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combat invisible

Publié le par Christocentrix

« Un intellect spirituel, écrit saint Jean Climaque, est toujours revêtu d'une sensibilité spirituelle. Comme elle est en nous et en même temps n'y est pas, nous ne devons jamais cesser de la rechercher. Et quand elle apparaît, les sens extérieurs cessent d'eux-mêmes leur propre activité. Il savait cela, le sage qui a dit : " Alors tu découvriras un sens divin " (Prov., 2, 5) 10. »

En disant qu'« elle est en nous et en même temps n'y est pas », Jean Climaque nous laisse entendre que cette sensibilité spirituelle, toujours présente dans l'homme, connaît cependant des modalités diverses et est appelée à se développer; elle se confond d'abord avec la conscience morale, qui est déjà une connaissance instinctive du bien et du mal; mais, à mesure que l'âme se purifie et qu'en elle l'image divine devient « ressemblance » sous l'action de l'Esprit-Saint, cette sensibilité s'éveille davantage et permet à l'homme de percevoir la saveur ou le parfum du bien, et, par contraste, la puanteur du mal; elle lui donne par là même l'élan et la force nécessaires pour agir. La citation du livre des Proverbes, d'après une ancienne version grecque, nous renvoie à la doctrine des « sens spirituels » élaborée par Clément d'Alexandrie et Origène, et reprise par Macaire d'Égypte, Grégoire de Nysse et Diadoque de Photicé. Ces maîtres spirituels, qui comptent parmi ceux qui ont eu le plus d'influence dans les Églises de langue grecque, enseignaient en effet que, de même que « l'homme extérieur » possède cinq sens corporels, l'« homme intérieur », l'« homme caché du coeur » (expression biblique, cf. 1 Pierre, 3, 4), qui s'identifie avec le noûs, appelé aussi dans ce contexte esprit (pneuma), intelligence (dianoia) ou faculté maîtresse (hégémonikon) de l'homme, est doué d'une sensibilité (aisthèsis) que l'Esprit-Saint éveille en lui et qui le rend réceptif à ses inspirations. L'âme, recueillie à l'intérieur d'elle-même par l'attrait divin, n'est plus atteinte alors par les bruits et les sollicitations du dehors; c'est en ce sens que, comme le disait Jean Climaque. « Les sens extérieurs cessent d'eux-mêmes leur propre activité. »

Une telle psychologie est évidemment fort éloignée des théories généralement reçues dans le monde contemporain. On ne saurait, certes, trouver illogique qu'un psychologue matérialiste et athée ne voie en chaque homme qu'un individu qui serait irrésistiblement dominé par ses pulsions de désir, surtout sexuel, et d'agressivité (qui, chez lui, ne bénéficient pas de la régulation de l'instinct comme chez les animaux), si les interdits posés de l'extérieur par son entourage humain ne le rendaient peu à peu sociable. Dans cette hypothèse, la conscience morale ne pourrait être par ses origines, comme on l'a dit, que « de l'angoisse sociale, et rien de plus ». Tout autre est, selon les Pères, l'origine de la conscience et la source de la morale. Certes, ils étaient conscients de la présence dans l'homme déchu des pulsions déréglées de désir et d'agressivité qui jaillissent de ces deux parties de l'âme qu'ils nommaient le concupiscible et l'irascible, et ils attribuaient à la partie supérieure de l'âme (noûs), lorsqu'elle est infectée par le péché, des vices comme la vaine gloire, l'orgueil ou l'insensibilité spirituelle. Mais ils savaient que, parce que l'homme est créé à l'image de Dieu, il existe toujours en lui, peut-être enfoui profondément au fond de son coeur et recouvert par la « rouille » des passions, un sens moral, une aspiration vers le bien que la grâce divine, si elle est appelée par le repentir, peut venir fortifier. C'est sur cette conviction qu'était fondé le solide optimisme de saint Antoine le Grand : « Ne craignez pas en entendant parler de vertu, ne vous étonnez pas du nom. Elle n'est pas loin de nous, elle ne se forme pas hors de nous, l'oeuvre est en nous, elle est facile, pourvu que nous voulions. Les Grecs voyagent et passent la mer pour étudier les lettres. Nous n'avons pas besoin de voyager pour le Royaume des cieux, ni de passer la mer pour la vertu. Nous devançant, le Seigneur a dit : Le Royaume des cieux est au-dedans de vous (Luc, 17, 21). La vertu n'a donc besoin que de notre bon vouloir, puisqu'elle est en nous et se forme de nous. Si l'âme conserve sa partie intelligente conforme à la nature, la vertu se forme. Elle est selon la nature quand elle demeure comme elle a été faite, car elle a été faite belle et droite. Pour l'âme, être droite, c'est avoir l'intelligence selon la nature, comme elle fut créée; mais lorsqu'elle dévie et se met en distorsion par rapport à la nature, alors on parle de vice de l'âme. La chose n'est donc pas difficile; si nous demeurons tels que nous avons été faits, nous sommes dans la vertu, mais si nous méditons des choses mauvaises, nous sommes jugés mauvais. Si la chose devait être cherchée au dehors, ce serait difficile, mais, puisqu'elle est en nous, gardons-nous des pensées impures et gardons notre âme au Seigneur comme ayant reçu un dépôt, afin qu'il reconnaisse son oeuvre, la trouvant telle qu'il l'a faite. » ...

 

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Par le baptème, l'homme a été délivré de la captivité du démon. L'inclination vers le mal, les tentations, n'ont plus pour lui le caractère nécessitant de ce que l'apôtre Paul appelait la "loi du péché" (cf. Rom., 8, 2), qui, malgré les remords de sa conscience, l'entrainaient irrésistiblement vers le mal. L'Esprit-Saint qui désormais habite dans son coeur éveille en lui une attirance efficace vers Dieu et les choses qui plaisent à Dieu, attirance qui le fortifie contre les séductions du mal et le rend capable, s'il y consent, d'y résister victorieusement. Néanmoins, ces séductions demeurent, et le baptisé continue à en ressentir l'attrait. Son coeur demeure ainsi le lieu d'un combat redoutable entre les sollicitations de l'Esprit-Saint et les « pensées » (logismi) mauvaises, le terme de logismos désignant dans le vocabulaire des Pères les mouvements intérieurs, les attraits et les pensées qui entraînent vers le mal. Il se déroule en nous un combat spirituel plus ardu que la guerre visible, disait Philothée le Sinaïte. Macaire d'Égypte nous révèle les dimensions de ce combat redoutable : « Celui qui renonce véritablement au monde, qui s'est arraché aux vaines convoitises, aux plaisirs charnels, à la gloire, au pouvoir, aux honneurs humains, qui s'en éloigne de tout son coeur, celui-là découvre en lui-même des ennemis secrets, des passions cachées, des attaches invisibles, une guerre occulte, une lutte et un combat dissimulés. Alors il implore le Seigneur et reçoit du ciel les armes de l'Esprit, comme le dit le bienheureux Apôtre : " La cuirasse de justice, le casque du salut, le bouclier de la foi, le glaive de l'Esprit " (Eph., 6, 14 s.). Ainsi armé, il pourra résister aux manoeuvres secrètes du Malin (Eph., 6, 11). »

« La plupart des hommes qui veulent pourtant plaire à Dieu, par défaut de connaissance véritable, ne fatiguent que leur chair. Mais c'est par l'esprit, par les pensées et par les vouloirs intimes et secrets, qu'il faut que l'homme de Dieu combatte. C'est là le vrai combat selon Dieu de l'âme contre les multiples suggestions invisibles des puissances mauvaises. " Nous n'avons pas, est-il écrit, à combattre contre le sang et la chair, mais contre les Principautés et les Puissances "(démoniaques) (Eph., 6,12). Or ces esprits du mal, invisibles et incorporels, l'emportent sur les ennemis visibles autant que l'âme invisible et incorporelle l'emporte sur l'épaisseur des corps. Il doit donc y avoir dans l'homme intérieur un combat et une lutte invisibles et incorporels. Ce combat, nos Pères l'ont mené dès l'origine, bien qu'ils aient paru extérieurement semblables au reste des hommes. » (Saint Macaire d'Egypte, Homélies spirituelles, L'Homme créé à l'image de Dieu).

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extrait de "Corps, Ame, Esprit" par le Père Placide Deseille. (Mercure Dauphinois, 2004).

 

 

 
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