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approches du christ

Qui es-tu?... Jésus, le témoignage de la foi et l'Histoire...

Publié le par Christocentrix

« En lisant sérieusement l'Evangile, j'ai été extrêmement frappé de ce que j'appellerai la grande puissance prophétique. Je ne parle pas ici du prophète qui découvre ce qui va se passer, mais du prophète qui vous découvre votre vérité. Il est tout à fait clair que lorsqu'on vient dire : " Ces textes ont été élaborés pendant trois cents ans, en réalité, il n'y en a pas à l'origine", il suffit d'être écrivain soi-même pour savoir que ce n'est pas vrai : il y en a un à l'origine, parce qu'il y a le Sermon sur la montagne, et quelque chose, qui est la voix du prophète, absolument évident». (André MALRAUX, interview 25 octobre 1967)

 « Il n'y a qu'une affaire sur laquelle nous sommes sûrs qu'on ne se réconciliera jamais et sur laquelle nous sommes sûrs qu'il y aura une division éternelle : c'est l'affaire Jésus... Je vous défie de trouver jamais dans les siècles des siècles un seul homme qui parle de Jésus en historien. Ils ne nous en parleront jamais qu'en chrétiens ou antichrétiens ».

(Charles PÉGUY, « Dialogue de l'histoire et de l'âme païenne », dans Œuvres en prose, 1909-1914, coll. « La Pléiade », éd. Gallimard, Paris, 1957, pp. 291-292).

                                                                     *** 

 Singulière cette envie de voir cet homme, et de le voir dans son histoire, à telle heure, en tel lieu, et de lui demander : qui es-tu ? D'autant plus singulière qu'elle exprime une curiosité, disons très profonde et très personnelle, mais que je constate avoir été très répandue et très fréquente. Jésus-Christ a au moins suscité ceci : l'expérience multipliée de cette curiosité ardente. Au point que certains passages de l'Evangile me deviennent parlants, j'ai l'impression d'y entrer de plain pied comme dans une humanité qui m'est proche, et ils se parent pour moi d'une indéniable force de vérité. C'est, par exemple, ce Jean qui se met à suivre Jésus rencontré pour la première fois « Maître, où demeures-tu ? » (Jn 1,38). Ou ce chef des percepteurs de Jéricho qui « cherchait à voir qui était Jésus » (Lc 19,3). Ou ces Grecs venus à Jérusalem pour la Pâque et qui tirent Philippe par la manche : « Nous voudrions voir Jésus » (Jn 12,21). Ou Ponce-Pilate lui-même, dans ce bref instant de pressentiment peu banal où, s'approchant de son prisonnier dont l'attitude et l'affaire le déconcertent, il lui demande : « D'où es-tu ? » (Jn 19,9). Manifestement il y a quelqu'un en face de ces questions ; je sens la densité de sa présence à l'intensité de désir, d'étonnement ou de crainte qu'il y a dans la question. J'éprouve fortement ce qu'exprime A. Malraux. Derrière les bribes qui nous restent du Sermon sur la montagne, il y a manifestement une personnalité unique, réelle, forte.

 Jésus est cet homme, dans l'histoire, au sujet de qui d'innombrables hommes, qui en ont entendu parler, éprouvent une envie spéciale de demander « Qui es-tu ? » Prétendre le savoir sans lui, mieux que lui, je commence à me douter que c'est un peu ridicule ; malgré mon assurance d'homme cultivé du XXIème siècle, pourquoi ma petite idée sur la question s'imposerait-elle davantage que l'opinion des Apôtres ? Et si je veux le savoir de lui, je n'ai qu'une issue : l'apprendre de la bouche de ces Apôtres auxquels il a lui-même confié sa réponse.

Or voici qui m'apparaît très remarquable. Je ne vois pas tellement que Jésus ait gravé pour ses Apôtres sa carte de visite, ni qu'il se soit inquiété de leur dicter et de leur faire apprendre par coeur les termes de son identité. Il l'a plutôt « induite » en eux comme la seule interprétation absolument cohérente de l'événement qu'était sa destinée et dont il les rendait participants. Quand Jean-Baptiste lui fait demander, en clair et avec insistance: « Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? », Jésus ne répond pas : « Je le suis », il pose des actes et il en adresse la nouvelle au Baptiste en lui laissant le soin de tirer lui-même les conclusions (Mt. 11,2-6). Tous les titres, tous les noms du Christ, dont la litanie me paraissait surabondante, floue et désordonnée, je m'avise qu'ils constituent le faisceau de telles conclusions, dont certaines approximatives ou provisoires. Ce ne sont que des significations allumées dans l'intelligence des témoins de Jésus par l'Evénement dont il les irradiait ; des affirmations, inspirées sans doute par l'Esprit Saint, mais qu'aussi ils essayaient d'ajuster avec plus ou moins de bonheur dans leur propre esprit pour exprimer l'impact de l'Evénement tel qu'il fondait sur eux.

Cela devient pour moi un nouvel encouragement pour m'intéresser à Jésus tel qu'il fut. Car les affirmations théologiques sur son compte doivent permettre, par une espèce de déchiffrement à rebours (et peut-être est-ce leur rôle premier pour nous autres?), d'appréhender l'Evénement et, en quelque sorte, d'en refaire l'expérience. Le Jésus de l'histoire ? au fond, il y en aura toujours deux : d'une part, le Jésus de ceux qui ne croient pas en lui, à supposer qu'ils se heurtent à lui ou s'y intéressent ; d'autre part, le Jésus de ceux qui croient en lui. (voir citation de Ch. Péguy).

N'est-ce pas déjà ainsi que ses contemporains se partageaient à son sujet ? et les uns et les autres appartenaient à « l'histoire » ! Ceux qui ne croyaient pas en lui l'ont vu ainsi: « un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs » (Mt. 11,19), « un possédé » (Mc 3,22), « un imposteur » (Mt. 27,63), - c'est évidemment une manière d'interpréter l'histoire. Mais pour ceux qui croient en lui, je tire cette conclusion capitale : c'est le Jésus du témoignage de la foi qui est, en même temps, l'expérience authentique du Jésus de l'histoire.

Assurément, je dois me résigner à ce que cette expérience ne puisse prétendre l'impossible comme, par exemple, retracer une chronologie infaillible des années publiques de Jésus, retrouver le mot à mot de ses discours, préciser ses emplois du temps durant les « années obscures » de Nazareth. Je suis amené à me dire ceci : si les évangélistes n'ont pas cherché à fixer ces choses, ce n'est pas qu'ils voulaient nous les cacher, c'est qu'ils n'estimaient pas qu'elles nous fussent indispensables, nonobstant notre premier sentiment contraire. Pourtant ils ne prétendaient nullement nous livrer une élucubration socio-religieuse de leur cru (les malheureux en eussent été bien incapables !), « d'après » la figure de Jésus de Nazareth ou à l'aide d'une anthologie tendancieuse de ses « morceaux choisis ». C'est l'Evénement lui-même qu'ils proclamaient et livraient. C'est à l'Evénement dans sa réalité qu'ils voulaient nous donner accès : à l'Evénement dans la résistance inexorable qu'il oppose à toute réduction qu'on voudrait en faire à un phénomène déjà observé et facile à classer (Dieu sait si on en a essayé et si on en essaye encore de ces réductions!). Quoi penser, sinon que cet Evénement était d'une nature telle, à leurs yeux, que l'accumulation de détails circonstanciés ne l'eût pas rendu plus présent ni plus intelligible qu'il ne l'était désormais dans le raccourci de leur catéchèse confiée à l'Eglise.

Ainsi voulaient-ils que notre foi soit appuyée sur l'Evénement. Et l'Evénement intégral: depuis la naissance de Jésus jusqu'au don de son Esprit à la Pentecôte. Et non seulement qu'elle y soit appuyée, mais qu'elle ne puisse à aucun moment en faire l'économie et s'en distancer pour se nourrir d'une doctrine et d'un dogme un peu plus dégagés de l'épaisseur historique. Or, pour assurer cela, ces mêmes Apôtres et témoins ne nous offraient d'atteindre l'Evénement qu'à travers la prophétie (c'est-à-dire l'interprétation inspirée par Dieu) qu'ils en faisaient !

Ils pensaient donc que la prophétie seule était capable de transmettre l'Evénement. Pourquoi le pensaient-ils ? Nous autres penserions, dans notre spontanéité irréfléchie, qu'elle risquait plutôt de le déformer ou de le trahir ! La réponse est simple : leur évidence vécue était que la prophétie faisait partie de l'Événement ; qu'elle n'était rien d'autre que l'Evénement pour autant qu'il était langage pour les hommes. Il faut bien nous mettre en tête cette chose essentielle : il n'y a pas eu d'abord un fait divers erratique, sans attache significative avec quoi que ce soit ; un Jésus ni plus ni moins doué qu'un autre, à mille lieues de penser à l'utilisation que feraient de ses improvisations des disciples qu'il aurait groupés sans trop savoir pourquoi ; un événement brut, muet dans son essence, dénué de tout accompagnement interprétatif, et que, par impossible, nous, pourrions aujourd'hui exhumer ; puis, après coup, dans le deuxième temps, par une manoeuvre seconde et habile, il y aurait eu la ressaisie de l'événement par les Apôtres et son rhabillage par l'interprétation théologique. C'est l'événement qui est né prophétique, qui dégageait de lui-même une énorme quantité de sens, qui provoquait à chaque instant l'activité interprétative, qui s'aggravait à chaque pas de l'interprétation tâtonnante qu'il suscitait, et qui consolidait de jour en jour son ancrage dans l'histoire par le moyen apparemment le plus pauvre qui fût : ce que pouvaient en concevoir et en exprimer en un vocabulaire populaire et restreint la poignée des disciples. Rien d'étonnant que saint Jean ait fini par désigner Jésus comme rien d'autre que Parole faite chair ! Aussi, lorsque saint Matthieu met sur les lèvres de Pierre la confession de foi: « Tu es le Fils du Dieu vivant » (Mt. 16,16), il commet peut-être un anachronisme par rapport aux paroles réellement prononcées par Pierre dans la circonstance historique qu'il relate. Mais les mots exacts qu'a prononcés Pierre sous l'interpellation de Jésus, s'ils devenaient un épisode constitutif de l'Evénement, étaient déjà aussi la prophétie cherchant son expression. Au fur et à mesure que l'Evénement s'accomplissait, la prophétie aussi trouvait sa plénitude, et ils demeuraient homogènes l'un à l'autre, inséparables l'un de l'autre. L'Evangile d'après la Pentecôte, qui exprime la plénitude de la prophétie, ne trahit pas l'Evénement lorsqu'il en rapporte les épisodes à la lumière de cette plénitude. Simplement l'Évangile ne peut pas servir à ce pour quoi il n'est pas fait. Il est la prophétie sur l'Evénement Jésus-Christ, il est, par le fait même, la continuation de cet Evénement pour ceux qui lui accordent créance, mais il n'est pas le journal de marche d'un journaliste neutre accrédité auprès des Douze ni l'enregistrement des paroles du Christ sur un magnétophone de campagne.

 

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Historicité de la personne de Jésus-Christ (Christos Yannaras)

Publié le par Christocentrix

Historicité et Sources concernant la personne de Jésus-Christ

 

Contexte historique

En assumant la nature humaine, Dieu intervient dans le temps, Il s'insère dans l'histoire humaine. Jésus-Christ est une personne historique. Il naît à une époque et dans un lieu concrets, d'une mère dont la généalogie s'enracine et se ramifie dans une tribu particulière d'Israël, la lignée royale de David. Ainsi est-il lui-même juif de race, intégré aux conventions sociales du monde hellénisé de l'Empire romain, soumis également aux structures politiques et étatiques de la terre des juifs, occupée par les Romains.

Son nom lui-même est une synthèse des deux langues et des deux traditions qui forment le cadre historique de son époque et qui constitueront la chair historique de l'Église primitive : Jésus est un nom hébraïque; Christ est un mot grec. Le mot Jésus est issu de Iésous, forme hellénisée du nom hébreu Jeshoua qui provient d'une racine verbale signifiant sauver, secourir. De même, le mot Christ (en grec Christos) est un épithète à valeur de substantif provenant du verbe grec chriô (oindre, enduire) et signifiant l'oint, celui qui a reçu l'onction (en grec chrisma), qui a été oint. Dans la tradition juive, l'onction, faite d'huile ordinaire ou parfumée, était le signe visible de la promotion à la dignité de roi ou de prêtre, signe que l'oint était choisi par Dieu pour servir l'unité du peuple ou la relation du peuple avec le Seigneur des puissances. Mais l'oint (Christ) de Dieu par excellence étant le Messie attendu dans les Écritures, le mot Christ avait fini par s'identifier, au plan sémantique, avec le mot Messie. En associant le nom principal - Jésus - au nom de la dignité - Christ -, l'Église souligne la personne historique et interprète l'événement de son incarnation.

L'évangéliste Luc nous fournit le contexte historique de l'apparition de la prédication du Précurseur et parallèlement il décrit le commencement de la vie publique du Christ. Il commence par indiquer l'année courante du règne de l'empereur romain : « l'an quinze du principat de Tibère César. » Ce « jalon » historique pourrait suffire à une indication chronologique très précise. Mais Luc insiste sur sa datation avec la méticulosité d'un historien expérimenté qui prévoit les mises en doute éventuelles de l'historicité de Jésus. Il renforce sa datation en faisant référence aux autorités locales : « Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, Lysanias tétrarque d'Abylène. » Il ne se contente pas de mentionner les chefs politiques, mais il fait aussi référence au mandat exercé par les chefs religieux d'Israël : « sous le pontificat d'Anne et Caïphe » (Lc 3,1-2).

La prédilection de Luc pour une datation précise sera justifiée plusieurs siècles plus tard lorsque en Europe, après la « Renaissance », une vague d'athéisme essaiera de prouver le caractère mythique et l'inexistence de la personne du Christ, offrant ainsi une solution facile à l'appréciation, par la « folie » ou par le « scandale », de son hypostase divino-humaine. Des générations successives de chercheurs, aux XIXè et XXè siècles, prendront part à une recherche vaste et multiforme sur la crédibilité historique des Évangiles : datations, références à des personnes, à des personnages officiels de l'époque, à des sites, à des coïncidences d'événements, seront contrôlées par la critique philologique et historique des textes et l'on exigera leur confirmation par les découvertes de l'investigation archéologique. L'apologétique chrétienne invoquera une série de références extra-chrétiennes concernant la personne du Christ et venant confirmer son intervention dans l'histoire Pline le Jeune (vers 112 ap. J.-C.), Tacite (vers 115), Suétone (vers 120), mais aussi des références antérieures, comme le fameux testimonium de Flavius Josèphe (vers 93), la chronique du Samaritain Thallus écrite à Rome (un peu avant ou après l'an 60), la lettre du Syrien Mara Bar Sarapion (datée de l'an 73 ap. J.-C.). Par différentes voies, la recherche scientifique confirme l'historicité de la personne de Jésus-Christ, sans interpréter cependant l'événement que cette personne a incarné.

Sur une seconde « ligne de défense», le rationalisme occidental des deux derniers siècles a mis en avant la «mythification», par la première communauté chrétienne, de la personne historique du Christ. La logique - de cette interprétation n'était pas insignifiante : nous puisons presque la totalité de nos informations sur la personne historique de Jésus-Christ dans les textes écrits à son sujet par la première communauté chrétienne : Évangiles, Actes et Épîtres des Apôtres. Mais toutes ces informations expriment exclusivement l'idéalisation - propre à la prédication - de la personne du Christ, sa conformité aux attentes messianiques, aux aspirations religieuses, aux opportunités missionnaires de la première communauté chrétienne. Il faut donc qu'il existe une différence et une distance entre le «Jésus historique» et le «Christ de la prédication apostolique» gardé par les Évangiles. Pour briser cette distance et rétablir la vérité historique concernant la personne de Jésus, nous devons épurer les textes évangéliques des éléments douteux, signes d'une « idéalisation », et ne conserver que les indications historiquement attestées comme indubitables. Bien entendu, le problème qui se pose alors est : à l'aide de quels critères entreprendrat-on « l'épuration » des textes évangéliques et jusqu'à quelles limites ? La confrontation à cette question pratique avait pour conséquence de faire naître une multitude d'écoles, de tendances et de méthodes d'interprétation, surtout dans le monde protestant; chacune d'elles représentait une mise en doute plus ou moins grande du récit évangélique, allant même parfois jusqu'à une négation intégrale de l'élément « surnaturel »: les miracles et la Résurrection du Christ.

Toute cette problématique est certainement la conséquence d'une certaine conception de la connaissance, qui caractérise spécifiquement l'homme de l'Europe occidentale et, par extension, le type d'homme que façonne le mode de vie occidental. Nous avons évoqué aussi dans les pages précédentes cette exigence de connaissance « positive », cette quête de certitudes que chaque esprit individuel pourrait posséder avec assurance, à l'abri de l'insécurité des mises en doute. Cela présuppose une attitude de vie individualiste, un état d'esprit aspirant à des assurances individuelles, à une autarcie renforcée, cela présuppose également une civilisation « des droits de l'individu », c'est-à-dire un mode de vie aux antipodes du mode d'existence ecclésial. Nous indiquions, il est vrai, dans les pages précédentes que les conclusions auxquelles aboutissaient elles-mêmes les sciences dites « positives » (tant la recherche en physique qu'en histoire et en anthropologie) convergent désormais, aujourd'hui, vers une théorie de la connaissance qui démontre l'impossibilité d'une science « positive » - objective ou définitive. Mais la prétention de l'homme occidental à se rendre maître de la connaissance à un niveau individuel et à épuiser celle-ci dans le cadre de ses capacités cognitives subjectives peut difficilement être contenue par des interventions d'ordre théorique. Cette prétention est, en effet, le fruit d'un état d'esprit et d'un mode de vie généraux. En comparaison avec la réalisation ecclésiale de la vie (qui envisage la vie comme une oeuvre dynamique de dépassement de soi et de communion dans l'amour), il s'agit d'une conception littéralement hérétique de la manière de vivre et d'être vrai.

Il est certain que, dans le cadre même de la théologie occidentale, de nombreux chercheurs ont montré, de façon approfondie et par des arguments rationnels, que les récits évangéliques étaient historiquement crédibles et qu'une séparation entre un « Jésus historique » et un « Christ de la prédication apostolique » était sans fondement. Dans l'état d'esprit de l'homme occidental, cette assurance apologétique de la crédibilité des Évangiles a surtout une utilité pédagogique et peut soutenir les « consciences faibles ». Mais le soutien des « consciences faibles » par l'apologétique a ses limites précises et très restreintes : l'apologétique peut prouver que les récits évangéliques ne sont pas des mythes, mais la narration réelle d'événements certifiés par des témoignages dûment vérifiés. Cependant, elle ne peut pas interpréter les événements des récits évangéliques, en éclairer les causes et la finalité. Aucune apologétique ne peut certifier la divino-humanité du Christ, sa victoire sur la mort et le renouvellement du créé réalisé dans la personne historique de Jésus. Si elle ne se fonde sur la vérité de l'incarnation de Dieu et de la déification de l'homme, la prédication évangélique demeure un moralisme admirable mais, somme toute, utilitaire, et les références aux miracles du Christ ne représentent qu'une « singularité » surnaturelle, inexpliquée quant au fond.


« Source » et « sources »

En contestant radicalement l'« autorité » objectivée du catholicisme romain, le protestantisme a mis en avant la Bible, comme source exclusive de la vérité chrétienne. La Bible contient, de façon objective et définitive, la vérité tout entière de la révélation de Dieu. C'est un texte qui nous rend directement accessible la parole de Dieu comme une donnée objective, sans que nous ayons besoin de révélations complémentaires ni d'intermédiaires dans la foi et la réception de la parole divine.

Face à cette absolutisation de l'autorité de la Bible par le protestantisme, la Contre-Réforme catholique romaine a rétorqué qu'il y a deux sources de la vérité chrétienne : la sainte Écriture et la sainte Tradition. C'est le « collège des évêques » qui exprime et garde la Tradition, mais nécessairement par le biais de son représentant « infaillible », le pape de Rome, défini comme « tête visible de l'Église universelle » (visibile caput totius Ecclesiae). Par la reconnaissance de celui-ci, la Tradition ecclésiale acquiert une autorité authentique. Elle représente l'ensemble des modes de formulation et d'interprétation de la révélation divine : Conciles oecuméniques, pensées des Pères, pratique liturgique, symboles, règles de vie.

Que ce soit l'Écriture seule ou l'Écriture associée à la Tradition, il s'agit toujours de la source ou des sources où l'individu puise « objectivement » la vérité. C'est la marque du besoin d'une autorité objective, le besoin pour l'homme occidental d'être rassuré individuellement par la possession d'une vérité incontestable - même si cette assurance peut se payer par la soumission à des représentations idolâtriques de « l'infaillible » : que ce soit l'autorité de la révélation surnaturelle ou celle de la science, que ce soit l'inspiration divine des textes de l'Écriture ou celle, ensuite, des textes de Marx et de toute autre idéologie, que ce soit « l'infaillibilité » du Vatican ou celle de Moscou et de tout autre « siège ». L'histoire de l'homme occidental s'apparente à une dialectique de soumission et de rébellion, dans laquelle la rébellion signifie chaque fois le choix d'une nouvelle autorité, et donc aussi le choix d'une nouvelle soumission, tandis que le but demeure toujours identique : l'assurance individuelle, l'assurance d'une certitude individuelle à l'égard de la vérité admise.

En plus du sang répandu à l'occasion des « guerres saintes », des « tribunaux de l'Inquisition », des tortures établies comme « méthode d'interrogatoire dans les procès des hérétiques », des fleuves d'encre ont coulé naguère pour certifier l'autorité du Vatican et l'« infaillibilité » du pape. Des contrefaçons criantes de l'histoire ont, pour cela, été mobilisées : l'affirmation que Pierre, prétendu premier évêque de Rome (alors qu'aucune preuve historique ne vient étayer cette assertion), après avoir eu une primauté de pouvoir sur les autres Apôtres, aurait tout naturellement légué ce pouvoir à ses successeurs au trône de Rome; l'affirmation que Constantin le Grand aurait cédé au Pape l'administration de l'État romain occidental par le biais de droits impériaux (la « donation constantinienne »); l'affirmation que de très anciens canons imposeraient le pape comme chef suprême du pouvoir ecclésiastique mais aussi politique (« les dispositions isidoriennes »), que Cyprien de Carthage, dès le IIIème siècle, aurait proclamé la primauté papale et beaucoup d'autres assertions.

Mais les protestants ont également fait couler beaucoup d'encre pour certifier l'inspiration divine de l'Écriture, l'idée que Dieu ne se révèle, directement, que dans le texte biblique. On a soutenu que les auteurs de la Bible avaient été simplement des intermédiaires passifs, n'ayant eu aucune influence ni sur la composition ni même sur le style ou sur la ponctuation des textes, et qu'ils n'avaient fait que prêter leur main en écrivant de façon mécanique ce que l'Esprit Saint leur dictait. Seule une telle vision rationnelle de l'inspiration divine garantissait, en effet, de façon surnaturelle et incontestable, l'infaillibilité de l'autorité des textes et offrait au croyant la certitude qu'il pouvait posséder du même coup la vérité par la lecture de la Bible.Dans un tel climat, la mise en doute scientifique de la crédibilité historique des Ecritures ou du soutien apporté par la Tradition pouvait saper dans son fondement même la « foi », c'est-à-dire la soumission, envers l'autorité. L'homme occidental devait désormais choisir entre l'athéisme et la mutilation de sa raison, ou bien accepter le compromis que représentait une version censurée du récit évangélique, expurgée de tout élément - surnaturel susceptible seulement d'un usage à des fins moralisantes ou même d'une exploitation politique.

La vie et la praxis de l'Église indivise, de même que sa continuation historique dans la théologie et dans la spiritualité des Églises orthodoxes, ne connaissent ni une ni deux sources d'autorité infaillible. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'elles méconnaissent ou sous-estiment la signification et la valeur de l'Écriture sainte et de la Tradition. Mais elles refusent de séparer la vérité de sa réalisation et de son expérience, de la réalisation de la vie « selon la vérité ». Avant toute formulation, la vérité est un fait : la réalisation historique du mode trinitaire de la « vie véritable », c'est le corps du Christ, l'Église. L'événement de vie que constitue l'Église précède aussi bien l'Écriture que la Tradition - de même que l'enseignement du Christ est précédé par son hypostase divino-humaine, et que, sans cette hypostase de vie, la parole évangélique reste une doctrine peut-être admirable mais hors d'état de sauver de la mort le genre humain.

L'Écriture et la Tradition désignent, sans les épuiser, la vérité et la révélation de Dieu aux hommes. Les mots vérité et révélation ne signifient pas, pour l'Église, un « complément » apporté à nos connaissances et inaccessible par nos méthodes cognitives, scientifiques ou autres - ce ne sont pas des «articles de foi» qu'il nous faudrait accepter de façon péremptoire parce qu'ils nous ont été donnés de façon « surnaturelle » et que nul n'ose les contester. Pour l'Église, la vérité et la révélation se rapportent à Dieu, c'est-à-dire à Celui qui se manifeste aux hommes comme la « vie véritable ». Or la vie ne peut se manifester que comme une réalisation existentielle accessible à l'homme et non pas par des notions qui s'efforcent de la circonscrire. La vérité et la révélation de la vie sont, pour l'Église, le mode d'existence de Dieu, mode incarné dans une personne historique, la Personne du Christ, qui rend libre la vie à l'égard de la mort. Le Christ est «le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14, 6), et il demeure «le même hier et aujourd'hui» (He 13, 8) en tant que chemin et mode d'existence de son corps, l'Église.

Nous connaissons donc la vérité et la révélation, non pas simplement en lisant l'Écriture sainte et les textes « symboliques » de la Tradition, mais en confirmant ces textes par notre participation au mode d'existence de l'Église, dans la voie du modèle trinitaire de la vie. Nous transformons notre approche individuelle des textes en une communion ecclésiale dans la vérité qu'ils nous annoncent. Il n'y a pas, en dehors de cette communion et de ce mode ecclésial d'existence, de vérité ni de révélation, mais seulement des connaissances religieuses, ni pires, ni meilleures, que d'autres types de connaissances. Pour connaître la parole de l'Écriture sainte, nous devons l'étudier telle qu'elle s'incarne dans le Corps ecclésial du Christ, chez les saints et chez nos pères spirituels qui nous « engendrent » dans la vie de la communion ecclésiale.

La lecture de l'Écriture sainte, effectuée dans l'Église indivise et ensuite orthodoxe, est un acte de culte, c'est-à-dire un acte de communion du corps ecclésial. Nous communions avec la parole des Apôtres qui ont été des « témoins » et des « initiés » à la « manifestation » de Dieu (eux qui ont entendu, vu et touché sa révélation historique), nous communions avec eux en lisant leurs textes, non pas comme de simples relations historiques, mais en recevant leur témoignage comme une attestation de la vie et de l'unité du corps eucharistique. Chaque assemblée eucharistique est également une réelle manifestation de la parole évangélique : c'est la réalisation, selon le modèle de l'unité trinitaire, de la vie des hommes, vivants et défunts, au-delà de la corruption et de la mort. Il s'agit là de la Bonne Nouvelle (Évangile) que nous fêtons chaque fois lors de l'Eucharistie en recevant la lecture de la parole des Apôtres comme une confirmation de notre expérience eucharistique immédiate.

Ainsi, la parole évangélique des Apôtres est-elle une parole-manifestation du Christ, non pas du fait que le Christ la leur aurait dictée à travers une « inspiration divine » de type mécanique, mais parce que les Apôtres ont transcrit leur relation de vie réalisée avec lui, relation de vie qui rassemble également, pour en faire une unité, le corps eucha-ristique. Ils ont transcrit la parole-manifestation de cette relation, à savoir : aussi bien l'indication pédagogique des limites et des présupposés de l'union de Dieu avec l'homme, que les événements « signes » révélant le mode d'existence inauguré par cette union.

Lorsque l'Église vit, dans l'Eucharistie, le miracle de la vie libérée de toute nécessité naturelle, alors les miracles du Christ narrés par le récit évangélique n'apparaissent que comme des expressions partielles et des aspects de ce même miracle. Si le miracle fondamental s'accomplit - si le créé peut exister selon le mode de l'incréé - alors aucun autre miracle n'est impossible :« les limites de la nature sont vaincues », et les limitations et les nécessités qui régissent le créé sont abolies. Alors « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts se lèvent » (Lc 7, 22). Les narrations évangéliques des miracles du Christ ne sont pas, pour l'Église, des preuves apologétiques qui portent atteinte à la logique et qui exigent la foi en la divino-humanité du Christ. Ce sont des « signes », c'est-à-dire des indices désignant l'événement que vit l'Église lors de chaque « fraction du pain »: la vie est rendue incorruptible et le mortel, immortel, « comme il sied à Dieu ».

Christos Yannaras (extrait de "la foi vivante de l'Eglise", éditions du Cerf, 1989)

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Le Christ et le silence

Publié le par Christocentrix

Pendant trois ans, le Christ a travaillé publiquement, prononcé des paroles extérieures, fait des miracles visibles, mené la lutte pour le royaume de Dieu, dans le monde des hommes et des choses. Pendant les trente ans qui précèdent il a gardé le silence. Et encore faut-il dire que d'importants fragments de sa vie publique ont appartenu à la vie intérieure, puisque les évangiles, qui ne disent pas tout, nous conduisent dans leurs récits, avant d'importants événements, « dans la solitude » ou « sur la montagne », où Jésus priait et prenait ses décisions. Pensons entre autres, à l'élection des apôtres et à l'heure de Gethsémani. On peut dire que l'action extérieure de Jésus est tout enveloppée de silence intérieur. Ce fait établit une loi valant pour la vie de foi en général. Plus la lutte est violente, plus la voix est élevée, plus les oeuvres et organisations sont poussées et voulues, plus il est nécessaire de s'en souvenir.

Le moment viendra où les choses bruyantes se tairont. Tout ce qui est visible, tangible, perceptible, paraîtra devant le tribunal de Dieu. Ce sera la grande transformation qui aura lieu. Le monde extérieur s'imagine facilement qu'il est le monde tout court, que le monde intérieur n'est qu'un faible épiphénomène, voire un refuge pour l'homme incapable de remplir sa tâche principale. Un jour tout sera mis au point. Ce qui se tait aujourd'hui, apparaîtra alors comme fort, ce qui est caché, comme décisif. L'intention sera jugée plus importante que la réalisation; l'être pèsera plus lourd que le paraître ... Mais ce n'est pas encore tout à fait cela. L'intérieur et l'extérieur seront une même chose. L'extérieur sera réel dans la mesure où l'intérieur le justifiera. Ce qui n'est qu'extérieur se désagrégera. N'entrera dans la création nouvelle et éternelle, que ce qui a des racines intérieures et une vérité intérieure.

 

 

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les Evangiles sont des reportages

Publié le par Christocentrix

les Evangiles sont des reportages 
par Marie-Christine CERUTI-CENDRIER, Téqui, 1997.


Depuis quelques décennies, de savants exégètes essaient de démontrer, avec force ingéniosités intellectuelles, que les Évangiles seraient des écrits tardifs. Une façon comme une autre d'en contester l'authenticité.

Les procédés de ces « nouveaux exégètes » sont d'autant plus regrettables qu'en jetant le doute sur les auteurs du Nouveau Testament ainsi que sur l'historicité de ce qu'ils rapportent, ils en arrivent à vider le message évangélique de sa substance.

C'est pourquoi, reprenant les arguments de ces exégètes « démythisateurs », l'auteur, Marie-Christine Ceruti-Cendrier, les analyse ici un à un avec pédagogie, compétence, simplicité et force. Elle démonte patiemment les procédés utilisés, les « formules-langue-de-bois » qui ne cachent que du vide, les arguments d'autorité qui ne reposent en définitive que sur la bonne foi du lecteur... Bref, sont mis à jour dans ces pages, les divers moyens utilisés par toute une "intelligentsia", pour amener catéchistes, formateurs ou simples lecteurs des Évangiles, à une relecture, en réalité profondément « idéologique », de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ.

Un outil précieux, facile à lire, à mettre entre les mains de tous ceux qui veulent comprendre ou faire connaître les Écritures.

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Porter témoignage à la vérité

Publié le par Christocentrix

Quand on se penche sur un berceau, pour y regarder un nouveau-né, ce petit corps froissé et frileux qui bouge drôlement et qui contient une âme immortelle encore assoupie dans l'inconscience, une question surgit instantanément à l'esprit : Que sera cet enfant? Quelle destinée l'attend? Quelle est sa mission en ce monde?

Voici qu'au jour de Noël, un chant éclate dans les églises, qui convie les chrétiens près d'une crèche d'étable, où dort sur de la paille, entre le boeuf et l'âne, un tout petit enfant ; Puer natus est nobis. Un enfant est né pour nous. Or cette naissance au milieu de la nuit d'un Enfant-Dieu, pose une tout autre question que la naissance des autres fils des hommes. Dans les moments de désespoir et comme une suggestion mauvaise de l'Ennemi, un cri surgit des profondeurs de notre désolation : « Après tout, ce n'est pas moi qui ai demandé de naître et de vivre ».

Eh! bien, regardons le petit Jésus dans sa crèche : le voici parmi nous comme l'un de nous, livré à la souffrance, à l'angoisse, aux larmes, à la mort; mais lui, il a demandé à naître et à vivre. Dieu, il ne lui manquait rien, il eût pu ne jamais venir : il n'en eût pas été moins heureux; il n'était pas obligé de naître dans cette vallée de larmes : c'est bien lui qui l'a choisi et qui a tout préparé pour naître : et le temps, et le lieu, et sa race, et sa mère. La question que nous pose cet enfant n'est pas : que deviendra-t-il? mais, puisqu'il a choisi de naître parmi nous, pourquoi?

A cette question, Jésus lui-même a répondu. Pour donner à sa déclaration un caractère plus solennel, il a choisi le moment de sa condamnation à mort, au tribunal de Pilate, pour expliquer officiellement sa naissance et sa venue en ce monde : « Je suis né pour ceci, et je suis venu au monde exprès pour ceci : porter témoignage à la vérité ».enfant Jésus crêche

Dès sa mystérieuse naissance, ce petit enfant entre les bras de sa mère, une pauvre jeune fille éclatante de pureté, ce petit enfant est un témoin et il n'est là, parmi les enfants des hommes, que pour rendre témoignage à la vérité.

Qu'est-ce qu'un témoin? C'est une personne, parfaitement informée d'une chose que les autres ignorent, qui révèle cette chose cachée et qui en fournit la preuve par l'autorité de sa parole. Rien n'est plus juste que de dire de l'Enfant-Jésus qu'il est un témoin et que sa nativité temporelle a pour effet de le mettre à même de rendre son témoignage. La vérité cachée naturellement à nos esprits et dont il est venu rendre témoignage, c'est Dieu même, Vérité subsistante dans l'excellence de sa nature intime, l'ineffable société du Père et du Fils et de l'Esprit-Saint, égaux en puissance et en majesté dans l'unique substance divine, et se révélant à nos intelligences dans la foi, et se donnant à nos âmes par la charité, et nous associant éternellement à leur béatitude, Dieu avec nous, Dieu pour nous, dans l'adhésion définitive de tout ce que nous sommes à ce que Dieu est.

On exige d'un témoin trois qualités:

La première est que le témoin connaisse bien ce dont il parle. Qui peut témoigner de Dieu, retiré dans une lumière inaccessible et dans l'inviolable secret de son silence, ce Dieu inconnu dont saint Jean a dit :« Nul ne l'a jamais vu » ? Mais il ajoutait :« Le Fils lui-même nous en a parlé ». Pour connaître Dieu et pour en parler, il faut être Dieu. Ce petit enfant est Dieu même, par nature, Dieu dans sa révélation substantielle, le Roi des Anges qui subjuguera par ses miracles, le ciel, la terre et les enfers, qui pardonnera aux hommes leurs péchés et qui ressuscitera du tombeau par sa puissance propre. Ce petit enfant qui dort dans une mangeoire de bestiaux, ce n'est pas seulement un messager de Dieu, on son représentant, ou son Prophète, c'est son Fils; non pas un fils inférieur et adoptif, mais le Fils de nature, égal au Père, lui-même substantiellement Dieu et il n'y a pas de Dieu en dehors de lui : Dieu, dans la plénitude et le riche écoulement de sa gloire. Tous les anges ne suffiraient pas à m'apprendre ce qu'est Dieu, tous les philosophes non plus; et pour une si haute vérité, je ne voudrais croire ni les anges ni les philosophes, c'est ce petit enfant qui me touche et qui me convainc de la vérité et de l'amour de mon Dieu. Il est à lui seul la preuve de ce qu'il vient affirmer; que dis-je, il est lui-même l'inéluctable affirmation de l'amour de Dieu, du don de Dieu et de sa révélation. Jésus est la manifestation de Dieu, son épiphanie, Dieu nous aimant et se découvrant à nous, Dieu devenu nôtre. Ce n'est plus cet être immense et comme abstrait des philosophes. Ce n'est plus ce dur législateur des Juifs qui écrivait ses commandements sur la pierre et courbait sous son joug inflexible des nuques rebelles. Notre Dieu chrétien est un Dieu fait homme, né innocent d'une vierge innocente, terrible aux démons, mais secourable aux pécheurs, un Dieu tout proche et familier par ses sacrements et par l'Eucharistie, et qui a consommé le témoignage de sa vérité divine en versant tout son sang sur la croix.

Une autre qualité exigée d'un témoin est qu'on puisse le comprendre. A quoi vous servirait-il que je sois bien informé si je ne parle pas la même langue que vous? Jusqu'ici Dieu avait choisi des intermédiaires pour parler aux hommes. Les Juifs disaient à Moïse : « Toi, parle-nous, mais que Dieu ne nous parle pas, de peur que nous mourrions. » Si, pour bien connaître Dieu, il faut être Dieu, pour savoir bien parler aux hommes, il faut être l'un d'entre eux. Et c'est ce qui est arrivé. Dieu s'est fait homme pour se faire le plus saisissable possible. Ce petit enfant nous suggère Dieu absolument, en cachant sous le voile de sa faiblesse l'éclat redoutable de sa majesté. Dieu s'est humanisé, il a pris une nature humaine complète, corps et âme, un corps en chair et en os, non l'apparence d'un fantôme; une âme intelligente et libre, comme chacune de nos âmes. Cet enfant est bien de notre race: il le prouve en naissant d'une femme, vierge il est vrai; il le prouvera en souffrant et en mourant pour nous faire comprendre ce qu'est Dieu et comme il nous aime. Principium, qui loquor vobis. Oui, ce petit enfant est né tout exprès pour nous raconter Dieu, et dans son babil, c'est Dieu qui se met à notre portée. En cet enfant plein de grâce et de vérité, c'est notre misérable nature humaine qui se hausse jusqu'à témoigner Dieu, d'un témoignage fidèle jusqu'à la présence réelle de ce qui est affirmé, au point que ce petit qui dort entre les bras de la Vierge Marie, c'est la Vérité divine elle-même.

Mais ce qui fait l'importance d'un témoin, c'est la dignité et l'autorité de sa personne : c'est proprement cela qui fait la vérité du témoignage, qui ajuste, dans l'esprit de celui qui écoute, ce qui est dit à ce qui objectivement existe. Accorderons-nous tant d'importance à ce témoignage? Tous les tribunaux du monde récusent l'autorité d'un enfant. Mais la personne de cet enfant-ci n'est pas, comme celle des autres enfants, enfouie dans l'obscure imprécision de l'inexpérience, elle est déjà ce qu'il y a de plus parfaitement formé au monde, ce qu'il y a de plus digne et de plus élevé : elle est d'une excellence infinie parce que divine et il y aurait blasphème à la récuser. Jésus est Dieu en personne. Pour donner du poids à son témoignage, quelqu'un donne sa parole que ce qu'il dit est vrai, et aux yeux des hommes d'honneur, cette parole l'engage tout entier. Pour corroborer son témoignage, Dieu nous a donné sa Parole, et il est impossible de concevoir à quel point il s'est engagé ainsi jusqu'aux plus extrêmes limites du don de lui-même, car cette parole elle-même est divine. La Parole de Dieu est le Fils même de Dieu et c'est ce Verbe éternel qui possède à la fois, dans l'absolue simplicité de sa personnalité, la nature divine et la nature humaine; il s'unit substantiellement ces deux natures, sans les amoindrir ni les confondre, mais à la perfection de chacune. enfant JésusLe noeud du mystère du Christ est dans cette unité foncière, malgré l'infinie diversité des natures. Cette unité vient tout entière de l'excellence du Moi divin qui peut s'approprier une nature créée et en gérer réellement toutes les fonctions. Au point que cet enfant qui rit et pleure comme tous les enfants des hommes, et qu'une toute jeune maman au regard indiciblement pur nourrit de son lait, c'est la parole de Dieu inscrite dans une chair humaine, Dieu se livrant et s'exprimant dans une confidence substantielle de lui-même. Nous n'avons besoin ni de Moïse, ni des tables de pierre de l'Ancienne Alliance : comment ne comprendrions-nous pas désormais le langage de Dieu?

Dans le christianisme il n'y a pas, d'un côté le Christ, né il y a deux mille ans à Bethléem, mort en croix à Jérusalem, ressuscité et monté aux cieux; et puis d'un autre côté les chrétiens qui vont à la messe le dimanche et qui paient le denier du culte. Non, le christianisme est tout entier en Jésus, absolu, achevé, complet dans ce petit enfant que la Vierge Marie nous présente. On ne devient et on n'est chrétien que dans la mesure où on s'incorpore, d'une manière mystique mais très réelle, à la vie unique et suffisante de Jésus. Pour une raison grave on peut être dispensé de l'assistance à la messe le dimanche ou de l'abstinence le vendredi, mais le Pape lui-même ne pourrait dispenser un chrétien de croire en Jésus, d'espérer en Jésus et d'unir son coeur au Coeur Roi et Centre de tous les autres. Si nous n'avons pas demandé à naître, du moins nous savons bien ce pour quoi nous sommes nés, ce pour quoi nous vivons et pourquoi nous mourrons. Que l'Enfant-Jésus nous délivre à jamais des pensées absurdes et du désespoir : lui qui a voulu naître et vivre et mourir pour rendre témoignage à la vérité divine qu'il incarne, il nous apprend que nous avons à rendre le même témoignage, et cela peut-être jusqu'au sang, car témoignage veut dire martyre. Notre vie et notre mort sont entre nos mains : ou bien nous pouvons les dissiper en pure perte, sans utilité ni but; et que nous servirait de gagner l'univers, si nous négligeons de connaître, d'aimer et de mériter Dieu en Jésus? La vie et la mort nous ont été données pour nous conformer à ce mystère central du christianisme, qui est la vie et la mort du Seigneur Jésus.

Une grande clarté a éclaté dans la nuit pour ceux qui ont le coeur droit. Vivons et mourons dans la clarté de ce témoignage, clarté même de Dieu resplendissant sur la face adorable de Jésus.2600176464_31c21400eb_m.jpg

 

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Connaissance de Jésus-Christ

Publié le par Christocentrix

La connaissance de Jésus-Christ est la condition première de la vie chrétienne...
Cette connaissance progresse avec le progrès de la vie chrétienne, jusqu'à la vue du Seigneur Jésus dans la gloire de son Père, qui est la joie éternelle du ciel.

Aujourd'hui, appliquons-nous à bien discerner les moyens que nous avons d'entrer et de progresser dans la connaissance du Christ Jésus.

Nos moyens de connaître vraiment le Christ se ramènent tous à des exercices de la vertu théologale de foi, dans la sainte liturgie et dans des actes privés ; mais la foi doit être servie par l'étude, la méditation et la prière, par l'exercice de toutes les vertus chrétiennes et des dons du Saint-Esprit. C'est ce que nous allons tâcher de bien comprendre.

II est d'importance toute première de reconnaître que la vraie connaissance de Jésus-Christ est le fait de la foi, de la vertu théologale de foi.

Connaître Jésus par la seule investigation humaine des souvenirs qu'a laissés sa vie terrestre et par la considération humaine de l'influence qu'Il a exercée et exerce, cela peut disposer à Le regarder avec une attention de plus en plus interrogative ; cela ne peut certes pas donner plus que ce qu'ont eu ses contemporains qui L'ont vu vivre et qui ont entendu directement sa parole ! Or, beaucoup de ceux-là ne sont pas arrivés à savoir vraiment qui Il était.

Présenter tout ce que peut avoir d'attirant pour des humains l'humanité du Christ, faisons-le. Mais nous ne pouvons pas penser que nous Le présenterons mieux qu'Il ne s'est Lui-même manifesté. Il faut autre chose qu'un regard seulement humain, que ce que Lui-même et son apôtre Paul appellent Le connaître selon la chair (Cf. Mt 16, 17 ; 2 Co 5, 16), pour pénétrer qui Il est, et quelle est son oeuvre.

Plusieurs fois, Jésus a distingué explicitement entre Le voir - d'un regard humain -, voir ainsi ses oeuvres, ses miracles, et croire en Lui ; et Il a fait constater que Le voir n'entraînait pas nécessairement croire en Lui. (Cf. Jn 6, 36, 40 ; 15, 24.)

Sans cesse ce qu'Il demande, ce à quoi Il attache la promesse de son action, de la vie éternelle et de la résurrection avec Lui, c'est que l'on croie en Lui.

Mais qu'est-ce que croire en Lui ? Il est nécessaire que nous fassions ici une étude de ce qu'est la foi chrétienne.

Tout le monde parle en effet aujourd'hui d'une crise de la foi chrétienne. Mais, ne nous y trompons pas, la crise va jusqu'à ce point : la notion même de « foi » s'est obscurcie chez les chrétiens. Même parmi ceux qui professent appartenir à l'Église, tous ne donnent plus au mot « foi » la même signification.

Certes, les grands textes récents du Magistère de l'Eglise ( tant catholique qu'orthodoxe) gardent sans changement la notion de la foi comme l'ont eue les siècles antérieurs. Voici cette notion de la foi explicitée : « Cette foi, qui est le commencement du salut de l'homme, l'Église universelle professe qu'elle est une vertu surnaturelle, par laquelle, Dieu nous attirant et nous aidant de sa grâce nous croyons que ce qu'Il a révélé est vrai, non parce que la vérité intrinsèque de ces choses serait perçue à la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l'autorité de Dieu Lui-même qui révèle, et qui ne peut ni se tromper ni tromper. » ceci est conforme à la définition de la foi qui se lit dans l'Épître aux Hébreux (11,1): « La foi est en effet, au témoignage de l'Apôtre, la substance de ce que nous devons espérer, la certitude de réalités qu'on ne voit pas. »

La foi chrétienne est ainsi en essentiel rapport avec une révélation faite par Dieu de vérités inaccessibles à la raison naturelle.

De quelle sorte sont ces vérités, inaccessibles à notre raison, et que Dieu nous a révélées ? « Par la divine révélation, Dieu a voulu manifester et communiquer Lui-même et les éternels décrets de sa volonté concernant le salut des hommes, pour que soient participés les biens divins qui surpassent totalement l'intelligence de l'esprit humain. ». L'unité que la révélation divine tient de sa finalité est ici très fortement marquée. Or, la finalité de la Révélation, et son unité, voilà ce qui nous fait profondément comprendre ce qu'elle est, et ce qu'est la foi qui l'accueille. Réfléchissons-y donc.

Dieu a librement, gratuitement voulu que soient partagés par des créatures les biens divins qui surpassent infiniment l'intelligence humaine, comme d'ailleurs toute intelligence créée ou créable. Voilà la finalité, très proprement sur-naturelle, qui explique la Révélation, elle aussi surnaturelle.

Quelle plénitude de signification il faut reconnaître aux mots « les biens divins » dans la phrase que nous venons de lire et qui insiste sur la finalité de l'oeuvre divine. « Il a plu à Dieu de Se révéler et de faire connaitre le secret de sa volonté, en vertu duquel les hommes sont rendus participants de la nature divine »... « Par cette Révélation, Dieu s'adresse aux hommes et s'entretient avec eux pour les inviter et les admettre à entrer en société avec Lui»... Le Père éternel a décidé d'élever les hommes au partage de la vie divine »... « ce dessein de la charité de Dieu le Père », en nous disant « qu'Il nous a librement créés, et que de plus Il nous a appelés par grâce à partager avec Lui sa vie et sa gloire ».

Ainsi donc, nous donner en partage les biens divins, cela va jusqu'à nous élever, dans notre être, par la grâce, à une réelle assimilation à la nature même de Dieu ; ce qui nous permet de partager vraiment la vie qui est celle de Dieu.

« Dieu c'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu ». l'homme est appelé à vivre en Dieu, à partager Sa gloire, à être uni à Lui, à devenir par la grâce ce que Dieu est par nature. Il s'agit d'une union avec Dieu par les énergies divines, union mais non fusion ou confusion. Le Christ a pris notre nature pour nous faire communier à la Vie divine et nous rendre « participants de la nature divine » (2 Pierre 1,4), participation aux énergies et non à l'essence de Dieu.

La déification est le processus par lequel l'homme croît en Dieu de gloire en gloire. Les justes seront déifiés au Dernier Jour, mais le processus doit commencer dès maintenant en aimant Dieu, en observant ses commandements. Le chrétien est aidé en celà par sa vie dans l'Eglise et par les sacrements.

La déification est non seulement un libre don de l'Esprit Saint, mais demande la coopération de l'homme, c'est donc nécéssairement un processus dynamique impliquant des degrés de communion avec Dieu et une "religion" de l'expérience personnelle.....


Toutes les différences entre le véritable christianisme et ses déformations humaines ont là leur racine : Dieu a-t-Il voulu nous élever à partager sa propre vie, ou bien ses interventions par le Christ et par l'action de son Esprit ne font-elles que promouvoir la vie humaine, qu'on qualifiera de divine si elle est seulement plus humaine ? On peut encore aller plus profond en disant : la vie de Dieu, qu'est-ce que cela pour nous ? Admettons-nous que Dieu a en Lui-même une vie infinie tout à fait indépendante de la création, et qu'ayant très librement voulu créer, Il a appelé les créatures intelligentes à une élévation par grâce au-dessus de leur nature, élévation qui leur permet de communier à Sa vie divine infinie, éternelle ? Ou bien, limiterons-nous notre connaissance du Dieu vivant à la connaissance d'une action divine dans le monde, dans l'humanité, qui pourrait nous porter à travailler à une sur-humanité, mais toujours seulement dans un développement indéfini de la création ?

Si Dieu n'est connu de nous que dans l'expérience de notre existence humaine, de notre activité en ce monde, il n'est pas de révélation surnaturelle à proprement parler, mais une sorte de révélation immanente à la vie de l'humanité. La foi est une sorte d'intuition d'un sens de l'existence, ou simplement une option en laquelle s'engage notre personnalité. Jésus, considéré soit dans les souvenirs laissés par son existence terrestre, soit dans la représentation de Lui qui se serait formée après sa mort au sein de la première communauté de ses disciples, soit dans l'idée que soi-même on se fait de Lui, serait alors un exemple éminent d'engagement total, sans réserve, sans faille, au service du progrès humain. Et l'on pourrait ainsi suivre l'exemple du Christ en ayant, par l'évolution de la société et par l'option propre, une conception du progrès humain fort différente de celle qui était la sienne, mais en s'engageant à fond comme on suppose qu'Il s'est engagé, Lui, en un don total.

Mais si Dieu a en Lui-même une vie infiniment distincte du développement des créatures, vie proprement divine dans le partage de laquelle Il a voulu nous introduire, tout est autre.

Dieu, alors, a dû nous faire connaître sa vie par une révélation proprement dite. Cette révélation, l'Église nous dit qu'elle a eu deux objets, qui sont en intime connexion : ce que Dieu est en Lui-même et son très libre dessein de nous appeler au partage de sa vie.

Sur Dieu, la Révélation nous garantit d'abord ce que notre raison peut déjà découvrir de l'Être suprême, au spectacle de la création ; à savoir que Dieu est, et qu'Il est un mystère infiniment supérieur à ce que n'importe quelles créatures peuvent manifester de Lui. Mais, de ce mystère divin, la Révélation nous donne déjà quelque aperçu, tout à fait inaccessible aux forces naturelles d'une intelligence finie, afin précisément de nous offrir l'entrée à l'intérieur des profondeurs de Dieu.

Simultanément Dieu nous révèle son appel à entrer dans son intimité, et les voies qu'Il a choisies pour nous y introduire. La véritable foi est l'adhésion à cette révélation surnaturelle.

On entend dire bien trop souvent aujourd'hui que la vraie foi est un engagement de tout l'être, de toute la vie. Ce sont là des formules que l'imprécision rend inexactes et très dommageables.

Il est vrai que la foi nous fait connaître l'appel divin à ordonner toute notre vie pour la marche avec nos frères vers le ciel de Dieu. Elle est donc normalement la racine d'une vie qui est à vivre tout entière dans l'espérance et la charité.

Mais la foi, nous le disions il y a un instant, est en elle-même tout autre chose qu'un engagement dans une action, une option de la personne. Elle est adhésion à des vérités : Dieu est vivant au-dessus du monde et Il nous appelle au partage de sa vie. Adhérer à des vérités, c'est essentiellement un acte de l'intelligence, de cette faculté par laquelle nous tenons ce qui est comme étant vraiment.

La foi est essentiellement acte de l'intelligence qui tient des vérités. Mais les mystères, les secrets divins, que sont ces vérités présentées à notre foi, n'étant pas évidents en eux-mêmes à la lumière de notre raison, notre intelligence n'est pas contrainte par l'évidence, elle ne peut adhérer à ces mystères que parce qu'elle a reconnu qu'il était bien d'y donner son adhésion en raison du témoignage de Dieu. L'intelligence, dans l'acte de foi, est donc sous la motion de la volonté, faculté par laquelle nous choisissons ce qui est bien.

Cet acte complexe qu'est l'acte de foi à la révélation de Dieu suppose plusieurs conditions.

1° - Pour qu'accueillir ces affirmations qui dépassent notre raison ne soit cependant pas contre la raison, mais éminemment raisonnable, il doit y avoir des arguments solides rendant croyable que nous sommes en présence d'un témoignage venant de Dieu même, et donc que ce qui nous est présenté par l'Église comme messages d'envoyés de Dieu, et du Christ-Dieu Lui-même est bien infiniment autre chose qu'une splendide invention humaine. Car une invention des hommes, même en considérant que leurs puissances de vie humaine viennent de Dieu, devrait toujours être appréciée, contrôlée, à la seule lumière de la raison humaine. Nous devons au contraire avoir des arguments rendant croyable que nous nous trouvons devant une révélation surnaturelle venant de Dieu même, en présence de laquelle notre raison doit s'incliner avec reconnaissance. Ces arguments de crédibilité, ce sont « des faits divins et surtout des miracles et des prophéties, qui, parce qu'ils montrent clairement en eux la toute-puissance et la connaissance infinie, qui sont le propre de Dieu, sont des signes certains, et adaptés à l'intelligence de tous, que la révélation qu'ils accréditent est bien de Lui. ». Ainsi, tout ce que nous connaissons de Jésus pendant sa vie terrestre, et les miracles qu'Il répandit et la manière dont II réalisa les prophéties, puis surtout la manière dont Il mourut, et sa glorieuse résurrection, et la pérennité de foi et de sainteté dans son Église, malgré toutes les déficiences humaines, tout cela est argument de crédibilité, à la condition qu'on remarque bien ce qui se manifeste là d'infiniment supérieur à la nature, de divinement miraculeux.

2°- Parce que la Révélation nous appelle à une destinée qui répond certes aux plus profondes aspirations de notre nature, mais qui y répond suréminemment, d'une manière surnaturelle, que le coeur de l'homme n'oserait par lui-même désirer, l'accueil de cette Révélation suppose, même chez ceux qui n'ont pas encore la foi, une dilatation du coeur, une ouverture de la volonté à entendre seulement parler d'une telle destinée divine. Cette ouverture du coeur pour l'attention à la prédication surnaturelle et aux arguments de crédibilité est déjà l'effet d'une grâce de Dieu.

3° - Enfin, par la grâce de foi proprement dite, l'intelligence est divinement éclairée et la volonté divinement attirée de sorte que, dans la Révélation présentée par l'Église, l'âme entend avec une certitude surnaturelle, non une parole des hommes, mais la parole du Père qui nous veut dans sa propre lumière. Alors les arguments de crédibilité ne sont plus seulement satisfaisants pour la raison, ne lui permettent plus seulement de s'incliner sans se nier elle-même ; mais ils baignent dans la lumière du témoignage divin, qu'ils accompagnent comme des signes bien adaptés ; ainsi les miracles, les prophéties sont certainement reconnus comme manifestations du dessein divin d'accomplir le salut spirituel des hommes.

La grâce de foi fait adhérer à la Révélation tout entière parce que celle-ci est tout entière garantie par la même autorité de Dieu qui révèle.

Et lorsque cette grâce de foi au Père des cieux, qui se découvre pour nous appeler, a été ainsi donnée, elle n'est jamais retirée que pour une faute portant directement contre cette foi filiale. En vérité, on ne « perd » pas la foi comme malgré soi ; on peut seulement avoir le malheur de s'y refuser.

Mais, tant qu'on ne se refuse pas à la foi dont on a reçu la grâce, les fautes, même les plus graves, ou l'accumulation des fautes contre les obligations de la vie chrétienne ne font pas, de soi, perdre la grâce de croire que Dieu s'est révélé et nous appelle. On peut même pécher contre l'espérance, désespérer d'être relevé par la miséricorde de Dieu, et croire encore à la Révélation qu'Il a faite de Lui-même et des voies de salut. Sans doute, il y a grand danger, si l'on ne vit pas selon la foi, de finir par penser comme on vit et de se refuser ainsi à la foi. Mais qu'on y fasse attention - que, dans l'intention d'affirmer les devoirs des croyants, on ne bloque pas foi et vie chrétienne, au risque d'éteindre, chez ceux qui n'ont pas le courage de se conduire en chrétiens, la faible lumière de la foi qui peut demeurer au fond d'eux-mêmes ; celle-ci reste un signal les appelant au retour dans l'espérance et la charité !

Ayant rappelé ce qu'est exactement la vertu théologale de foi, nous comprenons mieux que l'exercice de cette foi à Dieu qui se révèle est le moyen propre de connaître qui est le Christ Jésus, Verbe Fils éternel du Père, envoyé en ce monde par l'Incarnation pour nous faire entrer dans le partage de la vie du Père.

Jésus l'a affirmé avec force: « Nul ne connaît le Fils - nul ne sait qui est le Fils - si ce n'est le Père. » (Mt 11, 27, Lc 10, 22.) De là résulte ce que Jésus nous a dit encore : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire. » (Jn 6, 44.) L'apôtre saint Paul dira de même : « Nul ne peut dire Jésus est Seigneur que dans le mouvement de l'Esprit-Saint. » (1 Co 12, 3.)


Il nous reste à savoir comment la foi doit s'exercer pour que progresse en nous la connaissance du Seigneur Jésus.

Puisque la foi est l'adhésion à la Révélation divine, elle s'exerce et progresse dans la contemplation aimante de cette Révélation.

Notons bien que, parce que la foi est ce que nous avons dit, c'est-à-dire l'adhésion aux vérités que Dieu nous a révélées pour nous attirer à son intimité, sa culture propre, c'est la contemplation pleine d'amour du vrai Dieu vivant. Foi théologale et contemplation chrétienne sont essentiellement liées.

La contemplation aimante de Dieu qui se révèle se nourrit de la Parole de Dieu, de la Parole qui est consignée dans les Livres saints et transmise par la Tradition apostolique, et de la Parole substantielle vivante qui est le Verbe éternel Lui-même, se présentant dans la chair assumée par Lui pour que, Le voyant, nous voyions dès ici-bas le Père. (Cf. Jn 12, 45 ; 14, 9.) ,

La culture de la connaissance du Christ par la foi se fait donc par le contact fréquent avec les Textes saints et les enseignements du Magistère de l'Eglise ; mais aussi, et plus encore, par le contact avec le Christ Lui-même dans les sacrements, très spécialement par la rencontre de sa vraie Chair et de son Sang dans le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie. Ces deux sortes de contacts avec la Parole de Dieu, avec la Révélation de Dieu, se renforcent l'un l'autre.

Et nous ne devons pas oublier, certes, la rencontre du Christ que nous trouvons dans la fréquentation particulière de la Mère de Dieu ( Théotokos) et de tous ses saints, car tous ont vécu de Lui et en vivent actuellement dans la gloire, d'où ils agissent sur nous.

Pour ce qui est de la fréquentation des Textes saints, sachons bien toujours y chercher précisément la connaissance du Christ Seigneur et Sauveur. De l'Ancien Testament, Jésus nous a dit : « Les Écritures rendent témoignage de moi » (Jn 5, 39 ; Cf. Ac 10, 43.); et au soir de Pâques, lui-même conversant avec les disciples qui allaient vers Emmaüs - et par eux instruisant l'Église - nous apprit à comprendre tout ce que Moïse et les prophètes avaient dit de Lui.(Lc 24, 27, 32 ; Cf. ibid. v. 44-46.). Quant au Nouveau Testament, on peut lui appliquer en sa totalité ces mots de l'Évangile de saint Jean : « Ces choses sont écrites pour que vous croyiez que Jésus est le Christ Fils de Dieu, et pour que le croyant vous ayez la vie en son Nom. » (Jn 20, 31 ; Cf. 1, 3-4.)

La contemplation, dans la foi, du Christ, notre divin Sauveur, soit par l'audition de la Parole de Dieu soit par l'union à la sainte humanité du Verbe fait chair, doit s'accomplir et dans la participation à la sainte Liturgie et dans des actes privés.

Dans les deux cas, la fréquentation du Seigneur, qui accroît la connaissance que nous avons de Lui, doit être acte très personnel de chaque chrétien et acte accompli en union avec tout le Corps mystique du Christ. Mais, dans la célébration des offices liturgiques et surtout du Saint-Sacrifice, nous rencontrons plus directement le Christ alors qu'Il continue d'enseigner son Église, qu'Il prie avec elle, particulièrement de la prière des Psaumes, et qu'Il s'offre avec elle tout entière en sacrifice pour la sanctifier, la faire entrer là où Il est, en la gloire du Père. Dans les actes de piété privés, nous apprenons davantage la configuration propre de chacun de nous à Lui, comme il veut la réaliser pour constituer d'une magnifique variété l'unité de son Corps mystique.

Tous ces exercices de la contemplation; liturgique ou plus secrète, du Christ Jésus doivent être préparés. Ils doivent être préparés, selon les capacités de chacun, par une étude attentive de la doctrine, de la théologie, surtout quant à la Très Sainte Trinité, à l'Incarnation, à la Rédemption, au Salut ; - puis par l'étude directe de la Bible ; - par l'étude aussi des plus grands écrits des saints, ces intimes du Christ.

Mais sachons bien qu'il y a devoir strict de ne pas faire ces études - surtout celle de l'Écriture inspirée- comme des études profanes et par la curiosité naturelle de savoir. Le résultat serait à coup sûr l'aveuglement, à moins d'une grâce exceptionnelle de miséricorde. Soyons logiques : nous savons que nous sommes en présence d'une révélation divine qui dépasse infiniment notre raison ; c'est seulement à qui cherche le Père avec humble respect de son mystère, que le Fils Le révèle en se révélant Lui-même et en donnant l'Esprit-Saint.

Toutes les études de la Révélation doivent être de religieuses méditations ; elles doivent être accompagnées d'humbles et instantes prières pour que Dieu nous montre son salut -(Cf. Ps 84, 8); elles doivent baigner dans la prière et devenir ainsi de divines conversations.

La prière pour la connaissance du Christ Sauveur sera une prière de l'esprit, du coeur, des lèvres et du corps, vraiment une prière de tout notre être, qui avec le secours des lumières et des grâces déjà reçues s'efforce de se conformer, se laisser configurer chaque jour davantage au Christ ; cela par la pratique de toutes les vertus chrétiennes, surtout les vertus les plus proprement chrétiennes, des vertus évangéliques d'humilité, de pauvreté, de douceur, de charité miséricordieuse envers tous.

Si nous vivons toujours plus de la divine charité du Christ, nous sentirons bien que c'est Lui qui nous forme par son Esprit-Saint, et nous pourrons dire avec saint Paul : « Je vis, mais ce n'est pas moi, c'est le Christ qui vit en moi. »(Ga 2, 20.) Nous Le connaîtrons donc, avant de Le voir face à face en sa gloire, déjà ici-bas par une expérience d'amour qui est l'exercice des dons de l'Esprit-Saint, des dons de l'Esprit de la charité divine. Une telle expérience nous aide à discerner en toute leur pureté et leur divine profondeur les vérités de la foi ; c'est le don d'intelligence. Elle nous aide à regarder avec le Christ la misère de ce monde à sauver ; c'est le don de science. Elle nous aide à goûter toute la plénitude du divin dessein de salut par le partage de la vie du Père avec le Fils éternel ; c'est le don de sagesse. Cette même expérience de la charité du Christ nous fait connaître intimement la sainte humanité de Jésus en nous conformant à elle par les dons de conseil, de piété filiale, de force jusque devant la mort et le martyre si Dieu le veut, de filial et très intime respect de la majesté de Dieu.

 

 

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les partis contre Jésus (3 - fin)

Publié le par Christocentrix

Le procès juif.

Le Sanhédrin est convoqué à la hâte, la nuit, pour juger le Sauveur. Pour les divers éléments qui composent l'Assemblée, nous le savons déjà, un mobile important de leur haine contre Jésus était leur attachement aux intérêts nationaux qu'il leur paraissait méconnaître. Nous en trouvons de nouveaux indices dans le motif invoqué pour porter la sentence de mort.

Comme les faux témoins qui formulent l'accusation de blasphème contre le Temple n'arrivent pas à se mettre d'accord et qu'il n'est pas possible de trouver un prétexte juridique, tant soit peu plausible, Caïphe recourt au procédé qui lui a si bien réussi quelques jours plus tôt : il fait appel au sentiment national de ses collègues, et il pose la question précise : « Es-tu le Christ? », c'est-à-dire en langage juif : Prétends-tu avoir mission de par Dieu de gouverner son peuple et de le délivrer du pouvoir étranger?

 Et, comme Caïphe s'y attendait et le souhaitait, Jésus répond affirmativement.

 Comment! ce petit ouvrier d'un village de Galilée, les mains liées à la merci des valets des Princes des Prêtres, ose assumer la dignité suprême du Roi-Messie! Comment accomplira-t-il la première fonction de son rôle, la délivrance d'Israël? Ne sait-on pas d'ailleurs qu'il s'en désintéresse? Si on ne le lui reproche pas en face, c'est sans doute parce que les oreilles ennemies écoutent et qu'il faudra tout à l'heure affirmer le contraire chez Pilate, précisément pour faire expier à ce faux messie sa trahison.

Caïphe et ses assesseurs ne peuvent pas ignorer les raisons pour lesquelles le peuple des rues, quelques jours auparavant, l'a acclamé pour Messie et même, dans le tribunal, quelques-uns le vénèrent en secret; mais parce qu'il ne veut pas, lui qui a fait tant de miracles, faire celui de «...sauver » sa patrie, qu'il périsse ! Son sort est d'ailleurs fort clair : puisqu'il revendique le titre de Christ-Roi, Pilate ne pourra que ratifier la sentence de Caïphe.

 Mais avant de demander au procurateur de l'approuver, il faut la prononcer. Or, ni la Thora de Moïse, ni même la Halakah ne défendent de se dire le Christ, et la tradition veut que le soin de châtier les faux prétendants soit laissé à Dieu lui-même : c'est la thèse de Rabbi Gamaliel dans le procès des Apôtres rapporté au chapitre cinquième du livre des Actes.

 Aussi Caïphe, scandalisé, ou feignant de l'être, par la revendication de l'autorité suprême au jour du grand jugement de Dieu, pose au Sauveur une deuxième question « Es-tu donc le Fils de Dieu? »

La réponse affirmative fournira le prétexte de blasphème, puni de mort par la loi de Moïse, et l'Assemblée tout entière, sauf l'exception de Nicodème, accordera son approbation à la décision de son président.

 

Le procès romain.

Comment faire ratifier une sentence capitale pour crime de blasphème par un idolâtre, un sceptique, un polythéiste tel que Pilate? Aussi de ce véritable motif légal de la condamnation, on décide de ne pas souffler mot devant le procurateur. La revendication du titre de Messie, dont Pilate ne peut connaître que l'aspect politique, va servir à créer un nouveau grief, celui de lèse-majesté et de rébellion contre César.

Dans le récit du procès romain, les évangélistes ne mentionnent guère que les Princes des Prêtres sadducéens et la populace qu'ils excitent contre le divin prévenu. Les pharisiens, dont le loyalisme est trop suspect pour ne pas éveiller la méfiance de Pilate, se tiennent dans l'ombre.

Caïphe et ses collègues présentent leur condamné comme le Christ-Roi dans le sens le plus politique puisque, contre toute apparence de réalité, ils l'accusent de pousser la nation à la révolte et de défendre à ses disciples le paiement du tribut.

Pilate interroge Jésus « Es-tu le roi des Juifs? ». Là où Caïphe a dit le Christ, Pilate traduit le roi des Juifs; mais les deux expressions sont synonymes.

La réplique du Sauveur « Dis-tu cela de toi-même? » nous laisse entendre que Pilate n'eût jamais soupçonné en lui un prétendant au trône, un chef de rébellion, sans l'accusation formulée par les sanhédrites.

Mais leur manoeuvre a échoué : Pilate ne retient pas l'invraisemblable crime; et les Princes des Prêtres craignent d'être tout à fait désavoués par le gouverneur. Or, celui-ci, dans l'espoir de sauver le Juste, propose à la foule le choix entre Barabbas le séditieux et Jésus le doux prophète. Le sentiment national ne fut sans doute pas étranger à la préférence accordée à Barabbas, le sicaire souillé de sang, mais de sang romain.

Pilate, répugnant toujours à l'injustice, annonce qu'après avoir fait flageller Jésus, il le renverra. Alors seulement, en désespoir de cause, les sanhédrites avouent le motif légal de leur sentence : « Nous avons une loi et d'après cette cette loi, il doit mourir, car il s'est dit le Fils de Dieu ».

Or, les répliques du Sauveur achèvent d'ébranler le gouverneur, et les Pontifes, voyant leur proie leur échapper, recourent de nouveau à l'intimidation : « Si tu le délivres, tu n'es point l'ami de César; car quiconque se fait roi, se déclare contre César ».

Triste jeu de mots! Ils savent bien que Jésus ne s'est pas déclaré contre César, et précisément, dans le fond de leur coeur, ils le lui reprochent ! Et si en réalité, il s'était soulevé contre Rome, ce ne serait pas eux qui l'auraient conduit au tribunal de Pilate. Celui-ci, qui les connaît, est étonné de les voir déployer tant de zèle pour la grandeur romaine, il ne doute plus qu'ils le lui aient livré « par envie », et il hausse les épaules lorsqu'il entend les Pontifes protester : « Nous n'avons d'autre roi que César ».

Aussi c'est avec une pensée de moquerie pour leur hypocrite loyalisme et de dérision pour leurs ambitions messianistes qu'il rédige la brève formule du titre de la croix : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Caïphe perçoit l'ironie et demande une correction qui est refusée.

Un Juif moderne, a écrit : « Les Juifs, comme nation, furent moins coupables de la mort de Jésus que les Grecs, comme nation, ne furent coupables de la mort de Socrate ». Est-ce que cependant les faits que nous venons d'exposer très simplement, ne clament pas que la mort du Christ fut le crime national de tout le judaïsme? Le tableau final du procès du Sauveur dans l'Évangile de saint Matthieu en synthétise la véritable physionomie : d'un côté, Pilate se lave les mains du sang de ce juste; de l'autre, le peuple (le peuple entier, dit le, texte sacré) et ses meneurs, revendiquent toute la responsabilité du déicide : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants! ».

 

La foule du Prétoire et du Calvaire.

Reste précisément à résoudre ce problème troublant de la double attitude successive de la foule. Comment ces Juifs de la rue qui, aux Rameaux, acclamaient Jésus comme le Messie envoyé du Seigneur, peuvent-ils, trois jours après, vociférer contre lui la haine et la mort?

Disons tout d'abord que l'arrestation de Jésus et surtout sa condamnation, ont tué son prestige. Le Prophète acclamé n'est pas le Messie, puisqu'il est tombé entre les mains de ses adversaires juifs d'abord, puis des ennemis de sa nation. D'ailleurs, les décisions de la Haute Assemblée jouissent d'une certaine infaillibilité; la sentence de mort étant portée officiellement, nul Juif fidèle n'a le droit d'émettre un avis contraire.

De plus, le peuple est enfant et il n'aime pas être frusté dans ses espérances. Beaucoup qui avaient confiance de voir Jésus « rétablir le royaume d'Israël », ont maintenant l'impression d'avoir été déçus. « Quand on prétend sauver les autres, diront-ils au Calvaire, on commence par se sauver soi-même ». Et puisque Jésus est impuissant contre ses ennemis et contre les adorateurs d'idoles qui le clouent à la croix, c'est donc, comme disent les scribes, qu'il opérait ses prodiges par le pouvoir de Béelzébuth. Le condamné du Sanhédrin, le flagellé du prétoire ne peut être qu'un imposteur. C'est ce sentiment populaire de dépit que les Princes des Prêtres savent changer en colère sanguinaire. Et tout cela provient de cette déviation dans l'éxaltation fanatique du sentiment national subie par l'espérance messianique dans l'esprit des masses aussi bien que dans celui des dirigeants.

Comme toute le peuple juif, la population ramassée dans les rues par les sanhédrites, la nuit et le matin du Vendredi-Saint, est animée de ces ambitions charnelles et terrestres que dénoncera plus tard l'apôtre Paul comme le grand obstacle à la conversion des Israélites et comme source de mort et d'hostilité envers Dieu. « Ceux qui sont, selon la chair, écrira-t-il, aux Romains, sont partisans de la chair (égoïsme et ambitions du judaïsme) ; ceux qui sont selon l'esprit sont partisans des choses de l'esprit (charité et universalisme évangéliques) ; car les passions de la chair sont mort (phronéma tès sarkos, thanatos), et les désirs de l'esprit sont vie et paix. En effet, les passions de la chair sont hostilité contre Dieu, car elles ne se soumettent pas à sa loi et ne le peuvent même pas ». (« phronèma tès sarkos » : fanatisme de la race. Le mot « phronèma » est souvent employé dans le sens de : passion politique, attachement à une opinion, à un parti. Quant au mot « sarx », saint Paul n'en emploie pas d'autres pour dire : race. D'après tout le contexte de l'Epître aux Romains, il ne fait pas de doute que l'Apôtre reproche aux Juifs leur attachement exagéré aux choses du judaïsme. Le « fanatisme de la race » est bien une « passion de la chair », et c'est celle-là en particulier que vise saint Paul.

Jamais ces profondes pensées de l'Apôtre n'ont reçu plus frappante et plus profonde application que sur le Calvaire! Jésus, Fils de David et véritable roi des Juifs, est mort pour s'être refusé à relever le trône de ses ancêtres et n'avoir rien voulu dire ou faire en faveur des visées d'indépendance et d'impérialisme de sa race, tout en prévoyant que, dans ces conditions, la revendication de son titre de Messie le conduisait à la croix.

 

 

 

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les partis contre Jésus (suite) (2)

Publié le par Christocentrix

II. - L'alliance des partis contre le Sauveur.

Dans les dernières semaines de la vie publique du Christ, une lecture sommaire des quatre évangiles suffit pour constater une fusion étroite des divers partis contre lui. Pharisiens, sadducéens, hérodiens paraissent également acharnés à sa perte, notamment dans l'incident du Denier de César et dans tout le procès.

Pourtant, leurs doctrines respectives étaient foncièrement opposées, comme leurs traditions et leurs intérêts de partis. Même, en ces derniers jours, les sadducéens ayant engagé une discussion doctrinale avec le Maître, les pharisiens le félicitent de leur avoir bien répondu.

Quel est donc le mobile qui pouvait faire cesser momentanément leurs rivalités et les unir contre le Sauveur? Nous ne saurions en trouver de plus puissant que leur commun attachement aux biens de la nationalité juive que, pensaient-ils, l'Évangile mettait en péril.

Sans aucun doute, ce sont les pharisiens qui ont pris l'initiative de la lutte contre Jésus; dès la Galilée, il les trouve sur son chemin et, désormais, ils constitueront le noyau de l'opposition autour duquel les autres groupes viendront peu à peu coaguler leur hostilité.

 

Les Zélotes.

Parmi les premiers obstructionnistes, n'y avaint-il pas des zélotes? L'Évangile ne mentionne jamais ce parti, à moins que le surnom de l'apôtre Simon le Zélote ne veuille rappeler qu'il fut adhérent du zélotisme avant son appel par le Maître.

Cependant, ils étaient très nombreux en Galilée et ils durent probablement réagir contre la prédication nouvelle qui contrariait si fort leurs principes et leurs ambitions. Si l'Évangile ne les nomme pas spécialement, c'est peut-être parce que dans le langage courant le terme de pharisien suffisait à les désigner.

Il n'est pas, en tout cas, douteux que le Maître en rencontrait sur ses pas dans tous les villages de Galilée. Les enthousiastes trop pressés qui veulent le proclamer roi à la suite de la multiplication des pains, étaient très certainement des zélotes. Que devaient penser les zélotes de l'assistance lorsque Jésus proclamait bienheureux les doux et les pacifiques (ce dernier mot devant être pris dans le sens actif de « faiseur de paix ») - lorsqu'il prêchait la guerre non contre Rome, mais contre Satan - lorsqu'il défendait de se refuser au « réquisiteur » et de riposter à l'oppresseur - lorsqu'il allait jusqu'à demander le paiement du tribut à César - lorsqu'il sentenciait : « Quiconque se servira de l'épée, périra par l'épée » et prononçait tant d'autres maximes semblables?

Irrités par cette prédication de pardon et d'amour, ils ne pouvaient que soutenir l'effort haineux des pharisiens contre le Maître. Et peut-être est-ce à eux qu'il faut appliquer la parole de Jésus contre les violents : « Le Royaume de Dieu est emporté de force et les violents s'en emparent. »

 

Les Sadducéens.

Les sadducéens se trouvent moins souvent en face du Maître. Ces grands personnages habitaient rarement loin de la capitale et, de plus, ils aimaient peu se mêler aux foules que Jésus groupait autour de lui.

Les évangélistes ne nous ont pas gardé des paroles du Sauveur blâmant expressément les sadducéens. Toutefois, ils pouvaient se sentir atteints par les malédictions contre les riches et les rassasiés.

Ils paraissent être restés indifférents envers Notre-Seigneur jusqu'au jour où son intervention au Temple, pour en chasser les vendeurs et les trafiquants, leur parut une menace pour leurs privilèges et pour tous les avantages qu'ils retiraient de leur situation dans le sanctuaire national.

Nous les trouvons, dès la Galilée, unis aux pharisiens pour demander au Christ un « signe dans le ciel ». Sans doute, scandalisés par l'autorité qu'il a prise dans le Temple, leur domaine réservé, surpris par le prodige de la multiplication des pains dont ils se demandent s'il n'est pas un gage de la libération prochaine, veulent-ils se rendre compte par eux-mêmes si le jour du Seigneur n'est pas enfin arrivé. Car eux aussi, autant que les pharisiens, comme nous l'a dit Josèphe, ils ont des espérances de liberté. Avant de se lancer dans la grande aventure contre Rome, ils veulent « éprouver » la puissance du Christ, désirant être certains que le Seigneur est bien avec lui. Leur démarche ne saurait avoir une autre signification.

Après la seconde purification du Temple, ils viennent de nouveau trouver Jésus. Ils ne lui reprochent pas un geste violent; ils lui demandent seulement « de quel droit et en vertu de quelle autorité » il l'a accompli, et de nouveau « quel signe » il montre qu'il peut agir ainsi.

Donc ce messie prédicateur d'humilité et d'amour ne les intéresse pas; mais s'il leur promettait avec des signes évidents l'extension du judaïsme à la multitude des peuples de la terre, et par conséquent une affluence plus considérable de pèlerins et d'offrandes au sanctuaire de Sion, ils n'hésiteraient certainement pas à le soutenir dans ses entreprises.

Au contraire, il semble menacer leurs privilèges et ceux de leur nation; ce messie ressemble très peu à celui qu'ils consentiraient à accepter, et puisqu'il se laisse proclamer tel le jour des Rameaux, il ne saurait être qu'un dangereux imposteur.

C'est là le seul élément qui pouvait opérer la jonction des sadducéens avec leurs adversaires de la secte pharisienne.

 

Le rôle des hérodiens

Dès la Galilée, nous voyons des pharisiens venir prendre conseil auprès des hérodiens, leurs grands adversaires, au sujet de Jésus, « afin de le perdre » parce qu'il a guéri une main desséchée le jour du Sabbat. C'est donc que les pharisiens sont certains des sentiments hostiles des courtisans d'Hérode envers le Maître. Pourquoi déjà ces libertins le détestaient-ils?

Nous retrouvons des hérodiens dans la délégation envoyée par le Sanhédrin afin de tendre à Jésus le piège du denier de César. Si l'on avait pu porter une dénonciation à la police romaine, ils eussent été tout qualifiés pour ce rôle. En tout cas, dans cet incident, ils paraissent être d'accord avec leurs adversaires sur le principe de l'illégitimité du tribut aux Romains.  Quant aux sentiments personnels d'Hérode Antipas à l'égard de Jésus, nettement hostiles, il est peut-être possible de les attribuer aux rêveries messianiques héritées de son père et lui montrant dans le Christ un rival dynastique.

 

La fusion des partis.

Après le triomphe des Rameaux, il apparaît que tous les partis sont unanimes à vouloir la mort ou du moins l'arrestation du Sauveur. C'est le Sanhédrin qui agit après délibération officielle, et sauf le cas individuel de Nicodème, tous les membres de la Haute Assemblée sont d'accord. Or, il y a parmi eux des représentants des diverses sectes; la Chambre des Princes des Prêtres, dont Caïphe est le chef, est composée de sadducéens; celle des scribes est inféodée au pharisaïsme et parmi les Anciens du Peuple on trouvait des pharisiens et des hérodiens. Et sans doute si nous pouvions lire au fond des coeurs, nous y verrions d'autres sentiments que ceux ouvertement affichés. Car, très probablement, si en reconnaissant Jésus comme Roi-Messie, on eut été certain de vaincre la puissance de Rome, Caïphe et tout le Sanhédrin n'eussent pas hésité à se proclamer ses disciples. S'ils avaient eu le moindre espoir d'une possible libération par le fils du charpentier et ses adeptes, ils auraient feint d'ignorer le mouvement jusqu'à son plein succès: Connaît-on un seul faux messie ou un patriote révolté que le Sanhédrin ait sommé de comparaître devant lui et livré au pouvoir romain? On sait au contraire qu'il voulut châtier le jeune Hérode pour avoir réprimé le mouvement insurrectionnel d'Ezéchias le Galiléen.

Les uns et les autres, lorsque leurs satellites se sont refusés à arrêter le Christ, se vantent de rester incorruptiblement fidèles aux vieilles traditions : « Est-ce que quelqu'un des princes ou des pharisiens a cru en lui? », et tous traitent de maudit le bas peuple qui continue à écouter le Rabbi galiléen : « Mais la populace qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits».

Donc, sauf la foule, plutôt sympathique encore, tous les partis confusément et indistinctement, concourent à préparer le procès et la mort du Sauveur, et le ciment de leur alliance semble bien être ce levain d'hypocrisie que Jésus a dénoncé comme le ferment corrupteur commun aux divers partis.

 

III. - Le procès du Christ.

Et c'est toujours ce même « ferment » qui ralliera aux chefs et aux guides d'Israël la masse du peuple, du moins la foule mélangée des rues de Jérusalem en temps de Pâques.

Maintenant nul ne peut en douter, le Rabbi galiléen n'est pas venu à Jérusalem pour y prendre la tête du mouvement libérateur; il se laisse appeler Christ ou Fils de David, mais de toute manière, il affirme son désintéressement de la grande angoisse de son peuple. Comme il a une puissante emprise sur la foule, ne peut-on pas craindre qu'il tue dans l'âme populaire l'espérance sacrée? A tout prix, les princes de la nation la délivreront de ce « séducteur » qui « déçoit » et « égare Israël », comme parle le Talmud.

 

Séance préliminaire du Sanhédrin.

La chose est d'ailleurs décidée par le Grand Conseil, comme nous l'avons dit. Le miracle de la résurrection de Lazare avait provoqué un tel mouvement d'adhésion autour du Sauveur que le Sanhédrin avait cru devoir tenir une réunion extraordinaire pour en délibérer. Le président, Joseph, fils de Caïapha, qu'on appelle tout court Caïphe, proposa la peine capitale au nom de l'intérêt national : « Si nous laissons libre cet homme qui fait tant de « signes », tous croiront en lui et les Romains viendront et ils détruiront la ville et la nation».

Le mot « signes » nous indique que ces chefs du peuple voyaient dans les miracles de Jésus une présomption de sa messianité. Mais comme tout en se faisant passer pour le Christ, il ne veut rien faire pour sauver son peuple, il met d'autant plus la patrie en danger puisqu'il paralyse à l'avance l'élan d'un soulèvement populaire.

Mais les craintes affichées d'une répression violente de la part de Rome sont-elles sincères? En tout cas, l'on voit bien que le problème du Messie, pour les sanhédrites, n'est pas un problème religieux, mais politique. Le Grand Conseil ne se demande pas si la doctrine de Jésus est conforme ou non à celle de Moïse et des Prophètes, mais il juge son cas d'après les répercussions politiques que son succès pourrait entraîner. Et sans doute si nous pouvions lire au fond des coeurs, nous y verrions d'autres sentiments que ceux ouvertement affichés. Car, très probablement, si en reconnaissant Jésus comme Roi-Messie, on eut été certain de vaincre la puissance de Rome, Caïphe et tout le Sanhédrin n'eussent pas hésité à se proclamer ses disciples. S'ils avaient eu le moindre espoir d'une possible libération par le fils du charpentier et ses adeptes, ils auraient feint d'ignorer le mouvement jusqu'à son plein succès: Connaît-on un seul faux messie ou un patriote révolté que le Sanhédrin ait sommé de comparaître devant lui et livré au pouvoir romain? On sait au contraire qu'il voulut châtier le jeune Hérode pour avoir réprimé le mouvement insurrectionnel d'Ezéchias le Galiléen.

 Plus tard, après l'ascension du Sauveur, Eléazar, fils de Dinée, suscita une révolte vouée à l'insuccès. Les grands de Jérusalem, au lieu de livrer les rebelles au procurateur Cumanus, se revêtirent de cilices et se couvrirent de cendres pour supplier les révoltés de se soumettre « parce que la patrie allait être détruite, dit Josèphe, si Eléazar persistait dans sa rébellion ».

Quelle différence entre l'attitude des Grands de la Ville Sainte envers le prétendu rebelle Jésus et envers le vrai révolutionnaire Eléazar !

 C'est après cette séance du Sanhédrin que se place chronologiquement la retraite du Sauveur à Ephraïm; son temps n'est pas encore venu, il s'éloigne. Bientôt, la Pâque approchant, il remonte vers la capitale et c'est le triomphe des Rameaux. Dans l'attitude des disciples et de la foule, il semble bien qu'on doive voir une protestation contre la décision du Sanhédrin qui ne pouvait pas être ignorée. Au lieu de lui conduire le prévenu, on lui fait une escorte d'honneur et on l'acclame comme l'envoyé du Seigneur.

C'est pourquoi sans doute le Sanhédrin hésite à mettre à exécution son arrêté, par crainte d'une émeute. Mais voilà que le bruit court dans la ville que Jésus a prophétisé la ruine de la maison de Dieu : « Il n'en restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée ». Cette rumeur met fin aux hésitations de Caïphe, car il pense bien que la foule prendra à côté du Sanhédrin le parti du sanctuaire menacé, ce palladium de la nation élue. Toutefois, la prudence commande encore d'agir avec précaution.

 

La trahison de Judas.

C'est ici qu'intervient l'homme de Kérioth, Judas ben Simon. Désespérant du succès de Jésus, lequel ne cesse d'ailleurs d'annoncer des épreuves pour lui et ses amis, il va spontanément trouver les sanhédrites et se propose pour leur faciliter l'arrestation du Maître à l'insu de la foule.

Depuis longtemps, l'enthousiasme du début de sa vocation a baissé; maintenant, sa conviction est faite que ce messie ne veut ni ne peut délivrer sa nation et établir le Royaume de Dieu tel qu'il le conçoit. Lorsque Jésus s'est laissé solennellement acclamer comme Messie, Judas a sans doute repris espoir : son Maître va chasser les cohortes romaines qui foulent le sol de la Ville Sainte comme il a délivré de la souillure des trafiquants le parvis du Temple, et il rendra à Israël sa gloire antique désormais éternelle.

Mais voilà qu'au contraire Jésus se cache la nuit, il ne parle pas de grands projets et il a des paroles mystérieuses qui laissent prévoir les pires choses; au lieu de préparer le rayonnement mondial du Temple, est-ce qu'il n'en prédit pas la ruine? Non, le Seigneur des armées n'est pas avec ce pusillanime. Judas s'est laissé décevoir par son charme personnel; il retournera vers les chefs légitimes de son peuple contre lesquels Jésus est en rébellion; il obéira à l'ordre du Sanhédrin prescrivant que « si quelqu'un savait où il était, il le déclarât afin qu'ils le fissent arrêter ».

Les trente deniers ne furent donc pas le motif de la trahison; ils en furent seulement le salaire. L'Iscariote ne fut pas poussé par la haine; pourquoi en aurait-il éprouvé? Il a livré son Maître parce que la déception de ses espérances nationalistes lui a fait entrevoir l'obéissance au Sanhédrin comme un devoir patriotique.

Ses conceptions du royaume à venir sont probablement restées voisines de celles du zélotisme; son âme obscure considère dans l'avenir glorieux rêvé pour sa nation, autant la gloire et les intérêts de celle-ci que les avantages personnels qu'il en retirera. Il y occupera sans doute l'une des premières places et pourquoi pas celle-là même qu'il détient dans la petite communauté apostolique, celle de la trésorerie?

Aussi, à l'approche du tragique dénouement que tout laisse deviner, il ne comprend pas cette destinée de souffrance réservée au Christ et il voit lui échapper les rêves ambitieux qu'il a fondés sur son titre d'apôtre, de ministre du nouveau royaume.

Ce sont donc principalement les illusions du faux messianisme qui ont fait d'un intime du Maître un traître et un désespéré.

 

                                                                                   (à suivre)

 

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Les partis contre Jésus (1)

Publié le par Christocentrix

Comme annoncé pour ces jours du Jeudi Saint et du Vendredi Saint, je reprends le dossier du "procès" Jésus.

Dans des articles précédents, j'ai développé comment Notre Seigneur Jésus-Christ avait adopté des attitudes ou fait des déclarations lorsqu'au cours de sa prédication il s'est heurté aux préjugés et au messianisme nationalitaires de ses contemporains. Nous allons voir maintenant comment ces différents partis se sont coalisés contre Lui en poursuivant le but de le faire périr.

Afin de ne pas alourdir ces textes de notes et de citations, j'évoquerais simplement des références ou quand des précisions s'imposeront je les placerais dans les commentaires comme textes annexes.

 

                                                                     ***

 

En refusant de plier sa puissance thaumaturgique aux exigences du messianisme national, Jésus se condamnait à passer pour un imposteur et, par conséquent, décrétait sa propre mort s'il ne parvenait pas à persuader ses frères en Israël, que sa mission de Christ ne comportait pas la réalisation de leurs ambitions terrestres.

Mais l'obstination de la nation tout entière dans ses préoccupations de liberté était telle que, malgré le rayonnement de ses divines vertus, malgré sa méthode si prudemment progressive de révélation du véritable messianisme, malgré la valeur démonstrative de ses éclatants miracles, Jésus ne put lever le voile qui cachait au peuple juif la vérité céleste et que, suivant l'expression de saint Paul, « la chair et le sang » appesantissaient sur ses yeux.

Le Christ rencontra sur son chemin quelques rares âmes capables de comprendre, au moins en partie, un messianisme aussi pur; mais ces âmes isolées se trouvaient impuissantes à fixer la pensée collective de la nation dans le sens d'une adhésion à l'Évangile.

Il eût fallu pour cela conquérir à la vérité du Père la secte des pharisiens qui tenait, pour ainsi dire, dans ses mains l'âme de la nation. Parmi eux, le Maître trouva parfois des sympathies; six fois dans le récit évangélique nous en trouvons l'indice. Mais ces rares amis, que pouvaient-ils? Hélas! au-dessus d'eux, il y avait la secte et son organisation.

Car il faut tenir compte de la force des partis, souvent décisive dans la vie des peuples. Nous pensons que s'il n'y eût pas eu des partis en Israël, l'Évangile eut rencontré peu ou point d'opposition. Les âmes, gagnées individuellement, retombaient bientôt en puissance de leur milieu. La déviation nationalitaire de l'attente messianique, nous l'avons déjà montré, était commune à tous les partis et c'est leur force même de parti qui la rendit si funeste.

Leur organisation et leur discipline multiplièrent la puissance de leur sectarisme, paralysèrent les bonnes volontés individuelles et rendirent possible la condamnation à mort du Prophète favori des foules galiléennes.

Il nous reste à montrer comment cette coalition des sectes contre le Messie de Dieu se fit principalement autour des préjugés et des ambitions d'une forme de nationalisme, qui constituait, nous l'avons vu, leur « levain » commun.

 

- Le conflit avec les pharisiens.

L'antagonisme entré le pharisaïsme et l'Evangile paraît avoir été violent dès le début. L'opposition ne portait pas spécialement sur des points de doctrine. Le « point de friction », qui rendait impossible toute conciliation entre les deux tendances, c'était la manière fort différente d'envisager la question nationale et ses rapports avec la religion du Père.

Nous allons considérer cet antagonisme sur sa double face des reproches adressés par Jésus aux pharisiens et de ceux que les pharisiens retournaient contre le Maître.

 

Reproches de Jésus aux pharisiens:

Les blâmes infligés par le Maître aux adhérents de la secte visent une triple déviation du sentiment religieux : le légalisme exagéré ou formalisme, le particularisme doctrinal ou ésotérisme, l'attachement servile aux traditions de la secte ou un traditionalisme obscurantiste.

On connaît les invectives dans lesquelles le Maître, à la fin de sa vie publique, dénonce ce qu'il appelle l'hypocrisie des pharisiens : « Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes... vous paraissez justes aux yeux des hommes, mais au dedans vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquités... Vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et vous négligez l'essentien de la Thora, la justice, la miséricorde et la fidélité..., » et tant d'autres maximes semblables.

Or, ce formalisme exagéré et absorbant qui étouffe le véritable sentiment religieux, paraît ne pas être sans quelque sympathie psychologique avec un certain chauvinisme. Les pharisiens voient dans la justice (ou sainteté) un bien qui affecte et intéresse principalement la collectivité nationale; dès lors, ils ont tendance à la confondre avec l'honneur extérieur, car celui-ci joue trop souvent, par rapport à la communauté ethnique, le rôle de la conscience dans l'individu. Voilà pourquoi ils réduisent la moralité à des questions de contact, de distance, de formalités, etc., qui suffisent à garantir la pureté de la race, l'honneur judaïque.

D'autre part, n'appréciant la moralité qu'en fonction de l'honneur, ils s'appliquaient à faire resplendir ce dernier en se glorifiant de tout ce qui rehaussait la gloire nationale, si appréciée parmi les hommes.

En un mot, la sainteté pharisienne était très peu chose individuelle, elle était « racique » dans son principe, la descendance d'Abraham, et aussi dans son terme, la gloire et le salut d'Israël. Le zèle pour procurer la gloire de Yahvé aboutissait tout naturellement à glorifier le judaïsme et à exalter les sentiments nationaux.

En condamnant leur formalisme étroit, Jésus indirectement, mais réellement, atteignait ce point sensible de l'âme pharisienne, la tendance à n'envisager la moralité que du point de vue israélitique.

 

Un reproche moins remarqué, parce que rapporté une seule fois dans l'Évangile, est celui de se réserver pour eux seuls jalousement la connaissance de la loi : « Malheur à vous, Docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clef du palais de science. Vous-mêmes n'y êtes point entré et vous avez empêché ceux qui y entraient. »

L'association pharisienne avait un certain caractère d'occultisme. Si le peuple en appelait les membres les « Séparés » (c'est le sens du mot « pharisien »), entre eux ils s'appelaient les « Compagnons » (habérim). Ils passaient par plusieurs degrés d'initiation, comme dans les Sociétés secrètes. S'ils instruisaient le peuple dans les synagogues, c'était seulement d'une science élémentaire, surtout des prescriptions qu'ils avaient , forgées eux-mêmes et qu'ils appelaient halakah, (mot qui signifie : voie, chemin), la présentant comme aussi divine que la Thora, et gardant pour eux seuls la science proprement dite, cachant même soigneusement certaines notions à la multitude. La kabbale n'a pas d'autre origine.

Tout cela ne paraît pas avoir d'autre but que de constituer une sorte de caste privilégiée; et ils tenaient d'autant plus à garder la supériorité sur Israël qu'ils espéraient pour celui-ci la domination sur les autres peuples. De même qu'Israël était le roi des peuples, les « Séparés » voulaient être chefs et princes en Israël. Tout Juif excluait de la dignité humaine complète les membres des autres nations; pareillement les "Compagnons" limitaient la nationalité parfaite, avec ses mérites et ses avantages, aux seuls membres de la secte-caste.

Jésus, au contraire, prêche sa Loi à tout venant, de préférence aux pauvres (am-ha-aretz méprisés par les pharisiens), « les pauvres sont évangélisés » ; il ne veut pas que la lampe allumée par Dieu soit mise sous le boisseau, mais sur le chandelier afin qu'elle puisse éclairer toute la maison. Il proclame qu'il est lui-même la « halakah » dont personne n'est exclu : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie... Venez à moi, vous tous qui ployez sous le fardeau » trop lourd des observances pharisiennes.

Il y avait, nous l'avons déjà montré, quelque attache entre l'ésotérisme pharisien et certaines déformations du sentiment national. On a même dit qu'il avait souvent servi à la poursuite de buts politiques; en particulier M. Cohen, savant israélite, en fournit quelques preuves que nous avons mentionnées dans les articles précédents.

L'allusion que fait le Maître au caractère semi-clandestin de la secte pharisienne atteint donc indirectement son particularisme ethnique et ses ambitions politiques.

 

Et de même lorsqu'il lui reproche son traditionnalisme excessif : « Vous mettez à néant le précepte divin par votre tradition » et le Sauveur d'appliquer aux pharisiens ces mots d'Isaïe : « C'est en vain qu'ils m'honorent en donnant des préceptes qui ne sont que des commandements d'hommes. »

En effet, la secte présentait au peuple sa tradition (halakah) comme ayant une origine et une autorité divines; ils allaient jusqu'à la donner pour supérieure à la Thora. Si la Thora était bonne comme l'eau, la tradition rabbinique équivalait au vin ou même à une liqueur aromatique. C'était la divinisation de l'humain et sa substitution au divin.

Pareille déformation du jugement était encore un résultat de l'orgueil ethnique. Pour lui, tout ce qui vient des générations antérieures est sacré; c'est un legs des ancêtres, une gloire de la race.

Lorsque le Christ reprochait aux pharisiens d'anéantir la Thora par leurs traditions halakiques, il leur reprochait, au fond, de faire passer ce qui était un bien national et de caste avant les éléments moraux et religieux de la révélation mosaïque dont, lui, voulait faire bénéficier tout homme venant en ce monde.

Une légende rabbinique démontre bien ce caractère « nationaliste » du traditionalisme pharisien : La loi orale, ou halakah, dit cette légende, fut révélée à Moïse en même temps que la Thora; le grand prophète demanda à Dieu de lui laisser écrire l'une comme l'autre. Mais le Seigneur lui répondit que la Thora serait un jour traduite dans toutes les langues; si la Halakah était, elle aussi, écrite, tous les peuples pourraient la traduire et alors ils pourraient se prévaloir des mêmes faveurs d'Israël .... « Et quelle différence y aurait-il alors entre Israël et les autres peuples? » Tandis que s'ils possèdent seulement la Thora, Dieu pourra leur dire : Non, vous n'êtes pas mes fils au même titre qu'Israël.

La raison véritable de la supériorité attribuée à la tradition sur la loi écrite est, on le voit, l'intention de garder intacts les privilèges, non seulement de la classe rabbinique, mais de toute la maison d'Israël.

Et ainsi sous la triple déviation dénoncée par Jésus  dans le pharisaïsme, nous retrouvons le même levain corrupteur, ce que le pharisien Saül, devenu l'apôtre Paul, appellera le phronèma tès sarkos (fanatisme de la race) et qui n'est autre chose qu'un nationalisme jaloux et mesquin.

 

Objections des pharisiens contre Jésus.

On peut envisager le conflit entre les représentants de la tradition juive et le Prédicateur du Message nouveau du point de vue inverse, et, dans les reproches que les pharisiens adressent à Jésus, nous trouvons le même principe d'aveuglement.

A part le reproche de blasphème pour le titre de Fils de Dieu (mentionné seulement dans le quatrième Évangile), toutes les critiques formulées par les pharisiens contre le Sauveur se ramènent à une seule : « Il est un pécheur et un ami des pécheurs; il se souille en fréquentant les publicains et les « gens de la terre » (am-ha aretz) ; il méprise la Thora, puisqu'il guérit le jour du Sabbat et qu'il supprime l'autorisation du divorce accordée par Moïse ».

Au fond, celui que les "Compagnons" poursuivent, c'est l'adversaire de la Halakah. De même que Jésus leur reproche de trop exalter la Halakah comme valeur nationale et bien exclusif du Judaïsme, de leur côté, ils voient en lui le contempteur et l'adversaire de cette valeur nationale qui élève Israël au-dessus des autres peuples, celui qui ouvre à tout venant le palais de la connaissance et de l'amour du Père des cieux. Ne semble-t-il pas vouloir l'ouvrir à la Gentilité maudite? « Se fera-t-il docteur des Gentils » se demandent-ils un jour. (Jo., VII, 35.).

 

 C'est donc leur vraie et profonde pensée que les pharisiens expriment de façon plus explicite lorsqu'ils lancent contre le Maître l'injure suprême : Samaritain! Pour eux, elle comprend toutes les autres, puisque le pieux auteur des Testaments des douze Patriarches appelle les habitants de la province ennemie : « idolâtres. querelleurs, orgueilleux, débauchés et pécheurs contre nature. » Elle implique surtout l'idée de mauvais Juif et d'ennemi de la patrie.

 C'est à la suite de la longue discussion avec les pharisiens sur la filiation d'Abraham, au chapitre huitième de saint Jean. « Les Juifs lui répondirent : N'avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain et un possédé du démon? » Ces Juifs dont il est question, ce sont les mêmes que dans tout le chapitre, c'est-à-dire « les scribes et les pharisiens ».

 C'est la seule fois que cette injure est formulée dans l'Évangile, contre le Maître; mais la façon dont parlent ses adversaires indique qu'elle leur était habituelle; elle se présente là comme une opinion reçue, une façon courante de parler. Nous pouvons donc supposer qu'elle fut prononcée maintes fois pour détourner du Sauveur le peuple qui l'écoutait.

Un exégète classique, Corneille de la Pierre, comprend comme nous la signification de cette injure : « Ils lui reprochent, dit-il, d'être un transfuge et de Juif s'être fait Samaritain...

Chose remarquable, Jésus répond à l'accusation de possession démoniaque ; mais le récit sacré ne mentionne pas de réplique à celle d'hostilité envers sa nation. Une parabole où un Samaritain est proposé comme modèle, quelques miracles accomplis en faveur de ces demi-frères doivent-ils faire oublier tout le reste de son activité consacrée aux brebis d'Israël et les innombrables miracles accomplis pour elles? Et pour aimer ses frères, devra-t-il haïr leurs voisins?

En tout cas, c'est là ce que semblent exiger les adversaires du Sauveur, pour eux; il n'est qu'un complice de l'étranger, un anti-patriote, dirait-on de nos jours.

Par conséquent, lorsque les pharisiens défendent leurs traditions contre l'Évangile, ils pensent à protéger, non pas tant l'esprit de soumission au Père du ciel, la vraie religion ou la vraie morale, mais ces traditions en tant qu'elles sont ordonnées à la gloire et au salut de leur nation.

Leurs successeurs modernes, lorsqu'ils analysent leurs sentiments à l'égard du plus illustre enfant de leur race, ne trouvent pas d'autre reproche fondamental à lui adresser. « Est-ce qu'il avait vraiment conscience d'être de notre nation, se demande M. Joseph Jacobs. Nous n'arrivons pas à le savoir... Dans tout son enseignement, il nous traite comme des hommes et non comme des Juifs ».

Et M. Klausner d'ajouter : « Jésus ne savait pas voir l'aspect national des lois cérémonielles... Il déprécie leur valeur religieuse et morale. Dès lors, les pharisiens se demandent s'il n'enseigne pas une nouvelle loi morale pour toutes les nations pareillement, et même s'il ne souhaite pas que la maison de Jacob soit supplantée par les autres nations ». 

 

                                                                                   (à suivre...)

 

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le patriotisme de Jésus (suite et fin)

Publié le par Christocentrix

« Je ne suis pas venu abolir la Loi mais l'accomplir. »

« Accomplir » veut dire ici « perfectionner », mais aussi « observer personnellement ». Loin de manifester des intentions et d'employer des procédés révolutionnaires, Jésus se soumet à toutes les observances légales. Certes, il préfère l'esprit à la lettre de la Loi, mais on ne peut relever dans toute son attitude et ses paroles rien qui soit antijuif.

Lorsqu'il critique le pharisaïsme et ses complications légales, il dit que l'essentiel de la Thora consiste dans la justice, la miséricorde et la foi; mais il en maintient les observances. Et il s'y soumet lui-même : il porte les « franges » à son manteau; il pratique les jeûnes et les prières prescrites par la Loi; dans le repas de la Cène, les rites traditionnels sont scrupuleusement observés. Pour les fêtes, il se rend à Jérusalem. S'il guérit des lépreux, il leur commande d'obéir à la Loi en allant se déclarer aux prêtres et en faisant l'offrande prescrite. Il refuse de juger un différent dont la solution dépend des juges réguliers, etc...

Le seul cas où il déroge à la Loi de Moïse, c'est au sujet du divorce qu'il interdit alors que Moïse l'autorise dans certaines conditions; mais il a soin de remarquer que sur ce point la Thora avait atténué la volonté primitive du Créateur et que la concession mosaïque avait un caractère provisoire.

Pour épurer le judaïsme, Jésus reste en contact avec lui; il veut même que ses fidèles maintiennent ce contact, au moins pour un temps. Il accepte que ses disciples aillent offrir au Temple et il leur demande de fréquenter les synagogues, tout en prévoyant qu'ils en seront chassés par la persécution. « Il fut, dit Bossuet, exact observateur des lois et coutumes de son pays, même de celles dont il était le plus exempt. »

Parmi celles-ci, mentionnons spécialement l'impôt pour le Temple. Tout Juif âgé de vingt ans, devait acquitter la redevance annuelle d'un didrachme pour l'entretien du Temple. Un jour, à Capharnaüm, les percepteurs de cet impôt, abordent l'apôtre Pierre et lui demandent si son Maître ne le paye pas. Pierre répond par l'affirmative; c'est donc qu'il l'a payé précédemment.

Quand Pierre met Jésus au courant de l'incident, celui-ci lui fait remarquer que les rois de la terre, ne réclament pas l'impôt à leurs fils; par conséquent celui que l'apôtre a proclamé quelques jours auparavant « Fils du Dieu vivant », à Césarée de Philippe, ne doit pas la contribution pour la Maison de son Père. Mais il ajoute qu'il obéira à la loi commune « afin que nous ne les scandalisions pas ». Et c'est pour s'acquitter de cette dette que Jésus envoie son apôtre pêcher le poisson qui porte dans sa bouche la pièce d'argent suffisante pour eux deux.

Si Jésus ne s'était pas soumis à toutes les lois,, comment aurait-il pu mettre ses adversaires au défi de pouvoir rien lui imputer à péché? (A péché, évidemment dans le sens légal et même pharisien, puisqu'il parle à des pharisiens.) Et comment encore, dans la même hypothèse, ses ennemis eussent-ils été si embarrassés, au jour de son procès, pour formuler contre lui la moindre accusation?

Proudhon, obligé de reconnaître le fait du loyalisme de Jésus, ajoute qu'il agissait ainsi « par condescendance prophétique » plutôt que « par une véritable adhésion ». Pour nous, condescendance et sincérité peuvent s'allier parfaitement. Le Christ n'avait qu'une règle de pensée et de vie : c'était la volonté de son Père. Il agissait en bon Juif pour obéir aux volontés célestes et aussi parce que, conscient de son rôle dans l'humanité, il voulait donner l'exemple du devoir civique et du patriotisme.

Le prologue de l'Évangile selon saint Jean nous dit du Verbe divin : « Il est venu parmi les siens et les siens ne l'ont pas reçu ». Venu parmi les siens, malgré leur ingratitude, il ne les a pas quittés. Certes, il a prévu et voulu, comme nous l'avons démontré, la prédication de l'Évangile aux Goym; après sa résurrection, il en a fait l'objet d'un commandement formel aux Apôtres. Mais lui-même, personnellement a toujours réservé son dévouement, son apostolat, son enseignement et ses miracles aux enfants de sa patrie. C'est dans ce sens que Paul l'appelle « ministre de la cirsoncision » : « J'affirme que le Christ a été ministre de la circoncision pour montrer la véracité de Dieu accomplissant les promesses faites à leurs pères ».

Cette limitation de son apostolat fut manifestement volontaire et constitue, de la part du Sauveur, la preuve d'un amour de prédilection pour ses compatriotes.

Etant donné ce que nous savons de l'opposition de son enseignement avec l'exclusivisme jaloux de ses frères en Israël, nous ne comprendrions pas que jamais nul païen n'ait ressenti les effets de sa bonté. Et de fait, nous connaissons déjà quelques cas d'exception. Celui du miracle en faveur de la Cananéenne mérite une mention spéciale, parce que, dans cet incident, le Sauveur prononce une parole qui semble exclure les non-juifs du droit à l'Évangile. A cette femme du pays de Tyr qui lui demande la guérison de sa fille, il répond d'abord : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ». Certains ont pris prétexte de cette réplique pour nier que la pensée rédemptrice du Christ ait dépassé les bornes de sa nation.

Mais cette parole ne doit pas s'interpréter sans tenir compte de tout l'ensemble de l'incident et encore moins de tout l'ensemble de l'enseignement du Sauveur. Le fait qu'elle a été prononcée en pays païen n'apporte-t-il pas déjà une atténuation à la portée exclusiviste de la sentence? En passant la frontière de la Palestine, Jésus n'a certainement pas imité ces pharisiens qui conjuraient l'impureté de la terre païenne par des « bénédictions » ferventes et au retour manifestaient bruyamment leur joie en embrassant les pierres du sol ou en se roulant dans la poussière.

Si cette femme étrangère croit pouvoir implorer la pitié du Prophète juif, c'est sans doute qu'on l'a encouragée en l'assurant qu'il ne partageait pas l'étroit chauvinisme de ses compatriotes, La réponse du Maître semble démentir cette bonne réputation; mais la suite prouve surabondamment qu'elle visait à éprouver la foi et l'humilité de la suppliante plutôt qu'à affirmer un principe.

En effet, la femme insiste et Jésus reprend la même pensée sous une forme encore plus dure : « Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens ». Pour une fois, le Sauveur affecte de parler le langage de l'orgueil rabbinique. Pressée par son amour maternel, la femme accepte l'assimilation. Avec autant d'humilité que de finesse, elle répond : « Justement, Seigneur ! Mais les petits chiens sous la table mangent bien les miettes des enfants!... » et cela simultanément avec eux, sans attendre qu'ils soient rassasiés. Alors seulement « à cause de cette parole Jésus se laisse toucher » et le miracle est accordé.
Mais ne semble-t-il pas que, dès le début, le Maitre avait l'intention d'exaucer cette étrangère? L'attitude de dureté qu'il affecte envers elle est loin d'être une affirmation de principe; il nous semble qu'elle n'est pas non plus une pure feinte : Jésus y exprime le fond de sa pensée non sur les destinées de son oeuvre, mais seulement sur l'étendue de sa mission personnelle. Il ne doit pas, il ne veut pas apporter la Bonne Nouvelle aux Gentils, mais le miracle accordé laisse entrevoir pour eux cet avenir de bénédiction dont il est si souvent question dans les paroles du Maître.

Jésus n'a pas voulu quitter son peuple pour prêcher aux païens et il l'a même interdit à ses Apôtres. Nous lisons, en effet : « Ne vous écartez point sur le chemin des Nations et n'entrez point dans les villes des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël ». Mais ces paroles ont été prononcées à l'occasion d'une mission temporaire qui était dans la pensée du Christ, comme un apprentissage, un essai de l'apostolat plus vaste qui incomberait plus tard à ses continuateurs.

Après son retour vers son Père, ils devront obéir à un ordre de portée universelle : « Allez prêcher l'Evangile à toutes les nations... à toute créature ». Mais même alors, ils devront consacrer leurs premiers efforts d'apostolat aux enfants d'Israël : « Allez, dit le Sauveur, dans saint Luc, vers toutes les nations, en commençant par Jérusalem. » Et dans saint Matthieu, Jésus leur annonce que chassés de partout par leurs frères de sang, ils se réfugieront d'une ville dans une autre « jusqu'à ce qu'ils aient achevé les villes d'Israël ».

Une tradition très ferme de la primitive Église rapportait que les Apôtres avaient reçu l'ordre d'attendre douze ans avant d'aller « dans le monde, afin que personne d'Israël ne puisse dire : nous n'avons pas entendu ».

Pourquoi cette limitation volontaire de l'activité de Jésus et de ses Apôtres? En l'adoptant comme une règle aussi absolue, le Maître a obéi aux vues de la Providence, soucieuse d'enlever aux Juifs tout prétexte de refuser l'Évangile parce qu'il ne leur aurait pas été offert, mais aussi il a suivi l'inclination de son coeur soucieux de montrer un amour de prédilection pour sa propre patrie.

Se consacrer exclusivement à ses compatriotes ingrats et infidèles alors qu'on se sent appelé à être la « lumière du monde », n'est-ce pas donner un magnifique exemple du plus noble patriotisme? « Ainsi, dit Bossuet, il fut fidèle et affectionné jusqu'à la fin à sa patrie, quoiqu'ingrate, et à ses cruels concitoyens qui ne songeaient qu'à se rassasier de son sang avec une si aveugle fureur qu'ils lui préférèrent un séditieux et un meurtrier. »

III.
"Je donne ma vie pour mes brebis"

Peut-on dire que Jésus est mort pour sa patrie? Nous le pensons, mais évidemment sans pouvoir prendre cette expression dans le sens moderne et militaire. Théologiquement, ce n'est pas douteux : Notre-Seigneur étant mort pour tous les hommes de tous les peuples ne pouvait exclure ses frères de sa pensée rédemptrice. Mais de plus, historiquement parlant, on doit reconnaître dans la mort du Sauveur, une intention spéciale d'amour pour ses frères en Israël. Certes, les « compatriotes » ne sont pas le tout de la patrie, au sens moderne du mot, mais n'en sont-ils pas un élément indispensable et essentiel?

C'est bien par amour pour ses frères, et donc par patriotisme, que Jésus a voulu mourir à Jérusalem. Dans tout l'Évangile, il n'est guère de fait plus clairement affirmé que celui-là : Jésus a prévu le drame par lequel se termine sa vie terrestre; il l'a prévu et en a accepté à l'avance toute l'horreur. La certitude de sa fin tragique, la clarté avec laquelle il l'annonce plus de dix fois à ses disciples, la résignation avec laquelle il s'y soumet, font de toute sa vie publique une sorte de marche à la mort.

En quittant la Galilée pour la capitale, il sait déjà qu'il est « abandonné aux mains des hommes ». Bientôt, il montera à Jérusalem, entraînant ses disciples vers une mystérieuse bataille qui les y attend. « Ceux qui le suivent », avertis par ses prédictions, sont remplis d'effroi. Saint Luc nous dit expressément : « Et il advint, quand les jours de son arrestation allaient être accomplis, il se détermina résolument à aller vers Jérusalem. » Certains pharisiens ont averti le Sauveur qu'Hérode Antipas nourrit des intentions homicides à son égard; il répond en langage parabolique qu'il sait ce qui l'attend bientôt, mais que cela n'arrivera pas avant le moment marqué dans les desseins divins; et il ajoute, en langage trop clair : « car il ne convient pas qu'un prophète meure hors de Jérusalem ». Jésus périra donc, pas de la main du tétrarque de Galilée ni sur son territoire, mais dans la Ville Sainte de la nation, et des mains des païens, comme il le précise ailleurs plusieurs fois.

Dans le quatrième Évangile, la volonté du Sauveur est encore plus manifeste : « Je donne ma vie pour la reprendre; personne ne me la ravit, mais je la donne de moi-même ».  Et lorsque, averti de la maladie de Lazare, il se décide à monter vers Béthanie, les disciples lui rappellent le danger : « Maître, les Juifs veulent vous lapider et vous y retournez! » Mais sa résolution est inébranlable, et entraîné par son courage, Thomas s'écrie : « Allons donc et mourons avec lui ».

Il est donc évident que Jésus a prévu et librement voulu sa mort et sa mort à Jérusalem. Il aurait pu fuir ce peuple ingrat et aller vers la Dispersion des Gentils, comme une fois ses ennemis se demandent s'il ne va pas le faire; mais le bon Pasteur aime trop ses brebis pour les abandonner; il se laissera dévorer par les loups plutôt que de quitter sa bergerie comme un vil mercenaire; et c'est bien là, la signification de l'allégorie du Bon Pasteur : « Je donne ma vie pour mes brebis... Il y a d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie... » Celles-là, le Pasteur ne les oublie pas; mais sa pensée principale et le but premier de son sacrifice vise au salut des premières, c'est-à-dire, de ses frères en Israël.

Cela nous pouvons le dire sans entrer sur le terrain théologique du problème de la rédemption et en restant dans le domaine de l'histoire.

C'est la conséquence très claire des faits et des textes que nous avons cités; et l'on retrouve la même idée dans d'autres passages évangéliques. Dans saint Marc, Jésus déclare à la mère des apôtres Jean et Jacques : « Le Fils de l'Homme donne sa vie en rédemption pour beaucoup ». Le mot employé par le Sauveur traduit par « rédemption », faute d'autre, a un sens réservé à la famille ou à la nation. Jésus affirme donc qu'il rachètera d'abord son peuple, qu'il payera leur rançon à sa place.

A propos de la prophétie involontaire de Caiphe : « Il vaut mieux qu'un homme périsse à la place de la nation » l'évangéliste saint Jean remarque : « Il prophétisa que Jésus allait mourir pour son pays », tout en ayant sain de noter aussitôt après la valeur de rédemption universelle de sa mort.

En toute vérité, nous pouvons donc appliquer aux Juifs, en tout premier lieu, cette belle parole de Jean : « Comme il aimait les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin », c'està-dire jusqu'à la mort de la Croix du haut de laquelle il prie pour ceux dont il est à la fois le Roi, le Rédempteur et la Victime.

« Ainsi, dit Bossuet, il versa son sang avec un regard particulier pour sa nation, et en offrant ce grand sacrifice qui devait faire l'expiation de tout l'univers, il voulut que l'amour de sa patrie y trouvât sa place. »


IV. - Les larmes d'un Dieu.

Après la destruction de Jérusalem et du Temple par l'armée de Vespasien, l'an 70, les rabbins représentaient parfois le Dieu d'Israël pleurant de honte, de rage et de chagrin sur la défaite et les malheurs de son peuple. « A chaque veillée de la nuit, lit-on dans le traité Bérakoth du Talmud, le Très-Haut s'asseoit, rugit comme un lion et s'écrie : Malheur à moi qui ai détruit ma maison, brûlé mon temple et dispersé mes fils parmi les peuples! » Et encore : « Quand le Très-Haut se ressouvient que ses fils demeurent dans la douleur parmi les peuples, deux larmes roulent de ses joues dans la mer, et le bruit s'en fait entendre d'un bout du monde à l'autre. Il trépigne dans le firmament, etc... »

Cette fiction anthropomorphique, qui nous paraît si saugrenue, répondait cependant à une réalité profonde : il n'était pas possible que le Dieu qui avait tant aimé son peuple élu, ne compatît pas à ses malheurs. Et nous, chrétiens, nous savons qu'en réalité Dieu, dans la personne du Christ son Fils unique, a versé de vrais pleurs sur le triste sort d'Israël.

Nous savons déjà qu'au milieu du triomphe des Rameaux, Jésus a prédit la ruine de sa patrie. L'Évangile précise qu'à ce moment il pleura : « Ah! disait-il dans ses larmes, si en ce jour tu avais connu toi aussi ce qui était pour ta paix! Mais maintenant cela est caché à tes yeux ! Viendront sur toi des jours où tes ennemis dresseront autour de toi un camp retranché, t'encercleront et te cerneront de toute part; ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée ».

N'a-t-elle pas une résonnance divine cette lamentation du Christ douloureusement ému dans son patriotisme! En tout cas, combien plus noble et plus humaine que le désespoir mélodramatique du Très-Haut des rabbins!

D'un autre côté, comme la tristesse du Sauveur contraste, en ce jour d'enthousiasme messianique, avec l'allégresse et la joie de ses disciples qui croient à un triomphe définitif ! C'est que le Messie qu'on acclame est si différent de celui qu'il veut être! Et, hélas! les quelques jours qui lui restent à vivre ne feront qu'appesantir le voile qui couvre les yeux de son peuple, aveuglement obstiné qui justifiera le châtiment que Jésus a si souvent plus ou moins clairement annoncé et dont la vision lui arrache maintenant ces larmes divines.

C'est là, dans cette ville qui s'étale à ses yeux, qu'il va être immolé : il l'a prédit voici quelques jours seulement en Pérée, en ce moment, il oublie sa propre passion et ne songe plus qu'à celle de sa patrie.
Vraiment, où se trouve le véritable patriotisme, le plus pur, le plus sincère, le plus noble? Est-ce dans l'âme des zélotes et des grands-prêtres courant aveuglément vers la révolte et vers la ruine totale de la nationalité juive, ou dans l'âme du Sauveur déplorant les fautes de son peuple et prévoyant la catastrophe qu'elles entraîneront?
Même profondeur d'âme dans la douce plainte que Luc et Matthieu nous ont conservée : « Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule ses poussins sous ses ailes et tu ne l'as pas voulu!... Et voici que votre maison abandonnée restera déserte ».

Ici comme dans toutes les allusions aux malheurs de sa patrie, ce n'est pas le ton du justicier qui proclame une sentence vengeresse; le Messie se sent victime avec son propre peuple : « Filles de Jérusalem, dira-t-il en montant au Calvaire, ne pleurez pas sur moi; pleurez sur vos enfants : car si l'on traite ainsi le bois vert, qu'en sera-t-il du bois sec? »

« L'image, dit le P. Lagrange, est celle d'une personne (Dieu) résolue à faire du feu, tellement résolue qu'elle prend même du bois vert (Jésus) ; assurément, elle ne laissera pas le bois sec (peuple juif) ». Ainsi, même pendant la montée du Calvaire, le malheur de sa patrie occupe l'âme du Christ plus que son propre sort, et jusqu'au dernier moment on sent sous tous ses mots l'invitation affectueuse au repentir et cette bienveillante indulgence qui s'exhale dans sa prière suprême : « Père, pardonne-leur; car ils ne savent ce qu'ils font ».

Lui, le Maître, il va être écrasé comme l'olive sous le pressoir; mais sa « maison » bien-aimée à lui, enfant d'Israël, sa « bergerie » à lui, pasteur débonnaire, ne sera pas moins mutilée. Les armées romaines viendront, et cette nationalité qui aurait pu concevoir l'ambition de supplanter la grande cité latine dans la domination du monde, ou du moins d'établir à côté de la souveraineté politique de Rome sa propre suprématie spirituelle, sera réduite à une communauté mi-religieuse, mi-nationale, sans ville, sans roi, sans temple, sans sacerdoce, sans territoire, obligée de mendier des lois et une patrie d'emprunt à ces « peuples de la terre » jadis si méprisés, faisant partout figure d'étrangère, sinon d'ennemie, et privée même de ce qui lui donnait, malgré toutes ses épreuves, une suprême raison de vivre : l'attente du Messie promis par Dieu à ses ancêtres. La guerre étrangère et la défaite seront les instruments de la colère de Dieu. En les prédisant à ses concitoyens, le Sauveur ne fait que remplir un nouveau devoir envers sa « maison » d'Israël, à laquelle il adresse ce suprême et dernier appel de son patriotisme alarmé.



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