerait pas, car il était son Pasteur. Cette découverte d'un Dieu qui suit et poursuit les hommes tout au long de leur présence en ce monde fut bien celle de Jacob lui-même et de lui seul. Par deux fois, aux approches de la mort, il rappela ce lien unique qui s'était établi entre lui et l'éternité alors que son âme vacillait entre l'adhésion et la crainte. Il se souvint alors de ce moment où son esprit avait reçu la force de le conduire : Passerais-je un ravin de ténèbres je ne crains aucun mal car tu es près de moi....(Ps 23, 4.)

Bénissant Joseph, c'est à ce moment même qu'il faisait écho : Que le Dieu qui fut mon pasteur depuis que j'existe jusqu'à ce jour... Que le Dieu dans la voie duquel ont marché mes pères Abraham et Isaac bénisse ces enfants.(Gn 48-15)

Et, sur le point d'expirer, en ce chant redoutable où chaque lignée d'Israël trouve la source de ses bénédictions et de ses malédictions, Jacob place la descendance de Joseph sous l'empire du Puissant de Jacob - le dieu de Luz, l'auteur du songe - mais il le nomme le Berger, la Pierre d'Israël.


Ainsi s'était élaborée au Yabbok, sous le souffle de Dieu lui-même, une nouvelle théologie des noms divins, dont Jacob le premier avait eu à porter le poids, mais dont il avait su, le premier aussi, accueillir la clarté.


Parvenu en ce point où la lumière intérieure suffit à tout, Jacob ne songeait plus qu'à demeurer en ce lieu : l'Éternel y posséderait ses tentes, et Jacob le servirait. La lumière qu'il portait en lui ne pouvait se dissiper avec le jour. Jacob ne pourrait cheminer dans un monde devenu pour lui comme une nuit. Et c'est pourquoi la parole que Jacob ne pouvait supporter était celle-ci : « Laisse-moi partir, car le jour approche, laisse-moi partir car voici l'aurore. » Jacob ne se demandait pas pourquoi l'Invisible ne pouvait souffrir le jour ; il ne se demandait pas comment Dieu pouvait inverser le sens de la supplication. Mais il ne possédait aucune recette pour vivre dans les ténèbres d'un jour plus épais que nos nuits. Et il répondit : « Je ne te laisserai pas aller. » Retenir, retenir, telle était en cet instant la hantise de son esprit, de son corps douloureux marqué par les pierres qu'il étreignait - comme pour mieux retenir le Dieu redoutable et miséricordieux qui était devenu son Seigneur.

Jacob était venu au Yabbok pour faire appel devant le Tout-Puissant de la menace d'Ésaü, pour voir confirmée la promesse qui était son héritage, et pour rencontrer Dieu. Il avait rencontré Dieu, son élection avait été confirmée, Ésaü ne le préoccupait plus guère. Mais il s'accrochait à Dieu comme à la seule clarté, rendant ainsi, sans même le pressentir, le seul hommage dû à la gloire de la lumière.

Jacob était passé de la supplication à la présence - sans transition. Mais la présence le conduisait à une nouvelle supplication. Il ne tenait plus à l'univers, et tenait moins encore à lui-même. En quel abîme verserait-il s'il en venait à ne plus retenir Dieu ? C'est pourquoi Jacob ne lâche pas son adversaire : il ne peut tenir en équilibre que par lui : il ne peut lâcher Dieu qu'en échange de Dieu.

Jacob entrevit une issue : une bénédiction, une bénédiction souveraine ne pourrait-elle se substituer à la présence, ne la rattacherait-elle pas dans la nuit du monde à ce Dieu qui était venu et qui voulait partir, au Dieu nomade qu'il s'était choisi ?

L'hôte se retirait, mais non sa présence.........

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le combat de Jacob (début)

Publié le par Christocentrix

......Le destin d'Isaac fut rectiligne. Celui de Jacob, toujours traversé, toujours transversal, toujours diagonal. Toujours en quête, toujours en fuite, il quitte la maison paternelle pour la servitude ; il fuit ensuite la servitude pour s'exposer au suprême danger de la capture. Il n'y échappe que pour errer de refuge en refuge, jusqu'en Egypte, territoire des morts, où il meurt. Pâture, voyage, pèlerinage, ce fut tout un pour Jacob, sauf Dieu, seul point fixe.


Comment Jacob aurait-il pu marcher droit : c'est de biais que s'imposèrent à lui les principaux événements de sa vie. C'est par un biais qu'il avait pu rétablir son aînesse méconnue par une sage femme inexperte dans les mystères de la gémelléité ; c'est par un biais qu'avait été arrachée à Isaac la bénédiction due à l'aîné véritable ; de biais encore qu'il avait obtenu Rachel après avoir été contraint d'accepter le don superflu de Léa, la fille aînée. Était-ce la faute de Jacob s'il rencontrait ainsi l'aînesse sur son chemin : cadet auquel on imposait l'aînée, aîné en vérité à qui l'on refusait la cadette. Et c'est de biais que Jacob avait obtenu le salaire de quatorze années de labeur : après l'avoir vainement demandé au maître du troupeau, il l'avait obtenu du troupeau lui-même.
Jacob avait vécu, et survécu, mais d'une vie oblique ; et ce soir toute l'amertume de sa condition fondait sur lui. Sur la place d'un marché du nord, un voyant lui avait dit un jour : on ne t'appellera plus le délaissé, mais le choisi, l'élu de Dieu (Is 62, 4). D'une bourrade brutale, Jacob l'avait jeté à terre, en lui criant : « Mieux vaut pauvreté que mensonge et misère que dérision! » (Pr 15, 16).

Jacob ne se pardonnait pas de n'être jamais parvenu à décider pour lui-même, à décider par lui-même. Il n'avait pas décidé de quitter les siens, mais la menace d'Ésaü avait suffi à lui imposer ce choix. La maison de son père, il ne l'avait quittée que contraint et forcé, sous la puissante menace du meurtre. Il n'avait pas décidé d'entrer en servage auprès de Laban, mais celui-ci avait su l'y contraindre, sous la puissante menace de la famine. Il n'avait pas décidé d'épouser Léa, mais il avait dû y consentir pour ne pas perdre Rachel, sous la puissante menace de l'amour. Et lorsqu'après vingt ans de travaux et d'efforts, Jacob jugea qu'il était en mesure de s'établir, Laban l'avait poursuivi comme un adolescent fugueur, s'arrogeant le droit de fouiller ses bagages et de perquisitionner ses tentes.

En réalité, la vie de Jacob n'avait été qu'une bousculade de causes et d'effets dans laquelle n'avait été absente que la maîtrise de l'événement. C'est pourquoi, sur la fin de sa vie, et au grand scandale de Joseph, son fils, Jacob n'avait pu que répondre, au Pharaon qui l'interrogeait sur son expérience : Courtes et mauvaises furent les années de ma vie errante (Gn 47, 9). Ses destinées n'avaient laissé, à côté de lui, et en dehors de lui, que des traces semblables à celles que font sur le sable les pas d'un étranger qui s'éloigne.

Et ce qui étreignait Jacob, au terme de vingt années d'efforts, ce n'était pas le contraste entre ses mérites et ses récompenses, entre ses efforts et leurs fruits, ce n'était pas la conscience de la solitude liée à la vie pastorale, mais le sentiment véhément d'avoir été oublié après avoir été choisi, le sens aigu de sa déréliction. Personne n'aurait pu écrire de Jacob sans le méconnaître entièrement : « Sa faiblesse tient à un défaut de recueillement spirituel qui l'empêche de penser d'avance toute sa douleur » (Kierkegaard, Crainte et tremblement). Jacob pensait sa douleur tout entière et la pensait aussitôt, et cette douleur tenait en ceci que les promesses de Dieu lui paraissaient avoir été rendues vaines dans sa destinée d'homme.

Il ne l'acceptait pas. Jacob n'avait rien accepté et n'avait jamais renoncé : ni à son droit d'aînesse, ni au choix de Rachel, ni au salaire de Laban, ni à l'élection de Dieu. Il n'était ni révolté, ni résigné, mais il avait toujours deviné que Dieu n'appréciait guère celui qui succombe, moins encore celui qui accepte de succomber. Jacob vivait l'oubli de Dieu comme une sentence frappant de stérilité l'entreprise même de sa vie. Il éprouvait, au coeur de son existence, la crainte d'avoir en vain tracé son sillon, d'avoir planté et enraciné en vain, d'être à l'écart de toute moisson, d'errer sur la terre sans accomplir un dessein assuré, tel un homme auquel nulle promesse n'aurait été faite. Quinze siècles à l'avance, Jacob prophétisait l'un des poèmes les plus désespérés de l'Ecriture : Malheur à moi, je suis devenu comme un moissonneur en été, comme un grappilleur aux vendanges : plus une grappe à manger, plus une figue précoce que je désire.(Mi 7, 1.)

Car s'il appartient à l'homme de s'incliner devant l'inévitable, il n'est rien d'impossible au Dieu qui le guidait sans le contraindre, le veillait sans l'entraver, le conduisait sans le soumettre. Mais le temps était venu de lui demander comment, de lui demander pourquoi.


Jacob souhaitait cette entrevue mais il la redoutait, comme un homme qui connaît ses faiblesses et craint de les savoir percées à jour. Il espérait le secours mais il appréhendait le jugement. Il savait que Dieu était sa voie, mais il ignorait qu'il était sa force. Loin des « me voici » d'Abraham, il ne répondait à l'appel de la Puissance que par l'appel de sa faiblesse.

En ce point du destin de Jacob, l'Écriture nous tend un piège. Si l'exégèse permet de retourner à la signification la plus immédiate et la plus vraie, celle-là même que recèle et révèle l'idiome, elle limite et fausse parfois l'interprétation, coupant les ailes à l'analogie, interceptant le paradoxe et la métaphore qui sont pourtant les voies royales du sens. Il est aisé d'identifier Abraham à la foi et d'attribuer à Jacob la ruse : l'un et l'autre usèrent des armes de la ruse ; l'un et l'autre combattirent sous les drapeaux de la foi.

Le signe distinctif de Jacob n'était pas la ruse, mais la fraude ; il la pratiqua ingénument, continûment, ouvertement : sa foi lui avait révélé qu'il était l'aîné selon la promesse, le premier conçu, le premier entrevu dans le projet divin et qu'il devait rétablir ce rang et s'en prévaloir. Car la fraude possède une dimension plus vaste que la ruse. Elle porte avec elle une approche originale du réel. La fraude détourne, contourne, extourne, la fraude se fait latérale, elle se veut sinuante, insinuante, persévérante. Elle rallonge les délais, amplifie les volumes, modifie les pesées : la fraude n'est rien d'autre qu'une forme ingénieuse et exemplaire de la patience - chaque fois du moins que les contraintes de la force majeure viennent la légitimer ; la fraude est la réponse de l'intelligence à la force.

La fronde de David, arme ingénue des pâtres et des enfants, pourrait en être l'emblème : quoi de plus frauduleux que la fronde, quoi de plus inégal et de plus injuste, en un sens, que cet objet qui donne la victoire à la faiblesse et à la pauvreté sur la force et la richesse, compagnes habituelles du succès, et du mérite, l'un et l'autre déçus dans leur légitime attente : David, dit la chronique, prit son bâton en main, il se choisit dans le torrent cinq pierres bien lisses et les mit dans son sac de berger, puis, la fronde à la main, marcha vers le Philistin (1 S 17, 40). Et David fut vainqueur, car il marchait au nom de Yahvé. Ainsi s'écrivent les lettres de noblesse de la fraude.

Mais surtout, la fraude est le fait du Tout-Puissant lui-même, contraint de masquer sa transcendance pour agir parmi les hommes. Dieu pourrait assurément se porter en toute circonstance sur quelque Sinaï et faire périr ceux qui murmurent. Mais il s'interdit à lui-même d'agir de la sorte.

Celui dont l'amour est éternel n'est pas seulement doux et humble de coeur : il l'est au point d'être tout à fait incapable de ne l'être pas ou de ne l'être que par instants. « Dieu, qui a été mon Pasteur depuis le commencement de ma vie» (Gn 48, 15), confie Jacob à son fils Joseph sur son lit de mort ; un pâtre parle avec autorité lorsqu'il attribue ainsi le beau nom de Pasteur. C'est pourquoi le Dieu de Jacob ne trône pas parmi les attributs de la gloire humaine. Il met sa gloire à n'être que lui-même, lui qui est tout, et à cheminer, invisible, au pas de son troupeau d'hommes, sauvant ceux qui trébuchent, arrachant aux fauves ceux qui en sont déchirés : « Dieu est mon berger, dira le chantre au psaume 23, et je ne manque de rien »; le chant final de Jacob s'accordait à l'avance aux accents du psaume.

Mais ce Dieu qui chemine - ce Dieu nomade - ne se résigne pas à seulement marcher au pas des hommes : il leur adresse la parole, leur confirme sa promesse, entame avec eux un échange incessant. Et il veut aussi les attirer vers lui, les inviter au partage et à la rencontre. Comment pourrait-il agir en ces circonstances comme un homme alors qu'il ne veut pas tromper les hommes, ou comme un dieu, alors qu'il n'est pas un dieu, mais Dieu Lui-même? Le mode d'agir de Dieu est particulier parce que personne n'est substituable à Dieu. Qui est semblable à Lui ? Ce mode d'agir dément toute attente et passe outre aux règles. Dieu ne règne pas ; il n'est pas un Roi, et nous ne sommes pas ses sujets. Mais il ne s'identifie pas à la créature, sauf au temps souverainement fixé par lui de sa visite au soleil levant (Lc 1, 78). En dehors du Christ, nulle divinité ne peut s'adresser à nous d'homme à homme. Ainsi l'action divine qui n'a en vue que la joie de l'homme ne peut procéder sur le mode de l'homme. Dieu nous parle à travers notre humanité et nous parle d'elle, mais ne nous parle pas comme elle. Lorsque nous le rencontrons, nous savons dès le commencement qu'il est un Autre, car plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes, plus présent à nous et à notre esprit que notre esprit à nous-mêmes. Précisément parce qu'il est notre source et notre fin, Dieu s'interdit d'agir sans respecter ce que nous sommes et sans assumer le fait que nous sommes. Cette double fraude n'est rien d'autre que le mode d'agir de Dieu : il ne nous écrase ni de sa présence, qui est pourtant infinie, ni de sa proximité, qui est infinie elle aussi. Aussi a-t-il choisi de nous aborder de biais, et d'être faible devant les hommes pour ne forcer en rien le ressort qui les anime. Combien d'êtres n'ont pas su qu'ils avaient rencontré Dieu pour l'avoir attendu tel qu'il n'était pas : dans l'appareil écrasant de la puissance ou dans le mouvement de la complaisance ?

Jacob savait d'instinct ce que des siècles nous ont trop mal enseigné : pour lui, Dieu était présence, ou n'était plus présent ; il était évidence ou n'était plus évident. On ne le rencontrait jamais face à face, mais on ne l'apercevait jamais en ployant l'échine. L'on pouvait savoir tout à coup qu'il était là, sans savoir où, savoir ce qu'il voulait sans savoir pourquoi, savoir où il vous envoyait sans savoir comment, savoir ce qu'il promettait, sans savoir quand.

Ainsi le Tout-Puissant enveloppe ses oeuvres dans un halo de fraude parce qu'il doit s'envelopper lui-même dans sa propre transcendance. Ainsi franchit-il avec aisance les bornes qu'il pose à ses créatures : la race de Caïn devient mère des forgerons et des urbanistes, en dépit de la malédiction ; en dépit de la bénédiction, Abraham s'entend demander la vie du fils que Sara lui a enfanté dans sa vieillesse, mais plus encore l'anéantissement de la promesse scellée par Dieu lui-même. Malédictions et bénédictions semblent se jouer les unes des autres et nul ne s'étonne d'entendre Rébecca, bénie entre les femmes par Eliézer aux lointains du Paddan, inverser les apparences en substituant dans l'aînesse le fils sorti second de son sein et répondre aux objections de Jacob : Je prends sur moi la malédiction !

Mais, par la bénédiction d'Isaac, Jacob s'était vu promettre des odeurs de champs fertiles et il demeurait le berger des steppes arides (Gn 27, 27). L'Éternel lui avait promis de gras terroirs, et il ne se déplaçait qu'au long des chemins et au gré des vents. Dieu lui avait dit qu'il le ramènerait en Canaan, et voilà qu'entre Aram et Edom il traversait le pays qui lui était dédié comme une bande qui redoute l'embuscade, comme une troupe qui se prépare au guet-apens. La seule terre qu'il ait jamais possédée, Jacob l'avait lui-même arrachée aux Amorites, par la seule promesse de son arc et de son glaive (Gn 48, 22). II est vrai que ses ancêtres reposaient en terre promise, à Hébron, mais cette terre n'était-elle donc promise qu'aux morts ?

Et lorsque le Seigneur avait dirigé son existence, il n'avait jamais sollicité son avis, fût-ce le temps d'un songe. Il s'était borné à arracher son consentement par les moyens, dont il disposait : l'autorité de Rébecca, la menace d'Esaü, les pressions de Laban ; telles avaient été les étapes de sa liberté. Jacob n'avait eu le sentiment de prendre l'initiative que dans une circonstance dérisoire : le temps de préparer pour son frère un brouet roux. Et cependant, Jacob, dans son amertume, ne perdait pas de vue la face lumineuse de l'action divine, cette pitié inépuisable qui avait cheminé de Bersabée à Luz, lui insufflant l'espoir, relevant son courage, le gardant de tout mal. De ce voyage, où les pierres seules lui avaient prêté assistance, Jacob gardait le souvenir ébloui de cette sollicitude venue à la rencontre de sa solitude.

Et même les biais divins les plus étranges n'étaient pas à ses yeux dépourvus de justifications. Au long de la semaine qui suivit ses noces, il avait dû attendre Rachel: mais ses vraies noces, retardées et secrètes, furent celles qui les réunirent l'un à l'autre. Six années Rachel fut stérile, mais, la septième année, elle enfanta Joseph, le fils de son coeur. Vingt ans, il avait attendu son salaire, mais il s'était ensuite payé au centuple, et le Dieu de ses pères n'avait guère désavoué ses prélèvements élargis par l'attente. Aujourd'hui, la crainte était dans son coeur, et la peur dans son camp : mais qui pouvait deviner le dénouement que donnerait, par un biais, à une situation qui le terrifiait, son Dieu fraudeur ?

Jacob savait mesurer sa faiblesse - c'était un aspect de sa force. Il était faible vis-à-vis des villes royales, telles Sichem et Béthel, qui lui concédaient à prix d'or des pâtures précaires et des champs provisoires ; et plus faible encore vis-à-vis des empires dans les remous desquels glissaient ses caravanes, imperceptibles signes d'une race à venir, d'une race promise qui n'existait pas encore. Mais il avait été plus faible encore vis-à-vis de ceux qui s'armaient contre lui de bienfaits réels ou imaginaires : faible vis-à-vis de Rébecca, de Laban, de Léa.

Jacob n'avait jamais été fort que de cette force empruntée, venue d'ailleurs, qui, aux moments décisifs, remplissait son esprit et rejoignait son vouloir ; de cette force insinuée, insidieuse, de cette force oblique qui tout à coup lui était prêtée par la force souveraine : alors il quittait la maison paternelle, alors il couchait à la bonne ou à la mauvaise étoile ; alors il soustrayait son camp aux domaines de Laban, sans laisser même soupçonner sa fuite (Gn 31, 21). Alors, un soir, au gué du fleuve, il retrouvait la force d'affronter son frère jumeau, son ennemi.

Tandis que les bords de l'horizon filtraient encore une lueur grise, d'une voix assourdie, monocorde, Jacob récita l'hymne chanté dans les choeurs au temps de sa jeunesse en fuite - le chant de la flèche :  Dieu de mes pères, Sois attentif au cri de mes lèvres ; car mes ennemis s'avancent contre moi. Pourquoi fuirais-je dans les montagnes. Ils m'entourent les armes à la main.Comme les taureaux de Bashan ils m'environnent. Nul refuge, hors ta justice. Voici qu'ils ajustent la flèche à la corde pour frapper dans l'ombre un coeur droit. Mais, Seigneur, tu es mon bouclier, Ton oeil exercé distingue le méchant et lorsque tu ajustes tes traits contre les ténèbres, nulle retraite pour celui que tu atteins.

Dieu était présent, il en était maintenant persuadé, à cette mauvaise rencontre. Dieu lui-même, au détour de la route, à la tête des chemins, au confluent des fleuves avait choisi d'être avec lui, en face de lui, avait choisi de le guetter et de l'attendre. Et ce Dieu qui avait tissé la trame de sa vie comme on ourdit une intrigue, qui avait disposé les fils et les avait tirés de loin, ce Dieu tisserand serait là ce soir, partial et souverain à la fois comme un adversaire à vaincre et à convaincre, mais plus encore comme un allié, un inspirateur qu'il faudrait entendre et dont il faudrait se faire entendre........


                                                                                (suite dans le prochain article)
 

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l'Amitié dans la Bible

Publié le par Christocentrix

L'amitié est un sentiment particulier qui transcende l'affection que nous avons pour quelqu'un. C'est plus que la sympathie, la camaraderie, l'affinité ... L'amitié génère l'échange, les confidences, un partage des projets, des espoirs, des joies, des peines…

Etre ami avec quelqu'un, c'est vivre dans son intimité, en confident privilégié comme l'écrit le psalmiste, attristé de la défection d'un de ses amis : C’est toi, que j’estimais mon égal, Toi, mon confident et mon ami! Ensemble nous vivions dans une douce intimité. Psaumes 55:13. (Une autre version dit : "toi, mon ami et mon intime, avec qui j’échangeais des confidences").

 

Dans la Bible, le mot hébreu désignant l'amitié est "rea" qui signifie "ami, compagnon". On le retrouve souvent pour désigner les relations d'amitié entre deux personnes. L'amitié est en fait un des éléments de la faculté qu'à l'être humain d'aimer sous des formes différentes, selon la signification de trois mots grecs définissant "l'amour".

 

Le premier : "Agapê" et "agapaô", peu utilisés dans le grec profane, se rapportent davantage à la sphère spirituelle et morale, "agapê" dépend plus de la volonté que du sentiment. Il exprime l'essence de l'amour très pur, un sentiment élevé, que l'on peut représenter par l'amour d'une mère pour son enfant. Il caractérise en particulier l’amour de Dieu, parfait, inimitable.

La seconde expression du grec : Philia ou phileô, se dit pour un sentiment d’amitié très fort. "philos", employé surtout comme adjectif, signifie aimé, cher, amical. Un sentiment qui se situe au niveau de l'affectif humain, de l'âme.

 Un exemple de la Bible l'illustre très bien, en parlant de l'amitié qui a lié David et Jonathan : David avait achevé de parler à Saül. Et dès lors l’âme de Jonathan fut attachée à l’âme de David, et Jonathan l’aima comme son âme (1 Samuel 18:1-3). Il est clair que ces deux hommes étaient liés d'un profonde et sincère affection, leur âme était attachée l'une à l'autre, par un sentiment pur. A ce niveau l'amitié est assez rare, et d'autant plus précieuse.

A la mort de son ami, David le pleurant dit (2 Samuel 1:26) : L'angoisse m'accable à cause de toi, Jonathan mon frêre. Tu faisais tous mes délices, ton amour m'était plus précieux que l'amour des femmes. (Bible Crampon). D'autres traductions proposent : J'ai le coeur serré à cause de toi, mon frêre Jonathan, tu m'étais délicieusement cher, ton amitié m'était plus merveilleuse que l'amour des femmes (Bible de Jérusalem). Je suis dans la douleur à cause de toi, Jonathan, mon frère! Tu faisais tout mes plaisirs; Ton amour pour moi était admirable, au-dessus de l’amour des femmes (Bible Segond).

 

L'histoire du monde recèle de nombreux exemples de ces amitiés sublimes, d'hommes et de femmes, allant parfois jusqu'au sacrifice de leur vie pour sauver l'ami(e). L'amitié est donc un sentiment très fort et profond qui font que deux personnes s'attachent l'une à l'autre par un lien de solide affection.

Un ami, c'est plus qu'un copain, plus qu'un camarade, plus qu'un partenaire, parfois plus qu'un frère, comme le dit l'auteur du livre des Proverbes, en distinguant le véritable ami, des "amis" intéressés. Celui qui a beaucoup d’amis les a pour son malheur, Mais il est tel ami plus attaché qu’un frère (Proverbes 18:24). Le caractère d'un véritable ami se définit par son attachement indéfectible : L’ami aime en tout temps, Et dans le malheur il se montre un frère. (Proverbes 17:17). L'ami(e) véritable est entièrement désintéressé, il tend le coeur vers l'autre pour donner.

C'est en cela qu'il peut se transcender jusqu'à l'amour "agapé", l'amour qui va jusqu'à donner sa vie pour ceux qu'il aime. Le plus grand amour que quelqu’un puisse montrer, c’est de donner sa vie pour ses amis (Jean 15:13).

Il est évident qu'un tel sentiment d'amitié est dénué de tout arrière-pensée. Celui qui aime est patient et bon, il n’est pas envieux, ne se vante pas et n’est pas prétentieux ; Celui qui aime ne fait rien de honteux, n’est pas égoïste, ne s’irrite pas et n’éprouve pas de rancune ; Celui qui aime ne se réjouit pas du mal, il se réjouit de la vérité. Celui qui aime supporte tout et garde en toute circonstance la foi, l’espérance et la patience. L’amour est éternel (1 Corinthiens 13.4 à 8).

L'amitié est fragile et bien des choses peuvent l'affaiblir et parfois le détruire. C'est pour cela que nous devons en prendre soin et veiller à ce que la routine, les difficultés de la vie, l'usure du temps et souvent la méchanceté des jaloux, ne viennent diminuer ou tuer l'affection. De nombreux préjugés empêchent souvent de vivre une belle histoire d'amitié librement et au grand jour, tant les comportements d'amis(es) entre eux ou elles, engendrent la suspicion, surtout de nos jours où la plupart des gens ne peuvent s'empêcher de penser à mal. La Bible tire ses références du milieu des humains que nous sommes, avec leurs qualités, leur générosité, leur courage, mais aussi leurs faiblesses, leur lâcheté parfois, leurs reniements et même leurs trahisons. Le Seigneur, s’étant retourné, regarda Pierre. Et Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite: Avant que le coq chante aujourd’hui, tu me renieras trois fois. Et étant sorti, il pleura amèrement (Luc 22.61).

Dans sa bonté, le Maître a donné à son ami l'occasion de refaire le chemin inverse et de revenir avec des paroles combien poignantes : Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime. Après qu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre: Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne m’aiment ceux-ci? Il lui répondit: Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Jésus lui dit: Pais mes agneaux. Il lui dit une seconde fois: Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu? Pierre lui répondit: Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Jésus lui dit: Pais mes brebis. Il lui dit pour la troisième fois: Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu? Pierre fut attristé de ce qu’il lui avait dit pour la troisième fois: M’aimes-tu? Et il lui répondit: Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime (Jean 21).

 

L'amitié n'est pas toujours exprimable par des mots, cependant un véritable sentiment d'affection se traduit par des comportements et des attitudes. L'amitié se démontre donc par sa nature même.

- Elle fait confiance et génère des confidences intimes qui ne se se disent qu'entre vrais amis.

- Elle est sûre et discrète, elle garde les secrets.

- Elle est miséricordieuse pour absoudre les fautes et comprendre les faiblesses de l'ami.

- Elle est vrai, car elle sait reprendre lorsque c'est nécessaire.

- Elle est patiente et persévérante, les défauts de l'ami ne la rebutent pas.

- Elle est pure, sans arrières pensées, ni mauvais sentiments cachés.

- Elle est forte, elle résiste aux rumeurs, aux on-dit et aux médisances.

- Enfin elle est fidèle, elle demeure, en dépit de tout. Celui qui souffre a droit à la compassion de son ami, Même quand il abandonnerait la crainte du Tout-Puissant. (Job 6:14).

 

 

 

Cette réflexion serait incomplète si elle passait sous silence un aspect spirituel de l'amitié que nous avons du mal à concevoir : l'amitié avec Dieu.

La Bible parle de ces personnes qui ont eu avec l'Etre suprême, le Créateur, appelé encore l'Eternel, une relation d'intimité particulière. Il est dit de Moïse que Dieu s'entretenait avec lui en particulier, en tête à tête, comme un ami. L’Eternel parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami (Exode 33:11). Moïse avait chaque jour rendez vous avec l'Eternel en un lieu bien précis, en dehors de l'agitation du camp des Israélites, dans lequel il mettait un temps à part pour s'entretenir avec Son Ami Divin ! Et lorsque Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait et s’arrêtait à l’entrée de la tente, et l’Eternel parlait avec Moïse (Exode 33:9). Lorsque Moïse entrait dans la tente d’assignation pour parler avec l’Eternel, il entendait la voix qui lui parlait du haut du propitiatoire placé sur l’arche du témoignage, entre les deux chérubins. Et il parlait avec l’Eternel. (Nombres 7:89). Pouvons nous imaginer cette scène : L'homme Moïse debout devant l'arche d'alliance, ce coffre en bois recouvert d'or, surmonté de deux chérubins en or, du milieu desquels une voix audible se fait entendre, la voix de Dieu ! Cela peut nous paraitre surréaliste, mais il y avait bien là, dans le lieu très saint du tabernacle, un entretien réel entre Dieu et son serviteur. l'Un invisible mais vraiment présent et l'autre, un homme dans toute sa simplicité, ses limites naturelles, conversant avec l'Etre invisible !

Abraham fut appelé "ami de Dieu" à cause de la grande confiance qu'il a placé en Lui. Il avait avec l'Eternel des rendez vous ponctuels au cours desquels, les deux amis s'entretenaient des desseins divins pour son ami et au delà de lui, pour un peuple que le Seigneur formerait lui-même à partir du fils de son ami : Isaac, le fils d'une promesse... Abraham a réalisé le but final de la foi : être ami avec Dieu. En cela il est un exemple et un précurseur pour les croyants à venir après lui. Il a placé en Dieu toute sa confiance et c'est pour cette raison et seulement cela, non à cause de quelque oeuvre méritoire, mais par sa confiance, sa foi, que Dieu en a fait son ami.

 

L'exemple nous est ainsi donné que nous pouvons considérer Dieu autrement que comme un être inaccessible et sévère, qui inspire la peur. Au contraire; ceux qui apprennent à connaître le Dieu véritable établissent avec Lui une relation de grande confiance et d'amour vrai, parce qu'ils ont découvert en Lui, un être bon, miséricordieux, aimant, et même tendre et compatissant, qui désire être notre ami.

Avant de les quitter pour offrir sa vie en sacrifice sur la croix, le Seigneur confie à ses disciples qu'ils peuvent être ses amis : "Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître " (Jean 15: 14, 15) : Jésus souligne ici le fait que le suivre c'est aimer être en sa compagnie, écouter et respecter ses instructions et entrer dans le partage des choses qu'il confie aux siens.

C'est une chose merveilleuse et ineffable que d'être dans une relation d'amitié avec le Seigneur Jésus-Christ. Vivre une relation d'ami avec Jésus, devrait être la recherche de tous ceux qui disent croire en LUI… Mais cette amitié là ne ne peut être que le résultat d'un approfondissement de la connaissance de Celui que nous appelons déjà : Sauveur, Maître, Seigneur, Dieu, le Seigneur Jésus-Christ. Nous devenons l'ami de Jésus, lorsque notre âme s'attache profondément à Lui, qui nous a tant aimés. L'amitié avec le Seigneur Jésus-Christ est caractérisée par une attitude de respect et d'obéissance : Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande (Jean 15:14).

Nous trouvons dans les Evangiles des exemples qui montrent que Jésus aimait s'entourer d'amis, des personnes très proches avec qui il entretenait une relation privilégiée. On peut citer les apôtres Pierre, Jacques et Jean, ce dernier en particulier dont il est dit qu'il était "le disciple que Jésus aimait", expression citée à plusieurs reprises dans les Evangiles.  L’un des disciples, celui que Jésus aimait, était placé à côté de Jésus (Jean 13:23).

Il y avait aussi une femme, Marie de Magdala, qui avait avec Jésus une relation très affectueuse. Elle l'appelait tendrement "Rabbouni" c'est à dire doux Maître, C'est à elle qu'Il se montrera en premier après sa résurrection.
Jésus aimait aussi se retrouver dans une famille avec laquelle il avait un lien très fort d'amitié, comme le révèle la citation de l'apôtre Jean : "Jésus aimait Marthe, et sa soeur, et Lazare" (Jean 11:5).

Des femmes, comme Marie de Magdala et Marie la soeur de Lazare, étaient capables d'exprimer leur amour pour Jésus par des gestes émouvants et il leur en rendait hommage : Marie, ayant pris une livre d’un parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux; et la maison fut remplie de l’odeur du parfum (Jean 12:3). Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme s’approcha de lui, tenant un vase d’albâtre plein d'un parfum de grand prix; et, pendant qu’il était à table, elle répandit le parfum sur sa tête. (Matthieu 26 : 6,7).

 

 

Cette amitié avec Dieu ou avec Jésus-Christ est aussi possible pour nous. Nous devons remarquer que c'est Dieu qui vient vers ceux qu'il visite, même si parfois il y a de leur part la recherche de sa présence et l'attente de sa manifestation. L'amitié entre Dieu et les humains que nous sommes, est premièrement une question d'intimité, de la qualité de notre communion avec Lui et du désir de notre coeur, mais elle est surtout le produit de sa miséricorde et de sa grâce en Jésus-Christ. L’amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés (1ère Ep. Jean 3 : 9,10).
Etre ami de Jésus implique aussi que nous soyons attentifs et dociles à sa Parole, comme lui même le précise: Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père. Jean 15.14.  Le Seigneur révèle son désir de vivre avec nous cette relation d'intime amitié, lorsqu'il dit : Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi (Apocalypse 3 :20). Qu'il y a t-il de plus intime que de souper en tête à tête avec la personne que l'on aime ? C'est l'image même d'une réelle et profonde amitié.

 

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l'Amitié divine

Publié le par Christocentrix

de l'amitié familière de Jésus-Christ.

 

Que ta présence, ô dieu, donne à nos actions

sous tes ordres sacrés une vigueur docile !

Que tout va bien alors ! Que tout semble facile

à la sainte chaleur de nos intentions !

Mais quand tu disparois et que ta main puissante

avec nos bons desirs n'entre plus au combat,

oh ! Que cette vigueur est soudain languissante !

Qu'aisément elle s'épouvante,

et qu'un foible ennemi l'abat !

Les consolations des sens irrésolus

tiennent le coeur en trouble et l' âme embarrassée,

si Jésus-Christ ne parle au fond de la pensée

ce langage secret qu'entendent ses élus ;

mais dans nos plus grands maux, à sa moindre parole,

l'âme prend le dessus de notre infirmité,

et le coeur, mieux instruit en cette haute école,

garde un calme qui nous console de toute leur indignité....

 

...Qu'heureux est ce moment où ce dieu de nos coeurs

d'un profond déplaisir les élève à la joie !

Qu'heureux est ce moment où sa bonté déploie

sur un gros d'amertume un peu de ses douceurs !

Sans lui ton âme aride à mille maux t'expose,

tu n'es que dureté, qu'impuissance, qu'ennui ;

et vraiment fol est l'homme alors qu'il se propose

le vain desir de quelque chose

qu'il faille chercher hors de lui.

Sais-tu ce que tu perds en son éloignement ?

Tu perds une présence en vrais biens si féconde,

qu'après avoir perdu tous les sceptres du monde,

tu perdrois encor plus à la perdre un moment.

Vois bien ce qu'est ce monde, et te figure stable

le plus pompeux éclat qui jamais t'y surprit :

que te peut-il donner qui soit considérable,

si les présents dont il t'accable

te séparent de Jésus-Christ ?

Sa présence est pour nous un charmant paradis,

c'est un cruel enfer pour nous que son absence,

et c'est elle qui fait la plus haute distance

du sort des bienheureux à celui des maudits :

si tu peux dans sa vue en tous lieux te conduire,

tu te mets en état de triompher de tout ;

tu n'as plus d'ennemis assez forts pour te nuire,

et s'ils pensent à te détruire,

ils n'en sauroient venir à bout.

Qui trouve Jésus-Christ trouve un rare trésor,

il trouve un bien plus grand que le plus grand empire :

qui le perd, perd beaucoup ; et j'ose le redire,

s'il perdoit tout un monde, il perdroit moins encor.

Qui le laisse échapper par quelque négligence,

regorgeât-il de biens, il est pauvre en effet ;

et qui peut avec lui vivre en intelligence,

fût-il noyé dans l' indigence,

il est et riche et satisfait.

Oh ! Que c'est un grand art que de savoir unir

par un saint entretien Jésus à sa foiblesse !

Oh ! Qu'on a de prudence alors qu'on a l'adresse,

quand il entre au dedans, de l'y bien retenir !

Pour l'attirer chez toi, rends ton âme humble et pure ;

sois paisible et dévot, pour l'y voir arrêté ;

sa demeure avec nous au zèle se mesure,

et la dévotion assure

ce que gagne l' humilité.

Mais parmi les douceurs qu'on goûte à l'embrasser

il ne faut qu'un moment pour nous ravir sa grâce :

pencher vers ces faux biens que le dehors entasse,

c'est de ton propre coeur toi-même le chasser.

Que si tu perds l'appui de sa main redoutable,

où pourra dans tes maux ton âme avoir recours ?

Où prendra-t-elle ailleurs un appui véritable,

et qui sera l'ami capable de te prêter quelque secours ?

Aime : pour vivre heureux il te faut vivre aimé,

il te faut des amis qui soient dignes de l'être ;

mais si par-dessus eux tu n'aimes ce grand maître,

ton coeur d'un long ennui se verra consumé.

Crois-en ou ta raison ou ton expérience :

toutes deux te diront qu' il n'est point d'autre bien,

et que c'est au chagrin livrer ta conscience

que prendre joie ou confiance

sur un autre amour que le sien.

Tu dois plutôt choisir d'attirer sur tes bras

l'orgueil de tout un monde animé de colère,

que d'offenser Jésus, que d'oser lui déplaire,

que de vivre un moment et ne le chérir pas.

Donne-lui tout ton coeur et toutes tes tendresses ;

et ne souffrant chez toi personne en même rang,

réponds en quelque sorte à ces pleines largesses

qui pour acheter tes caresses

lui firent donner tout son sang.

Que tous s'entr'aiment donc à cause de Jésus,

pour n'aimer que Jésus à cause de lui-même ;

rendons cette justice à sa bonté suprême,

qui sur tous les amis lui donne le dessus.

En lui seul, pour lui seul, tous ceux qu'il a fait naître,

tant ennemis qu'amis, il les faut tous aimer,

et demander pour tous à l'auteur de leur être

et la grâce de le connoître

et l'heur de s'en laisser charmer.

Ne désire d'amour ni d'estime pour toi

qui passant le commun te sépare du reste :

c'est un droit qui n'est dû qu'à la grandeur céleste

d'un dieu qui là-haut même est seul égal à soi.

Ne souhaite régner dans le coeur de personne ;

ne fais régner non plus personne dans le tien ;

mais qu'au seul Jésus-Christ tout ce coeur s'abandonne,

que Jésus-Christ seul en ordonne

comme chez tous les gens de bien.

Tire-toi d'esclavage, et sache te purger

de ces vains embarras que font les créatures ;

saches en effacer jusqu'aux moindres teintures,

romps jusqu'aux moindres noeuds qui puissent t'engager.

Dans ce détachement tu trouveras des ailes

qui porteront ton coeur jusqu'aux pieds de ton Dieu,

pour y voir et goûter ces douceurs immortelles

que dans celui de ses fidèles

sa bonté répand en tout lieu.

Mais ne crois pas atteindre à cette pureté,

à moins que de là-haut sa grâce te prévienne,

à moins qu'elle t'attire, à moins qu'elle soutienne

les efforts chancelants de ta légèreté.

Alors, par le secours de sa pleine efficace,

tous autres noeuds brisés, tout autre objet banni,

seul hôte de toi-même, et maître de la place,

tu verras cette même grâce

t'unir à cet être infini.

Aussitôt que du ciel dans l'homme elle descend,

il n'a plus aucun foible, il peut tout entreprendre ;

l'impression du bras qui daigne la répandre

d'infirme qu' il étoit l'a rendu tout-puissant ;

mais sitôt que ce bras la retire en arrière,

l'homme dénué, pauvre, accablé de malheurs,

et livré par lui-même à sa foiblesse entière,

semble ne voir plus la lumière

que pour être en proie aux douleurs.

Ne perds pas toutefois le courage ou l'espoir

pour sentir cette grâce ou partie ou moins vive ;

mais présente un coeur ferme à tout ce qui t'arrive,

et bénis de ton dieu le souverain vouloir.

Dans quelque excès d'ennuis qu'un tel départ t'engage,

souffre tout pour sa gloire attendant le retour,

et songe qu'au printemps l'hiver sert de passage,

qu'un profond calme suit l' orage,

et que la nuit fait place au jour....

                                                          Pierre Corneille.


                                                                                                  ***
 

L'Amitié de Jésus-Christ. Robert-Hugh Benson. (Ière traduction de l'anglais, 1928, Perrin). Pour caractériser l'ouvrage de Benson, le mieux qu'on en puisse dire est sans doute qu'il est "pieux" ; c'est là, je m'assure, en exprimer l'essence la meilleure et en faire le plus bel éloge. -Du reste s'il n'était point pieux, un tel livre, malgté tout ce qu'il a d'original et de captivantn ne nous serait rien : de Jésus-Christ, nous ne souffrons pas qu'on nous entretienne autrement qu'avec le coeur; on peut imunément nous choquer avec des solécismes, si du moins ils sont traversés d'amour; c'est seulement de parler de Lui sans être passionné de Lui, qui est défendu. (extrait de la préface du R.P. Auguste Valensin, S.J.).
Robert-Hugh Benson est né en 1871. Fils cadet d'Edward White Benson, à l'époque archevêque de Canterbury. Robert fut d'abord ministre anglican avant de passer au catholicisme en 1903 et d'être ensuite ordonné prêtre.
 

 

L'Amitié de Dieu. Saint Thomas de Villeneuve, maître de spiritualité augustinienne.
Jaime Garcia.(traduit de l'espagnol). Editions du Cerf, 2010.
Né à Fuenllana en 1486, mort à Valence en 1555, Thomas de Villeneuve prit l'habit des Augustins vers l'âge de trente ans. Plusieurs fois prieur puis provincial de son ordre, il fut nommé évêque de Valence en 1544. Reconnu et vénéré pour sa prédication et son grand souci des pauvres, il est un des grands maîtres spirituels du XVIe siècle, l'un des plus importants de l'école augustinienne de spiritualité. S'appuyant sur ses enseignements, Jaime Garcia nous offre un petit traité de vie spirituelle très accessible, un véritable traité sur l'amitié dans la belle et grande tradition augustinienne.
Pour rencontrer Dieu et en vivre il faut commencer par être soi-même. C'est le principe de l'intériorité. Or, l'homme dépasse l'homme : il est image de Dieu. L'image doit être tout orientée vers son modèle. Jésus par le mystère de l'Incarnation vient nous montrer ce que nous sommes et ce que nous devons être. Au plus profond de nous-mêmes, Dieu a placé une échelle qui nous conduit à Lui. Le Christ nous montre comment gravir les degrés de cette échelle. L'Esprit-Saint nous donne la force pour monter les degrés. Le but et le contexte de cette ascension, c'est l'amitié de Dieu. La prière du Notre Père, les Béatitudes, l'amitié maternelle de la Vierge Marie et l'Eucharistie modèlent notre amitié à l'image de l'amitié de Dieu. Mais celle-ci est ouverte : elle nous conduit aux autres, eux aussi étant appelés à cette même amitié. Nous devenons alors avec eux des bâtisseurs de ces communautés d'amis qui œuvrent, avec le Christ et en Église, au salut du monde.


Vivre en amitié avec Dieu,
Marie-Joseph Le Guillou, Parole et Silence, 2009.
« Nous sommes appelés à vivre dans l'amitié du Seigneur qu'est l'amour de charité ! Au sein de la Trinité, le Père aime le Fils et l'Esprit Saint dans l'agapé, un amour qui n'a ni commencement ni fin et qui est transcendant à nous-mêmes. Par son Fils, Jésus Christ, il nous aime avec surabondance. Si le Père nous demande en retour notre amour, ce n'est pas parce qu'il en a besoin, mais parce qu'il nous propose de participer déjà sur la terre de la plénitude de son amour. »

 

 

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l'Amitié humaine

Publié le par Christocentrix

-Les chemins de l'amitié : désirer et aimer selon saint Thomas d'Aquin.   Ollivier Guillou. Editions Téqui, 2010.
Cette étude ne prétend pas donner une métaphysique de l'amour selon saint Thomas d'Aquin, mais rappeler que les êtres, dans l'univers de création où les natures participent de la bonté incréée, ne sont pas fermés sur leur perfection propre : leur nature est de communiquer. Saint Thomas peut-il contribuer à l'élaboration d'une métaphysique du don, ou, pour reprendre l'expression de Joseph de Finance, nous aider à découvrir « la générosité de l'être » ? C'est ce que veut très modestement suggérer ce livre, en prenant le détour médiéval de la pensée thomasienne dont les ressources toujours nouvelles éclairent la question lancinante de l'altruisme et de l'égoïsme en morale.
Sans prétendre donner au lecteur une métaphysique de l'amour thomiste en sa forme achevée, la présente étude s'attache à rappeler - grâce au concept clef de « l'amour d'amitié» - que, dans l'univers de création où les natures participent de la bonté incréée, les êtres ne sont pas fermés sur leur perfection propre : leur nature est de se communiquer. Aussi ne suffit-il pas de dire que « l'être tend à se réaliser lui-même intégralement ; il faut encore ajouter que par-delà son propre accomplissement, il vise au don de soi ».


-L'amitié, une épiphanie. Jean-Marie Gueulette, dominicain. Editions du Cerf. 2004. S'appuyant sur une analyse anthropologique des différences entre amour et amitié, Jean-Marie Gueullette montre comment il est possible d'accorder une place importante à l'amitié dans la vie chrétienne. Lorsque le Christ est reconnu comme le Tiers entre amis, l'amitié devient une communion ouverte sur la présence de l'autre, sans pour autant tomber dans l'illusion vague d'une amitié avec tous.
Il s'agit également de découvrir les racines théologiques d'un mode de relation au Christ, moins connu, mais tout aussi fécond, que la mystique nuptiale.
Une telle approche chrétienne permet de réhabiliter une expérience humaine riche et cependant discrète et pudique. Elle donne également à réfléchir sur les implications anthropologiques et théologiques des discours tenus sur l'amitié par les chrétiens : la grâce perfectionne-t-elle l'amitié humaine au point d'en faire une épiphanie de l'amitié de Dieu pour nous ? Le Christ a-t-il été un ami pour Lazare et pour le disciple bien-aimé afin de donner un exemple moral ? L'évocation de l'amitié dans le Nouveau Testament ne sert-elle pas plutôt à révéler la proximité de Dieu avec les hommes ?


-l'Amitié Spirituelle,
Aelred de Rievaulx. Editions Abbaye de Bellefontaine, 1997. (il existe déjà un compte-rendu sur ce blog). Le traité comprend trois livres. Dans le premier, Aelred dégage, après l'avoir analysée, la notion d'amitié. A la recherche d'une définition, il commence par examiner celle de Cicéron puis dans le second, il entreprend d'expliquer la nature de l'amitié en distinguant la vraie de ses contrefaçons et sa liaison avec la Sagesse. Enfin, il montre que l'amitié est susceptible de devenir pour nous une montée vers la perfection. Dans le troisième livre, il établit les quatre stades par lesquels doit passer toute amitié digne de ce nom : l'élection, la probation, l'admission et la fruition. Un chapitre est consacré aux cinq dissolvants de l'amitié : l'insulte, l'outrage, l'arrogance, la divulgation d'un secret confié, le coup de traitrise. Enfin, La sublimité de l'amitié spirituelle trouve son achèvement dans la félicité.


-Essai sur l'amitié,
  Louis Rouzic, prêtre. Lethielleux, 1906. Une petite perle, écrite par un aumônier, rééditée encore en 1919. Aujourd'hui complètement tombée dans l'oubli mais facilement trouvable par internet pour quelques euros.,


-Petite méditation sur le mystère de l'amitié,
Anselme Grün, moine bénédictin. (traduit de l'allemand), Albin Michel, 2004. Les observations et la longue expérience d'un connaisseur de l'âme humaine.


-Sagesses de l'Amitié.
Anthologie de textes philosophiques anciens, de textes philosophiques patristiques, de textes médiévaux et renaissants. Par Jacques Follon et James McEvoy. 2 volumes. Edit. Universitaires de Fribourg et Editions du Cerf. 1997 et 2003.
Les textes rassemblés dans le premier volume vont des présocratiques au néoplatonicien Thémistius, en passant par Platon, Aristote, Théophraste, Épicure, les stoïciens, Cicéron et Plutarque. Ils disent combien, aux yeux de ces philosophes, l'amitié était une vertu fondamentale en raison du rôle qu'elle jouait, non seulement dans la vie morale de l'homme vertueux mais aussi dans la conservation des cités et dans l'enseignement de la philosophie, voire dans la cohésion de l'univers lui-même. Ces textes sont présentés dans des traductions françaises choisies en fonction de leur lisibilité. Ils sont précédés d'une introduction générale et, pour chacun, d'une brève notice de présentation qui les situe dans leur contexte et en résume le contenu.
Le second volume de l'anthologie "Sagesses de l'amitié", comprend des textes sur l'amitié extraits de la Bible et d'ouvrages de philosophie, de théologie ou de spiritualité écrits, non seulement par les auteurs les plus illustres des périodes patristique, médiévale et renaissante, tels que saint Augustin, Anselme de Cantorbéry, Aelred de Rievaulx, Thomas d'Aquin, Thomas More ou Érasme, mais aussi par des écrivains de ces mêmes périodes moins connus du grand public, comme Jean Cassien, Robert Grosseteste, Henri de Gand, Godefroid de Fontaines, Gertrude d'Helfta ou Nicolas Oresme.


-La théorie stoïcienne de l'amitié,
  Anne Banateanu, édit. Universitaires de Fribourg et édit.du Cerf, 2001. (Collection Vestigia).
L’amitié est un thème qui a nourri la réflexion des hommes depuis l’Antiquité et apparaît comme une voie vers la sagesse. La théorie stoïcienne de l’amitié s’inscrit dans une vision de l’homme et du monde et débouche sur l’idée d’une société universelle réunissant le genre humain en une immense fraternité fondée sur la raison. Ce livre fournit des traductions nouvelles et parfois uniques de fragments stoïciens.
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-L'Amitié antique, d'après les moeurs populaires et les théories des philosophes.
  Louis Dugas. Alcan, 1894 (1ère édit.) puis édition remaniée en 1914 et rééditée par Arno Press, New-York, 1976.

-Philia, la notion d'amitié dans la philosophie Antique. Jean-Claude Fraisse. Librairie philosophique Vrin, 1974. Une étude de 500 pages plus exigeante que celle de Degas. Un essai et des conclusions qui intègrent les résurgences modernes d'un problème perdu et retrouvé.


-de l'Amitié,
Montaigne ( chapitre extrait des Essais). Editions des Mille et Une Nuits, 2003. Texte établi sur l'édition de Fortunat Strowski, texte de l'exemplaire de Bordeaux, enrichi des additions et corrections faites par Montaigne lui-même sur son exemplaire de 1588, que l'on peut considérer comme version admise aujourd'hui comme définitive, que l'auteur, avant sa mort, désirait donner de son livre.


-de l'Amitié,
Tawhîdî. (traduit de l'arabe). Sindbad-Actes Sud, 2006.  Florilège sur l'amitié, à la manière de l'adab (culture de l'honnête homme), qui traverse plusieurs genres littéraires et plusieurs époques. transmetteur à la fois d'un savoir livresque et d'une tradition orale, l'auteur recense des propos tenus depuis l'Antiquité jusqu'à son temps (XIème s.) : aphorismes, textes philosophiques, lettres, vers...et il y mêle son propres jugement en relatant des débats savants auxquels il a lui-même participé. Le concept de l'amitié (al-sadâqua) lui est prétexte à évoquer des questions éthiques qui restent actuelles, et à développer un idéal de la vie en société et de gestion de la cité.


-L'Amitié,
Abel Bonnard, académicien. Classique incontournable. Un style inégalé. Ière édition en 1928. Plusieurs fois réédité...Editions du Trident, 1991.


-L'Amitié,
Pierre Brunel, François Kerlouégan et Stéphane Robilliard. Editions Vuibert, collection "prépas". 2001.  Normaliens et agrégés, les auteurs ont conjugué leurs efforts pour apporter, à l'étude de ce thème attachant et de ces textes essentiels, un sens indispensable des nuances et des effets.


-L'Amitié,  Textes choisis et présentés par Dimitri El Murr. "Corpus" GF (poche), Flammarion, 2001. Textes depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Commentaires.....Une bonne introduction au sujet..

-L'Amitié,
ouvrage collectif sous la direction de Bertrand Ogilvie et Sophie Jankélévitch. Editions "Autrement" 2002 puis en poche "Hachette-pluriel" en 2003.
 Confiance, complicité, partage ou ménagement réciproque d'intérêts et échange de bons offices , l'amitié ne se laisse pas aisément circonscrire. Il est difficile d'en parler sans risquer de réduire sa complexité, d'aplanir ses ambiguïtés ou simplement de banaliser une relation qui, par sa singularité et son intensité, paraît à première vue se dérober à toute explication. Faire l'éloge ou la critique d'une valeur aussi reconnue ne projette aucune lumière sur la consistance d'un sentiment qui se manifeste aussi bien sur le plan privé des relations individuelles que sur celui, public, de la Cité. Il faut approcher l'amitié beaucoup plus simplement. En la posant comme un fait. En y voyant non seulement un sentiment, mais aussi une pratique du lien social, inscrite dans la quotidienneté de la vie, observable à travers toutes les modalités possibles d'échange - cadeaux, lettres, paroles, services - et dont la description, si elle ne permet pas de définir l'amitié d'une manière univoque, contribuera peut-être à en faire entendre la musique, dans son harmonie comme dans ses dissonances.


-L'Amitié,
Francesco Alberoni (traduit de l'italien), Pocket, 1995. Original quant à la théorie des trois états qu'il applique à l'amitié.


-L'Amour et l'Amitié,
Allan Bloom, de Fallois, 1996 puis Biblio Essais, Livre de Poche, 2003. L'auteur développe comment nous sommes passés de l'Amour aux "relations sexuelles" et de l'Amitié aux "relations amicales"....le lien humain qui se défait....


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des approches psycho-sociologiques : -Psychologie de l'amitié, Jean Maisonneuve, PUF 2004, Que sais-je n° 3707. -Psycho-sociologie de l'amitié, Lubomir lamy et Jean Maisonneuve, PUF, 1993. -Relations et communications interpersonnelles, Edmond Mard et Dominique Picard, Dunod, 2000. -Aimer d'amitié, Jacqueline Kelen, Robert Laffont, 1992. -La Force de l'amitié. Jan Yager, Payot, 2004. 


-une approche poétique : -Le Condom de l'Amitié.
Poésie. Alain Fisette. Editions Les Herbes rouges, Québec.Ce livre devait d'abord s'appeler "Lettres d'impatience à des amis enterrés vivants". Ces poèmes, mélangeant habilement fiction et réalité, s'adressent à des amis actuels ou potentiels. « Le plus difficile, dit l'auteur Alain Fisette, sera sans doute de regarder à nouveau certains de mes proches dans les yeux. » Entre drame et humour.

-Dictionnaire de l'Amitié,
 Didier Moulinier, Editions l'harmattan, 2001. Esquisse d'une théorie non-philosophique de l'amitié.



 




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