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le premier jour du Seigneur (1ère partie)

Publié le par Christocentrix

Au début du printemps, sans doute aux premiers jours de mars, en la 16ème année du règne de César Tibère, la 28ème ou la 29ème année de notre ère, l'ancien maître constructeur, le futur rabbi Jeschua, descendit du bourg de Nazareth pour se rendre au village des pêcheurs, le « village de Naum », Kafar-Naum, sur le lac de Génézareth. L'authenticité de cet événement de la vie de l'homme Jésus n'est pas moins historique que le fait de sa naissance à Bethléem et de sa mort à Jérusalem.

Or, Jésus ayant appris que Jean (le baptiste) avait été mis en prison se retira dans la Galilée. Il quitta Nazareth et vint demeurer à Capharnaüm, ville proche de la mer (du lac), rapporte Mathieu (4, 12-13); Luc en parle un peu autrement, plaçant la première journée du Seigneur non pas à Capharnaüm, mais à Nazareth. Il vint à Nazara (Nazareth), où il avait été élevé. Selon sa coutume, il entra le jour du Sabbat dans la Synagogue et il se leva pour lire (l'Ecriture).

Suit le récit dont voici le sens général:  Jésus avait gardé le silence pendant trente ans, se cachant des Nazaréens si bien que nul d'entre eux n'avait pressenti à qui ils avaient affaire; lorsqu'enfin il parla, ils en furent d'abord surpris : N'est-ce pas le fils de Joseph? et même ravis, moins sans doute par le sens du discours, trop obscur pour eux, que par la manière dont Jésus parlait; mais ensuite, la seule pensée que le Messie avait pu être envoyé non seulement au peuple de Dieu, Israël, mais aussi aux païens, aux «chiens», les rendit si furieux qu'ils le menèrent jusqu'au sommet de la montagne sur lequel leur ville était bâtie, pour le jeter en bas (Lc., 4, 16-29), le tuer. Jésus ne fut sauvé que par miracle sans doute se trouva-t-il dans la foule des gens raisonnables qui le défendirent et lui permirent de fuir. Dans ce témoignage, ou, n'ayons pas peur des mots, dans cet « apocryphe » de Luc, les inexactitudes historiques sont flagrantes : la ville de Nazareth n'est pas bâtie sur le sommet, mais sur le versant de la montagne, et il n'existe à proximité de la ville aucune hauteur d'où l'on puisse tuer un homme en le précipitant; quant à emmener Jésus au loin, la foule furieuse n'en avait nul besoin : elle pouvait selon l'usage juif le lapider sur place. Au surplus Marc (6, 1- 6) et Matthieu (13, 54-58) placent la prédication de Jésus à Nazareth non pas aux premiers jours du ministère du Seigneur, mais beaucoup plus tard. Pourtant si, en dépit de toutes ces inexactitudes extérieures, le témoignage de Luc recèle une vérité intérieure sur la rupture définitive, passée ou future, entre Jésus et sa terre natale. En vérité, je vous le dis, aucun prophète n'est bien reçu dans sa patrie (Lc., 4, 24), le IIIe Évangile éclaire alors d'une lumière nouvelle le témoignage du Ier Évangile.

«Il quitta Nazareth», signifie: « il s'enfuit », et il « vint demeurer à Capharnaüm »: signifie « il s'y établit », ce qui est confirmé du reste par le IVe Évangile : Il descendit à Capharnaüm, avec sa mère, ses frères et ses disciples (Jn., 2, 12).

C'est donc qu'en fuyant Nazareth, Jésus avait probablement compris que son berceau pouvait facilement devenir son tombeau, et que son premier pas vers les hommes pouvait être le dernier. Dès son premier jour, il sut que ses jours étaient comptés.

 Jésus vint dans sa ville (Capharnaüm) dira Matthieu, parlant d'un des nombreux voyages du Seigneur (9,10). Non, ce n'est pas non plus sa ville, mais une ville étrangère; sa seconde patrie ne vaut pas mieux que la première. Le Fils de l'homme sera un éternel exilé, un vagabond de grands chemins qui « n'a pas un lieu pour reposer sa tête», et n'a pas plus de demeure sur la terre que les chacals des steppes et les oiseaux du ciel.

Il « descendit », et non il vint de Nazareth à Capharnaüm, disent Jean et Luc (2, 12; 4, 31), dessinant exactement d'un seul trait, comme cela arrive souvent aux Évangélistes, tout un événement de la vie extérieure et intérieure de l'homme Jésus.

« Jésus descendit directement du ciel à Capharnaüm », dira le docète Marcion : du ciel du silence, du mystère, des trente années de calme nazaréen. Cette descente historique du Fils de l'homme à Capharnaüm correspond à la descente éternelle du Fils de Dieu sur la terre.

Le lac de Génézareth se trouve à une dizaine d'heures de marche au nord-est de Nazareth. Le voyageur qui, comme le faisait probablement Jésus, suivait le plateau de Turan, au-dessus de la gorge d'Arbeel, découvrait soudain, tout au fond, parmi de sombres rochers de basalte, un lac long et étroit, d'un bleu aérien au printemps entre ses rives verdoyantes, d'un vert aérien en automne entre ses rives jaunissantes : on aurait dit le ciel descendu sur la terre.

Peut-être Jésus y était-il déjà venu, lorsqu'il allait avec son père, le charpentier Joseph, chercher du travail, mais il est probable qu'il contemplait maintenant ce lac comme s'il le voyait pour la première fois : il comprenait que c'était ici qu'il allait accomplir la volonté de son Père, annoncer le royaume de Dieu.

 « La région de Génézareth est d'une beauté indescriptible rapporte Josèphe. Les terres y sont si fertiles et l'air y est si doux que les plantes les plus diverses, depuis le noisetier du nord jusqu'aux palmiers du midi, y croissent ensemble : toutes les saisons semblent rivaliser. Les figuiers et les vignes, à côté d'autres fruits, y restent mûrs pendant dix mois.» Il semble que là mieux qu'en tout autre lieu de la terre les hommes pouvaient entendre la Bonne Nouvelle : Tout est prêt, venez aux noces (Mt., 22, 4).

 Le lieu saint entre tous où le royaume de Dieu descendit du ciel sur la terre est, tel le visage de l'homme Jésus, simple, très simple, ordinaire, comme tous les lieux de la terre, et en même temps extraordinaire, unique, sans pareil. C'est la même sérénité, la même paix, le même calme qu'à Nazareth; mais on dirait que là la terre s'élève vers le ciel, et qu'ici le ciel descend sur la terre. Deux berceaux : l'un, celui du Roi, l'autre, celui du Royaume. Deux frontispices à l'Évangile, miraculeusement conservés jusqu'à nos jours, non point tracés sur le parchemin par la main d'un scribe, mais sur la terre par Dieu, l'un pour l'enfance du Seigneur - Nazareth; l'autre pour le royaume de Dieu - Génézareth.

Aujourd'hui encore, comme au premier jour du Seigneur, une brume dorée enveloppe le lac, pareille à la « Gloire de Dieu », au nimbe d'or des vieilles icones; pointues comme des ailes d'hirondelle, les voiles blanches des barques de pêcheurs se détachent sur le lac bleu, et les troupes serrées de pélicans blancs et roses voguent sur l'eau en îlots flottants, tandis que, debout sur les pierres du rivage, les cormorans noirs guettent dans l'eau transparente les poissons, prompts à fondre sur eux; comme jadis, assis dans les barques près de la rive, les pêcheurs réparent leurs filets, ainsi que le faisaient les fils de Zébédée, lorsque le Seigneur les appela, ou les lavent, comme Pierre, et les étendent ensuite sur des perches pour les sécher; comme jadis, les eaux chaudes et salutaires des sept Fontaines (l'Heptopygon) se déversant dans la lagune près de Capharnaüm et attirant par leur saveur et leur tiédeur tant de poissons qu'on peut les prendre à la main, évoquent la pêche miraculeuse où Pierre prit une telle quantité de poissons que ses filets se rompaient et que les deux barques étaient pleines à enfoncer (Lc., 5, 6-7). L'odeur d'eau tiède et de poisson se mêle toujours par les midis d'été aux parfums des fleurs de citronniers et d'orangers qui s'exhalent des jardins riverains de Bethsaïda où les lauriers-roses trempent leurs fleurs dans l'eau bleue. Le voyageur qui marche au bord du lac sent craquer sous ses pieds comme sous les pas du Seigneur, une multitude de petits coquillages de calcaire blanc mêlés au sable noir. Et l'on croirait qu'au bord des anses la foule vient de s'assembler en demi-cercle pour écouter la voix distincte du rabbi Jeschua enseignant du haut d'une barque. Et par les nuits de tempête, sur le lac, les crêtes écumeuses des vagues, éclairées par la lune à travers les nuages, évoquent encore le vêtement blanc du Seigneur marchant sur les eaux.

Cette terre, Kinnezar-Kinneret, était consacrée depuis une immémoriale antiquité au dieu Cinyre-Adonis, qui meurt dans la terre et ressuscite dans le grain de blé. Le souvenir du dieu s'était éteint chez les hommes, mais de même que sur les collines de Nazareth rougeoyaient aux pieds de Jésus les fleurs de l'anémone, du « sang d'Adonis », de même pleurait ici, lugubre comme le bruit du vent nocturne dans les roseaux du lac, le cinnor, la flûte pastorale du dieu Cinyre mourant :

lls regarderont vers celui qu'ils ont transpercé...Et ils sangloteront sur lui comme sur un fils unique...Et ils s'affligeront comme on s'afflige du premier-né... (Zach., 12, 10)

 On dirait que la terre d'ici savait par Qui elle serait foulée. Si toute beauté terrestre voile une tristesse non terrestre, cela est vrai ici plus que partout ailleurs, tout y exhale un doux appel, une plainte qui déchire le coeur : Le festin de noce est prêt, mais personne n'est venu.

A partir des gorges d'Arbeel le chemin que suivait Jésus traversait la plaine de Ginnesar pour se diriger ensuite vers le village riverain de Magdala, et de là vers Capharnaüm, longeant le bord du lac où les montagnes toutes proches, tombant parfois presque à pic, ne laissent qu'un étroit passage pour la route : celle-ci doit être aujourd'hui ce qu'elle était au temps du Seigneur et les hommes pourraient y baiser encore la trace ineffaçable de ses pas.

C'était la veille du Sabbat, au moment où d'après la loi de Moïse commence le repos sabbatique, aussitôt après le coucher du soleil; il faisait encore jour puisque sur le lac les pêcheurs jetaient leurs filets. La rive occidentale que suivait Jésus était déjà dans l'ombre, mais la rive opposée avec l'escarpement de Gadara rougeoyant comme le fer surchauffé, restait toute ensoleillée. Vers le sud, au delà de Magdala, jaillissant tout droit de l'eau bleue, telles des fleurs aquatiques, rosissaient les tours blanches de Tibériade, la capitale d'Hérode Antipas nouvellement bâtie, et le toit d'or de son palais flamboyait comme de la braise. Plus loin encore vers le sud, les eaux du Jourdain, sortant du lac par la gorge de Tarikea, étaient illuminées par le soleil couchant comme par la gloire du Seigneur.

Comme il marchait le long de la mer de Galilée il vit Simon et André, son frère, qui jetaient le filet dans la mer, car ils étaient pêcheurs (Mc., I, 16).

Tel est le premier instant du premier jour du Seigneur. Ici commence pour nous le témoignage oculaire de Pierre : nous verrons de ses yeux, nous entendrons de ses oreilles Jésus depuis cet instant jusqu'à celui où il s'élèvera du mont des Oliviers.

Jésus aperçut la barque de Simon avant d'arriver à Capharnaüm, peut-être près des Sept Sources, abondantes en poisson : là, non loin du rivage sans doute, Simon et son frère André, comme le font encore de nos jours les pêcheurs du lac de Génézareth, jetaient les filets debout dans la barque, ou dans l'eau jusqu'à la ceinture, à un endroit peu profond.

Dès le premier mot :« comme il passait devant », dit non pas du point de vue de Jésus lui-même, mais de celui des pêcheurs qui, dans la barque ou debout dans l'eau, le voyaient marchant sur la rive, on entend, à travers la voix de Marc, la voix de Pierre, de même qu'on l'entend dans ce terme de pêcheur : « jeter en cercle des deux côtés »: on n'ajoute pas ce qui est jeté, parce que tout pêcheur sait qu'il s'agit des filets. Le filet circulaire des pêcheur actuels de Génézareth, chabakah, le même sans doute qu'aux jours de Pierre, est enroulé autour du bras gauche; saisissant de la main droite le bout du filet qui pend, alourdi par des plombs, le pêcheur le déploie rapidement et l'étale sur l'eau. Les deux frères travaillent, Simon d'un côté, André de l'autre. Tout est tracé avec la merveilleuse exactitude d'un film. Pour décrire ainsi la scène il faut l'avoir vue.

Jésus leur dit : suivez-moi et je  vous ferai pêcheurs d'hommes. Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent ( Mc., 1, 17-18).

Rappelons-nous les témoignages évangéliques - celui du IVe Évangile, rapportant que Simon et André, anciens disciples du Baptiste, le quittèrent pour suivre Jésus (I, 40, 42); celui du IIe Évangile, affirmant que la renommée du nouveau prophète de Nazareth s'était déjà répandue dans toute la Galilée (4, 14), --et nous comprendrons que tout ne s'est peut-être pas passé aussi subitement que Marc, selon sa coutume, le représente; il condense toute une série d'expériences intérieures successives, concentre en un point l'effet soudain de ce dynamisme de Jésus que Simon, comme tous ceux qui en éprouvent l'action, trouve miraculeux et qui, comme toute expérience religieuse première, « contact avec d'autres mondes », est, en effet, merveilleux. «Désormais tu seras pécheur d'hommes» (Lc., 5, 10) - cette parole illumine comme un éclair toute la destinée future du Prince des Apôtres et projette sa lumière sur cet instant à jamais mémorable pour lui, où debout dans l'eau, à demi-nu, le filet enroulé autour du bras, considérant attentivement le visage du rabbi Jeschua qui se tenait sur la rive, il entendit l'appel mystérieux. Cet instant deviendra éternité non seulement pour lui, mais pour toute l'humanité chrétienne : Pierre fut, est et sera jusqu'à la fin des temps pêcheur d'âmes humaines.

 

Étant allé un peu plus loin, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, qui étaient assis dans une barque, raccommodant leurs filets. Il les appela aussitôt; et, laissant Zébédée leur père, dans la barque avec les ouvriers, ils le suivirent (Mc, I, 19-20 ). Ils réparent en vue de leur prochaine pêche les grands filets, mebatten, destinés aux grands fonds : voilà de nouveau tout un tableau, dans un seul trait instantané. Frappés comme par la foudre par l'appel du Passant inconnu, les deux fils quittent leur vieux père, sans même lui dire adieu. De nouveau tout cela est si raccourci, si précipité, si conforme à l' « aussitôt », de Marc-Pierre, si «miraculeux», si étonnant, que là aussi on ne peut pas ne pas voir une « stylisation » , préconçue ou involontaire, simplifiant la réalité historique, de même que dans le parallélisme trop évident de deux vocations presque identiques : la barque, les filets, les deux frères pêcheurs, l'appel du Seigneur, la soudaineté de la décision - tout se répète comme le refrain dans la chanson et l'accord dans la musique.
 

Ensuite, ils se rendirent à Capharnaüm (Mc., I, 21).

A en juger par les pierres trouvées dans les fondations en ruine du mur d'enceinte qui forment un quadrilatère long de mille pas et large de cinq cents, la ville était une petite bourgade, un jouet. C'était seulement à cause de sa situation aux confins des provinces de deux tétrarques, les frères Hérode, Antipas et Philippe, près de la grande route militaire et commerciale qui allait de Jérusalem à Damas, le long de la rive septentrionale du lac, qu'il y avait dans la ville une douane, telonium, où l'on percevait les impôts de ceux qui passaient la frontière ou venaient de la Decapole en traversant le lac; il y avait également un poste romain, commandé par un centurion.
Dans les ruelles étroites et ombreuses, tout imprégnées d'une odeur de poisson salé, où le passant avance prudemment, de peur de se prendre le pied dans les filets étendus par terre ou de glisser sur des écailles de poissons, les maisonnettes de pêcheurs sont faites du même basalte noir que toutes les collines et montagnes environnantes. Seule la synagogue, érigée par le centurion romain (« il aime notre nation, et c'est lui qui nous a fait construire notre synagogue », diront à Jésus les anciens des juifs de Capharnaüm. (Lc., 7, 5), est toute bâtie en calcaire blanc, semblable à du marbre : dominant l'amas des maisonnettes sombres, elle étincelle de blancheur et se voit de loin. Les délicats chapiteaux des colonnes et les architraves d'ordre ionique, ainsi que des figures de centaures, de lions, d'aigles et de dieux-enfants couronnés de fleurs, peut-être même des pampres de Bacchus, tout rappelait un temple hellène et semblait annoncer cette langue grecque commune, koïné, dans laquelle sera écrit l'Évangile.

 

L'intérieur de la synagogue de Capharnaüm était le même que celui de Nazareth, mais tout y était plus riche et plus grand : une rangée de colonnes à chaque étage, celles du rez-de-chaussée d'ordre corinthien, celle du premier étage d'ordre dorique; des murs blancs et nus; des bancs de bois pour les fidèles; une estrade de pierre, arona, avec une petite armoire à deux portes, « l'arche de Noé » où l'on enfermait les rouleaux de la Loi. Les portes de l'entrée principale étaient orientées, comme toujours, vers Jérusalem; ici, elles donnaient directement sur le lac d'un bleu aérien comme le ciel qui étincelait au soleil et dont le reflet se mouvait sur les murs blancs en vagues ondoyantes.
On a trouvé dans les ruines de Tell-Khoum des pierres, provenant peut-être du perron de l'entrée principale de la Synagogue; là encore, comme sur la route longeant le lac, les hommes pourraient baiser les traces des pas de Jésus.


Et aussitôt, le jour du sabbat, Jésus étant entré dans la Synagogue se mit à y enseigner (Mc., I, 21).

                                                                                                         

                                                       (à suivre....dans la deuxième partie)

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