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derniers moments de Robert Brasillach

Publié le par Christocentrix

 

"Ici on ne peut que citer le procès-verbal des derniers instants - parce qu'ils font partie de sa vie et de sa figure - dressé par Jacques Isorni le jour même de son exécution, le 6 février 1945. « A 8 h 30 devant les grilles du Palais de Justice se forme le cortège des six voitures noires qui doivent conduire à Fresnes les personnes requises par la loi et l'usage pour l'exécution. Tout le long du parcours, un important service d'ordre constitué par des gardiens de la paix armés de mitraillettes. Aux abords de Fresnes, le service d'ordre est beaucoup plus dense. Dans l'allée de la prison, des gardes mobiles font la haie. Nous attendons quelques instants avec les différentes personnalités devant la grille d'accès au grand couloir qui mène à la détention.
A neuf heures juste, nous nous rendons, suivis d'un peloton de gardes mobiles, à la division des condamnés à mort. Le Commissaire du Gouvernement François ouvre la porte de la cellule de Robert Brasillach et lui annonce d'une voix sèche que son recours en grâce a été rejeté.
Je pénètre à ce moment dans sa cellule avec Me Mireille Noël et l'aumônier. Robert Brasillach nous embrasse tous les trois. Puis, il demande à rester seul avec l'aumônier. Deux gardiens viennent lui retirer ses chaînes. Après sa confession et quelques minutes d'entretien avec le prêtre, il me fait appeler ainsi que Mlle Noël. Il me donne alors les dernières lettres qu'il a préparées pour sa mère, pour sa famille, pour Mlle Noël et pour moi-même.
Il me donne également les manuscrits des poèmes écrits en prison et une feuille contenant quelques lignes avec ce titre « La mort en face ». De temps en temps, il me regarde avec un bon sourire d'enfant. Il avait compris dès hier que ce serait pour ce matin.
- Vous savez, me dit-il, j'ai parfaitement dormi !
Comme il doit revêtir son costume civil à la place du costume des condamnés à mort, Mlle Noël se retire et je demeure seul avec lui.
- Oui, restez près de moi, me dit-il.
Il me montre la photographie de sa mère et celle de ses deux neveux. Il les met dans son portefeuille et m'exprime le désir de mourir avec ces photographies sur son coeur. A ce moment, il a une légère défaillance, il pousse un soupir, et des larmes coulent de ses yeux. Il se tourne vers moi et dit, comme s'il voulait s'excuser : « C'est un peu naturel. Tout à l'heure je ne manquerai pas de courage, rassurez-vous. »
Il s'habille alors tranquillement, avec beaucoup de soin refait la raie de ses cheveux devant la glace, puis, songeant à tout, retire d'une demi-boule de pain un petit canif et une paire de ciseaux qu'il y avait dissimulés et qu'il me remet. Il m'explique « Pour que personne n'ait d'ennuis. »
Il range ses affaires personnelles dans un grand sac. A ce moment il a soif. Il boit un peu d'eau dans sa gamelle. Puis il achève sa toilette. Il a le par-dessus bleu qu'il portait au procès. Autour de son cou, il a passé le même foulard de laine rouge.
Il demande à s'entretenir avec M. le Commissaire du Gouvernement Reboul.
Celui-ci s'avance. Il est raidi par l'émotion, le visage tourmenté et d'une grande pâleur.
D'une voix sourde, Brasillach lui fait alors la déclaration suivante
- Je ne vous en veux pas, monsieur Reboul, je sais que vous croyez avoir agi selon votre devoir ; mais je tiens à vous dire que je n'ai songé, moi, qu'à servir ma patrie. Je sais que vous êtes chrétien comme moi. C'est Dieu seul qui nous jugera. Puis-je vous demander un service ?
M. Reboul s'incline. Robert Brasillach continue :
- Ma famille a été très éprouvée, mon beau-frère est en prison sans raison depuis six mois. Ma soeur a besoin de lui. Je vous demande de faire tout ce que vous pourrez pour qu'il soit libéré. Il a été aussi le compagnon de toute ma jeunesse...
Le Commissaire du Gouvernement lui répond :
- Je vous le promets.
Robert Brasillach lui dit pour terminer : « Consentiriez-vous, monsieur Reboul, à me serrer la main ? »
Le Commissaire du Gouvernement la lui serre longuement.
Robert Brasillach m'embrasse une fois encore ; il embrasse également Mlle Mireille Noël qui vient de rentrer et lui dit :
- Ayez du courage et restez près de ma pauvre soeur.
Il est prêt, Il ouvre lui-même la porte de sa cellule. Il s'avance au-devant des personnalités qui attendent et leur dit : « Messieurs je suis à votre disposition ! »
Deux gardes mobiles se dirigent vers lui et passent les menottes. Nous gagnons le grand couloir de la sortie. En passant devant une cellule, d'une voix claire, Robert Brasillach crie : « Au revoir Béraud », et quelques mètres plus loin : « Au revoir Lucien Combelle ! ». Sa voix résonne sous la voûte, au-dessus du bruit des pas.
Lorsque nous arrivons à la petite cour où attend la voiture cellulaire, il se retourne vers Mlle Noël et lui baise la main, en lui disant : «Je vous confie Suzanne et les deux petits». Il ajoute : « C'est aujourd'hui le 6 février, vous penserez à moi et vous penserez aussi aux autres qui sont morts le même jour, il y a onze ans .»
Je monte avec lui dans la voiture qui va nous conduire au fort de Montrouge. Il s'est assis, impassible, en me prenant la main. A partir de ce moment, il ne parlera plus.
Le poteau est dressé au pied d'une butte de gazon.
Le peloton qui comprend douze hommes et un sous-officier nous tourne le dos. Robert Brasillach m'embrasse en me tapotant l'épaule en signe d'encouragement. Un sourire pur illumine son visage et son regard n'est pas malheureux. Puis calme, très à l'aise, sans le moindre tressaillement, il se dirige vers le poteau. Je me suis un peu détaché du groupe officiel. Il s'est retourné, adossé au poteau. Il me regarde, il a l'air de dire : « Voilà, c'est fini.»
Un soldat sort du peloton pour lui lier les mains. Mais le soldat s'affole et n'y parvient pas. Le maréchal des logis sur ordre du lieutenant essaie à son tour. Les secondes passent... On entend la voix du lieutenant qui coupe le silence : « Maréchal des logis !... Maréchal des logis !...»
Robert Brasillach est lié à son poteau, très droit, la tête levée et fière. Au-dessus du cache-col rouge, elle apparaît toute pâle. Le greffier lit l'arrêt par lequel le pourvoi est rejeté.
Puis d'une voix forte, Robert Brasillach crie au peloton :  « Courage !... » et les yeux levés : « Vive la France ! »
Le feu de salve retentit. Le haut du corps se sépare du poteau, semble se dresser vers le ciel. La bouche se crispe. Le maréchal des logis se précipite et donne le coup de grâce. Le corps glisse doucement jusqu'à terre. Il est 9 h. 38.
Le docteur Paul s'avance pour constater le décès. L'aumônier et moi-même le suivons et nous inclinons. Le corps est apparemment intact. Je recueille, pour ceux qui l'aiment, la grosse goutte de sang qui roule sur son front.»

Devance toute séparation, comme si elle était derrière toi, semblable à l'hiver qui à l'instant s'en va. Car parmi les hivers, il en est un sans fin, tel que, l'ayant surmonté, ton coeur en tout survivra.
C'est le début d'un des Sonnets à Orphée de Rilke. Devance toute séparation... ton coeur en tout survivra. Oui, ce lot des élus de la mort précoce, c'est celui de Robert Brasillach. Certains ont voulu discuter, qui les romans, qui le théâtre, qui les chroniques. Mais c'est d'une oeuvre unique qu'il s'agit et, telle celle d'Orphée, sa voix continuera à monter et à se faire entendre, impossible à confondre avec quelque autre. Ni criminel, ni traître. François Mauriac a réglé ce problème une fois pour toutes. Et comme le dit Jean Anouilh, l'auteur d'Antigone, dans sa préface des Œuvres complètes : « Quand la salve inutile éclate, l'homme qui a signé la sentence s'écroule, commençant sa putréfaction et promenant son cadavre glorieux et bruyant - pour un temps ridiculement court. Le petit garçon qui regardait la mort en face reste debout et intact - éternellement... Cet enfant nu a pris sa place à jamais parmi les premiers écrivains de langue française. »
Oui, comme la mort a nourri sa vie, la vie nourrira sa mort et le chant d'Orphée continuera à monter pour célébrer la beauté des deux règnes.
Oui, quiconque approchera de cette oeuvre entendra toujours, avec cette voix unique, les mêmes thèmes battre comme le sang dans le coeur : le temps qui passe, le bonheur, l'été, la plage émerveillée, les jeunes filles, le feu aux joues, l'amour toujours mordant. Et ces clefs de toute poésie : la jeunesse et la mort."

Extrait du livre "Brasillach" par Bernard George, éditions Universitaires, Classiques du XXème siècle n° 94, 1968.

 

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