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Jésus face aux préjugés nationaux (2)

Publié le par Christocentrix

La vraie noblesse et la vraie race.

Dans toute la suite de son ministère, les occasions ne manquèrent pas à Notre-Seigneur de reprendre directement les préjugés raciques de ses compatriotes. Un jour, notamment, ils lui en fournirent eux-mêmes l'occasion. Jésus ayant proclamé que ceux qui persisteront dans sa doctrine connaîtront la vérité et que la vérité les affranchira, plusieurs de ses auditeurs se récrièrent hautement : « Nous sommes de la race d'Abraham et nous n'avons jamais été les esclaves de personne. Pourquoi dites-vous que nous serons libérés? »

Que d'illusions dans cette rubrique! Les protestataires oublient la sujétion actuelle d'Israël , et leur ardent désir de liberté nationale; ils oublient que sur quinze siècles d'histoire depuis Moïse, ils ont connu à peine quatre siècles d'autonomie!... Ils se méprennent surtout sur la nature de la liberté dont parle le Sauveur, qui est tout intérieure et morale. Le Maître leur répond par un discours qui tend tout entier à leur faire comprendre que la vraie liberté et la vraie noblesse consistent à être fils d'Abraham non par le sang, mais par la foi et par les œuvres. Ses contradicteurs ont beau se vanter de leur généalogie, leur conduite est en opposition avec celle de leur ancêtre et avec la doctrine que Jésus leur apporte de la part du Père céleste. Ce n'est point la race qui justifie, mais la foi que le Père des croyants accorda à la parole et à la promesse du Messie. Ceux qui rejettent cette parole et repoussent le Messie que Dieu a envoyé, seraient-ils les plus nobles de leur race, deviennent par le fait les enfants du démon.

On peut donc devenir enfant de Dieu sans être enfant d'Abraham par la chair. Nous retrouvons cette idée dans la doctrine de la naissance spirituelle, maintes fois affirmée dans l'Evangile de saint Jean, notamment dans les déclarations de Jésus à Nicodème. « Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'esprit est esprit. » Cette naissance spirituelle, condition indispensable du salut, est le résultat de la foi, de la charité, du choix divin, du baptême dans l'eau et l'Esprit-Saint, et elle n'a rien à voir avec la chair et le sang, ni avec la filiation naturelle d'Abraham.

Dans un tel système, le privilège national des enfants d'Israël perd tout fondement, toute réalité. Les pharisiens le comprennent si bien qu'ils mettent le point final à la discussion en injuriant le Maître et en le traitant de mauvais Juif : « N'avions-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain? ».


L'attitude de Jésus envers les victimes des préjugés nationaux.

Notre-Seigneur a vécu son Evangile autant qu'il l'a enseigné. Aussi son véritable sentiment à l'égard de l'exclusivisme jaloux de ses compatriotes nous sera connu autant par sa conduite que par Son enseignement parlé. Nul être humain rencontré sur sa route n'a été privé de son estime ou de ses bienfaits en raison de sa situation sociale ou de sa nationalité : publicains, prosélytes et même païens, au grand scandale des pharisiens, ont reçu de lui des marques de sympathie et parfois bénéficié de sa miraculeuse bienfaisance.


« Ami des publicains et des pécheurs ».

Ses adversaires pensent l'injurier en le traitant d'ami des publicains; loin de tenir compte de ces critiques, il appelle un de ces fonctionnaires honnis, en l'interpellant à son bureau même à Capharnaüm, à devenir son disciple et à le suivre incontinent. Lévi-Matthieu obéit aussitôt à cet appel du Maître; mais pour dire adieu à ses collègues, il organise un dîner auquel il convie, avec Jésus et ses disciples, un grand nombre de « publicains et de pécheurs ».

Dans la rue, les scribes du parti pharisien, interpellent les amis de Jésus : « Et quoi? Votre Maître mange et boit avec les publicains et les pécheurs! » Jésus répond que les gens bien portants (expression qui vise avec une pointe d'ironie les pharisiens) n'ont pas besoin de médecin, mais bien les malades et qu'il est venu appeler non point les justes, mais les pécheurs.

On connaît aussi l'histoire de Zachée, riche publicain de Jéricho, chez qui Notre-Seigneur s'invite lui-même :« Zachée, descends vite, car il faut que je loge aujourd'hui dans ta maison. » Dans la foule, on murmure : « Il est allé chez un pécheur! ». Le Sauveur continue en scandalisant encore les Juifs qui l'écoutent : « En ce jour, le salut est arrivé pour cette maison, car celui-ci est aussi un fils d'Abraham. »

La parabole si connue du pharisien et du publicain est un autre exemple où Jésus met en honneur le fonctionnaire de l'occupant au détriment de l'orgueilleux « disciple des sages d'Israël ».

Une seule fois, dans l'Evangile, nous voyons le Christ en relation avec des prosélytes, c'est à-dire avec des étrangers sympathiques au judaïsme et plus ou moins affiliés à la nation juive. Saint Jean nous parle de certains Grecs (Hellènes), « montés à Jérusalem pour adorer pour la fête ». Les prosélytes ne pouvaient d'ailleurs participer qu'à des rites secondaires et étaient admis seulement dans le parvis des Gentils.

Ceux-ci, curieux de connaître Jésus, lui sont présentés par les apôtres Philippe et André. Il fait devant eux des déclarations importantes sur sa vocation de Messie, et sur le principe fondamental de sa doctrine : le mystère de la croix.


Jésus et les païens.

Les rencontres du Maître avec les païens sont plus fréquentes. Ses rapports avec eux ignorent totalement les préjugés et le dédain judaïque. Par plusieurs miracles, il prélude aux bienfaits dont sa rédemption les comblera.

Lorsque ses compatriotes de Nazareth le prient de faire autant de miracles dans sa ville qu'on lui en attribue dans les cités voisines, il leur fait comprendre qu'ils ne doivent pas s'attendre à un traitement de faveur. Il ajoute que les Goym eux-mêmes ont autant de droits que ses parents et camarades de Nazareth aux prodiges de sa puissance et de sa bonté. 

Et il leur cite les exemples bibliques du prophète Elie qui multiplia la farine en faveur d'une veuve du pays de Sidon et non en faveur de ses compatriotes, et celui d'Elisée qui guérit non les lépreux d'Israël, mais Naanan le Syrien.
Cette perspective des miracles réservés aux étrangers remplit de fureur les Nazaréens qui le chassent de leur ville.

De fait, le Sauveur a parfois exercé sa puissance divine en faveur des Goym. Nous connaissons la guérison de la fillette chananéenne, dont nous aurons l'occasion de reparler et celle du serviteur du centurion de Capharnaüm. Cet officier de la garnison romaine est généreux et sympathique aux Juifs, puisque les notables de la ville le présentent à Jésus comme ayant fait construire leur synagogue. Jésus exauce sa demande parce que, déclare-t-il, il « n'a jamais trouvé, même en Israël, une si grande foi ». Et il prend occasion de cela pour annoncer que, dans le royaume qu'il veut établir, beaucoup viendront des pays lointains qui seront admis à table avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les « fils du royaume seront rejetés dans les ténèbres du dehors ».
Ici, manifestement, en montrant à ses auditeurs cette perspective d'un Royaume réservé aux Goym maudits, le Sauveur veut délivrer leur esprit de leur aveugle confiance dans les destinées de leur nationalité, comme nous le verrons plus spécialement prochainement. Et se proposerait-il un but différent lorsqu'il menace ses frères en Israël d'être condamnés au jour du jugement par les païens et les étrangers? (Matt., XII, 38-42). Dans ces versets terribles, le Sauveur compare la conduite de ses compatriotes à son égard avec celle des Ninivites envers le prophète Jonas et avec celle de la reine de Saba envers Salomon. Au jugement, ces Goym condamneront « cette génération » (traduction d'un mot grec qui veut dire aussi : race). Leur mérite sera, en effet, bien plus grand : les Ninivites écoutèrent un prédicateur qui venait d'un pays étranger et parlait au  nom d'un Dieu inconnu; et cette « génération » repousse un prophète de son sang et de sa religion. La Reine de Saba faisait un tel cas de la sagesse divine qu'elle vint des plus lointains pays pour s'en instruire auprès d'un roi d'Israël, alors que cette « génération » méprise les enseignements d'un Messie qu'ils possèdent chez eux : « Et il y a plus ici que Jonas..., et il y a plus ici que Salomon. »
Nous pouvons imaginer la colère qui grondait dans l'esprit des pharisiens lorsqu'ils entendaient ces comparaisons humiliantes. Vraiment, le Rabbi galiléen ne fait aucune différence entre les enfants d'Abraham et les « chiens » de païens ! Ne donne-t-il même pas la première place à ceux-ci? Ne mérite-t-il pas décidément l'épithète de Samaritain?


Jésus et les Samaritains.

Le contraste de l'esprit nouveau avec l'orgueil racique et le farouche égoïsme national des Juifs apparaît particulièrement dans les rapports que le Maître voulut avoir avec les habitants de la Samarie.

Malgré les préventions de ses compatriotes qui, pour aller de Galilée en Judée, suivaient d'ordinaire la route de la vallée du Jourdain afin d'éviter la province honnie, notre Sauveur paraît avoir préféré, pour se rendre à la capitale et en revenir, le chemin direct qui traversait la Samarie. C'est au début de sa vie publique qu'il rencontre, au puits de Jacob, près de Sichar, la femme devenue célèbre sous le nom de la Samaritaine. Lorsque le Maître lui adresse la parole, elle en est tout étonnée, « puisque tu es Juif et que je suis Samaritaine... Car il n'y a pas de rapports entre nos deux nations ». Comment un Juif ne craint-il pas de se souiller en buvant au seau d'une femme étrangère?

Toute l'attitude du Christ dans cette anecdote évangélique si bien contée par saint Jean (IV, 4-42), nous montre manifestement son intention de supprimer dans l'esprit de ses disciples toute prévention contre le Samaritain méprisé.

Cet ordre donné aux apôtres d'aller s'approvisionner dans la bourgade voisine malgré le proverbe qui disait : « Manger le pain d'un Samaritain, autant vaut manger de la viande de porc » - cette longue conversation avec une femme de Samarie au risque de l'étonner elle-même et de scandaliser ses apôtres - cette dissociation de la question religieuse et de la question nationale - cette prédication de la fin du culte national soit au Garizim, soit à Jérusalem - cette allusion à la moisson prochaine, moisson spirituelle au champ illimité, tout, jusqu'à cet empressement à répondre à l'invitation des habitants de Sichar de séjourner dans leur ville - tout cela témoigne d'un esprit vraiment nouveau en Israël et du désir de voir les différences de clans ne plus opposer de limites aux aspirations de la charité ou de l'apostolat.

Un autre voyage à travers la Samarie nous est raconté par saint Luc (IX, 51-56). Les habitants d'un village refusent de recevoir le Maître parce qu'ils ont compris que lui et sa suite se rendent à la ville sainte des Juifs détestés, Les impétueux « fils du tonnerre » veulent appeler le feu du ciel sur la bourgade inhospitalière alors qu'ils n'ont pas proposé le moindre châtiment pour d'autres villes juives où leur Maître a été repoussé, injurié, menacé. A l'indignation, justifiée dans son principe, se joint donc probablement le désir de vengance contre des ennemis. Voilà pourquoi Jésus réprouve leur zèle et blâme leur intolérance : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. »

Et il dirige ses pas vers un autre village où Celui qui n'a pas où reposer sa tête trouvera un gîte pour la nuit.

Nous ne savons si les dix lépreux guéris miraculeusement ont rencontré Jésus en Samarie ou en terre juive; mais parmi eux se trouvait un Samaritain et c'est le seul qui vient remercier Jésus. Il est digne de remarque que Notre-Seigneur souligne très expressément ce fait : « Il ne s'en est pas trouvé un seul pour revenir rendre gloire à Dieu, si ce n'est cet étranger! »
Il ajoute : « Va, ta foi t'a sauvé. » La foi au Messie d'Israël peut donc attirer les bénédictions divines aussi bien sur un ennemi de nationalité que sur un Juif de race.
S'il peut être béni de Dieu, le Samaritain doit être aussi aimé des Juifs. C'est la conclusion de la belle parabole du bon Samaritain que Notre-Seigneur prononça comme réponse à la question d'un Docteur de la Loi, se disant curieux de savoir quelle extension il fallait donner au mot « prochain » dans le précepte : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Le héros principal du récit et le plus sympathique est un Samaritain et il y figure précisément en sa qualité d'étranger. « La distinction des nationalités est essentielle à la parabole », écrira le P. Lagrange.
A un homme attaqué, blessé et dépouillé par des brigands, trois autres voyageurs pourraient porter secours; un seul le fait et c'est un Samaritain. Les deux autres sont des membres des classes les plus élevées de la nation, un prêtre et un lévite; ils passent outre avec l'indifférence la plus sereine, peut-être pour des raisons de pureté légale. Au contraire, le charitable étranger, sans s'informer de la nationalité du malheureux, le panse, le relève, l'assujettit sur sa propre monture et le conduit au refuge le plus proche, où l'on sait tous les soins qu'il prend de lui et toute la générosité qu'il lui témoigne.

Ayant terminé son récit, Jésus interroge à son tour le Docteur de la Loi : « Lequel des trois te semble avoir été le prochain de l'homme qui tomba entre les mains des brigands? » Et le scribe de répondre : « C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui. - Va, toi aussi, et fais de même », conclut le Maître, c'est-à-dire : « Considère comme ton prochain tout homme qui a besoin de ta charité, sans tenir compte des limites qui séparent les nations, des haines qui divisent les races. »

Contrairement aux idées courantes chez les rabbins, le titre et les droits de prochain ne sont pas réservés aux Israélites, mais s'étendent à tous les hommes, même aux Samaritains abhorrés : La parabole du bon Samaritain, dit le P. Buzy, est la parabole de notre fraternité humaine comme le Pater est la prière de notre filiation divine. « Désormais, la notion de prochain déborde la nationalité, s'élargissant jusqu'aux frontières de l'humanité et ne tenant plus compte des préjugés qui opposent la solidarité nationale à la solidarité humaine. »


Parvenus à ce point de notre réflexion, en comparant les témoignages de la pensée juive à l'époque du Christ avec les documents évangéliques, ne pouvons-nous pas nous rendre compte que Jésus de Nazareth n'était vraiment pas le type du prophète que ses compatriotes eussent aimé entendre?

Ce n'est point qu'il y eut, en matière proprement religieuse ou métaphysique, un désaccord essentiel entre l'enseignement de Jésus et les croyances reçues (sauf en ce qui concernait la personne et le rôle du Christ). La différence, l'opposition étaient dans la manière d'envisager l'ensemble du problème moral et religieux, les Juifs considérant le culte de Yahvé (et en retour ses bénédictions) comme leur droit exclusif et leur bien propre, tandis que pour Jésus le sort du Royaume de Dieu n'est pas lié à celui du peuple élu : Fils unique du Très-Haut, il a l'ambition de faire connaître, aimer et servir son Père par tous ses enfants de la terre. Dans les conditions d'admissibilité au Royaume, il n'y a plus aucune restriction particulariste. La filiation divine et le salut seront le lot de toute âme de bonne volonté.

Et c'est précisément ce qu'Israël ne peut admettre.

M. Klausner nous dit que par sa prédication, le Sauveur « annulait le judaïsme et la force de vie (life-force) de la nation juive et aussi la nation elle-même comme nation. Car, ajoute-t-il, une religion qui possède seulement une certaine conception de Dieu et de la moralité acceptable pour tout le genre humain, n'appartient pas à une nation spéciale, et, consciemment ou inconsciemment elle renverse et déborde les barrières de la nationalité ».

Ce fut, en effet, ce que redoutèrent les guides du peuple juif. Et c'est au contraire ce qui réjouira le pharisien fanatique Saul de Tarse lorsqu'il sera devenu l'apôtre Paul : « Maintenant en Jésus-Christ, vous qui étiez jadis éloignés, vous êtes rapprochés... car c'est le Christ qui est notre paix, lui qui de deux peuples n'en a fait qu'un; il a renversé le mur de séparation, l'inimitié... car par lui nous avons accès les uns et les autres auprès du Père, dans un seul et même Esprit. »

Dans une suite, nous verrons comment Jésus se positionnera face au messianisme nationalitaire.... 

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