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de l'aristocratie (Nicolas Berdiaev) (2 suite et fin)

Publié le par Christocentrix

(chapitre extrait du livre de Nicolas Berdiaev "de l'Inégalité" 1918-1923 )


"Certains d'entre vous sont disposés à reconnaître l'aristocratie spirituelle, encore qu'ils ne le fassent pas volontiers. Mais vous, vous représentez d'une façon par trop simpliste la relation entre l'aristocratie spirituelle et l'aristocratie historique. Vous croyez que celle-ci n'est qu'un mal du passé, qu'elle n'a pas de droit à l'existence et qu'elle n'a aucun rapport avec l'aristocratie spirituelle. La réalité est plus complexe que vous ne l'imaginez à l'accoutumée, vous autres, les simplificateurs. Certes, nul ne va confondre ni identifier aristocratie spirituelle et aristocratie historique. Les représentants de cette dernière peuvent se situer très bas du point de vue spirituel, tandis qu'il arrive, et même le plus souvent, que les plus hauts représentants de l'aristocratie spirituelle n'y appartiennent pas. Cela est indéniable et élémentaire.
Néanmoins, l'on ne saurait nier l'importance du sang, de l'hérédité, de la sélection sociale par la race, dans l'élaboration d'un type psychique moyen. Vous avez trop l'habitude de considérer l'homme abstraitement, comme une unité arithmétique, vous l'abstrayez de ses ancêtres, de ses traditions et de ses coutumes, de son éducation, des siècles et des millénaires qui vivent dans les cellules de son être organique. Votre entité abstraite et sans relation générique est une fiction privée de tout contenu réel. Vous définissez l'homme par ce qu'il a de commun avec tous les autres : deux jambes, deux bras, un nez, etc. Aussi échappe-t-il à votre regard; ce qui fait l'homme, c'est bien davantage ce par quoi il ne ressemble à aucun autre.
De nombreux cercles se croisent dans l'individualité humaine pour constituer sa race. Organiquement, par le sang, l'homme appartient à sa race, à sa nationalité, à sa classe, à sa famille; et toutes ces hérédités, traditions et habitudes raciales, nationales, familiales se réfractent d'une façon tout à fait particulière dans son individualité qui ne lui appartient qu'à lui seul et qui n'est à nulle autre pareille. La personne humaine se cristallise sur tel ou tel terrain organique, elle a besoin d'un milieu compact et supra-personnel où se produit une sélection qualitative. Une des plus grandes erreurs de toute sociologie et de toute éthique abstraites consiste à ne pas reconnaître l'importance de la sélection raciale qui constitue un sang et qui élabore un type psychique aussi bien que physique. La race a une importance énorme pour le type humain. L'homme peut en franchir les limites et déboucher sur l'infini, mais il doit avoir un genre individualisé. Le noble qui a dépassé le cadre de la noblesse et qui s'est affranchi de tous les préjugés et intérêts de caste reste noble par la race, par son type psychique, et la victoire même qu'il remporte ainsi peut manifester sa noblesse.

La culture n'est pas l'affaire d'un seul homme ni d'une génération. Elle existe dans notre sang, elle est l'oeuvre de la race et de la sélection raciale. L'esprit des « Lumières » et de « la révolution » est toujours superficiel et borné, sa marque a déformé même la science dont il se sert pourtant comme d'un étendard. Il a obscurci la signification de la race pour la connaissance scientifique. Or, la science objective et désintéressée doit reconnaître que la noblesse existe dans le monde non seulement en tant qu'une classe sociale avec des intérêts déterminés, mais encore qu'un type qualitatif, psychique et physique, en tant que la culture millénaire de l'âme et du corps. Le « sang bleu » n'est pas qu'un simple préjugé de classe, c'est aussi un fait anthropologique irréfutable et irréductible. En ce sens, la noblesse ne peut être détruite et aucune révolution sociale ne saurait anéantir les avantages qualitatifs de la race. La noblesse peut mourir en tant que classe, elle peut être privée de tous ses privilèges, dépouillée de sa propriété. Je ne crois pas à l'avenir de la noblesse en tant que classe et pour moi-même, en tant que noble, je ne veux pas de privilèges. Mais elle demeure en tant que race, que type psychique, que forme plastique; et l'élimination de la noblesse comme classe peut en accroître la valeur psychique et esthétique. C'est ce qui s'est produit jusqu'à un certain point en France après la Révolution. La noblesse est une race psychique qui peut se conserver et agir dans n'importe quelle structure sociale. Son maintien, avec ses traits aristocratiques cristallisés, est indispensable pour le monde et la culture universelle. Une disparition totale signifierait un abaissement de la race humaine, un triomphe sans mélange du parvenu, la mort de la noblesse immémoriale de l'âme dans l'humanité.


Il faut des millénaires pour dégager les traits nobles du caractère. Aucune révolution n'est capable d'annihiler les résultats psychiques de ce long processus. La destruction du régime féodal en Occident n'a pas causé la disparition complète de tous les traits psychiques formés par la chevalerie. D'autres classes se sont mises à les imiter. La chevalerie avait forgé la personne humaine, elle avait trempé le caractère. Ses traditions sont la source du sentiment de l'honneur chez l'homme moderne et dans le monde bourgeois contemporain. Elle avait élaboré un type d'homme supérieur. Elle avait une enveloppe temporelle et corruptible dont il n'est rien resté et qui n'était pas sans contenir des éléments sombres. Mais il y a aussi dans la chevalerie un principe éternel, qui ne meurt pas. Elle est un principe spirituel et non pas seulement une catégorie sociale et historique. La mort définitive de l'esprit chevaleresque entraînerait une dégradation du type de l'homme, dont la dignité supérieure a été modelée par la chevalerie et par la noblesse, d'où elle s'est diffusée dans des cercles plus larges. Elle est d'origine aristocratique. La formation sélective des traits nobles du caractère s'effectue avec lenteur, elle suppose une transmission héréditaire et des coutumes familiales. C'est un processus organique. Il en va de même pour la création d'un haut milieu culturel et des traditions de la culture supérieure. Dans la vraie culture, profonde et raffinée, l'on sent toujours la race, le lien du sang avec les traditions. La culture des hommes d'aujourd'hui, sans passé, sans liens organiques, est toujours superficielle et plutôt grossière.


Celui qui possède la culture depuis de nombreuses générations y manifeste un tout autre style et une autre solidité que celui qui y accède pour la première fois. Pour notre malheur, l'histoire de la Russie n'a pas connu la chevalerie. Cela explique entre autres que la personne n'y ait pas été assez élaborée, que la trempe de notre caractère n'ait pas été assez forte. Le pouvoir du collectivisme primitif y est resté trop marquant. De nombreux philosophes, savants et écrivains étaient fiers de ce qu'il n'y eût pas en Russie d'aristocratie véritable, que notre pays fût naturellement démocratique et non pas aristocratique. Si notre démocratisme de la vie quotidienne, notre simplicité, propres aussi à la véritable noblesse russe sont moralement admirables, l'absence de l'aristocratie a aussi été notre faiblesse et non pas seulement notre force. On y sentait une dépendance trop grande par rapport aux forces élémentaires et obscures du peuple, l'incapacité d'extraire d'une quantité immense un principe qualitatif directeur. Depuis Pierre le Grand, c'est la bureaucratie qui a joué chez nous le rôle de l'aristocratie et il y avait en elle quelques traits d'une sélection aristocratique. Néanmoins, l'on ne peut considérer une bureaucratie comme une vraie aristocratie de par son type psychique. Chez nous, prévalaient l'absolutisme bureaucratique d'en haut et le populisme d'en bas. Une évolution créatrice, où des éléments qualitativement sélectionnés auraient joué un rôle directeur, était devenue impossible, et c'est ce que nous payons cruellement. Il serait pourtant fort injuste de nier l'énorme importance de la noblesse en Russie. Elle a été notre couche culturelle la plus avancée. C'est elle qui a créé notre grande littérature. Les gentilhommières ont constitué notre premier milieu culturel. La beauté de la vie russe traditionnelle, son style plein de noblesse sont essentiellement ceux de l'aristocratie. C'est elle, avant tout, qui a développé le sentiment de l'honneur. En son temps, la Garde impériale a été une école d'honneur. L'intrusion de l'homme sans classe et sa prévalence excessive avait abaissé, plutôt qu'élevé, le type psychique du Russe. Notre vie perdit toute espèce de style. Notre plus belle époque, et qui mérite le plus d'être appelée notre renaissance, c'est encore le début du XIXè siècle, le temps de Pouchkine, de Lermontov et de toute une cohorte de poètes, l'époque des mouvements mystiques, des décembristes, de Tchaadaïev, des débuts du slavophilisme, celle du style Empire, c'est-à-dire le siècle où les nobles, l'intelligentsia aristocrate, la couche culturelle de la noblesse avaient le rôle directeur.

En ce temps-là, nous n'étions pas encore des nihilistes. Le nihilisme et son style sont venus supplanter chez nous la culture aristocratique qui n'avait pas encore poussé des racines assez fortes. Mais tout ce qui comptait dans la culture russe venait de l'aristocratie. Non seulement les héros de Léon Tolstoï, mais encore ceux de Dostoïevski, sont inconcevables en dehors de celle-ci. Rappelez-vous ce qu'en dit Dostoïevski dans L'Adolescent.
Tous nos grands auteurs ont été nourris par le milieu culturel de la noblesse. Dans les brasiers allumés par la révolution, non seulement les demeures de style Empire, mais aussi Pouchkine et Tolstoï, Tchaadaïev et Khomiakov, l'esprit créateur et les traditions de la Russie flambent. La destruction de la noblesse est celle des traditions culturelles, c'est une rupture de la suite des temps dans notre vie spirituelle. Votre haine de parvenus envers la noblesse est un sentiment qui abaisse l'homme. Elle vise non seulement les privilèges, depuis longtemps disparus et qu'il serait insensé de rétablir, mais encore des traits psychiques qui sont indestructibles et qui héritent de l'éternité. Il n'en faut pas moins reconnaître que la noblesse, moralement et spirituellement, était entrée en décadence avant qu'elle n'eût été renversée par la révolution.


Du point de vue psychologique, il ne faut pas que la chevalerie et la noblesse disparaissent du monde, elles doivent faire communier les grandes masses populaires avec le royaume de la dignité et de l'honneur, avec un type d'humanité plus élevé. C'est l'aristocratisation de la société, et non pas sa démocratisation, qui est spirituellement justifiée. Les prémisses de l'aristocratisme, de la dignité et de la race se trouvent dans toutes les classes de la société; il n'y en a point de réprouvées. Le processus libérateur de la vie humaine n'a qu'un seul sens, celui d'ouvrir de plus larges voies à la manifestation et à la prévalence des âmes aristocratiques.
Une recherche douloureuse et toujours renouvelée de l'aristocratie véritable a lieu dans l'histoire. L'attitude méprisante envers le menu peuple n'est pas le fait de l'aristocratie, elle est le propre du goujat, du parvenu. La vanité et l'arrogance sont indécentes. L'aristocratie devrait donner de sa surabondance aux simples gens, les servir de sa lumière, de ses richesses psychiques et matérielles. Sa vocation historique en dépend.

Ruskin rêvait d'un socialisme organisé par la noblesse héréditaire. Il était un ardent partisan de la structure hiérarchique de la société, aristocrates en tête, en même temps qu'il défendait avec non moins d'ardeur les réformes sociales les plus décisives en faveur des classes déshéritées. En cela, il restait fidèle à la vérité éternelle de Platon. Vous devriez vous inspirer de ces deux-là. La masse moyenne de la noblesse historique trahit facilement sa vocation, elle se laisse aller à une affirmation égoïste d'elle-même et dégénère spirituellement. Ceux qui s'agrippent à leurs privilèges en les opposant à d'autres sont le moins aristocrates par leur type psychique. La goujaterie est répandue dans le milieu de la noblesse. Lorsque les classes supérieures ont gravement failli à leur vocation et que leur dégénérescence spirituelle est avancée, la révolution mûrit comme un juste châtiment pour les péchés de l'élite. L'avenir de la haute culture, toujours fondée sur le principe hiérarchique, ne peut être sauvé que si l'aristocratie historique se sacrifie, si elle renonce à des restaurations de classe, à ses privilèges, et si elle accepte de servir et de remplir sa mission.


Dans le monde, toutefois, il n'y a pas seulement l'aristocratie historique, où le niveau moyen se crée grâce à la sélection raciale et à la transmission héréditaire, il y a aussi l'aristocratie spirituelle, principe éternel, indépendant de la succession des groupes sociaux et des époques. La première peut porter les traits de l'aristocratisme psychique et corporel, mais elle ne possède pas encore ceux de la seconde. L'aristocratie spirituelle se forme dans le monde selon l'ordre de la grâce personnelle. Elle n'a pas un rapport nécessaire ni privilégié avec un groupe social donné. Sa manifestation, celle du génie, suppose un climat spirituel favorable de la vie des peuples, mais elle n'est pas fonction d'une sélection naturelle ni de l'élaboration d'un niveau moyen de la culture. On n'hérite pas plus du génie que de la sainteté. Les grands hommes naissent à des heures providentiellement déterminées, dans n'importe quel milieu, dans la haute aristocratie aussi bien que parmi les paysans et les bourgeois. Il y a des degrés dans la relation entre l'aristocratie spirituelle et l'aristocratie sociale et historique. Alors que les manifestations de la première, les plus hautes et les plus marquées par la grâce, n'ont pas de rapport avec la seconde avec la sélection organique et l'hérédité, ses niveaux moyens ne manquent pas d'en avoir, car ils dépendent de la tradition sur-individuelle, du choix qui fait se cristalliser le milieu culturel.
Il n'y a pas de loi pour le génie, mais il y en a déjà une pour le talent. Il y a toujours deux aristocraties qui vivent et qui agissent dans le monde : l'exotérique et l'ésotérique. La première se forme et agit sur le plan historique extérieur. On y peut observer une certaine régularité et une base naturelle, biologique. Rien de tel dans l'aristocratie ésotérique, dont les manifestations se situent sur un plan intérieur et caché. Elles relèvent de la grâce, du royaume de l'esprit et non de celui de la nature auquel ressortit le plan historique. L'aristocratie ésotérique constitue dans l'histoire une sorte d'ordre mystérieux qui engendre tout ce qui est grand. Toute cette vie créatrice apparaît sous une forme déjà transformée dans le plan de l'histoire exotérique, adaptée au niveau moyen de l'homme, aux besoins et aux tâches de la culture. Cette distinction est claire dans la vie de l'Eglise. Le royaume des saints ou des starets constitue l'aristocratie religieuse ésotérique. C'est en elle que se trouvent les réalisations les plus hautes de la vie ecclésiale. Il y a en même temps dans l'Eglise une aristocratie exotérique, une hiérarchie régulière, historique. Elle est indispensable à son existence, pour éduquer et conduire les peuples dans le domaine religieux. Elle comporte une sélection et une succession héréditaire nécessaires, pour cristalliser le milieu ecclésial. Elle a une grande mission positive, mais elle ne représente pas l'élément dernier ni le plus profond de la vie religieuse. Les oeuvres spirituelles de la vie secrète des saints passent sous une forme modifiée, exotérique, dans l'existence historique de l'Eglise, aux degrés hiérarchiques extérieurs.

Cette même corrélation de l'ésotérique et de l'exotérique existe dans la vie spirituelle de l'humanité, dans toute la culture. Il y a une aristocratie et une hiérarchie de la culture moyenne, exotérique, où s'effectuent sélection et succession. Elle exige un certain niveau, celui d'abord de l'éducation, de l'instruction, celui de l'intelligence et des capacités. Elle vit et se développe dans la tradition et l'héritage culturels. Et quand vous entreprenez de nier la valeur du niveau intellectuel, vous détruisez la qualité pour la quantité et vous préparez le royaume de la nuit, vous repoussez le peuple en arrière; vous devenez les auteurs d'une régression. Un niveau qualitatif est indispensable au travail culturel comme à toute activité dans l'Etat et dans la société. Cette qualité crée sa propre hiérarchie, son aristocratie, mais une aristocratie exotérique qui agit dans le royaume moyen de l'être étatique et culturel. Plus profondément et au-delà, se situe l'aristocratie ésotérique, spirituelle et supérieure, d'où toutes création, découverte et révélation prennent naissance et qui permet à l'homme de franchir les bornes de ce monde-ci. Elle est le royaume de la sainteté, du génie et de la chevalerie, celui des hommes grands et nobles; c'est la race humaine supérieure.


Le principe personnel apparaît, se cristallise et se développe avant tout dans l'aristocratie. C'est ainsi que la personne sort des éléments ténébreux de la collectivité pour la première fois dans l'histoire. Ensuite, par des moyens complexes et douloureux, il se produit une recherche des conditions favorables à la manifestation de l'aristocratie des élus, à leur sélection qualitative.
Après l'aristocratie du premier degré, celle des degrés suivants s'élabore. Elle n'existe pas seulement en tant qu'une classe, qu'un groupe social; chacun de ceux-ci forme sa propre aristocratie. C'est ainsi que se dégagent celles des paysans, des marchands, des professeurs, des hommes de lettres, des artistes, etc. Et si un tel processus de différenciation et de formation ne s'effectuait pas partout, les forces informes et chaotiques du vulgum pecus tireraient tout vers le bas et ne permettraient pas aux valeurs créatrices d'émerger.

A chaque époque historique incombe la tâche complexe de dissocier et d'établir son aristocratie à plusieurs niveaux. Il n'est pas si facile de décider quelle structure politique et sociale est favorable à cette oeuvre. Vous autres, égalisateurs, vous avez des théories monistes pour toute occasion, mais elles ne valent pas grand-chose. La complexité de la vie les réduit à néant.
Ce n'est pas la prédominance exclusive d'un principe, c'est la combinaison de plusieurs principes qui favorise l'aristocratie véritable. Le principe démocratique peut aussi servir à cette grande oeuvre quand il est limité et subordonné à des principes plus élevés. L'aristocratie et la démocratie sont deux principes intérieurement opposés, métaphysiquement hostiles et qui s'excluent l'un l'autre. Néanmoins, dans la réalité sociale, leur confrontation conduit à des résultats complexes et le principe démocratique peut contribuer au triomphe de l'aristocratie, lorsqu'il ne prétend pas à la suffisance. Il appartient à la société monarchique aussi bien qu'à la démocratique de dégager et de choisir une aristocratie directrice. Une monarchie pure est une abstraction. La monarchie ne se réalise qu'au moyen de l'aristocratie et sa valeur tient d'abord à sa capacité de choisir une aristocratie dirigeante et de l'affermir. Elle entre en décadence quand elle élit non pas les meilleurs, mais les pires.
Dans sa métaphysique, dans sa morale, dans son esthétique, l'esprit du démocratisme contient un très grand danger pour le principe aristocratique de la vie humaine et mondiale, pour le principe qualitatif de la noblesse. La métaphysique, la morale et l'esthétique de la quantité voudraient écraser et détruire toute qualité, tout ce qui s'élève personnellement et en communion avec autrui. Le royaume de la métaphysique, de la morale et de l'esthétique démocratiques est celui non pas des meilleurs, mais des pires. Il renverse définitivement le vieil idéal de la valeur et de la dignité de la race, il déracine les fondements biologiques et spirituels de l'aristocratisme. Son triomphe représente le plus grave péril pour le progrès humain, pour l'élévation qualitative de la nature humaine. Vous aimeriez créer des conditions telles que l'existence de l'aristocratisme, la distinction et la sélection des meilleurs devinssent impossibles dans le monde. C'est un immense mensonge de déclarer que vous voulez libérer la nature humaine. Ce que vous voulez, c'est l'asservir en lui imposant des barrières et des entraves. Vous niez aussi les fondements biologiques de l'aristocratisme, ses bases raciales, ainsi que celles de la grâce et de l'esprit. Vous condamnez l'homme à une existence grise, sans qualités. Il est vrai que vous souhaiteriez porter une masse énorme de l'humanité à un niveau supérieur, vous voudriez l'y contraindre. Non pas que vous appréciiez ni aimiez ce « haut niveau »; vous voulez l'égalitarisme, vous ne supportez pas la distinction et l'élévation. Rehaussez l'homme n'a jamais présenté pour vous le moindre intérêt. Vous oubliez que l'on s'élève par la lutte et la libre sélection. Ce qui vous intéresse par-dessus tout, ce n'est pas d'élever, c'est d'abaisser.
Le mystère de l'histoire vous est inaccessible, votre conscience y reste à jamais aveugle. Le mystère de l'histoire est un mystère aristocratique. Il s'accomplit par la minorité. Celle-ci porte l'esprit de l'universel, lequel est un esprit aristocratique. L'esprit de la majorité, celui de la démocratie, est provincial et particulariste. Dans l'histoire, ce sont la minorité et l'aristocratie qui dirigent. Se rebeller contre leur direction, c'est porter atteinte au mystère de l'histoire. Vous ne réussirez pas à détruire la dissemblance ontologique des âmes, à effacer la différence entre les intelligents et les sots, les doués et les incapables, les nobles et les vils, les beaux et les informes, ceux qui ont la grâce et ceux qui ne la portent pas".
                          
                                                                                                     Nicolas Berdiaev.
                                                                             (chapitre extrait de de l'Inégalité,
1918-1923)

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de l'aristocratie (Nicolas Berdiaev) (1- début)

Publié le par Christocentrix

(chapitre extrait du livre de Nicolas Berdiaev "de l'Inégalité" 1918-1923)

 

"En votre siècle démocratique, aimer l'idée aristocratique est devenu le partage du petite nombre. Avoir des sympathies aristocratiques, c'est manifester soit un instinct de classe, soit un esthétisme sans aucune importance pour la vie. En réalité, l'aristocratie a un sens et des fondement plus profonds et plus essentiels. Ils sont aujourd'hui couverts d'ombre et l'on s'est mis à les oublier. Or celui qui s'intéresse à l'essence de la vie, et non à sa surface, devra reconnaître que ce n'est pas l'aristocratie, mais la démocratie qui est privée de bases ontologiques, que c'est justement la démocratie qui ne contient rien de nouménal et dont la nature est purement phénoménologique.
L'idée aristocratique exige la domination réelle des meilleurs; la démocratie, la domination formelle de tous. En tant que gouvernement des meilleurs, qu'exigence d'une sélection qualitative, l'aristocratie reste à jamais un principe supérieur de la vie sociale, la seule utopie digne de l'homme. Et toutes vos clameurs démocratiques, dont vous assourdissez les places et les bazars, ne vont pas déraciner du coeur noble de l'homme le rêve du règne des meilleurs, des élus, elles ne vont pas étouffer cet appel qui monte des profondeurs pour que ceux-ci se manifestent, pour que l'aristocratie entre dans ses droits éternels.

Il convient de rappeler à notre basse époque les paroles de Carlyle dans son livre admirable sur Les Héros et le culte du héros : « Tous les processus sociaux que l'on puisse observer dans l'humanité conduisent vers une seule fin (une autre question est de savoir s'ils l'atteignent ou non). Cette fin consiste à découvrir son Ableman, « son homme capable », et à le revêtir des symboles de la capacité : de grandeur, de vénération, ou de ce que vous voudrez, pourvu qu'il ait la possibilité réelle de gouverner les hommes selon sa capacité. Les discours électoraux, les motions parlementaires, les lois sur les réformes, la Révolution française, tout cela tend essentiellement à cette fin que j'indique; dans le cas contraire, ce n'est plus qu'un parfait non-sens. Trouvez l'homme le plus capable dans un pays donné, placez-le aussi haut que vous le pourrez, respectez-le avec constance, et vous acquerrez un gouvernement tout à fait parfait, et aucun scrutin, aucune rhétorique parlementaire, les votes, les institutions constitutionnelles, en général aucune mécanique ne peuvent plus améliorer d'un iota la situation d'un tel pays ». 

Il convient aussi de rappeler Platon à notre temps. Il y a, dans son utopie aristocratique, quelque chose d'éternel, encore que son enveloppe eût été provisoire. On ne saurait surpasser son principe aristocratique même. Il avait séduit le Moyen Age et il séduira encore les temps à venir. Tant que l'esprit de l'homme est encore vivant et que son image qualitative n'est pas définitivement écrasée par la quantité, l'homme aspirera au règne des meilleurs, à l'aristocratie authentique.
Et que pourriez-vous opposer à ce haut rêve de l'homme, à cette seule utopie valable ? La démocratie, le socialisme, l'anarchie. Je m'en vais analyser ces songes et ces fantasmes qui sont les vôtres. Le principe aristocratique est ontologique, organique, qualitatif. Tout vos principes, démocratiques, socialistes, anarchiques, sont formels, mécaniques, quantitatifs; il sont indifférents aux réalités et aux qualités de l'être, au contenu de l'homme.

En fait, on ne peut même pas opposer la démocratie à l'aristocratie. Ce sont là des notions
incommensurables, de qualités complètement différentes.
La démocratie représentative peut se donner pour but une sélection des meilleurs et l'établissement du règne de l'aristocratie véritable. On peut l'entendre comme l'institution de conditions favorables à un choix qualitatif, à la distinction de l'aristo-cratie. Et son objectif peut consister à rechercher l'aristocratie réelle et non pas formelle, c'est-à-dire à écarter celle qui ne représente pas le règne des meilleurs et à laisser la voie libre à l'authentique. Toutes les démocraties que vous inventez servent mal ces fins, elles les oublient au nom d'intérêts misérables du jour présent. La démocratie devient facilement un instrument formel pour l'organisation des intérêts. La recherche des meilleurs est remplacée par celle des gens qui correspondent le mieux aux intérêts donnés et qui les servent plus efficacement. Par elle-même, la démocratie n'a pas de contenu intérieur, ontologique, et c'est pourquoi elle peut se mettre au service des fins les plus contradictoires. Par cela même, elle se distingue essentiellement de l'aristocratie qui est idéal de noblesse, de race, de qualité.


Ne vous laissez pas tromper par les apparences, ne cédez pas à des illusions trop indigentes. Depuis la création du monde, c'est toujours la minorité qui a gouverné, qui gouverne et qui gouvernera. Cela est vrai pour toutes les formes et tous les genres de gouvernement, pour la monarchie et pour la démocratie, pour les époques réactionnaires et pour les révolutionnaires. On ne saurait échapper au gouvernement de la minorité, et vos efforts démocratiques pour créer le règne de la majorité représentent en fait une pauvre autosuggestion. La seule question qui se pose est de savoir si c'est la minorité la meilleure ou la pire qui gouverne. Une minorité en remplace une autre, c'est tout. Les plus mauvais renversent les meilleurs, ou bien c'est l'inverse. Il ne peut tout simplement pas y avoir de pouvoir ou de gouvernement direct par les masses, ce n'est possible qu'au moment où déferlent les forces de la révolution ou de l'insurrection. Très tôt, une différenciation s'établit et une nouvelle minorité se forme qui s'empare du pouvoir.
Aux époques révolutionnaires, c'est en général une poignée de démagogues qui gouverne en utilisant habilement les instincts des masses. Les gouvernements révolutionnaires qui se prétendent populaires et démocratiques sont toujours la tyrannie d'une minorité, et bien rares ont été les cas où celle-ci était une sélection des meilleurs. La bureaucratie révolutionnaire est généralement d'une qualité encore plus basse que celle que la révolution a renversée. La masse révolutionnaire ne sert jamais qu'à créer le climat favorable à l'instauration de cette tyrannie de la minorité.
Le triomphe de la démocratie n'est-il pas toujours illusoire autant qu'éphémère? Tout aussi fantomatique serait celui du socialisme, s'il était en général possible. Affranchissez-vous du pouvoir des mots et des apparences, scrutez plus attentivement l'essence même de la vie.
Dans la vraie réalité, la question qui se pose invariablement est de savoir si c'est l'aristocratie ou l'ochlocratie qui l'emporte. En réalité, il n'y a que deux types de pouvoir l'aristocratie et l'ochlocratie, le gouvernement des meilleurs ou celui des pires. Mais c'est toujours le petit nombre qui prévaut. La domination de tous ne signifie rien de réel, sinon le chaos obscur, indifférent et indistinct. Le diriger suppose qu'un élément, aristocratie ou oligarchie, se distingue et se met en avant. La tendance à former une noblesse est invincible. Celle-ci demeure pour les siècles le modèle d'un état qualitativement supérieur, d'une race différenciée et choisie.
La bourgeoisie a imité la noblesse; le prolétariat fera de même. Tous les parvenus veulent être des nobles. Dans le socialisme, le prolétariat veut constituer une aristocratie nouvelle. Il appert qu'une minorité à la situation privilégiée est nécessaire dans le monde. La destruction d'une hiérarchie et d'une aristocratie historique ne signifie pas que le principe en soit aboli. Il s'en forme de nouvelles.

Tout ordre vital est hiérarchique, il a son aristocratie. Seul un amas de décombres n'est pas hiérarchisé et aucune qualité aristocratique ne s'en dégage. Si la hiérarchie véritable est violée et l'aristocratie anthentique détruite, il en apparaît de fausses. Une bande d'escrocs et d'assassins, laissés-pour-compte de la société, Peut former une pseudo-aristocratie et représenter quelque principe hiérarchique dans l'ordre social. Telle est la loi de tout ce qui est vivant et qui possède les fonctions de la vie.
Seul un tas de sable peut exister sans hiérarchie ni aristocratie. Et votre négation rationnelle de leurs principes entraîne toujours un châtiment immanent. Au lieu d'une hiérarchie aristocratique, l'on obtient une hiérarchie ochlocratique. Le règne de la tourbe engendre sa propre minorité élue, sélectionne les meilleurs et les plus forts dans la muflerie, les princes des voyous au royaume de Cham. Dans le domaine religieux, le renversement de la hiérarchie du Christ met en place celle de l'antéchrist.
Sans une pseudo-aristocratie, une aristocratie inverse, vous ne pourriez vivre un seul jour. Tous ceux qui sont de la plèbe voudraient entrer dans le cercle de l'aristocratie, envers laquelle l'esprit de la plèbe nourrit haine et jalousie. L'homme du peuple, le plus simple, peut ne pas être plébéien dans ce sens. Le paysan peut avoir des traits de la noblesse véritable, laquelle ignore l'envie, les traits hiérarchiques de sa propre race divinement prédestinée.

 

L'aristocratie est une race au fondement ontologique, aux caractères propres qu'elle n'emprunte à personne. Elle a été créée par Dieu et c'est de Lui qu'elle a reçu ses qualités.
Quand une aristocratie historique tombe, une autre cherche à s'établir. Tant la bourgeoisie, représentant le capital, que le prolétariat, représentant le travail, ambitionnent d'être l'aristocratie. Les prétentions aristocratiques du prolétariat dépassent même celles de toutes les autres classes, car selon la doctrine de ses idéologues, il doit se considérer comme l'élite, comme la classe-messie, comme la seule humanité véritable et la race supérieure. Or tout désir d'entrer dans l'aristocratie, de s'élever jusqu'à elle à partir d'un état inférieur n'est pas aristocratique par essence. Le seul aristocratisme possible est naturel, inné, celui qui vient de Dieu. La mission de l'aristocratie authentique ne consiste pas tant à accéder à des états supérieurs, qu'elle n'aurait pas encore atteints, qu'à condescendre à des états inférieurs.
L'aristocratisme intérieur aussi bien que l'extérieur est inné et non acquis. Son caractère est la générosité et non l'avidité. L'aristocratie véritable peut servir les autres, l'homme et le monde, car elle ne se préoccupe pas de s'élever elle-même, elle est située suffisamment haut par nature, dès le départ. Elle est sacrificielle. C'est en cela que réside la valeur éternelle de son principe.
Dans la société humaine, il faut qu'il y ait des gens qui n'ont pas besoin de s'élever et que ne chargent pas les traits sans noblesse de l'arrivisme. Les droits de l'aristocratie sont inhérents, non procurés. Il faut qu'il y ait dans le monde des gens aux droits innés, un type psychique qui ne soit pas plongé dans l'atmosphère de la lutte pour l'obtention de droits. Ceux qui en acquièrent par le travail et le combat n'en sont pas moins sujets au ressentiment, à la vexation, souvent à la haine; ils portent le fardeau de leur passé peu éminent. Je ne parle certes pas des hommes exceptionnels qui sont au-dessus de la loi, j'entends le niveau moyen.

Il n'y a de possible et de justifiée que l'aristocratie de grâce divine, par l'origine et la vocation spirituelles, et aussi par l'extraction noble, par la relation avec le passé. Ce que vous considérez comme injuste et révoltant dans la position de l'aristocrate est précisément la justification de son existence dans le monde, le privilège de ses origines, de sa naissance, non de ses mérites personnels. Seul est aristocrate celui qui l'est indépendamment de ses mérites et de son industrie. Et il convient qu'il en soit ainsi dans le monde. Le génie et le talent relèvent de l'aristocratie spirituelle parce qu'ils sont gratuits, qu'ils ne sont pas mérités ni obtenus par le travail. Ils sont reçus de naissance, dès l'origine et par héritage spirituel. L'aristocratie spirituelle a la même nature que l'aristocratie sociale, historique, c'est toujours une race privilégiée qui a reçu en don ses avantages. Et une telle race spirituellement et physiquement privilégiée doit exister dans le monde afin que les caractères nobles de l'âme puissent s'exprimer. La noblesse est bien le fondement psychique de tout aristocratisme. Elle ne s'acquiert pas, elle est un don du sort, elle est une propriété de la race. La noblesse est une espèce de grâce psychique. Elle est directement opposée à toute susceptibilité et à toute envie, elle est conscience du fait que l'on appartient à la hiérarchie véritable, à ce que l'on s'y trouve dès l'origine et par naissance. Celui qui est noble sait qu'il y a des degrés qui lui sont hiérarchiquement supérieurs, mais cela ne provoque chez lui aucune amertume, ne l'humilie pas, n'affecte pas sa dignité. Le sentiment de sa dignité représente également une base psychique de l'aristocratisme, elle n'est pas non plus acquise, elle est donnée. Telle est la dignité des fils dont le père est noble. L'aristocratisme est une filiation, il suppose le lien ancestral. Ceux qui n'ont pas d'origine, qui ne connaissent pas leur père ne peuvent être des aristocrates.


L'aristocratisme de l'homme, qui est le plus haut degré hiérarchique de l'être, c'est celui de la filiation divine, celui des fils de Dieu qui sont nés noblement. Voilà pourquoi le christianisme est une religion aristocratique, celle des libres fils de Dieu, celle de la grâce donnée gratuitement par Dieu. La doctrine de la grâce est un enseignement aristocratique.
Toute psychologie de l'offense ou de la revendication n'est pas aristocratique, c'est une psychologie plébienne. Aristocratique est la psychologie de la faute, celle des libres enfants de Dieu. Il est plus propre à l'aristocrate de se sentir coupable que vexé. Le christianisme est pénétré de cette psychologie-là. La conscience chrétienne des enfants de Dieu et non pas des esclaves du monde, celle des fils de la liberté et non pas de ceux de la nécessité est la conscience aristocratique. Ceux qui se sentent les rejetons illégitimes de Dieu, offensés par le sort, perdent leurs traits de noblesse. L'aristocrate doit avoir le sentiment que tout ce qui l'élève est reçu de Dieu et tout ce qui l'abaisse est l'effet de sa propre faute. Cette attitude est absolument opposée à la psychologie plébéienne qui considère tout ce qui élève comme un bien acquis et tout ce qui abaisse comme une insulte et comme la faute d'autrui. Le type de l'aristocrate s'oppose à celui de l'esclave et du parvenu. Il s'agit là de races psychiques différentes. Un ouvrier peut avoir une tournure aristocratique de l'âme, alors qu'un noble peut n'être qu'un laquais.


Et vous, vous voudriez rabaisser la qualité de la race humaine, éliminer les traits aristocratiques de l'image de l'homme. La noblesse vous répugne. Vous bâtissez votre royaume sur la psychologie plébéienne, celle de la vexation, de la jalousie et de la haine.Vous prenez ce qu'il y a de plus mauvais chez l'ouvrier et le paysan, chez la bohème intellectuelle, et vous voulez créer avec cela la vie future. Vous en appelez aux instincts vindicatifs de la nature humaine. Votre bien naît du mal, vous voulez faire briller votre lumière à partir des ténèbres.
Votre Marx a enseigné que la nouvelle société devait naître du mal et dans le mal, et le soulèvement des sentiments humains les plus sombres et les plus laids était pour lui le moyen d'y parvenir. Au type psychique de l'aristocrate, il a opposé celui du prolétaire. Or celui-ci est bien l'homme qui ne veut pas connaître son origine et qui n'honore pas ses ancêtres, pour lequel il n'existe ni race ni patrie. La conscience prolétaire place la susceptibilité, l'envie et la vengeance au rang des vertus de l'homme nouveau. Elle voit une libération dans la révolte et l'insurrection qui constituent le plus terrible esclavage de l'âme, son asservissement aux choses extérieures, au monde matériel. Le prolétaire est rejeté à la surface, l'aristocrate doit vivre à une profondeur plus grande, en sentant des racines et des liens plus profonds. La conscience prolétaire déchire la relation des temps, elle détruit le cosmos. Une telle psychologie ne doit pas être inévitablement celle de l'ouvrier, de l'homme qui se trouve aux degrés inférieurs de l'échelle sociale. L'esclave peut sentir lui aussi son rapport filial avec Dieu, avec sa patrie, son père et sa mère. Il est capable d'éprouver dans son âme le sentiment profond de sa liaison avec le grand tout national et cosmique, de sa place dans la hiérarchie.
J'ai connu de simples ouvriers qui étaient plus aristocratiques que bien des nobles. Mais vous ne voulez pas que l'ouvrier se trouve dans cet état de noblesse, vous voulez en faire un vrai prolétaire et un plébéien par conviction. A la base de votre royaume qui nie tout aristocratisme, vous placez le soulèvement de l'esclave et l'insurrection du plébéien. Or il y a dans la révolte quelque chose de servile. Le noble qui a conscience de sa dignité supérieure, qui maintient en lui-même la haute image supérieure de l'homme, l'aristocrate, par l'âme ou par le sang, s'il n'a pas dégénéré et s'il n'a pas déchu, trouvera d'autres moyens pour défendre la vérité et la justice, pour confondre l'iniquité et le mensonge.
Une vie nouvelle et meilleure peut naître de l'aristocratisme intérieur quand l'âme est rendue noble. Mais elle ne naîtra jamais de la serviture insurgée ni d'un vil refus de toute sainteté et de toute valeur. Votre type de prolétaire est une négation incarnée de l'éternité, une affirmation de la corruption et du temporel. Le type de l'aristocrate véritable vise l'éternel.

Il y a dans l'aristocratisme une injustice, un caprice, un arbitraire divins sans lesquels la vie cosmique et la beauté de l'univers sont impossibles. La plate exigence plébéienne et prolétarienne d'une équité nivelante, qui consiste à rendre à chacun selon la quantité de son travail, est une atteinte à l'épanouissement de la vie, à l'abondance divine. A une profondeur plus grande encore, c'est un attentat contre le mystère de la grâce : on réclame qu'il soit entièrement rationalisé. Seulement, dans un tel luxe injuste de Dieu, il peut y avoir un sens caché, supérieur, de la vie du monde, sa fleur.
Dans l'histoire, l'aristocratie peut déchoir et dégénérer et c'est ce qui arrive habituellement. Elle peut facilement se cristalliser, se scléroser, se clore sur elle-même et se fermer aux mouvements créateurs de la vie. Elle a tendance à former une caste. Elle commence alors à s'opposer au peuple, elle trahit sa vocation, et au lieu de servir, elle exige des privilèges. Or l'aristocratisme est non pas un droit, mais une obligation. La vertu aristocratique donne, elle ne prend pas. L'aristocrate est celui auquel il est donné davantage et qui peut partager son surcroît.

Par nature, la lutte pour le pouvoir et pour des intérêts n'est pas aristocratique. Le pouvoir des meilleurs et des plus nobles, des plus forts selon leurs dons, est non pas un droit, mais un devoir, non pas une prétention, mais un service. Les droits des meilleurs sont innés. La lutte qu'ils mènent et le travail qu'ils accomplissent visent à remplir une mission. De par son idée même, l'aristocratie est sacrificielle. Mais elle peut trahir son idée. Alors, elle s'accroche par trop à ses avantages extérieurs et elle tombe.
Cependant, il convient de se rappeler toujours que les masses populaires sortent de l'ombre et qu'elles communient avec la culture par l'intermédiaire de l'aristocratie qui s'en est distinguée et qui remplit sa tâche. Elle est sortie la première des ténèbres et elle a reçu la bénédiction de Dieu. A un certain degré du développement historique, elle doit renoncer à quelques-uns de ses droits pour continuer à jouer un rôle créateur dans l'histoire.
S'il y a encore en Russie une aristocratie authentique, elle doit renoncer par sacrifice à lutter pour ses privilèges foulés aux pieds. L'aristocratie n'est pas une classe, elle est un principe spirituel, invincible par nature, et qui agit dans le monde sous différentes formes et dans diverses formations.       
                                                                         (suite de l'article dans la deuxième partie...)

    

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Χριστός ανέστη- Христос Воскрес -Hristos voskrese -Christ est ressuscité

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Благослови душе моя, Господа

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πάσχα PAQUES - Resurrection Hymns

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Tieło Chrystowo; mel supraskiego monasteru XVI w.

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Et toi qui dis-tu que je suis ?

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Jésus, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu ;

mais il se dépouilla lui-même, prenant la condition d'esclave, il se rendit semblable aux hommes.

A son aspect, reconnu pour un homme,

il s'abaissa, en se faisant obéissant, jusqu'à la mort, et la mort de la croix.

C'est pourquoi Dieu l'a élevé et lui a donné le Nom qui l'emporte sur tout nom ;

afin qu'au Nom de JESUS, tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et aux enfers ;

et que toute langue proclame : Jésus est Seigneur! à la gloire de Dieu le Père

 

  le christ

  

Tremble, homme, en regardant ce sang qui divinise, car c'est une braise qui consume les indignes.

Le corps de Dieu me divinise et me nourrit ; il divinise mon âme et nourrit mon esprit de manière merveilleuse.

Tu m'as charmé, ô Christ, par ton désir, et ton divin amour m'a transformé ;

qu'un feu immatériel consume donc mes péchés, alors, tressaillant de joie, je magnifierai tes deux avènements, ô Toi qui es bonté.

Comment pourrais-je entrer dans la splendeur de ton sanctuaire, indigne que je suis ?

Car, si j'ai l'audace de pénétrer dans la salle des noces, mon habit, qui n'est pas un vêtement nuptial, me confondrait, et, lié, je serais jeté dehors par les anges.

Purifie-moi de toute souillure et sauve-moi, toi qui es ami des hommes.

Voici que je m'approche.... Ne me consume pas par cette participation, ô toi qui m'as façonné...

Que la participation à tes saints mystères, Seigneur, ne devienne pas pour moi jugement ou condamnation, mais guérison de l'âme et du corps.

 

 

 

  Christ en croix Vélasquez

 

-Et vous qui dîtes-vous que je suis ?

-Tu es le Christ, notre Messie, le Fils du Dieu Vivant... A qui irions-nous ? Toi seul a les paroles de la vie éternelle...

 

-M'aimes-tu ?...

-Seigneur, Tu sais tout, Tu sais bien que je T'aime....Tu me combles, et la Terre, quand tu es là, pour moi n'a plus de goût....

Je crois, Seigneur, et je confesse que tu es le Christ, Fils du Dieu vivant, venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier....Fais-moi miséricorde, pardonne-moi mes transgressions et juge-moi digne d'avoir part à tes mystères immaculés, pour la rémission de mes péchés et la vie éternelle.

En ce jour, ô Fils de Dieu, donne-moi de communier au repas de tes initiés, car je ne dirai pas le mystère à tes ennemis, ni ne te donnerai le baiser de Judas ; mais comme le Larron je te confesse : souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton royaume.

 

 

 

   

 

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Pontiques : se mêler sans s'emmêler

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chant byzantin en français

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une approche de Jésus par Marcel Légaut (suite et fin)

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La foi des apôtres est plus importante pour le chrétien que leurs croyances.

Sans doute la foi en Jésus des apôtres ne peut pas être séparée de leurs croyances. Cependant, par son adhésion obscure une et absolue, leur foi est plus totale et plus pure que leurs croyances, même si, de leur temps, ils ne concevaient pas et auraient absolument refusé que la première put exister en dehors de l'adhésion sans réserve aux secondes. Aussi l'accès à la foi des apôtres, dans l'authenticité et l'intégrité de son élan secret est-il le chemin plus sûr que tout autre, plus exigeant aussi de toutes manières, pour découvrir Jésus sans réduire sa réalité mystérieuse en quoi que ce soit par quelques idées préconçues. Cette foi des apôtres est le fanal qui guide de loin le disciple vers son maître à travers l'écoulement des siècles et l'évolution des civilisations. Loin de le dispenser d'aller de l'avant avec tout ce qu'il est et sous sa responsabilité comme le font les croyances issues des premiers temps chrétiens, la foi des premiers disciples l'y invite au contraire; c'est d'ailleurs seulement à cette condition qu'il peut continuer à en recevoir la lumière.

Quand les enseignements apostoliques dépassent un strict compte rendu des faits et ne se bornent pas à commenter ou à soutenir chaleureusement la doctrine, par tout ce qui les élève, même à l'insu de leurs auteurs, au niveau du témoignage, ils ont une valeur incomparable pour l'homme à la recherche de qui est Jésus. Tels détails accessoires de l'Evangile dont l'exégète et l'historien n'ont que faire, aussi bien que tels passages, qui leur posent des questions de forme et même de fond, peuvent devenir très suggestifs pour celui qui cherche à joindre les apôtres dans l'intime de façon à découvrir grâce à eux, à travers eux et au-delà d'eux, qui était Jésus.

Mais l'homme ne saura remarquer ces traits infimes, portant la marque même de ceux qui les ont rapportés dans leurs écrits, ni leur donner valeur significative, que grâce aux approfondissements de la connaissance de soi et de la condition humaine. Il ne lui suffira pas d'être un lecteur attentif et méticuleux. Il ne pénétrera en profondeur le climat spirituel des disciples qui leur a permis de conserver vivants en eux ces moments d'un passé déjà lointain, de les rassembler et de les publier, que s'il connaît l'activité du souvenir qui porte sur les temps cardinaux de l'existence, que s'il a l'expérience de la persistance et de l'efficacité de ce ressouvenir. Il lui faudra avoir correspondu de longue date à la sollicitation de ses virtualités spirituelles, les avoir vu prendre corps et s'organiser pour être capable d'entrer dans le vif et la totalité de l'événement qui changea si profondément des hommes par ailleurs ordinaires, durement moulés par leur milieu, nullement préparés à une telle métamorphose; changement si profond qu'ils dominent leur époque et que certains paraissent des génies de tous les temps.

(note :  L'activité du souvenir est d'un autre ordre que l'automatisme de la mémoire. Quand elle porte sur les relations capitales que l'homme a vécues dans l'amour, la paternité et sur toute rencontre profonde avec autrui, quand elle s'attache sur les événements cardinaux de son histoire, ses choix et ses décisions, elle lui fait découvrir une unité fondamentale sous-jacente à la multiplicité des éléments très divers qui constituent sa vie. Elle lui donne conscience d'une consistance et d'une durée qui se font jour sous tout ce qui, en lui, a été contingent et est emporté par le temps. Cette compréhension en profondeur est appelée dans ce livre l'existence de l'homme. Elle s'oppose à une connaissance obtenue du dehors par quiconque lorsque celui-ci possède sur cet homme des données objectives. L'existence de l'homme ne peut être atteinte que par cet homme, grâce à son effort d'intériorisation et à l'activité du souvenir.

Le spectateur regarde de loin, il conserve ses distances, il ne prend pas part de façon personnelle, active ou passive, à ce qu'il voit. Au contraire, le témoin ne reste pas l'étranger qui passe. Il n'est pas sans efficacité, car souvent par sa présence il agit de façon silencieuse et invisible sur ce qu'il voit. Toujours, il en est profondément atteint. Il est capable d'en porter témoignage. Le spectateur ne peut apporter qu'un compte rendu de ce qu'il a vu. Il n'en est pas changé.)

Quand un homme à participé à la naissance d'une communauté spirituelle, il est particulièrement apte à entrevoir ce que les apôtres ont vécu près de Jésus:

Quand l'homme a été non pas le spectateur mais le témoin, et par suite l'artisan, d'un renouveau spirituel collectif, ne fût-ce que de quelques-uns - renouveau chrétien ou non - il connaît le climat dense, approfondissant et proprement créateur du groupe fraternel, origine de ce mouvement naissant. Mieux que tout autre, il sait percevoir dans les Écritures un écho singulier de cet autre commencement qui au départ était semblable, toutes proportions gardées, à celui qu'il a connu, quoique ce commencement fût secrètement l'amorce de si grandes transformations qu'on ne peut savoir encore où elles conduiront les hommes. Il est spécialement préparé à concevoir mais aussi à comprendre par le dedans ce que les disciples vécurent près de Jésus et ainsi à s'approcher de lui à son tour. Cette voie reste cachée aux savants comme à tous ceux qui n'ont pas vécu avec assez de puissance leur humanité.

C'est pourquoi l'histoire du christianisme dans ses moments capitaux est celle des continuels recommencements qui permettent la découverte de Jésus et qui la demandent, héritant du passé parce qu'ils ne sont pas indignes des origines. Quand ces recommencements font défaut, entravés ou déviés par des réalisations qui ont déjà la stabilité de l'établissement, la connaissance de Jésus se fige et s'exprime dans une doctrine abstraite et impersonnelle. Jésus ne donne plus qu'autorité et valeur à une institution, à un cadre de vie devenus l'essentiel. Il n'est plus celui qui appelle et libère.

La compréhension profonde de l'épopée des apôtres est la voie pour entrer dans l'intime de la vie de Jésus.

La foi et l'amour des premiers disciples sont en droit, pour le chrétien, plus que toute considération, la source de sa foi en Jésus et de son amour pour lui. C'est au chrétien de s'efforcer de comprendre par l'intérieur leur singulière évolution spirituelle tant du vivant de Jésus qu'après sa mort; de prendre conscience de ce qui s'est passé en eux leur vie durant et jusqu'à la fin. Comment ont-ils porté ce qu'ils ont vécu près de lui? Comment ont-ils répondu à ce qu'ils avaient reçu de lui quand ils se retrouvèrent ensemble, seuls, abandonnés à leurs propres moyens? Quelles questions se sont-ils posées tout le long de leur vie? De quels doutes et de quelles hésitations ont-ils été harcelés? Quels retours en arrière et quelles angoisses ont-ils connus devant un avenir sans proportion avec les horizons de leur jeunesse et de leur milieu d'origine? Quelle ferveur les animait, quelle joie les possédait, même dans la fatigue de leurs combats et dans leurs défaites? Les Écritures, si avares de témoignages directs sur la vie intérieure des apôtres le suggèrent, mais seulement à ceux qui ont eu à connaître et qui ont déjà un peu parcouru un itinéraire spirituel semblable.

En faisant de cette recherche l'âme de sa vie et, dans la mesure du possible, une préoccupation quotidienne, le chrétien continue de recevoir lumière et force de ces hommes. Il entre ainsi, par ce qu'il a en lui de plus spirituel, dans l'essentiel de leur foi et de leur amour, sans se laisser cependant asservir à tout le contingent qu'ils ont assumé, auquel ils ont donné intellectuellement valeur absolue et dont ils se sont prévalus à ce titre.

Les chrétiens des origines, ainsi que tant d'autres à leur suite, qui, à travers les siècles, les ont relayés avec une diversité infinie de modes de vie spirituelle, mêlés inextricablement de pratiques et de considérations liées aux temps, de ce fait rapidement périmées, sont les précurseurs qui conduisent à Jésus ses futurs disciples. Par leur présence secrète ils accompagnent, de près ou de loin, le croyant qui est de leur famille spirituelle et qui a su les reconnaître dans l'essentiel de ce qu'ils ont vécu. Ils le font entrer, autant que cela se peut, dans leur communion avec Jésus. Mais c'est à Jésus de grandir dans le coeur de ce croyant et à ces précurseurs de diminuer. Ainsi seulement ils tiendront leur place exacte auprès de ce nouveau disciple sans le charger indûment de ce qui n'est en eux que la marque d'une époque, d'un lieu et d'un tempérament.

En tout temps cette croissance de Jésus s'opère chez ceux qui le cherchent sans se borner à souscrire aveuglément par vertu, quand ce n'est pas simplement par indifférence, à ce qui est affirmé de lui avec autorité et à ce que la science dit. Véritable gestation elle se poursuit dans des conditions ambiguës et mêlées dues, non seulement au caractère complexe des Écritures, non seulement à ce que les générations en ont ultérieurement tiré, y ont ajouté et en ont retranché, mais aussi à ce que ces êtres en recherche sont en eux-mêmes. A force de pureté et de lucidité, d'intelligence spirituelle et d'esprit critique, en suivant les cadences et la dialectique de la vie, ils doivent s'efforcer d'entrer dans la compréhension intérieure de qui est Jésus, et d'entendre son message tel qu'il se perpétue et se développe à travers les siècles. Puissent-ils veiller à ne pas l'altérer plus que cela n'est inévitable, par des besoins et des aspirations spontanés, particuliers à leur âge ou à leur génération, que leur approfondissement humain n'a pas suffisamment critiqués et authentifiés! Les résultats de cette gestation en chacun le jugent car ils relèvent de son être, comme ils ont jugé ceux qui ont vu Jésus de leurs propres yeux et l'ont entendu de leurs propres oreilles.

Cette recherche de Jésus à travers ses disciples de tous les temps progresse avec celle que le croyant mène pour se trouver.

Cette démarche est la seule qui engage le tout de l'homme et qui soit ainsi digne de lui et à sa mesure. Elle ne se borne pas à rester à la surface du réel où l'histoire et l'exégèse règnent en maîtresse. Elle n'est pas celle des savants. Elle n'est pas non plus possible aux enfants parce qu'elle demande une conscience de soi qu'on ne peut pas avoir quand on n'a pas encore assez fortement vécu. Mais la pureté de l'enfance et la rigoureuse honnêteté du savant sont nécessaires à celui qui s'engage dans ce sentier toujours plus infrayé à mesure qu'il avance, s'il veut éviter le risque de s'égarer rapidement. Sans ces qualités, dans cette démarche solitaire par nature, de plus en plus privé de guide autorisé, il peut errer de la manière la plus folle. Seules sa droiture et sa vigueur intellectuelles, la profondeur et la rectitude du sens intérieur qui inspire sa recherche, pourront, par corrections successives et avec les délais nécessaires, redresser ses faux pas et le maintenir de façon convenable dans la voie. Toute intervention insuffisamment discrète ne peut que l'empêcher d'être proprement lui-même et le paralyse. Parfois même, trop autoritaire, et par manque de communion véritable, elle va jusqu'à empoisonner spirituellement.

Présence à Jésus, présence à quelques-uns de ses disciples, présence à soi-même vont ainsi de pair. Chacune prépare les autres et s'en trouve aidée. La foi en Jésus, dans sa pure originalité, est au bout de ce chemin, et non au commencement où elle ne peut être encore qu'implicite dans l'adhésion à une croyance qui reste fatalement abstraite, même si elle se nourrit de quelque transfert affectif; croyance utile mais insuffisante, facilitée par la crédulité et à l'occasion par le conformisme social; croyance dont les termes tout mystérieux qu'ils sont, satisfont le croyant sans pour autant l'éclairer vraiment. Par ses précisions, par ses images fallacieuses, par les fausses évidences qu'elle développe en lui, elle fait obstacle à la recherche de Jésus.
En suivant cette voie à longueur d'années, en même temps qu'il entre plus profondément dans l'intelligence de son Maître, le disciple reçoit la révélation de ce qu'il est en devenir. Pour correspondre à cette découverte, pour assumer dans la plénitude son existence et pour accomplir sa mission dans l'oeuvre créatrice, il est acculé peu à peu de façon vitale, et non seulement par conviction doctrinale, à voir en Jésus son unique recours.

Cette recherche conduit à l'adoration.

La foi en Jésus prolonge et soutient la foi en soi. Le disciple adhère à Jésus du mouvement même qui le fait adhérer à lui-même. Cette adhérence est proprement adoration par sa totalité toute enveloppée de nuit, par sa disponibilité sans borne et son immobile activité.

Le cheminement intérieur qui conduit à la foi en Jésus, doit s'inspirer de celui des premiers disciples.

Quoique l'homme moderne vive dans des conditions très différentes de celles des premiers disciples, il lui est nécessaire de comprendre par l'intime leur itinéraire spirituel pour trouver à son tour le chemin qu'il doit suivre afin de découvrir de façon personnelle qui est Jésus. En effet, l'essentiel de ce que ceux-ci ont vécu auprès de lui demeure encore l'essentiel pour atteindre Jésus en lui-même et le suivre. Aussi, le cheminement intérieur de ces hommes qui ont pris la dure et grave décision de rompre avec leur peuple, est-il plus important à connaître que les raisons qui ont converti au christianisme, d'une façon ordinairement plus collective et plus idéologique, les juifs et les païens des générations suivantes.

Ce cheminement spirituel, unique en son genre, présentait des obstacles considérables qui n'ont été surmontés que par un très petit nombre des contemporains de Jésus. Cette difficulté extrême donne à leur conversion une valeur exceptionnelle. Elle en garantit le sérieux et l'authenticité. Elle donne une portée universelle aux motifs profonds qui les ont poussés à suivre Jésus malgré tout. Même si l'on tient compte des facilités particulières à l'époque et au lieu, ces conversions posent une question qui paraîtra d'autant plus capitale qu'on se voue plus totalement à la recherche de sa condition d'homme.

Le Nouveau Testament ne fait connaître qu'indirectement le cheminement des apôtres.

Le Nouveau Testament rend compte surtout de la prédication apostolique. Les quelques témoignages proprement dits qu'il contient sont rapportés principalement pour convaincre et pour instruire de la doctrine, non pour décrire l'évolution spirituelle qui a conduit les premiers disciples à la foi en Jésus. Sans doute les enseignements proposés partent-ils de paroles de Jésus qui les avaient spécialement frappés, de sorte qu'elles restaient gravées dans leur mémoire. Sans doute en est-il de même des comportements de Jésus consignés dans l'Évangile. Mais ces paroles et ces faits sont rapportés pour un enseignement, non pour une confession. Peut-être même ont-ils été quelque peu modifiés dans cette intention, et la manière dont on les a présentés a-t-elle été influencée par les commentaires dont on les accompagnait. Peut-être furent-ils choisis et même sont-ils revenus à la mémoire des disciples précisément pour cette dernière raison. On ne saurait guère en douter quand on constate la liberté avec laquelle les hommes de ce temps interprétaient les écrits les plus vénérés. Aussi ces paroles et ces faits, tels qu'ils sont exposés, éclairent plus directement sur la réflexion et les élaborations intellectuelles des disciples après leur conversion, qu'ils n'aident à connaître le chemin parcouru par eux pour croire en Jésus. C'est pourquoi les Écritures ne se prêtent qu'indirectement, et d'assez loin, à cette dernière enquête.

Pour découvrir ce cheminement, l'expérience et l'intelligence spirituelles sont nécessaires.

Pour aboutir vraiment, cette recherche exige, outre la connaissance des Écritures, une intelligence spirituelle suffisamment développée pour aller au-delà de ce que ces textes disent explicitement. Sinon le Nouveau Testament risque de n'apprendre au lecteur le plus consciencieux que les conditions extérieures qui ont présidé à la naissance de la foi chez les générations postérieures de croyants. Ces connaissances exigent moins de maturité et d'engagement personnel que la compréhension profonde des transformations intimes d'un être. Elles restent un savoir comme les autres. Elles ne comportent pas non plus des conséquences aussi pressantes pour celui qui les acquiert. Les éléments contingents d'une époque toute différente de la sienne y ont une trop large part. Ils engloutissent l'essentiel dans l'occasionnel et l'accessoire. Ils le dissimulent et prennent sa place. Ils n'ébranlent pas l'homme dans ses profondeurs. Ils ne le poussent pas au cheminement intérieur qui le conduirait à une véritable conversion.

Cette recherche exige l'autonomie intellectuelle et un sens critique éduqué.

Dans cette recherche, qui le concerne obligatoirement dans sa totalité - sinon elle resterait vaine - l'homme doit éviter toute compromission avec ce qui se dit communément et comme par routine, sans être vécu habituellement de façon réelle. Il importe qu'il se dégage autant que possible des manières de penser et de sentir de son milieu familial ou social, et cela n'est pas aisé car elles lui sont quasi innées. En général, ces traditions, explicites ou non, imposent une lecture des Écritures qui donne à la lettre la valeur absolue d'un texte divin, ou au contraire conduisent à une étude des origines du christianisme à laquelle on se défend par instinct, par système même, de prêter un autre intérêt que celui de l'historien. Nul ne saurait mettre en oeuvre cette liberté de jugement s'il n'a pas atteint le niveau humain qui lui permette, grâce à un sens critique exercé, une suffisante autonomie intellectuelle et affective.

Dans cette recherche on doit aussi se défier, en bonne méthode, de toute conformité due à l'obéissance à quelque autorité sacralisée; obéissance vertueuse et pour cette raison d'autant plus aveugle. Utile au départ quand on n'est pas encore assez formé spirituellement, cette façon de faire doit être dépassée en temps voulu, sinon à la longue elle fourvoie inévitablement les êtres vigoureux et généreux qui, à force de piétiner dans une impasse, se mutilent intérieurement ou se révoltent. Elle pousse les autres à se laisser aller à une manière d'être et de dire, à se contrefaire, ce qui est spirituellement toujours néfaste et souvent mortel en ce domaine où l'authenticité est de rigueur.

Cette recherche sera ainsi essentiellement personnelle. Ses résultats ne seront pas tout à fait justifiables ni communicables car ils dépendent trop de l'être de celui qui la poursuit. En effet, il lui faudra trouver jusqu'à un certain point par lui seul et pour lui seul, en liaison avec les Écritures comprises cette fois en profondeur à la lumière de sa propre expérience, comment les apôtres ont été conduits à leur prédication; dans quelle mesure celle-ci vient de convictions authentiquement vécues et n'est pas inspirée aussi par les intérêts de tous ordres de leurs auditeurs, ou influencés par les courants idéologiques de l'époque. L'idéal, inaccessible sans nul doute, serait de savoir comment dans leur solitude de base, les apôtres vivaient de façon originale leur foi naissante en Jésus, avant, sinon d'en prendre conscience, du moins de pouvoir exposer leur foi d'une façon adéquate; mieux encore, avant d'être en mesure de se la dire intimement sans avoir l'impression de la diminuer ou de l'adultérer. Les conditions dans lesquelles chacun s'éveillera à cette recherche et l'entreprendra le jugeront....
 

(ce texte est extrait d'un chapitre de "Introduction à l'intelligence du passé et de l'avenir du Christianisme" de Marcel Légaut, édit. Aubier, 1970).

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