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Totalitarisme (2) : démocratie totalitaire

Publié le par Christocentrix

Jacob Talmon, en étudiant la généalogie du totalitarisme, avait déjà souligné les ressemblances entre le jacobinisme et le stalinisme. D'après lui, ce type de messianisme politique se situe dans l'héritage de la Révolution française. Il est un des premiers, avec Bertrand de Jouvenel, (1) à avoir employé les termes de "démocratie totalitaire" (2). Plus près de nous, Alexandre Zinoviev développera l'idée selon laquelle on assisterait aujourd'hui à l'émergence d'une nouvelle espèce de totalitarisme, le totalitarisme occidental : « Depuis la fin de la guerre froide, [...] on assiste à une décadence vertigineuse de la démocratie, à tous les niveaux et dans toutes les sphères de la vie publique des pays occidentaux, témoignant d'une tendance très puissante au totalitarisme généralisé. J'appelle cela le totalitarisme occidental. [...] La course du monde occidental vers le totalitarisme est occultée par le voile épais de la désinformation, de la propagande idéologique et du mensonge qui surpassent ceux de l'époque hitlérienne et stalinienne, tant par leurs moyens techniques et leur ampleur que par leur pénétration intellectuelle et leur hypocrisie. Le totalitarisme belliqueux de l'Occident s'avance sous le déguisement de l'humanisme, de la démocratie, de la lutte pour les droits de l'homme, de la justice. Mais par sa nature, ses actes et ses conséquences, ce totalitarisme est plus terrible et plus dangereux que ses précédents hitlérien et stalinien. En effet, il ne se dévoile pas, il est plus profond et ne rencontre aucune opposition sérieuse [...] (3).
                                                              
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Le déclin de la démocratie occidentale va de pair avec celui de l'Etat-nation en tant que cadre privilégié de la vie politique et économique. « Nous vivions hier à l'heure des États, des nations et des peuples. Nous sommes aujourd'hui dans l'ère des continents, des communautés et des réseaux », résume Alain de Benoist dans l'Ecume et les galets... « Le capitalisme post-moderne n'est plus ordonné à la nation ; le développement des forces productives ne contribue plus tant à la puissance des États qu'à leur propre puissance au détriment des États »(4). Car, autre caractéristique de l'ère nouvelle, la technique est devenue à elle-même sa propre fin. A vrai dire, comme l'a montré Hannah Arendt dans la Condition de l'homme moderne, (5), cette tendance ne date pas d'hier, elle est consubstantielle à la civilisation technique. Elle remonte aux origines même de la société industrielle. Mais son triomphe apparaît aujourd'hui sans partage. Le néo-totalitarisme occidental ne se développe donc pas dans un cadre national mais bien continental et même intercontinental. Il est lié à la montée en puissance d'organismes inter ou supranationaux en nombre croissant, tous étroitement imbriqués entre eux. Certains ont un fonctionnement officiel (UE, OTAN, ONU, UNESCO, OMC, etc.), d'autres plus discret voire occulte. En ce sens, comme le relève Paul Virilio, on ne devrait pas parler de totalitarisme, mais de globalitarisme, « car il s'agit effectivement d'un totalitarisme qui s'étend à la totalité de la planète. Le "globalitarisme" c'est le totalitarisme des totalitarismes. A l'inverse du nazisme ou du stalinisme, il n'est lié à aucune forme d'impérialisme, mais il fait de la terre un univers clos » (6). On peut si l'on veut, continuer à parler d'impérialisme, mais l'impérialisme se confond ici avec l'exercice même du pouvoir totalitaire, les armées en campagne fonctionnant comme simples forces de maintien de l'ordre (ou de la « paix »).
Corrélativement, on assiste à la mise en place de juridictions permanentes intégrées au système de l'ONU, première étape en direction de l'instauration d'un Nouvel ordre pénal international, appelé lui aussi à s'étendre à la totalité de la planète. Officiellement il s'agit de sanctionner les violations les plus graves du droit humanitaire, en réalité l'objectif est de déposséder les États de leur souveraineté pénale au bénéfice de la « communauté internationale », autrement dit des actuelles institutions internationales érigées en gouvernement mondial (7).  Par les transferts de souveraineté, le législateur national a vu son champ d’intervention se réduire par rapport à celui des institutions européennes, mais en outre son initiative nationale est maintenant bridée par un contrôle de constitutionnalité érigé en contrôle de conformité idéologique. Dans nos prétendues démocraties les libertés publiques vont ausssi en se réduisant. En effet, la liberté n’est pas native : elle est une création politique de la cité, car elle découle de la souveraineté. Un peuple qui perd sa souveraineté perd donc nécessairement ses libertés.
Indépendamment de toute référence à la morale naturelle et de toute transcendance comme source du bien et du vrai, les représentants de la "volonté générale" normalisent ce qui est le "bien" et le "vrai" du moment. Les citoyens doivent se soumettre à ces lois indiscutables puisque la seule morale reconnue est celle de la volonté générale. S’ils n’obéissent pas, ils ne sont pas libres, ce sont des aliénés qu’il faut enfermer, soigner, rééduquer ou tout simplement éliminer !!! (Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps (Jean-Jacques Rousseau, Contrat social, (8)).
Dans une société traditionnelle, on n’est tenu d’obéir en conscience à l’autorité que si ses lois sont conformes à la morale naturelle. Cette morale est une référence fixe, extérieure à l’homme, elle dépend de notre nature et en définitive de la volonté de l’Auteur de notre nature. Aucune autorité humaine n’a le pouvoir de décider de ce qui est bien ou mal, il y a une transcendance qui échappe à tout vouloir humain. À l’inverse, les régimes modernes - et en particulier la démocratie (volonté générale) - parce qu’ils ne reconnaissent aucune transcendance, substituent à la morale naturelle une morale de majorité, une morale variable, une morale de circonstance qui produit des lois auxquelles il est impossible de dire "non". En effet : à quel titre pourrait-on dire "non" quand il n’existe rien d’absolu sinon ce dogme de la volonté générale ? Surtout, l’absence de transcendance consacre l’absence de limites : la volonté générale autoréférente est prête à toutes les redéfinitions du "vrai" et du "bien". Toutes les dérives sont désormais possibles, il n’y a plus d’obstacle au pire. Cette petite phrase de Rousseau ne contient-elle pas en puissance toutes les horreurs et tragédies que l’humanité vit depuis maintenant plus de deux siècles ? N’y trouve-t-on pas en germe ces régimes inédits issus de la Révolution que sont les totalitarismes ? y compris l'évolution de nos "démocraties" vers une forme de totalitarisme.
                                                                      
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Anna Arendt écrit dans Le Système totalitaire qu'on ne peut pas interpréter le totalitarisme comme quelque forme moderne et inédite de tyrannie, à savoir comme un régime sans lois, où le pouvoir est monopolisé par une homme. «(...) Au lieu de dire que le régime totalitaire n’a pas de précédent, nous pourrions dire aussi qu’il a fait éclater l’alternative même sur laquelle reposaient toutes les définitions de l’essence des régimes dans la philosophie politique : l’alternative entre régime sans lois et régime soumis à des lois, entre pouvoir légitime et pouvoir arbitraire (...) Avec le règne totalitaire, nous sommes en présence d’un genre de régime totalement différent. Il brave, c’est vrai, toutes les lois positives jusqu’à celles qu’il a lui-même promulguées. Mais il n’opère jamais sans avoir la loi pour guide et il n’est pas non plus arbitraire : car il prétend obéir rigoureusement et sans équivoque à ces lois de la Nature et de l’Histoire dont toutes les lois positives ont toujours été censées sortir. Telle est la prétention monstrueuse, et pourtant, apparemment sans réplique, du régime totalitaire que, loin d’être "sans lois", il remonte aux sources de l’autorité, d’où les lois positives ont reçu leur plus haute légitimité ; loin d’être arbitraire, il est plus qu’aucun autre avant lui, soumis à ces forces surhumaines ; loin d’exercer le pouvoir au profit d’un seul homme, il est tout à fait prêt à sacrifier les intérêts vitaux immédiats de quiconque à l’accomplissement de ce qu’il prétend être la loi de l’Histoire ou celle de la Nature (9).» 
                                                                 
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On dit volontiers que la démocratie occidentale serait l'antithèse du totalitarisme, mais de quoi au juste parle-t-on lorsqu'on dit qu'elle en est l'antithèse? Dans leur ouvrage également classique, Totalitarian Dictatorship and Autocracy (10), deux politologues américains, Carl Friedrich et Zbigniew Brzezinski, ont établi une liste de six critères permettant de définir le totalitarisme :
1) Une idéologie officielle à laquelle chacun est supposé adhérer (au moins passivement), idéologie fondée sur le rejet radical de la société existante et la volonté de lui en substituer une autre étendue au monde entier ;
2) un parti unique avec à sa tête un dictateur ;
3) un système de terreur soit physique, soit psychique, dirigé non seulement contre les adversaires déclarés du régime mais certaines fractions arbitrairement désignées de la population ;
4) la mainmise sur les médias ;
5) le monopole dans l'utilisation des armes à feu ;
6) une direction centralisée de l'ensemble de l'économie.   
                                                                       
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S'inspirant des critères déjà énoncés, Raymond Aron, dans Démocratie et Totalitarisme (11) propose une nouvelle formulation :
1. Le phénomène totalitaire intervient dans un régime qui accorde à un parti le monopole de l'activité politique.
2. Le parti monopolistique est animé ou armé d'une idéologie à laquelle il confère une autorité absolue et qui, par suite, devient la vérité officielle de l'État.
3. Pour répandre cette vérité officielle, l'État se réserve à son tour un double monopole, le monopole des moyens de force et celui des moyens de persuasion. L'ensemble des moyens de communication, radio, télévision, presse, est dirigé, commandé par l'État et ceux qui le représentent.
4. La plupart des activités économiques et professionnelles sont soumises à l'État et deviennent, d'une certaine façon, partie de l'État lui-même. Comme l'État est inséparable de son idéologie, la plupart des activités économiques et professionnelles sont colorées par la vérité officielle.
5. Tout étant désormais activité d'État et toute activité étant soumise à l'idéologie, une faute commise dans une activité économique ou professionnelle est simultanément une faute idéologique. D'où, au point d'arrivée, une politisation, une transfiguration idéologique de toutes les fautes possibles des individus et, en conclusion, une terreur à la fois policière et idéologique. (...) Le phénomène est parfait lorsque tous ces éléments sont réunis et pleinement accomplis."
                                                                                                    
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Dans l'Après-démocratie (12), Eric Werner fait un parallèle entre deux phénomènes aux origines du totalitarisme énoncés par Hanna Arendt (13), la terreur et l'idéologie, et l'évolution des démocraties : « A première vue, on pourrait être tenté de dire que le régime occidental actuel ne répond à aucun de ces deux critères. Mais il convient d'approfondir le problème. Considérons d'abord le critère idéologique. Hannah Arendt insistait sur le fait que toute idéologie a vocation à devenir totalitaire, dès lors qu'elle se mue en système clos, coupé de l'expérience concrète et par là même aussi de la réalité. C'est le cas manifestement du nazisme et du stalinisme, deux idéologies où effectivement la réalité s'efface complètement de l'horizon pour faire place à des raisonnements automatiques en circuit fermé. Ce n'est plus ici à la réalité qu'on se réfère pour discriminer le vrai du faux, mais bien à l'idéologie elle-même (en tant que logique de l'idée). C'est cette logique même, telle qu'elle progresse sur la base d'une simple aptitude à enchaîner un certain nombre de propositions les unes aux autres, qui permet de discriminer le vrai du faux. On débouche ici dans une distinction qui joue un rôle fondamental chez Hannah Arendt, celle entre le raisonnement idéologique et la pensée. L'idéologue raisonne bien, si l'on veut, en revanche il ne pense pas, au moins si l'on entend par pensée la référence aux autres et à la réalité. Or, à y regarder de près, n'en va-t-il pas de même avec l'idéologie dominante actuelle, celle des "droits de l'homme"? Là aussi, si l'on y prête attention, on est en présence d'un système clos, où malgré de fréquentes références à la « science » (en particulier aux sciences humaines), la pensée s'est largement transformée en simple aptitude à raisonner, à enchaîner un certain nombre de propositions les unes aux autres, à partir de prémisses érigées en dogmes. « La référence aux droits de l'homme ne fait d'ailleurs même plus l'objet d'une démonstration argumentée. Elle est posée comme une évidence, à laquelle il devient impensable de ne pas adhérer, par un discours officiel qui admet de moins en moins ce que Max Weber appelait le "polythéisme des valeurs". Les droits de l'homme accèdent ainsi à un statut qui était celui du marxisme-léninisme dans le système communiste », observe Alain de Benoist (14). Or le propre de l'enchaînement idéologique est de prendre appui sur cette première évidence pour en déduire un ensemble de propositions théoriques, mais aussi de maximes d'actions, que la pensée officielle s'emploie ensuite à soustraire à toute discussion possible (car, là encore, la réalité doit être mise hors-jeu). Un bon exemple en est l'interprétation que les idéologues des droits de l'homme donnent du principe d'égalité, principe jouant le rôle de prémisse dans un raisonnement où l'on commence par dire que tous les hommes étant nés libres et égaux en droit, il serait contraire à l'axiome égalitaire d'opérer entre eux la moindre discrimination. C'est le corollaire même de l'axiome égalitaire. Or, du principe de non-discrimination découlent toute une série de conséquences, entre autres et par exemple l'impossibilité logique qu'il y aurait à n'autoriser que certaines personnes à franchir une frontière et non tout le monde. Car les gens doivent être tous traités de la même manière. Il existe donc un droit subjectif à l'immigration, droit qu'on ne saurait contester sans s'exposer à l'accusation rédhibitoire de discrimination. Les gens doivent être libres d'aller et venir comme bon leur semble sur la planète. Or ce droit lui-même ne serait qu'une abstraction s'il n'était complété par un certain nombre d'autres droits, économiques ceux-là, droit aux soins médicaux gratuits, par exemple, ou encore à l'assistance publique, au revenu minimum, à un logement, etc. Pas de raison en effet pour en exclure les immigrés, ce sont des hommes comme les autres. Les immigrés pourront également en appeler aux tribunaux contre toute discrimination en matière d'emploi, d'allocations, d'éducation, d'accès aux médias, etc. Et finalement ils obtiendront le droit de vote (car le leur refuser serait discriminatoire). Pour lutter contre d'éventuelles discriminations, les dirigeants vont même aujourd'hui jusqu'à considérer que ce n'est pas à l'accusation d'apporter la preuve qu'il y a discrimination, mais bien à l'accusé lui-même, par renversement de la charge de la preuve. Une directive européenne invita ainsi les Etats à inscrire dans leur législation le principe selon lequel c'est à l'employeur qu'il appartiendrait désormais de démontrer qu'il n'a pas agi de façon « discriminatoire » en embauchant un autochtone plutôt qu'un étranger ou un immigré. Et tant pis pour lui s'il n'y parvient pas... La non-discrimination débouche ainsi dans la mise en oeuvre de mesures de discrimination positive (affirmative action), mesures trouvant leur illustration dans la tendance à la fixation de quotas au bénéfice de certaines minorités, à l'exemple de ce qui se pratique depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis. La non-discrimination se retourne ici en son contraire même. On pourrait citer d'autres exemples encore, empruntés à d'autres domaines (enseignement, politique sociale, droit du travail, droit du mariage et de la famille, etc.), mais le mécanisme de base reste toujours le même. La caractéristique propre de l'idéologie, celle des droits de l'homme comme de n'importe quelle autre, réside dans son fonctionnement en tant que logique de l'idée. A ce titre, l'idéologie n'est pas une forme fermée mais ouverte, elle ne cesse de se projeter au-delà d'elle-même pour conquérir de nouveaux territoires et élargir ainsi son empire. Les conséquences s'enchaînent donc entre elles, sans qu'on puisse jamais dire que le processus serait arrivé à son terme, car on peut toujours aller plus loin encore dans l'enchaînement idéologique. Il y a toujours de nouvelles conséquences à tirer de conséquences préalablement déjà tirées : « Le penser idéologique ordonne les faits en une procédure absolument logique qui part d'une prémisse tenue pour axiome et en déduit tout le reste ; autrement dit, elle procède avec une cohérence qui n'existe nulle part dans le domaine de la réalité », résume ainsi Hannah Arendt (15). A un moment donné, il est vrai, la réalité se rebiffe : drogue, insécurité, violences scolaires, effondrement de l'enseignement, déficits publics, etc. Les sociologues font des enquêtes, se réunissent en colloques, etc. Mais les vraies causes de tels phénomènes restent toujours bien évidemment dans l'ombre, elles ne sont jamais explicitées. Et si d'aventure elles le sont, on crie aussitôt au scandale.
On en vient ainsi tout naturellement au deuxième critère du totalitarisme, à savoir la terreur. Le régime occidental ignore, certes, la terreur en son acception nazie ou stalinienne, mais il en existe un équivalent fonctionnel, l'insécurité précisément. Dans les Origines du totalitarisme, Hannah Arendt dit de la terreur qu'elle est « la réalisation de la loi du mouvement » (16). Par loi du mouvement il faut naturellement entendre ici l'idéologie elle-même (en tant que logique de l'idée), l'idéologie nazie par exemple, ou encore marxiste-léniniste. La terreur apparaît donc comme la forme sous laquelle l'idéologie « se réalise », plus exactement encore se substitue à la réalité pour devenir elle-même la réalité. Car si l'idéologie, en tant que logique de l'idée, ignore la réalité, tout naturellement également elle tend à se substituer à la réalité. C'est là même sa vocation propre : « Son objet est l'histoire, à quoi l'idée est appliquée ». La terreur joue donc le rôle d'instance médiatrice, elle est ce qui médie l'idéologie pour lui permettre de s'inscrire en tant qu'idéologie dans la réalité. Encore une fois, il s'agit là de la terreur nazie et stalinienne. C'est sur elle que se focalise Hannah Arendt dans son ouvrage. Mais n'est-on pas fondé à mettre en parallèle le rôle de l'insécurité dans le fonctionnement actuel du régime occidental avec celui de la terreur dans le fonctionnement du nazisme et du stalinisme?  Le sentiment d'insécurité implique en son concept même que la menace à laquelle il se rapporte est diffuse, qu'on ne sait au juste de quel point de l'horizon elle pourrait survenir. On sait, certes, qu'elle existe, qu'elle peut à tout instant se concrétiser, mais on ignore où, quand et comment elle se concrétisera. Il peut aussi se faire d'ailleurs qu'elle ne se concrétise pas! Une telle menace existe, c'est une certitude, mais la forme particulière qu'elle revêt reste imprévisible, on ne saurait donc en parler qu'en termes abstraits et généraux. Lorsqu'une agression survient (à l'école, dans la rue, le train, etc.), elle survient toujours par surprise, sans qu'on s'y attende. Dans une certaine mesure, certes, on pourrait dire qu'en certains quartiers on est plus en sécurité qu'en d'autres, mais l'insécurité a atteint aujourd'hui de tels niveaux, elle s'est à ce point amplifiée et généralisée, que même dans les quartiers relativement préservés on ne saurait véritablement parler de sécurité (sauf, précisément, en termes relatifs). En ce sens, la distinction conventionnelle entre zones dites de " non droit " et zones de droit est trompeuse. On peut tout aussi bien aujourd'hui se faire agresser en plein Saint-Germain-des-Prés que dans certaines cités dites " à risques " du Val d'Oise ou de la Seine-Saint-Denis. C'est le hasard qui décide, ou alors un " mauvais regard ".
De même, à l'époque stalinienne, personne ne pouvait se dire à l'abri d'une dénonciation et donc d'une arrestation-surprise au petit matin. On entend souvent dire que l'insécurité résulterait de la destruction du tissu social jointe à la disparition des repères traditionnels (qu'il faudrait s'employer dès lors à reconstituer, thèse chère à Jean-Pierre Chevènement), en réalité c'est l'inverse exactement qui est vrai : c'est l'insécurité même qui détruit les repères traditionnels, et par là même conduit à l'atomisation et à la pulvérisation des populations. En cela même elle rejoint la terreur, qui avait les mêmes effets. Certains diront que dans ce dernier cas, la destruction du tissu social a été délibérément voulue et préméditée, alors que dans le premier cas elle s'opère en quelque sorte d'elle-même, au travers d'un mécanisme que tout le monde subit sans qu'il ait réellement été voulu par personne. Mais cette thèse, elle aussi, est inadéquate. Il n'est tout simplement pas vrai que l'insécurité ne soit aujourd'hui que subie. Pour une part aussi elle est voulue. En témoignent certaines consignes de non-intervention données à la police (afin, explique-t-on, d'éviter des affrontements), ainsi que l'attitude d'un grand nombre de juges consistant à « relâcher immédiatement ceux que la police s'est échinée à arrêter ». Le risque d'aller en prison est aujourd'hui sensiblement plus élevé pour l'auteur d'un ouvrage factuel s'employant, statistiques à l'appui, à dessiner les limites du discours officiel en matière d'immigration que pour un trafiquant de drogue narguant la police aux abords même des bâtiments officiels. Les dirigeants s'emploient également à décourager toute forme quelle qu'elle soit de légitime défense. C'est le seul domaine, avec celui de la criminalité idéologique, où la justice se montre aujourd'hui réellement et authentiquement répressive. Les personnes ayant la mauvaise idée de tirer sur leurs agresseurs, même sans les blesser ou les tuer, sont systématiquement mises en examen et en règle générale très lourdement condamnées.
Bref, tout comme la terreur, l'insécurité fonctionne comme instance médiatrice. C'est un moyen terme, un point de passage. La définition que donne Hannah Arendt de la terreur comme réalisation de la loi du mouvement lui est donc pleinement applicable. L'insécurité contribue à faire place nette, à libérer le terrain. On pourrait aussi dire que l'insécurité contribue à l'élimination des obstacles s'opposant à cette réalisation. Grâce à elle, les pesanteurs sociales s'effacent, ou alors pèsent d'un poids moins lourd qu'auparavant. Elles s'effritent, se fragilisent. L'insécurité n'est donc pas assimilable à une simple retombée du droits-del'hommisme, c'est le droits-de-l'hommisme lui-même, en tant qu'il se réalise (tout comme la terreur, c'est le marxisme-léninisme lui-même, en tant qu'il se réalise). Avec l'accroissement des chiffres liés à la criminalité, le droits-de-l'hommisme cesse d'être complètement extérieur à l'histoire, progressivement aussi il lui devient homogène. Le rationnel se rapproche du réel, le réel du rationnel. Une même dynamique les entraîne, celle de l'insécurité précisément, dynamique les amenant à se fondre l'un dans l'autre (le mythe de la société multiculturelle prenant ici le relais de la société sans classes, devenu obsolète).  Au demeurant, par insécurité, il ne faut pas entendre seulement l'insécurité dans la rue ou le métro. L'insécurité inclut également en son concept l'insécurité économique, celle liée au chantage permanent au licenciement et à la précarisation, tel qu'il se pratique aujourd'hui sous différentes formes dans l'économie privée, mais de plus en plus également dans le secteur public (les universités par exemple), au nom d'exigences liées au rendement et à la concurrence. Grâce au "management de la menace", relève Christophe Dejours, les dirigeants d'entreprises sont aujourd'hui parvenus à obtenir une intensification du travail des employés allant "bien au-delà de ce que l'on pensait possible, par comparaison avec la tradition des vingt-cinq années précédentes"..." Les travailleurs soumis à cette forme nouvelle de domination par le maniement managérial de la menace à la précarisation vivent constamment dans la peur " (17). En ce sens la peur est le ressort fondamental du fonctionnement du système dans son ensemble. C'est sur elle que tout repose. Le maniement managérial de la menace à la précarisation joue donc, au plan économique, le même rôle que l'instrumentalisation de l'insécurité au plan politique. »
                                                                                                      
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Dans le même essai, Eric Werner (18) reprend un à un les six critères en question. «Et d'abord l'idéologie. Le régime occidental repose théoriquement sur la séparation du pouvoir et de l'opinion, il ignore donc l'imposition d'une idéologie officielle. Mais chacun sait bien que ce n'est vrai qu'en théorie. En réalité, même s'il s'en défend et prétend le contraire, le régime occidental fonctionne lui aussi sur la base d'une idéologie officielle. On fait bien sûr ici référence à l'idéologie des droits de l'homme, idéologie officiellement enseignée dans les écoles et dont se réclament aujourd'hui les dirigeants pour asseoir leur légitimité. Le catéchisme des droits de l'homme diffère, certes, quant à son contenu du catéchisme nazi ou marxiste-léniniste, mais ce n'est pas en vain qu'Hannah Arendt attire notre attention sur le fait qu'une idéologie n'est pas d'abord dangereuse par son contenu, mais par sa forme, autrement dit comme logique de l'idée. L'idéologue s'enferme dans cette logique érigée en système, en sorte que très vite il en vient à ne plus voir le monde qu'au travers de ce système. Sa pensée tourne à vide, il se coupe des autres et de la réalité. En même temps, il se met à rabâcher, à parler pour ne rien dire (langue de bois). Ces phénomènes ont été étudiés de près par les spécialistes de l'ancienne Union soviétique, mais il est symptomatique de les voir aujourd'hui réapparaître en Occident.
Non moins significatives sont les bornes que les dirigeants occidentaux imposent aujourd'hui au débat politique, pour empêcher, selon leur expression, qu'il ne "dérape", autrement dit n'entraîne les sociétaires à croire que toutes les opinions se valent et qu'on peut dire n'importe quoi. Car, effectivement, on ne peut pas dire n'importe quoi, il y a des limites à ce qu'on a le droit de dire (et même ne pas dire). La critique reste possible, mais pour autant seulement qu'elle s'exprime en termes généraux, ou encore que les choses qu'elle remet en cause ne soient pas désignées trop explicitement. Certaines d'entre elles, au demeurant, ne peuvent pas être remises en cause, même implicitement. Le législateur lui-même y veille. On assiste ainsi au retour en force de la justice politique, avec à la clé une multiplication des procès intentés à des citoyens exprimant des opinions dissidentes ou simplement non-conformistes. Or les dirigeants ont souvent la main lourde dans ce domaine. Les dirigeants se réclament donc des droits de l'homme, mais feignent en même temps d'oublier que la liberté d'expression et de recherche fait elle aussi partie des droits de l'homme. Ils sont ainsi pris dans une contradiction rédhibitoire, contradiction à laquelle ils tentent d'échapper en reprenant mécaniquement à leur compte la formule de Saint-Just, pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Mais cette formule n'a jamais passé pour particulièrement tolérante et libérale.
Si l'on passe maintenant au second critère, celui du parti unique, on retiendra cette observation d'Alexandre Zinoviev selon laquelle nous vivons aujourd'hui "dans un monde dominé par une force unique, par une idéologie unique, par un parti unique mondialiste" (19). En d'autres termes, s'il existe bien plusieurs partis dans nos pays, comme ces partis défendent tous les mêmes idées (les idées mondialistes), force est d'en conclure qu'un tel pluralisme n'est qu'apparent, la réalité étant plutôt celle du parti unique (sans dictateur, il est vrai). Le parti unique mondialiste se subdivise en plusieurs factions rivalisant entre elles pour le pouvoir, mais ces luttes n'ont précisément d'autre enjeu que le pouvoir (et les prébendes liées au pouvoir). Les programmes eux-mêmes sont interchangeables. Au moins, dira-t-on, le régime occidental ignore-t-il la terreur physique ou psychique (troisième critère). Il n'y a pas par exemple, en Occident, de camps de concentration. Mais les gouvernants totalitaires n'ont plus réellement besoin aujourd'hui de recourir à de tels moyens pour asseoir et consolider leur pouvoir. Il leur suffit d'appliquer certaines techniques manipulatoires, les mêmes que celles auxquelles ont aujourd'hui recours les psychopédagogues dans les écoles pour influer sur les attitudes et les comportements. « Le véritable contrôle s'exerce alors au niveau international, par la définition des valeurs, des attitudes et des comportements, par la manipulation des monnaies et des règles du commerce international, le contrôle des médias, de l'éducation, de l'idéologie, etc. », observe Pascal Bernardin (20). Bref, on est passé d'une forme de totalitarisme à l'autre. Les techniques totalitaires ont changé, d'une certaine manière aussi elles se sont perfectionnées.
Reste les trois derniers critères, sur lesquels on peut glisser assez vite. Le quatrième se rapporte au contrôle des médias, mais un tel contrôle prend surtout aujourd'hui, comme on sait, la forme de l'autocontrôle. Les journalistes et responsables de presse savent qu'au moindre écart de leur part ils risquent l'avertissement ou même le licenciement, en sorte que, tout naturellement, sans même le plus souvent s'en rendre compte, ils sont conduits à s'autocensurer. C'est devenu chez eux un simple réflexe. L'autocontrôle individuel se double en outre d'un autocontrôle collectif, chacun veillant à se démarquer le moins possible de ce que dit l'autre. La règle est ainsi celle de l'alignement réciproque, à quelques variantes près c'est toujours la même ritournelle (agrémentée des mêmes clichés).
Avec le cinquième critère (monopole dans l'utilisation des armes à feu), on est en pleine actualité, puisque les législations nationales relatives au droit de porter des armes tendent aujourd'hui à devenir de plus en plus restrictives, officiellement dans un souci de lutte contre le développement de la criminalité de masse, en réalité pour décourager toute velléité, jugée subversive, de recours à l'autodéfense. En d'autres termes, l'objectif n'est pas de lutter contre la criminalité, mais à l'inverse de priver les victimes potentielles de la criminalité des moyens leur permettant, le cas échéant, de résister aux criminels (chose hautement condamnable). Les dirigeants entendent vraisemblablement aussi prévenir certaines révoltes anti-pouvoir.
Quant à l'économie (sixième critère), rappelons que les prélèvements obligatoires atteignent aujourd'hui près de 50% du PNB dans l'ensemble des pays de la zone ouest-européenne, ce qui permet déjà de se faire une idée du poids actuel de l'État dans le fonctionnement général de l'économie. En pratique, cela signifie que chaque salarié-contribuable travaille un jour sur deux pour l'État (six mois sur douze, vingt ans sur quarante) (21). Par ailleurs, comme le relève Pascal Bernardin, l'ultra-libéralisme sur la base duquel s'est effectuée la convergence entre capitalisme et communisme à la fin des années 80 s'allie aujourd'hui sans difficulté à l'instauration progressive d'un communisme planétaire, au travers même des lois régissant l'ouverture des frontières et la libéralisation du commerce. Car celle-ci « transforme un système libéral en système communiste mondial. [...] La "crise" actuelle sert essentiellement le FMI, qui voit ses pouvoirs considérablement étendus. L'ouverture des frontières a donc conduit, comme prévu, à des transferts massifs de capitaux et de richesses des pays développés vers les autres et à un accroissement du contrôle de l'économie mondiale» (22).
                                                                                            
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Emilio Gentile, dans Les religions de la politique (23) développe l'aspect "religieux" et "cultuel" du totalitarisme : « Par le terme "totalitarisme" , nous entendons définir : une expérience de domination politique menée par un mouvement révolutionnaire organisé en un parti militairement discipliné, répondant à une conception intégriste de la politique qui aspire au monopole du pouvoir et qui, après l'avoir conquis, par des méthodes légales ou illégales, détruit ou transforme le régime préexistant et établit un nouvel Etat. Fondé sur le régime à parti unique, ce nouvel Etat a pour principal objectif de réaliser la conquête de la société, c'est-à-dire la subordination, l'intégration ou l'homogénéisation des gouvernés, sur la base du principe de la politique intégrale de l'existence, tant individuelle que collective, interprétée selon les catégories, les mythes et les valeurs d'une idéologie institutionnalisée sous la forme d'une religion politique. Son but est de modeler l'individu et les masses par une révolution anthropologique destinée à régénérer l'être humain et de créer un homme nouveau, dédié corps et âme à la réalisation des projets révolutionnaires et impérialistes du parti totalitaire pour créer une nouvelle civilisation à caractère supranational.
A la source de l'expérience totalitaire dont il est le principal artisan et exécutant, le parti révolutionnaire n'admet pas la coexistence avec d'autres partis ou idéologies et conçoit l'Etat comme un moyen de réaliser ses projets de domination. Il possède depuis ses origines un ensemble plus ou moins élaboré de croyances, dogmes, mythes, rites et symboles qui interprètent le sens et la finalité de l'existence collective et définissent le bien et le mal exclusivement selon les principes, les valeurs et les objectifs du parti, et en fonction de leur réalisation.
Le régime totalitaire se présente comme un système politique fondé sur la symbiose entre l'Etat et le parti, ainsi que sur un ensemble de potentats gouvernés par les principaux représentants de l'élite dirigeante, choisis par le chef du parti qui domine de son autorité charismatique l'entière structure du régime. C'est un laboratoire d'expérimentation de la révolution anthropologique qui vise à la création d'un nouveau type d'être humain. En voici les principaux moyens :

a) la coercition, imposée par la violence, la répression, la terreur, considérées comme des instruments légitimes pour affirmer, défendre et diffuser l'idéologie et le système politique ;
b) la démagogie, à travers la propagande envahissante, la mobilisation des foules, la célébration liturgique du culte du parti et du chef ;
c) la pédagogie totalitaire, dictée par le pouvoir, fondée sur le modèle d'hommes et de femmes correspondant aux principes et aux valeurs de l'idéologie palingénésique ;
d) la discrimination de l'étranger par des mesures coercitives, lesquelles peuvent aller de la mise au ban de la vie publique à l'anéantissement physique de tous les êtres humains qui, en raison de leurs idées, de leur condition sociale ou de leur appartenance ethnique, sont considérés comme des ennemis inéluctables, car étrangers à la communauté des élus, et comme des obstacles à la réalisation de l'expérience totalitaire.

Les aspects fondamentaux de l'expérience totalitaire sont :

a) la militarisation du parti, régi par une organisation strictement hiérarchique qui présente un style et une mentalité conformes à l'éthique de dévouement et de discipline absolue ;
b) la concentration moniste du pouvoir en un parti unique et la personne du chef charismatique ;
c) l'organisation structurée des masses, qui engage hommes et femmes de chaque génération, afin de permettre la conquête de la société, l'endoctrinement collectif et la révolution anthropologique ;
d) la sacralisation de la politique, grâce à l'institution d'un système de croyances, de mythes, de dogmes et de lois qui touchent l'existence individuelle et collective à travers des rites et des fêtes visant à transformer définitivement la collectivité en une masse de fidèles du culte politique. »
                                                                                                   
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On peut aussi examiner les rapports entre le néo-totalitarisme occidental et la religion. On pourra se rapporter pour introduire le sujet à ce que dit Eric Werner dans deux chapitres de l'Après-démocratie, sur la "notion de religion séculière" et "à propos de la déchristianisation", ainsi qu'à la notion "d'îdolatrie" développée par Raymond Aron dans L'Opium des intellectuels. De son côté, Alain Besançon développe une analyse moins politique ou géopolitique que métaphysique et théologique. Les écrits de cet auteur ont été déjà largement présentés sur ce blog aussi je me contenterais d'y renvoyer (24). Quant à Eric Werner, il nous rappelle que « l'attitude des dirigeants droits-de-l'hommiens en matière religieuse n'a rien d'univoque, elle est au contraire très différenciée. Pour des raisons faciles à comprendre, les dirigeants néo-totalitaires se montrent particulièrement hostiles à l'égard du christianisme, ne serait-ce que dans la mesure où le christianisme est la religion traditionnelle des peuples européens et qu'à ce titre il constitue un obstacle au processus en cours de déracinement/ massification conditionnant l'avènement du « globalitarisme ». En outre, le christianisme, contrairement à la plupart des autres religions historiques, valorise la liberté humaine, autrement dit encourage l'homme à dire "Je", à s'affranchir des liens l'empêchant d'accéder à la parole et à la vie personnelles, liens psychiques mais aussi institutionnels. Les dirigeants néo-totalitaires sont naturellement hostiles à ces choses. Enfin, comme l'a bien montré René Girard, "les idéologies modernes sont construites sur la même trame que le religieux archaïque : les boucs émissaires sont clairement identifiés et la violence acquiert un caractère salvateur pour rendre la paix à la Cité". Or "la Bible et les Évangiles démystifient le religieux archaïque en montrant l'innocence de la victime et la culpabilité de l'agresseur" (25). Pour toutes ces raisons, les idéologues néo-totalitaires ne peuvent qu'adopter une attitude de méfiance à l'endroit de la tradition judéo-chrétienne et des institutions ou symboles qui la représentent. S'il fallait repérer une continuité entre le paléo-totalitarisme stalinien ou nazi et le néo-totalitarisme occidental, sans doute est-ce de ce côté-là, avant tout, qu'il faudrait la chercher » (26).
D'un autre côté, le néo-totalitarisme occidental n'hésite pas à apporter son soutien actif à l'islam politico-religieux, forme de pensée qu'on ne saurait certes soupçonner de favoriser l'épanouissement du sujet parlant en première personne. Ne voit-on pas les dirigeants occidentaux favoriser la création d'entités islamiques homogènes dans les Balkans (Bosnie, Kosovo...) alors même qu'ils encouragent l'installation de millions d'immigrés musulmans dans les grandes agglomérations européennes, prélude à une possible et même probable islamisation du continent. Mathieu Baumier, dans sa Démocratie totalitaire (27) nous met en garde contre la montée totalitaire de l’islamisme radical. Il utilise pour désigner ce mouvement par les mots fascisme vert, précisant que les termes sont largement utilisés dans le monde arabe lui-même.
On raisonne volontiers sur le totalitarisme comme si le risque auquel il s'identifie avait disparu comme par enchantement avec l'effacement des deux formes sous lesquelles il s'est concrétisé au XXème siècle (nazisme et communisme). Or, aucune société à notre époque ne saurait se prétendre complètement immunisée contre un tel risque. Des germes de totalitarisme existent dans toutes les sociétés modernes, et cela dans la mesure même où elles sont modernes, autrement dit s'inscrivent en rupture par rapport aux sociétés traditionnelles. Comme il faut bien provisoirement conclure, je choisirais de reprendre une phrase du très perspicace Eric Werner et qui laisse ouverte une direction de recherche : « les idéologues néo-totalitaires ne peuvent qu'adopter une attitude de méfiance à l'endroit de la tradition judéo-chrétienne et des institutions ou symboles qui la représentent. S'il fallait repérer une continuité entre le paléo-totalitarisme stalinien ou nazi et le néo-totalitarisme occidental, sans doute est-ce de ce côté-là, avant tout, qu'il faudrait la chercher ».
                                                                     
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Notes et sources :
(1) Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir, 1945, réédit; Pluriel, 1998.
(2) Jacob Talmon, Les origines de la démocratie totalitaire, Calmann-Lévy, 1966.
(3) Alexandre Zinoniev, "Une guerre contre l'Europe" , le Monde, 25/5/99.
(4) Alain de Benoist, l'Ecûme et les galets, édit. le Labyrinthe, 2000.
(5) Hanna Arendt, la Condition de l'Homme moderne,
(6) Paul Virilio, l'avènement du globaritarisme, Catholica n° 66, hiver 1999/2000.
(7) Alexandre Zinoviev, l'Occidentisme, Plon, 1996.
(8) Jean-Jacques Rousseau, Contrat social, livre 1er, chap.VII).
(9) Hannah Arendt, Le Système totalitaire, édit. du Seuil, collect. "Points-Essais", volume 3, 2006.
(10) Friedrich/Brzezinski, Totalitarian Dictatorship and Autocracy, Harvard University Press, 1954.
(11) Raymond Aron, Démocratie et Totalitarisme, Folio Essais, Gallimard, 1965.
(12) Eric Werner, l'Après-démocratie, édit. Age d'Homme, 2001.
(13) Hanna Arendt, Le Système totalitaire, Points/ Seuil, 1995.
(14) Alain de Benoist, introduction l'Ecûme et les galets...
(15) Hanna Arendt, le Système totalitaire...
(16) Hanna Arendt, le Système totalitaire....
(17) Christophe Dejours, Souffrances en France, la banalisation de l'injustice sociale, Seuil, 1998.
(18) Eric Werner, article "à propos du régime occidental" dans " La Nation", 10 septembre 1999 repris dans l'Après-démocratie....
(19) Alexandre Zinoviev, Le Figaro Magazine, 24/7/99.
(20) Pascal Bernardin, L'Empire écologique, Édit. Notre-Dame des Grâces, 1998, p. 540.
(21) Yves Cannac, Le juste pouvoir, Jean-Claude Lattès, 1983, p. 109.
(22) Pascal Bernardin, L'Empire écologique...
(23) Emilio Gentile, Les Religions du politique, Le Seuil, 2005,
(24) Alain Besançon, Les Origines intellectuelles du léninisme, 1977. La Confusion des langues, 1978. La falsification du Bien, Julliard, 1985. Le malheur du siècle, Fayard, 1998.
(25) René Girard (Entretien avec), Catholica, n°67, printemps 2000.
(26) Eric Werner, dans l'avant-propos de L'Après-démocratie....p.28/29.
(27) Mathieu Baumier, Démocratie Totalitaire, Presses de la Renaissance, 2007
                                                                
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Autres sources :
-Bernard Wicht, l'OTAN attaque, Genève, Georg, 1999.
-Commandant Pierre-Henri Bunel, crimes de guerre à l'OTAN, édit. n°1, 2000.
-Pascal Bernardin, Machiavel pédagogue...édit. N.D. des Grâces, 1995.
-Liliane Lurçat, Vers une école totalitaire, édit. Françoix-Xavier de Guibert, 1998.
-Thierry Wolton, L'Histoire interdite, J.C Lattès, 1998.
-Raymond Aron, L'Opium des intellectuels, Calmann-Lévy, 1961. Machiavel et les tyrannies modernes, de Fallois, 1993 ou Le livre de poche, 1995.
-James Bacque, Morts pour raisons diverses, Sand, 1990.
-Eric Werner, sur la notion de religion séculière, dans l'Après-démocratie, l'Age d'Homme, 2001, pp.60-67. 
 
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