Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

le fou du Roi (St François d'Assise)

Publié le par Christocentrix

 

"...Tous les biens semblent meilleurs quand ils prennent figure de dons. De ce point de vue la mystique offre un moyen très sûr et très sain d'atteindre le monde extérieur. A la condition de ne pas oublier que, en raison de sa dépendance de la réalité divine, ce monde tout entier occupe la seconde place. Que la vie sociale y paraisse à la fois bien assise et bien équilibrée, ou si l'on veut à la fois efficace et détendue, que l'essentiel y soit assuré et qu'en ce sens elle se suffise à elle-même, n'empêchera pas un mystique de savoir que l'existence même de ce monde tient à un fil ni de penser que tout cela n'est pas très sérieux. Que les autorités et les puissances, même traditionnelles, même naturelles et même nécessaires désignent à chaque homme sa place et la lui assurent, n'empêchera pas le mystique de savoir que ces grands et ces puissants sont en réalité suspendus par les pieds. Il regardera toujours les hiérarchies humaines avec un doux sourire. A ce point de vue, il est vrai que la vision directe de la réalité divine trouble des règles solennelles somme toute assez raisonnables....
 

 Francois-d-Assise-Chesterton.jpgfran-ois-d-Assi.jpg

 

 

 ....On ne peut traiter de ces matières si difficiles que par touches rapides et sommaires. Pour donner brièvement une idée de l'un des aspects de l'illumination accordée à François, je dirai qu'elle fut comme la découverte d'une dette. On peut trouver surprenant qu'un homme semble se réjouir de découvrir qu'il est endetté. D'ailleurs sa joie se trouve généralement tempérée sans délai, les usages commerciaux ne lui permettant pas d'en faire profiter ses créanciers ! A plus forte raison lorsqu'il est clair que la dette est infinie et ne peut donc être acquittée. Mais il suffit de recourir à l'image d'un amour humain véritablement grand pour que la difficulté s'évanouisse d'un coup : là le créancier éternel partage vraiment la joie du débiteur éternel, car ils sont l'un et l'autre à la fois débiteur et créancier. Autrement dit l'amour parfait transforme dette et dépendance en plaisir. Le laxisme et la luxure se sont emparés du mot amour qui n'est que trop galvaudé dans des travaux de vulgarisation.... Mais il est certain qu'il est ici à sa place et qu'il est véritablement une clef.

Il est la clef de toutes les difficultés qui, dans la spiritualité, inquiètent l'esprit moderne. Par dessus tout il est la clef de l'esprit de pénitence. Noble et saint paradoxe ! L'homme qui sait qu'il ne peut pas s'acquitter de sa dette ne cesse de s'y employer. Il n'arrête pas de rendre ce qu'il ne peut pas rendre et qu'il n'est pas supposé rendre. Il jette tout ce qu'il peut dans l'abîme sans fond d'une action de grâces sans fin.

Vous êtes trop moderne pour comprendre pareille façon de voir? Non, mais trop médiocre. Et nous sommes tous trop médiocres pour la mettre en pratique. Nous manquons trop de générosité pour faire des ascètes - et, pourrait-on dire, par trop de génie. Il faut apprendre à voir la grandeur de l'abandon entre les mains d'un autre, ce dont pour la plupart nous n'avons qu'une faible idée par nos premières amours, échos du paradis perdu. Mais, que nous la voyons ou non, la vérité est là. Elle repose dans cette énigme : il n'y a au monde qu'une bonne chose. Et cette bonne chose est une mauvaise créance.

Si jamais ce sens très rare et très élevé de l'amour, sens vrai dont les troubadours se nourrirent, vient à disparaître et qu'il est compté au rang des vieilles lunes, alors le monde moderne cessera de comprendre ce qu'est l'amour comme il a cessé de comprendre ce qu'est le sacrifice. Des barbares ont détruit la guerre chevaleresque, d'autres peuvent détruire l'amour chevaleresque. Si cela arrive nous verrons refleurir le même genre de questions absurdes et de sarcasmes stupides.

Quel monstre d'égoïsme exigeait impitoyablement tribut sous forme de fleurs, demandera l'un. Quel avaricieux personnage réclamait de l'or ciselé en forme d'anneau, ricanera l'autre. Exactement comme aujourd'hui on blasphème ce Dieu assez cruel pour exiger des hommes l'esprit de sacrifice et réclamer l'oubli de soi. Alors les hommes ne sauront plus ce qu'aimer veut dire. Ils ne comprendront pas que les exploits étaient accomplis et les dons offerts parce qu'ils n'étaient pas demandés. Et il n'y aura plus d'amants.

Les petites choses, dit-on, aident à voir les grandes. J'espère qu'il en sera ainsi, car il est certain que si l'on s'obstine dans l'aigreur moderne vis-à-vis de « l'austère et sombre pénitence », il est inutile de chercher à comprendre la spiritualité franciscaine. Saint François, certes, fut un ascète et austère ; mais point sombre. Tout est là. Désarçonné, glorieusement humilié par la vision de son absolue dépendance de l'amour divin, il se livra au jeûne et à l'abstinence aussi furieusement qu'il s'était fait guerrier. Il avait fait faire volte-face à sa monture mais sans marquer d'arrêt et il continuait à charger, plein de fougue. Il ne s'agissait pas de retrancher pour retrancher, ni de se mettre à l'école du stoïcisme et pas davantage de se maîtriser dans le seul dessein de se tenir en main. Il s'agissait de tout mettre en oeuvre comme pour servir une passion. Et cela avait bien l'air d'être un plaisir.

François dévorait les jeûnes comme d'autres la nourriture. Il courait après la pauvreté comme d'autres se sont rués vers l'or. Cet acharnement passionné, cet appétit formidable, c'était son défi au monde moderne assoiffé de plaisirs. Mais ce n'est pas tout. Ce fait, historiquement incontestable, se doublait d'un autre, également assuré. Cette conduite héroïque - ou anormale - du moment où il sortit dans la forêt gelée vêtu de son seul cilice, jusqu'au moment où il fut à sa demande couché sur le sol nu pour y mourir, il est certain qu'elle fut la sienne parce qu'il voulait prouver qu'il n'avait et n'était rien. Et quasiment la même profonde certitude nous faire dire que les étoiles qui étincelaient au-dessus de ce corps décharné, raidi sur le sol dur, virent, pour une fois dans leur révolution autour de ce globe souffrant, un homme heureux...."

 

                         extrait de "Saint François d'Assise" par G.K. Chesterton (édit. D.D.M, 1979)

 

              
Commenter cet article