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la Grèce de t'Serstevens

Publié le par Christocentrix

A. t'Serstevens occupe une place très singulière dans la littérature contemporaine. Il est poète, romancier, mais avant tout voyageur, et il fut un des rares écrivains de notre temps à perpétuer une tradition où s'illustrèrent jadis le père Labat, le président de Brosses, le Père Hue et Théophile Gautier : la tradition, pourrait-on dire, du dépaysement humaniste.       

Itinéraire Grèce continentale (T'serstevens)

Passionnément amoureux de la vie, des êtres et des paysages, il ne parcourt le monde que pour en mieux comprendre l'authentique originalité. Il possède au plus haut point cette gaieté devant les choses, cette honnêteté sans conformisme qui lui permet d'entrer en sympathie profonde avec les hommes et les éléments. D'où le charme extrême de ces Itinéraires qui nous emmènent aujourd'hui en Grèce continentale. Pour les Grecs, comme pour A. t'Serstevens " l'homme est la mesure de toute chose " et " Itinéraires de la Grèce continentale " illustre ce que l'auteur, de son vivant, disait de lui-même : "je suis un ouvrier consciencieux qui travaille avec des mots, comme un menuisier avec du bois ". Pénétrer dans l'intimité d'un peuple, se mêler à sa vie quotidienne et découvrir en même temps derrière des visages contemporains la trace vivante de la tradition, de l'histoire et de la légende, c'est ce que souhaite celui qui pose le pied sur une terre étrangère, non pour y distraire son ennui mais pour y lire, dans les regards humains et dans les paysages où se confondent l'eau, la terre et la pierre, la longue aventure de l'homme. C'est pour ce voyageur emporté vers la mer hellenique et vers ce sol où pour la première fois le sourire de l'homme fut rayonnant, à l'égal de celui des dieux, que A. t'Serstevens a écrit ce livre.

                                   (les livres de t'Serstevens sont illustrés par Amandine Doré)

 

Après les "Itinéraires de la Grèce continentale"," le Périple des Archipels Grecs" nous entraine à découvrir "la plus harmonieuse floraison de terres et d'archipels qui se soit épanouie dans l'immense jardin bleu de la Méditerranée". Eubée, Thassos, Samotraki, Chios, Délos, Mykonos, Naxos, Paros, Ios, Santorini, Hydra, Egina, Lesbos, Rhodes, Patmos, Kalymnos, Corfou, Ithaque, et bien-sûr la Crète.... "On ne sait quel dieu poète ou jardinier a semé sur la Mer intérieure cette prodigieuse floraison d'îles chatoyantes. Du canal d'Otrante aux rives de la Thrace, tout au fond du golfe Pélagique, il a répandu sur les flots céruléens cette merveilleuse guirlande d'archipels. Et ces parterres établis, festonnés de vagues sans cesse renouvelées, il leur a donné des noms qui semblent les accords d'une lyre orphique : Ioniennes, Cyclades, Sporades, Dodécanèse; et à chacune des îles, d'autres noms d'une harmonie subtile, comme si leurs syllabes assemblées participaient d'un mode musical transcendant. Cette onomastique instrumentale éveille au plus profond des cerveaux sensibles des échos extraordinairement amplifiés par tout ce que nous avons appris dans l'adolescence et même au-delà les mythologies bienheureuses et les belles histoires que nous ont contées les poètes et les grands écrivains de la Grèce antique, depuis Homère jusqu'à Plutarque; car il n'est aucune de ces îles qui ne nous évoque des dieux paillards, des héros légendaires, des escales ulyssiennes, des batailles surhumaines, appuyées qu'elles furent par Athéna-aux-yeux-bleus ou le Poséïdon maritime.

périple des archipels (T'serstevens)

Aux deux bouts de cette longue guirlande se trouvent deux îles qui se distinguent curieusement des autres Corfou et Thasos, couvertes d'une végétation si drue qu'elles semblent des corbeilles bercées par la houle. Les autres, que les anciens considéraient comme les jardins d'une Hespéride méditerranéenne, ont été presque entièrement nettoyées de leurs forêts par leurs occupants successifs. On sait que les Vénitiens, bâtisseurs de cités lagunaires et grands constructeurs de navires, étaient de terribles bûcherons. Toutes les séculaires pineraies des îles dalmates ont fourni à Venise les pilotis de ses palais, et le bois des îles grecques était le grand commerce des familles patriciennes qui ne rougissaient pas d'une telle dévastation ni d'une telle dérogeance. La plupart des îles en sont restées dépouillées de leur riche manteau. Mais elles gagnent ainsi en grandiose et en plastique sévère ce qu'elles ont perdu en charme bucolique. Rien n'est plus noble que leurs profils rocheux qui se découpe nettement sur le ciel et se teintent des couleurs les plus délicates, à mesure que le soleil s'élève ou décline. On ne peut parler ici de couleurs mais de nuances, tant la gamme des tons est d'une délicate aristocratie.

Si l'on excepte Rhodes la mordorée, Kalymnos la bleutée, Corfou la vénitienne, et deux ou trois îles proches du continent grec, toutes les autres nous offrent le même radieux décor de villes toutes blanches édifiées sur des collines rousses, ou nonchalamment étendues le long du rivage. Un blanc où il n'y a de vert ou de mauve que les ombres de midi ou du soir, un blanc mat qui n'évoque ni la neige ni le marbre, un blanc de chaux tant de fois renouvelé qu'il arrondit les angles des murs et en amortit les reliefs, et si universellement blanc qu'on n'y voit pas la moindre tache, à croire que les habitants de ces bourgs ont sans cesse à leur portée un pot de cette couleur candide et un pinceau dont ils recouvrent la plus petite macule. Cette passion du blanc va jusqu'à en peindre le tronc des arbres, la bordure des trottoirs, le contour des dalles, les pots à fleurs, et même parfois les tuiles des toits. Et tant est suave la lumière de ces archipels, toujours tamisée par une fine brume venue de la mer, que toute cette blancheur n'a rien d'éblouissant, caresse l'oeil sans le blesser, et absorbe toutes les couleurs qui l'environnent, même les rouges et les orangés. Et le ciel bleu fin, sans outremer, ne semble là que pour encadrer de son immuable sérénité tant de surfaces liliales...[...]...

Tous les bourgs et villages de ces îles, par leur blancheur unanime et le caractère purement local de leur architecture, sont un enchantement pour l'oeil et pour l'esprit, à ne savoir que choisir pour sa délectation entre Santorin, par exemple, crête lumineuse d'une falaise brûlée, ou Patmos juché sur son piton, de l'indolent Paros, les pieds dans l'eau, ou Kos allongé sur sa rive de sable. Somme toute les villes des archipels, parce qu'elles font corps avec les admirables paysages qui les encadrent, et ont conservé toute leur personnalité, sont beaucoup plus grecques et plus séduisantes que celle du continent.

                                                                             

                                                              ***

 

Un des derniers témoins de cette longue lignée de voyageurs humanistes, où brillèrent jadis Montaigne, Théophile Gautier ou Barrès, Albert t'Serstevens s'est toujours efforcé d'être un écrivain du plaisir - plaisir qui est aussi celui du lecteur - et dont déborde le Périple des Archipels Grecs : le plaisir de redécouvrir, en gardant toujours le contact avec les hommes d'aujourd'hui, les traces de l'homme et l'empreinte des dieux sur cette terre qui est comme " un bouclier posé sur la mer au sourire innombrable".

De l'un des livres de A. t'Serstevens, Paul Léautaud écrivait : "J'ai lu, ces trois dernières soirées, un très beau livre de voyage de t'Serstevens. C'est écrit sans bavardage, cela n'a rien d'un guide. C'est hardi, personnel, d'esprit libre, aristocratique. Un personnage de femme ou de maîtresse y met de temps en temps un charme intense... Deux choses survivent au tumulte et à l'agitation des hommes : l'amour et l'art". Ce livre aurait pu être "le Périple des Archipels Grecs".

 

(note : il s'agit ici de la Grèce des années 50/60) 

(sur t'Serstevens : http://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_t'Serstevens )

 

 

 

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